Contenu du sommaire : Stratégies des entreprises et mutations du système productif en France
Revue | La Revue de l'IRES |
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Numéro | no 62, no spécial, 2009/3 |
Titre du numéro | Stratégies des entreprises et mutations du système productif en France |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Stratégies des entreprises et mutations du système productif en France
- Présentation - p. 3
- Les traits stylisés des grandes entreprises cotées en France à l'ère du capitalisme financier - Renaud du Tertre, Yann Guy p. 7 L'analyse des performances des grandes entreprises cotées en France sur longue période, fondée sur leurs comptes consolidés, montre qu'à partir du milieu des années 1990 et jusqu'à la crise financière de 2008-2009 celles-ci ont réussi à répondre aux exigences de rendement des marchés financiers. Au cours de cette période, les résultats obtenus s'expliquent par la conjugaison d'une série de facteurs qui dessinent les traits caractéristiques des grandes entreprises cotées à l'ère du capitalisme financier. Ces traits sont au nombre de cinq : l'obtention d'un puissant effet de levier fondé sur un écart entre la rentabilité économique des entreprises et les taux d'intérêt auxquels elles contractent leurs emprunts ; une progression significative de leur taux de rendement économique imputable à la hausse de leur taux de marge ; un développement accéléré de leurs activités à l'étranger, notamment en Europe, qui soutient l'augmentation de leur taux de marge ; une croissance externe qui se traduit par des opérations de fusion-acquisition de large envergure, notamment sur le marché mondial ; et une politique de distribution généreuse de dividendes qui ne compromet pas les capacités d'autofinancement de l'investissement compte tenu de la pression exercée sur les salaires et, dans une moindre mesure, de la baisse des charges d'intérêts. Mais il en résulte de fortes tensions sur le prix du capital qui conduit à une politique sélective de l'investissement et qui est de nature à compromettre la croissance et le niveau de l'emploi sur le territoire national comme dans les pays les plus développés de l'Union européenne.An outline of stock-exchange listed companies from France during financial capitalism
According to their consolidated accounts, stock-exchanged listed companies from France succeeded in meeting shareholders' expectations, reaching ambitious financial-profitability objectives from the mid-1990s to the financial crisis of 2008-2009. Over this time-period, a series of events combined together accounts for the success of these firms, witnessing the rise of financial capitalism through five different channels: the leverage effect (which is based on the deviation of economic profitability from interest rates); a steadfast growth of economic profitability (resulting from profit margin); the globalization of production (especially in Europe) boosting profits; the strategy of mergers and acquisitions on a worldwide scale; and generous dividend policies (that did not necessarily prevent companies from converting retained earnings back into investment) in a context of downward pressure on wage earnings and, to a lesser extent, of declining interest expenses. - Travailler chez Toyota : de l'emploi à vie à la course à la survie - Tommaso Pardi p. 39 Depuis le démarrage de la production en 2001, l'usine Toyota de Valenciennes est affectée par une crise du travail inattendue et un turnover impressionnant de sa main-d'œuvre. S'agit-il de problèmes liés à la cohérence locale du Système de Production Toyota ? Ou bien faut-il en déduire que derrière la façade de l'emploi à vie et du salaire à l'ancienneté traditionnellement associés à ce système, se cache une réalité moins reluisante ? Afin de répondre à ces questions, l'article met en parallèle le système de relations salariales que Toyota a mis en œuvre au Japon et les difficultés qu'implique sa transposition en France. D'une part, cette analyse montre que l'emploi à vie et le salaire à l'ancienneté ne concernaient au Japon qu'une très petite minorité de la main-d'œuvre, d'où une intense compétition des salariés pour parvenir à ce statut privilégié. D'autre part, celle-ci souligne les difficultés rencontrées par l'usine française de Toyota en montrant que les conditions qui ont permis à ce système d'être viable au Japon – à savoir l'organisation en keiretsu de la sous-traitance, l'institutionnalisation du syndicalisme d'entreprise et la croissance régulière de la production – ne peuvent être reproduites en France. Bien qu'exceptionnelle, la situation de crise sociale dans laquelle l'usine se trouve depuis le démarrage de la production apparaît ainsi comme la conséquence inhérente à son système de production et aux contraintes que celui-ci impose aux managers et aux salariés.Working at Toyota: from lifelong jobs to survival runs
