Contenu du sommaire : La tyrannie de l'âge

Revue Mouvements Mir@bel
Numéro no 59, juillet-setembre 2009
Titre du numéro La tyrannie de l'âge
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Le critère d'âge, une discrimination ?

    • Les deux visages de la lutte contre la discrimination par l'âge - Caradec Vincent, Poli Alexandra, Lefrançois Claire p. 11-23 accès libre avec résumé
      L'idée selon laquelle l'âge peut constituer un critère de discrimination ainsi qu'une dimension de la « diversité » est, en France, assez récente. Cet article1 retrace l'histoire de cette émergence en distinguant les deux dynamiques à travers lesquelles s'est opérée la diffusion de la notion de discrimination par l'âge, qui trouvent toutes deux leur impulsion au niveau de l'Union européenne : d'un côté, la préoccupation pour le niveau d'emploi des seniors ; de l'autre, une dynamique anti-discriminatoire. Ces deux dynamiques ne sont pas porteuses des mêmes enjeux : la finalité de la première est économique alors que la seconde est susceptible d'ouvrir sur une lutte plus large contre l'âgisme. Au-delà, cet article souligne que la discrimination par l'âge est une réalité ambivalente, qui mêle exclusion et protection, nombre de mesures d'âge étant liées à la protection sociale. La perspective d'une société neutre du point de vue de l'âge doit donc être considérée avec prudence.
    • Âgisme et discrimination dans le monde du travail. Regard historique sur le cas britannique - MacNicol John p. 24-33 accès libre avec résumé
      Alors que les discriminations en raison de la race, du genre, de la religion, du handicap et de l'orientation sexuelle ont progressivement été encadrées par des textes législatifs réglementant en particulier l'accès à l'emploi, à la formation et à la fonction publique, l'âge n'est entré que récemment dans le corpus juridique. Cette postériorité est parfois interprétée comme un effet de la complexité de l'âge en tant que catégorie, moins binaire, plus flexible et plus poreuse que d'autres. Reprenant1 des éléments d'une analyse approfondie présentée ailleurs2, le texte qui suit revient sur certaines difficultés propres à ce critère. À partir d'une analyse historico-économique du cas britannique, il invite à distinguer entre discrimination à raison de l'âge et âgisme au travail, et à s'interroger plus finement sur les causes des difficultés rencontrées par les travailleurs plus âgés en soulignant l'importance qu'y prennent les restructurations macro-économiques.
    • L'âge saisi par le droit communautaire - Muir Élise p. 34-41 accès libre avec résumé
      Le droit communautaire est à l'origine de l'interdiction des discriminations sur critère d'âge en matière d'emploi. L'âge est ainsi considéré comme un critère a priori illégitime de distinction ; il demeure toutefois un outil utile pour déclencher certains instruments de politique sociale. Cette tension se reflète tant dans le cadre juridique qui contient l'interdiction que dans les incertitudes soulevées par sa mise en œuvre. Se pose alors la question de savoir quelles sont les autorités les mieux placées pour décider de la légitimité du recours à des critères d'âges.
    • La singularité de l'âge : réflexions sur la jurisprudence communautaire - Gosseries Axel p. 42-54 accès libre avec résumé
      La discrimination par l'âge interpelle. Sans susciter l'indifférence, elle laisse subsister le sentiment d'une singularité de l'âge. N'est-il pas vrai que refuser le droit de vote aux moins de 18 ans paraît moins problématique que le refuser aux femmes ? De même, l'exclusion en raison de l'origine ethnique n'est-elle pas perçue très différemment de l'exclusion que constitue la retraite obligatoire ? Ce texte croise deux angles philosophiques. S'appuyant sur la jurisprudence communautaire, il s'agit d'élucider la nature de cette singularité éventuelle de l'âge, et de vérifier si elle implique effectivement une moindre gravité. Il faut ensuite explorer la manière dont une théorie de la justice appréhende la question générale des discriminations sur le marché du travail, avant de faire retour sur la discrimination par l'âge. De quoi outiller le lecteur en vue d'une prise de position délibérément normative sur cette question.
  • Polices de l'âge

