Contenu du sommaire : L'espace, les sociologues et les géographes

Revue Sociétés contemporaines Mir@bel
Numéro no 49-50, 2003
Titre du numéro L'espace, les sociologues et les géographes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • L'espace, les sociologues et les géographes déconstruire et reconstruire les « disciplines » : les jeux de l'interdisciplinarité - Rhein Catherine p. 3-12 accès libre
  • Ville et campagne. Quel lien avec le projet sociologique de Max Weber ? - Bruhns Hinnerk p. 13-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La source de la sociologie weberienne est généralement localisée dans les débats méthodologiques et théoriques de la fin du XIX e et du début du XX e siècle et non dans les problèmes concrets de la société allemande. L'examen des motifs de l'engagement de Weber dans la création de la Société Allemande de Sociologie montre que ses objectifs prioritaires n'étaient ni l'autonomie ni l'institutionnalisation de la sociologie comme discipline académique, mais la création d'un instrument et d'une infrastructure pour mener de grandes enquêtes « sans but pratique ». Ce projet sociologique est directement lié aux enquêtes, d'abord rurales, que Weber a réalisées dans le cadre du Verein für Sozialpolitik, à l'exploitation politique qu'il en a faite lui-même et à son échec pour imposer au Verein un programme et une méthodologie d'enquêtes sans but pratique immédiat. La sociologie rurale a oublié la source rurale de la sociologie de Weber. Par contre, dans la sociologie urbaine du XX e siècle, on peut rencontrer l'affirmation d'une filiation weberienne. L'examen du thème urbain à travers l'œuvre de Weber montre que, et pour quelles raisons, la société urbaine contemporaine en est absente tandis que le thème de la ville (Antiquité, Moyen Age, Orient) joue un rôle primordial dans l'enquête de Weber sur les conditions d'émergence du capitalisme d'entreprise moderne.
    Town and country: what kind of relation to Max Weber's sociological project? The sources of Weberian sociology are generally located in the methodological and theoretical debates of the late 19th and early 20th century rather than in the concrete problems of German society. Examining the motives of Weber's commitment to the creation of the German Sociology Society shows that his objectives were not in priority the autonomy or the institutionalization of sociology as an academic discipline, but the creation of an instrument and infrastructure for carrying out great investigations “with no practical purpose”. This sociological project is directly linked, to the investigations, rural at first, carried out by Weber in the framework of the Verein für Sozialpolitik, to the political exploitation that he made of them himself, and to his failure in imposing to the Verein a program and a methodology for investigation with no immediate practical end. Rural sociology has forgotten the rural sources of Weber's sociology. Yet, in the urban sociology of the 20th century, one can encounter the affirmation of a Weberian descent. Examination of the urban theme throughout Weber's works shows that contemporary urban society is absent, and for what reasons, whereas the theme of the city (Ancient, Middle ages, Orient) plays a primordial role in Weber's investigation on the conditions of emergence of modern enterprise capitalism.
  • Comment se fait la sociologie : à propos d'une controverse en sociologie rurale - Jollivet Marcel p. 43-60 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article relate les termes d'une controverse qui a eu lieu à la fin des années soixante au sein d'un groupe de recherche spécialisé dans la sociologie de la paysannerie, le Groupe de sociologie rurale du CNRS. Cette controverse oppose deux approches théoriques de la caractérisation de la paysannerie et de ses évolutions dans une société « développée », la France. Mais elle peut être vue comme ayant une portée générale en illustrant deux conceptions de la sociologie. Quoique datée dans le temps et correspondant à une période bien précise de l'évolution de la société française, elle présente le double intérêt de montrer à travers un exemple comment se construit la démarche sociologique et d'offrir l'occasion d'ouvrir un débat sur les orientations actuelles de la sociologie.