Since the opening of its factory in 2001, Toyota Motor Manufacturing France has gone through a major labour crisis and recorded an all-time high labour turnover rate. How best to explain such a disappointing outcome? Shall we question the location of the factory in Valenciennes? Does it reveal instead the empirical drawbacks of a business model displaying the seductive appearance of lifetime jobs and seniority rights? In order to shed light on this issue, this article compares Toyota's powerful organization in Japan with the reality of its implementation in France. This paper aims at pointing out two salient facts. On the one hand, lifetime jobs and seniority rights apply to a minority of employees, and the sharp selection it is associated with fuels competition among workers. On the other hand, the difficulties encountered by Toyota in France demonstrate how hard the challenge can be when it comes to exporting in a foreign country a model of industrial relations proved successful in Japan, namely keiretsu, business groups interlocking into a tight network banking relationships and shareholdings, outsourcing and trade-unionism. Although unusual in Toyota's factories, the social crisis that has occurred in Valenciennes since the opening of this site seems to be the necessary result of the Japanese workplace itself. - Pourquoi les entreprises développent-elles l'épargne salariale ? Une illustration à partir du cas d'un groupe français de matériaux de construction - Noélie Delahaie p. 71 Cet article se propose de contribuer à la compréhension des motivations conduisant les grandes entreprises à développer l'épargne salariale. A partir d'une mise en perspective théorique et historique de l'épargne salariale en France, nous développons d'abord l'hypothèse selon laquelle ce dispositif n'est pas seulement construit comme un instrument d'incitation des salariés à l'effort. Sous certaines conditions, il permet aussi aux entreprises de répondre à des objectifs de maîtrise de coûts salariaux et de stabilisation du capital. L'étude pratique du cas d'un groupe français de matériaux de construction permet ensuite d'illustrer cette hypothèse. Depuis le début des années 1990, Saint-Gobain semble miser sur l'épargne salariale tant pour réformer sa politique de rémunération que pour s'adapter à l'évolution des formes de contrôle et de détention de son capital. Selon les propos du président du conseil d'administration de Saint-Gobain, la promotion de l'épargne salariale s'inscrit alors dans une stratégie d'association du personnel à l'action de la direction, voire de soutien face à une pression accrue exercée par les marchés financiers. S'il est clair que l'épargne salariale procure aux salariés des revenus supplémentaires lorsque les résultats et la valorisation boursière le permettent, un tel dispositif participe cependant d'une logique de transfert partiel des risques des actionnaires vers les salariés.Why do firms opt for profit-sharing?
This paper sheds a new light on the incentives leading French firms to implement profit-sharing and employee-ownership plans. We first develop a theoretical and historical analysis of financial participation (FP) in France. In this context, we argue that a system based on both profit-sharing and employee-ownership is not only designed as an effort-incentive scheme but also as a risk-transfer device. At the same time, such a promotion scheme allows the employer to stabilize the firm's capital, thereby easing the pressure from the financial sector. Our research hypothesis is then empirically supported by pieces of evidence from Saint-Gobain's group. Since the early 1990s, Saint-Gobain's corporation has developed both plans of profit-sharing and employee-ownership to reform its compensation policy without loosing control over its corporate governance. According to the Board chairman, promoting financial participation has become a strategy associating employees and managers to face the social pressures of the financial sector. Although financial participation tends to benefit workers directly according to the evolutions of stock market values, such a strategy participates nevertheless to a partial risk transfer from stockholders to workers. - Délocalisation et nouveau modèle économique : le cas du secteur textile-habillement - Gilbert Ammar, Nathalie Roux p. 99 Le secteur textile-habillement est l'un des secteurs industriels les plus touchés par les phénomènes de délocalisation. Cependant, les producteurs des pays européens réagissent face aux défis de la concurrence asiatique en se recentrant sur leur cœur de métier et en se repositionnant sur le marché du fast-fashion qui exige de miser sur la flexibilité, la réactivité et un contrôle strict de la qualité. Ces stratégies offensives permettent aux firmes européennes de dégager de nouvelles sources de compétitivité, car elles reposent sur une réorganisation de la production en chaînes de valeur, sur la mise en cohérence des complémentarités des compétences requises à chaque niveau de la chaîne de valeur et sur le développement de l'innovation. Cet article défend l'idée que les avantages tirés des délocalisations en termes de coûts de production peuvent être neutralisés par des coûts d'organisation du réseau, et que, en revanche, l'excellence organisationnelle peut compenser les différentiels de coûts de main d'œuvre.Relocations and a new economic model: A study of the clothing and textile industry