    • Policer le grand âge pour conjurer le péril vieux - Thomas Hélène p. 55-66 accès libre avec résumé
      Les transformations de la police du grand âge en France dans les dernières décennies se caractérisent par de nouveaux dispositifs qui stigmatisent les personnes très âgées des catégories ouvrières et moyennes. Les intéressées et leur famille font désormais l'objet d'une protection rapprochée alliant contrôle social de proximité et encadrement médico-social à distance. Cette protection tend à s'étendre aux catégories supérieures au fur et à mesure que les sujets victimes de la maladie d'Alzheimer et de pathologies apparentées sont devenus le public central des techniciens d'une nouvelle gouvernementalité des âges, à la fois disciplinaire, bio-politique et de contrôle.
    • Jeunesse et justice, les classes d'âge dangereuses - Sire-Marin Évelyne p. 67-74 accès libre avec résumé
      Selon le président de la République Nicolas Sarkozy, « les mineurs de 1945 (c'est-à-dire ceux visés par l'ordonnance sur l'enfance délinquante) n'ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d'aujourd'hui ». Cette assertion stigmatisante, « racialisante » et pour le moins discutable selon les statistiques, correspond au vieux refrain de la dégradation du sens moral de la jeunesse, déjà déplorée par Socrate. Mais les récentes réformes de la justice des mineurs l'ont repris à leur compte, facilitant le fichage des mineurs et le recours à l'emprisonnement. Bientôt, le seul fait d'être en groupe, qualifié d'emblée de « bande délinquante », relèvera du droit pénal pour les mineurs. La justice, si prompte à considérer l'enfant soit comme un délinquant potentiel, soit comme une victime, peut aussi être totalement indifférente à la qualité de mineur. C'est le cas des enfants étrangers de familles sans papiers, qui sont placés en centre de rétention comme leurs parents ; c'est aussi le cas dans certains commissariats, où la police est peu respectueuse des règles légales concernant la garde à vue des mineurs, selon le dernier rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
    • Cibler l'âge avancé au nom du court terme : la flexibilisation du statut de fonctionnaire - Burgi Noëlle p. 75-82 accès libre avec résumé
      Parmi les outils censés aider les membres de l'Union européenne à maîtriser, sinon réduire leurs déficits publics, la baisse du nombre de fonctionnaires figure en très bonne place. Dans cette perspective, le Sénat français a récemment adopté un projet de loi organisant la flexibilisation du statut de fonctionnaire. Il s'agit non seulement de favoriser la mobilité choisie des agents de la fonction publique, mais encore de les forcer à « bouger » et si nécessaire de les licencier afin d'atteindre les objectifs politiques de suppressions (massives) d'emplois programmés dans le cadre de la RGPP (Révision générale des politiques publiques). La réduction du nombre de fonctionnaires devrait n'être qu'un objectif intermédiaire, c'est-à-dire un simple moyen en vue d'une fin plus noble – selon la rhétorique officielle, garantir aux usagers un meilleur service à un moindre coût. Cependant, en pratique, la suppression des emplois publics tend à se présenter comme un objectif autosuffisant, un objectif en soi et pour soi.On a de bonnes raisons de penser que les « seniors », premiers visés par les suppressions d'effectifs dans la fonction publique, risquent d'être poussés voire contraints au départ sans considération pour leur valeur, leur utilité ou leur devenir professionnels et personnels. C'est en tout cas le constat que l'on peut faire à partir des premiers résultats d'une enquête qualitative1 menée à FT (France Télécom), ex-entreprise publique qui semble bien avoir servi de laboratoire pour la politique de mobilité du gouvernement. Maintenant privatisé, FT (70 % de fonctionnaires actuellement employés en France) a massivement supprimé des emplois tous statuts confondus au cours des vingt dernières années sans recourir à un plan social. Il ressort de cette expérience que l'objectif prioritaire : « faire bouger » les « vieux », salariés ou fonctionnaires, n'a de sens que par rapport à une vision court-termiste du profit et, par extension, à une approche réductrice des déficits publics qui n'ont rien de « rationnel » au regard des intérêts à plus long terme des firmes et plus encore des sociétés démocratiques.
    • « La jeunesse qui bouge a changé de camp ! ». Des usages partisans de la catégorie « jeunesse » - Bargel Lucie p. 83-89 accès libre avec résumé
      Cet article s'intéresse à la traduction proprement partisane de cette catégorie sociale et politique qu'est la « jeunesse ». Les définitions du rôle des « jeunes » en politique se construisent à travers des interactions complexes entre les partis politiques, leurs organisations de jeunesse et l'ensemble plus large des jeunes militants de gauche et de droite. Au sein de ce processus, l'âge et les limites d'âge d'un côté, l'étiquette « jeune » de l'autre, constituent des enjeux politiques clefs, aussi bien dans les stratégies de conquête électorale que dans la construction de trajectoires politiques.
  • Âge, genre et sexualité