    A Controversy within a Research Group specialized in Rural Sociology. This article is about a controversy which took place at the end of the seventies within a research group, specialized in rural sociology, the "Groupe de Sociologie Rurale" of the CNRS. It is written from the point of view of one of the protagonists. This controversy opposes two theoretical approaches of the characterization of French peasantry and its evolution within a "developed" society. But as it illustrates two different conceptions of sociology, it presents a more general interest. Even though it can be seen as outdated and related only to a very precise period of French society, it is interesting for two reasons : it shows how sociology is constructed and it gives the opportunity to open a debate on the different orientations of sociology today.
  • Cartographie et analyse écologique quantitative de la pratique religieuse rurale et urbaine en France. Précisions historiques et questions de méthode - Terrenoire Jean-Paul p. 63-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans les années soixante-dix, l'auteur était l'un des responsables d'une recherche collective qui réalisa une analyse écologique quantitative de plus d'un millier de circonscriptions à partir des données du recensement religieux effectué par l'Église catholique au mi-temps de vingtième siècle et d'un ensemble de données politiques, économiques et démographiques collectées à la même période. Le but était de mettre au jour les facteurs contextuels déterminant le niveau de la pratique religieuse dans les villes et les cantons ruraux. Menant une réflexion sur les relations entre sociologie et géographie, il souligne la portée et les limites heuristiques de la cartographie, donne des précisions historiques et soulève quelques points de méthode.
    Cartography and Quantitative Ecological Analysis of Religious Practice in French Urban and Rural Areas. Historical Context and Methodological Questions In the seventies the author was one of the leaders of a collective research project which undertook a quantitative ecological analysis of more than a thousand units in France using the resources of the religious census made by the Catholic Church in the middle of the twentieth century and the political, economic and demographic data gathered in the same period. The purpose was to bring to light the contextual determinants of religious practice in towns and rural areas. In this paper, the author does not present the analysis undertaken at that time or their sociological conclusions which can be found in the texts published during and after the research. Rather, he underlines the advantages and limits of cartography and makes some historical and methodological points. Throughout, he proposes a reflection on the relations between sociology and geography.
  • La géographie rurale française : quelques jalons - Plet Françoise p. 85-106 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La géographie rurale française, contrairement à une idée reçue tenace, ne s'est pas construite comme un champ global mais par une succession diachronique de thématiques dominantes : l'habitat, les paysages agraires, les structures agraires, les types d'agricultures, les systèmes de production agricole, les relations entre villes et campagnes... La composante agricole est restée longtemps dominante au sein de ces travaux thématiques, même si les autres contenus des espaces ruraux et leur fonctionnement d'ensemble n'étaient pas complètement ignorés, notamment au sein des études de géographie régionale. Durant les années 1960 et surtout les années 1970, les analyses se réclamant de la géographie rurale se sont diversifiées, en se préoccupant plus systématiquement des aspects non agricoles des sociétés, de la vie dans les campagnes, et de l'organisation du milieu. Enfin les thèmes de l'environnement et du paysage, celui du développement local, sont devenus quasi exclusifs dans les vingt dernières années du siècle dernier, tandis que s'efface l'expression « géographie rurale ». Après avoir montré les contenus successifs de ce que furent les études rurales des géographes français, l'article s'interroge sur les raisons d'une certaine marginalité dans le temps, et dans la géographie actuelle, d'un champ de recherches ayant pour objet l'espace rural.
    French Rural Geography : steps and concepts. In this paper, the development of French rural geographical studies is examined over the 20th century. Their contemporary outlines and place among general geography are recasted within the history of social sciences. In the author's view, this history can be conceived as a succession of themes, whose emergence and dominance are linked to prominent professors at each step. First came studies on rural dwellings, then those on rural landscapes, field patterns and agricultural systems, types of agriculture and farming systems, town and country relationships. Agriculture was for long the main theme, though studies of rural areas as a whole were developed through regional studies. During the sixties and the seventies, the fields of rural geography diversified. The interests turned to non-farm people, to life into the countryside, to spatial organization. More recently came themes such as environment, landscapes as sceneries worth to be protected and managed, local development and governance. Over the last decades, the expression “rural geography” has almost vanished.