The textile and clothing industry has been greatly affected by relocations. In Europe, producers react nevertheless to the challenging South-East Asian competition by refocusing on their core businesses. They also reposition themselves on the fast-fashion market, which demands flexibility, reactivity and a strict control of quality. These offensive strategies unable the European firms to bring out new sources of competition, in terms of skill complementarities, on every level of the value-chains, and of innovation. This article argues that the financial advantages of relocations can be neutralized by the costs of network organizations, whereas organizational excellence can make up for labour costs. - L'évolution de l'industrie aéronautique : les incidences de la production modulaire - Joël Thomas Ravix , Nicolas Mouchnino p. 135 Au cours de ces vingt dernières années, l'industrie aéronautique a connu des bouleversements qui sont pour l'essentiel liés à l'évolution du produit et de son marché. Ces changements sont caractérisés par la mise en place d'une production « modulaire », qui se traduit par une répartition de la production de l'avion sur un ensemble plus large de firmes spécialisées. Cette nouvelle logique repose sur la décomposition du processus de production entre des acteurs qui se spécialisent sur des activités différentes mais étroitement complémentaires. Dans cette perspective, les cas d'Airbus et de Boeing montrent que la « modularité » au niveau du produit doit s'accompagner de la mise en place d'une véritable « organisation modulaire ». Cette dernière nécessite le recours à de nouveaux outils organisationnels et à de nouvelles compétences pour gérer la complexité du produit et l'évolution hétérogène des technologies. Cependant, la modularité organisationnelle peut venir fragiliser la position des avionneurs qui se retrouvent confrontés à une concurrence potentielle, à la fois horizontale et verticale, de la part des entreprises partenaires.Evolutions of the aircraft industry: what modular production has changed
In the past twenty years, the aircraft industry has undergone great changes, mostly due to the evolutions of the product itself and of its market. Hence their adoption of a “modular” production, which means that the production of aircrafts has been shared out between a larger number of specialized firms. This new strategy is based on the division of the production process among actors who specialize into different although complementary activities. From that perspective, the cases of Airbus and Boeing show that no “modularity” of the production process is possible without a true “modular organization”, which calls for new organizational tools and skills in order to manage product complexity and deal with the discontinuous technological developments. Modular organization can nevertheless weaken manufacturers' positions, as it can induce a new competition, both horizontal and vertical, between partner firms. - Propriété intellectuelle, innovation et développement des PME en France - Rémi Lallement p. 159 Les petites et moyennes entreprises (PME) utilisent de plus en plus les droits de propriété intellectuelle (DPI) pour leurs activités d'innovation et, au-delà, pour se développer. Pour elles, les DPI n'ont plus seulement une fonction de protection anti-contrefaçon, mais ils servent aussi aux PME à se positionner par rapport à la concurrence ou dans des réseaux de coopération. Le plus souvent, leurs besoins et leurs ressources en matière de DPI correspondent à leurs activités sur le plan de l'innovation non technologique, c'est-à-dire commerciale ou organisationnelle. Sur ce plan, la comparaison internationale joue plutôt en faveur des PME françaises. Il n'en est pas de même pour le brevet d'invention, qui ne concerne qu'une minorité d'entre elles, mais qui représente des enjeux considérables pour le renouvellement de l'appareil productif français. Dans ce domaine, les entreprises françaises font dans l'ensemble preuve de performances assez moyennes, par rapport à leurs homologues dans des pays comparables. Cette situation tient à la fois à des facteurs institutionnels, à la structure sectorielle de l'économie française, et à la répartition des entreprises par tailles. Les PME françaises sont réticentes à recourir au dépôt de brevets, en le considérant comme un outil peu intéressant et surtout peu efficace. Ce constat montre la nécessité de réformer certains aspects du système des DPI et conduit en outre à adopter une vision large sur les questions soulevées par la détention de brevets.Intellectual property, innovation and development of SMEs in France