    • Âge, intersectionnalité, rapports de pouvoir. Table ronde avec Christelle Hamel, Catherine Marry et Marc Bessin - Achin Catherine, Ouardi Samira, Rennes Juliette p. 91-101 accès libre avec résumé
      Si les concepts de racisme, de sexisme ou d'homophobie nous sont désormais familiers, celui d'âgisme, lui, ne s'est pas encore imposé, du moins en France, comme cadre courant d'interprétation des rapports sociaux. En outre, alors que les recherches sur l'articulation des rapports de pouvoir, de genre, de sexualité, de race et de classe, tendent à se développer en sociologie, l'âge est souvent la variable ou la catégorie « oubliée » des travaux se réclamant de « l'intersectionnalité ». Ayant en commun d'utiliser les catégories d'âge et de genre dans leurs analyses sociologiques, Marc Bessin, Christelle Hamel et Catherine Marry ont cependant été amenés à rencontrer cette question à partir de champs de recherche différents : la sociologie de l'immigration, de la jeunesse, des parcours de vie ou des professions. Nous avons souhaité ouvrir avec eux la discussion sur cette place de l'âge dans leur parcours de recherche et les problèmes que pose son articulation à d'autres catégories d'analyse.
    • L'âge limite de la maternité : corps, biomédecine, et politique - Löwy Ilana p. 102-112 accès libre avec résumé
      En France, l'assistance médicale à la procréation (AMP), est réservée aux couples composés d'une femme et d'un homme « en âge de procréer », une définition étrange, puisqu'il s'agit souvent d'individus, ne pouvant pas avoir d'enfants, et ce quel que soit leur âge. L'auteure étudie ici la détermination, nécessairement arbitraire, de « l'âge de procréer » des hommes et des femmes dans le cadre de l'accès à l'AMP, puis examine le traitement de l'infertilité lié à l'âge. Les attitudes envers l'utilisation des nouvelles techniques de la biomédecine pour repousser la limite de fertilité des hommes et des femmes varient d'un pays à l'autre. Cette variabilité reflète à la fois les règles qui ordonnent, dans un pays donné, l'organisation de l'assurance maladie et l'utilisation du corps, mais aussi les attitudes envers le vieillissement, notamment féminin.
    • Ré-enchanter la vieillesse - Lagrave Rose-Marie p. 113-122 accès libre avec résumé
      Alors que la déconstruction des rapports sociaux a toujours constitué l'une des tâches centrales du féminisme, ce dernier s'est rarement emparé de la vieillesse comme enjeu politique et épistémologique, laissant alors le champ libre aux discours fatalistes et naturalisants sur le vieillissement. Dans cet article, l'auteure cherche à comprendre ce relatif silence des féministes et interroge le statut et la place du désir sexuel, selon le genre, dans l'économie de la vieillesse. Contre une conception âgiste, la vieillesse est ici présentée comme révélatrice de nouvelles normes sociales et de questionnements sur le concept de liberté.
    • Les âges de la sexualité. Entretien avec Michel Bozon - Bessin Marc p. 123-132 accès libre avec résumé
      La sexualité est-elle réservée à l'âge adulte ? Les évolutions récentes en matière de pratiques sexuelles permettent de décrire les changements dans la construction sociale des âges de la vie. Qu'il s'agisse de l'entrée en sexualité ou de l'extension des pratiques sexuelles chez les personnes âgées, ces questions de calendrier ne peuvent s'appréhender sans en faire une lecture de genre. Le phénomène des écarts d'âge entre conjoints en est une excellente illustration. Si le répertoire des pratiques se diversifie, la prégnance des normes de la performance et de la jeunesse, chez les homos comme chez les hétéros, ne facilite pas forcément une avancée en âge plus sereine en matière de sexualité. Pour aborder toutes ces questions, nous avons rencontré le sociologue et démographe Michel Bozon, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined), spécialiste de la sexualité, du couple et de la famille1, qui nous montre comment le marché des rencontres produit de manière fortement genrée des jeunes et des vieux.
  • Itinéraire

    • La vieillesse : une identité politique subversive. Entretien avec Thérèse Clerc - Achin Catherine, Rennes Juliette p. 133-142 accès libre avec résumé
      Thérèse Clerc est née en 1927 dans une famille de la moyenne bourgeoisie catholique parisienne. Deuxième enfant de la fratrie, elle est placée en apprentissage chez une modiste après l'obtention du brevet élémentaire – à la différence de son frère qui mène de brillantes études juridiques. La première partie de sa vie apparaît ainsi conforme à celle des filles de sa classe sociale jusqu'aux années 1950, destinées avant tout au mariage. Elle épouse de fait après la Deuxième Guerre mondiale un ami de la famille qui possède une entreprise de nettoyage industriel : ils ont quatre enfants entre 1949 et 1959, au soin et à l'éducation desquels Thérèse se consacre. Au cours des années 1960, elle fréquente une église des Frères de la Charité et dans le contexte de la guerre d'Algérie, s'éveille progressivement à une conscience politique de gauche. Les événements de 1968 constituent la ligne de clivage de son existence : elle assiste en témoin enthousiaste aux mobilisations étudiantes ; puis à l'automne 1968, trouve un emploi de démonstratrice et divorce en janvier 1969. Commence alors la seconde vie de Thérèse Clerc, celle d'une femme divorcée autonome, féministe et militante. Elle occupe divers emplois de vendeuse puis de représentante de commerce et s'engage à partir de 1973 dans la lutte pour la libéralisation de l'avortement au sein du MLAC1. À la fin des années 1970, elle adhère au PSU et continue à militer dans diverses associations ou groupes utopistes avant de soutenir le mouvement en faveur de la parité dans les années 19902.
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