  • La ville, objet ou probleme ? La géographie urbaine en France (1890-1960) - Robic Marie-Claire p. 107-138 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La géographie urbaine est un sous-champ de la géographie beaucoup plus développé et plus précoce qu'il n'est généralement admis. Avant la période qui paraît être fondatrice, celle des manuels des années cinquante et de l'expansion de recherches spécialisées en géographie humaine, on peut distinguer plusieurs moments où les géographes français s'intéressent vivement à la ville : la période allant de la fin du XIX e siècle aux années dix, marquée par des travaux peu nombreux mais par un certain éclectisme, puis les années vingt, qui prolongent les recherches d'avant-guerre dans le contact avec l'action urbanistique naissante et avec les premières esquisses de régionalisation, enfin les années trente, où la géographie urbaine s'affirme partout sensiblement, notamment au niveau international. Si la monographie de ville et l'analogie organiciste dominent, ce genre n'est qu'un aspect des recherches. L'auteure retrace une évolution générale contradictoire, pour partie responsable de la faible visibilité du champ aujourd'hui : d'un côté le renforcement d'un projet strictement disciplinaire au cours du demi-siècle, mais dans un certain éclatement des problématiques implicites et sans réel travail de construction conceptuelle, de l'autre une extrême sensibilité à l'actualité de la ville, qui ne se confond d'ailleurs pas avec un rythme d'urbanisation mais se calque sur le « problème » ou la « question » urbaine.
    The City, an Object, or a Problem' Urban geography in France (1890-1960). Urban geography is a sub-branch of geography that is much more highly developed and more advanced than is usually acknowledged. Before the period that appears to have been foundational, the time of the manuals of the fifties and the expansion of specialised research in human geography, we can make out several moments when French geographers showed a lively interest in cities: the period from the end of the nineteenth century to the 1910's, marked by a number of projects that were limited, but eclectic, then the twenties, in which urban geography was becoming visibly established everywhere, notably at the international level. Although the monograph of the city and the organicistic analogy were dominant, this genre was only one aspect of the research undertaken. The author retraces a contradictory general development, which is responsible in part for the weak representation of this branch today: on the one hand the reinforcement over half a century of a strictly disciplinary project, but within a certain explosion of the implicit problematics, and lacking in a real work of conceptual construction, and on the other, an extreme sensitivity to the current relevance of the city, which, we might add, does not coincide with a rhythm of urbanisation, but is modeled on the urban ?problem? or ?question?.
  • Sociologie, géographie et économie politique au début du XXe siècle. Rene Maunier et la localisation des industries - Markou Efi p. 139-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les travaux sur la localisation des industries et sur la formation des villes que René Maunier a publiés entre 1908 et 1910 voulaient montrer la pertinence des analyses sociologiques face aux explications géographiques des ces phénomènes. Leur étude nous permet ainsi d'analyser les rapports entre les sociologues et les géographes au début du XX siècle, en les situant dans un triple débat. Tout d'abord, celui qui traversait l'ensemble des disciplines qui se réclamaient des sciences sociales, notamment la sociologie, la géographie, l'économie politique et le droit. Ensuite, le débat, à l'intérieur du champ de la sociologie, entre les durkheimiens et les sociologues proches de René Worms. Enfin, le débat entre les savants et les réformateurs sociaux qui considéraient la « décentralisation industrielle » comme la solution aux problèmes sociaux engendrés par la concentration urbaine. L'étude des travaux de Maunier peut ainsi contribuer à mesurer l'intérêt que la sociologie portait à l'époque aux phénomènes urbains.
    Sociology, geography, and political economy in the beginning of the 20th century, René Maunier and the location of the industry. In his works, published between 1908 and 1910, René Maunier has considered the location of the industry and the formation of the cities like social phenomena explained by the sociology and not by the only geographical factors. Thus, the study of his works permits to analyse the relationships between sociologists and geographers, in France, in the beginning of the 20th century. The study of Maunier's work brought this article to consider the relationships of sociology not only with geography but also with the other disciplines that composed the field of social sciences, in particular with political economy and law. It also considers the opposition, on the field of sociology, between sociologists grouped round E. Durkheim and those who are grouped round R. Worms. Finally, the article considers the debate between scholars and social reformers who thought of the « décentralisation industrielle » as the solution of the social problems engendered by urban concentration. So, the study of Maunier's works could also inform us of the interest of sociology, in this period, in urban phenomena.