Small and medium-sized enterprises (SMEs) resort more and more to intellectual property rights (IPR) for their innovative activities, as well as for their own development. IPRs are no longer viewed as mere protection devises against imitations, they are also a means for SMEs to position themselves in relation to their competitors and within cooperation networks. Most often, their needs and their resources in terms of IPR match their activities as far as non-technological innovation that is to say commercial or organisational, is concerned. On that level, international comparison rather favours French SMEs. The same is not true of patents, which, while only a minority of those firms are concerned, are still major stakes in the renewal of the French production system. French firms' performances are rather average in that field, as compared to equivalent counterparts'. This is partly due to institutional factors and to the sectoral structure of the French economy, but also to the size classification of firms. French SMEs often prove reluctant to using patents; they usually consider them to be of little interest and efficiency. This points to the necessity of reforming some aspects of the IPR system; it also leads us to look at those issues in a larger perspective, regarding in particular the questions the use of patents raises. - Les aides publiques à l'industrie dans les pays développés - Pierre-André Buigues p. 191 Sur le plan théorique il existe un certain nombre d'arguments solides en faveur de l'intervention publique visant à soutenir le développement industriel. Le débat central sur la politique industrielle voit s'affronter les économistes qui mettent en avant les défaillances du marché à ceux qui soulignent au contraire les déficiences de l'intervention publique. Seules des externalités positives, par exemple dans le domaine de la recherche et du développement, ou des externalités négatives, par exemple dans le domaine de l'environnement, seraient à même de justifier l'intervention des pouvoirs publics. Encore faut-il montrer que ceux-ci sont mieux informés et plus à même d'agir que les agents privés. Or la littérature économique est malheureusement très peu concluante sur ce point.En tenant compte de leurs modalités d'action, on peut repérer au moins deux modèles dans les politiques publiques de soutien à l'industrie. Le premier modèle se caractérise par un niveau d'aide relativement faible. Le soutien des pouvoirs publics consiste principalement dans le conseil aux entreprises, l'encouragement de coopérations entre les parties prenantes privées et publiques, la dissémination des meilleures pratiques. La gestion des programmes d'aide est dans ce cas très largement décentralisée au niveau régional ou même au niveau local, en recourant volontiers à des agences totalement ou partiellement financées par des ressources publiques. Le second modèle est plus interventionniste. Il se caractérise par un montant d'aide élevé, l'Etat pouvant dans certains cas jouer le rôle d'actionnaire majoritaire ou minoritaire dans un nombre significatif d'entreprises considérées, pour une raison ou une autre, comme stratégiques. Dans ce modèle le gouvernement prend une responsabilité claire dans la décision des priorités stratégiques et la compétitivité reste un sujet très sensible dans le débat public. La question reste posée de savoir dans quelle mesure ces deux modèles d'intervention peuvent ou non progressivement converger.A comparison of the political support to industries over the world
On a theoretical level, strong arguments in favour of public intervention exist, that aim at supporting industrial development. The debate on industrial policies gives rise to structural disagreements among economists, the ones putting forward market failures and the others pointing at the inefficiencies of public intervention. Positive externalities, in the field of Research and Development for instance, or negative externalities, in the environmental field for example, are often mentioned as illustrations of market failures, calling for public intervention. Nevertheless, public intervention could be justified only in the case where public authorities were at the same time better informed than private agents, insensitive to some private groups' lobbying and able to choose the ways and means adapted to the issues at stake. The empirical literature testing the theoretical arguments on market failures or public intervention is, unfortunately, rather inconclusive. A more specific analysis of the public support to industry shows that at least two models coexist. The first one is characterized by a low degree of intervention. It mainly consists of advising firms, encouraging cooperation between public and private stakeholders, promoting the best practices. The overall management of industrial support programs is in that case largely decentralized at the regional and the local levels - in agencies that are wholly or partially funded by the national authorities. It is commonly believed that the second model is more interventionist. Public intervention in that case is characterized by high levels of financial support and the government may set itself as a shareholder in the firms considered strategic. In the event of mergers and acquisitions, public authorities may also play a significant role. This model implies a clear responsibility of the government in the ordering of priorities and competition remains a very delicate issue of the public debate. One may wonder whether the two political models will eventually converge or not. - Tribunes syndicales - Points de vue et réactions des responsables syndicaux face à la mondialisation économique et financière - p. 211
- Annexe - p. 229