  • L'écologie humaine, discipline-chimère - Rhein Catherine p. 167-190 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'écologie humaine est-elle une discipline, un champ particulier au sein d'une discipline plus ample, comme la sociologie ou la géographie qui se la disputent, ou encore une méthode ? Son statut n'est pas clair, puisque le terme d'écologie renvoie à des corpus aux contenus très différents selon les pays, selon les époques et selon les disciplines. L'écologie en tant que telle est une discipline qui s'est constituée à la fin du XIXe siècle, à partir de la biologie animale et végétale : elle relève pleinement des sciences de la vie et a développé des méthodes spécifiques qui lui confèrent une identité forte et des contours précis. En revanche, l'écologie dite « humaine » prend des contours très différents selon les pays, parce qu'il existe différentes histoires et différentes traditions dans le développement des sciences sociales. L'histoire comparée des géographies allemande et française le révèle ; celle des écologies humaines anglo-saxonne et française, qui leur est un peu postérieure, le confirme. Seuls les usages « scientifiques » du terme « écologie » seront ici pris en compte. Depuis plusieurs décennies, se sont en effet développées une « écologie politique » et une écologie urbaine au fondement de mouvements sociaux et politiques différents de ces disciplines que sont ou que veulent être écologies biologique et humaines. Ces liens, à la fois ténus et complexes, ne pourront être examinés ici.
    Human ecology, a chimerical field. Human ecology, as a field in social sciences, gets contents and boundaries varying across countries. In the 1920s, the American brand of human ecology was forged through a transfer of concepts, processes and models borrowed from biological ecology. In so doing, R. E. Park naturalized this part of sociology shared, in France, by human geography, demography and social morphology. Such a naturalization process was functional in a context characterized by high social, political and racial tensions and issues. A comparative analysis between this ecology and other human ecologies and geography helps understanding the very structures, functions and epistemological stalemates of human ecology.
  • Carrières sportives en milieu carcéral : l'apprentissage d'un nouveau rapport à soi - Gras Laurent p. 191-213 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'analyse longitudinale des pratiques sportives de détenus montre que les fonctions remplies par le sport en prison ne se réduisent pas exclusivement à une dimension occupationnelle et ludique. La reconstitution des parcours sportifs en milieu carcéral permet de constater qu'au cours de leur peine, des détenus s'inscrivent dans un réel processus d'apprentissage et de rationalisation des techniques sportives dans un contexte où l'accès à ces pratiques reste sélectif. Dépendant étroitement des positions occupées dans cet environnement particulier, l'évolution des motivations rend compte de véritables carrières sportives au cours desquelles les détenus remanient perpétuellement le sens qu'ils donnent à leur engagement. Ce constat aboutit à une approche originale des peines car en dépit de la complexité à définir l'impact de ces pratiques sur la réinsertion, l'existence de cette évolution entre représentations et pratiques dévoile la dynamique possible d'un parcours de détention.
    Sport careers in prisons: a self development tool for prisoners. The analysis of prisoners' sportive programs over time indicates that the benefits of introducing sports in prisons are not only occupational and recreational. Even though access to the most educational activities remains selective, the outlook on the application of sportive programs within the prison environment shows that during their sentence, prisoners develop interest and motivation towards sportive techniques and all their related requirements. Closely depending on their positions within the penal system, prisoners involved with those programs grow into deeper levels of physical and mental commitment towards their chosen sportive activity, and also develop different perspectives towards themselves and their institutional environment. Therefore, these observations lead to a creative approach of sentences, since despite the complexity of defining the impact of such sportive programs on the reintegration process after prison, the fact that prisoners evolve from their initial representations around sports reveals new possible dynamics within the penal experience.