Contenu du sommaire : Les jeunes : hantise de l'espace public dans les sociétés du Sud ?
Revue | Autrepart |
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Numéro | no 18, 2001 |
Titre du numéro | Les jeunes : hantise de l'espace public dans les sociétés du Sud ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les jeunes : hantise de l'espace public dans les sociétés du Sud ?
- Éditeurs scientifiques : René Collignon, Mamadou Diour- Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations - Mamadou Diouf, René Collignon p. 5
- Contraints de rester jeunes ? Évolution de l'insertion dans trois capitales africaines : Dakar, Yaoundé, Antananarivo - Philippe Antoine, Mireille Razafindrakoto, François Roubaud p. 17 Victimes de la crise prolongée que traversent leurs pays, les jeunes des trois capitales africaines (Dakar, Yaoundé et Antananarivo) se trouvent contraints de reporter le calendrier des événements marquant leur entrée dans la vie adulte. Un recul de l'âge aussi bien d'accès au premier emploi rémunéré que d'autonomie résidentielle et de constitution de la famille est observé des générations aînées aux plus jeunes. Le sort de ces derniers est d'autant plus inéquitable que ni leur niveau d'éducation plus élevé, ni le fait de différer leur passage au statut d'adulte ne leur permet d'échapper à une dégradation de leurs conditions, relativement à celles connues par leurs parents, au moment de leur insertion. On assiste même à un ajustement par le bas dans la mesure où les plus éduqués chez les jeunes, au lieu d'être préservés, sont plus affectés par la détérioration du contexte économique.« Obliged to stay young? Evolution of the social integration of youth in three African capitals, Dakar, Yaounde, Antananarivo »Victims of the long crisis that has affected their countries, the youth of three African capitals (Dakar, Yaoudé and Antananarivo) find themselves forced to postpone agenda marking their entry into adult life. This postpones not only obtaining their first paid employment but also moving into their first home and founding a family. Neither their higher level of education, nor the delays in attaining adult status protect their future, nor prevent worsening living conditions compared to those of their parents' generation at their coming of age. In fact, we are witnessing a situation where the higher the education level, the more these young people are disadvantaged by the deterioration of the economic environment.
- Les migrations des jeunes Sahéliens : affirmation de soi et émancipation - Mahamet Timera p. 37 Jamais projet migratoire vers le Nord n'a rencontré autant de suffrages parmi les jeunes Sahéliens et nourri autant de rêves. Pourtant, le jeune migrant n'est pas « l'affamé » confronté au dilemme existentiel : partir ou mourir. Solidarité familiale et solidarité communautaire épargnent à la plupart de ces jeunes une misère individuelle et une clochardisation. Mais cette dernière semble se révéler éminemment pesante pour les bénéficiaires, produisant chez eux une souffrance qui est l'impossible réalisation sociale. Rapportés à cette problématique de la réalisation ou de l'impossible réalisation individuelle, les projets migratoires prennent tout leur sens et on comprend qu'ils se présentent comme un engagement extrême sans mesure apparente avec leurs conditions de vie matérielles. Loin d'une vision simplement idyllique, la solidarité s'avère avoir un prix. Son envers est souvent une minorisation sociale oppressante. Dès lors, l'exil se pose comme issue et comme moyen d'autonomisation et de réalisation individuelle.Migration of young Sahelians: self-assertion and emancipation
Never has the idea of migration towards the North met with so much enthusiasm by the Sahelian youth, nor nourished so many dreams. And yet, the young migrant is not faced with the hungry man's dilemma of « leave or die ». Thanks to family support and community solidarity, most of the young migrants do not live in poverty, nor are they likely to become homeless tramps. Yet this support seems to weigh heavily on them, as they suffer from their inability to achieve social goals. It is in this context that we review the difficulties faced by the young Sahelians in carrying out their plans of migration and in accepting the barriers to personal success. These plans take the form of a brave commitment, quite unrelated to their personal and material situation. Far from offering a simple and idyllic vision of life, community support comes at a heavy price ; indeed, the oppressive environment may result in their being marginalised within their community. In this situation, exile seems to offer a way of attaining autonomy and also of achieving personal goals. - Rêver ensemble le départ. Construction du mythe chez les jeunes Somaliens réfugiés - Cécile Rousseau, Taher M. Said, Marie-Josée Gagné, Gilles Bibeau p. 51 Les jeunes réfugiés somaliens passent souvent par une longue transition prémigratoire avant de rejoindre leur destination finale. Durant ce difficile passage, ils construisent ensemble un mythe du départ qui structure les stratégies individuelles. La substitution du « voyage rêvé » au « voyage réel » en conduit quelques-uns, surtout si la transition se prolonge, à perdre contact avec la réalité et à basculer dans la folie. Les auteurs fondent leur démonstration sur trois arguments : a) le pastoralisme conduit les Somaliens à valoriser le voyage en tant que moyen de maturation ; b) le groupe d'âges développe une dynamique migratoire spécifique ; c) l'éthique de la solidarité fait participer un grand nombre de personnes à l'aventure des jeunes migrants. Au cours de l'attente, les jeunes s'adonnent à des séances de mastication du qaat durant lesquelles ils se racontent des histoires de migration réussies et leurs rêves de départ. Plus l'attente se prolonge, plus croît la frustration chez certains jeunes, chez qui le « rêve du départ » se transforme en un « rêve de folie », comme l'illustrent les deux cas rapportés. Cet article est basé sur des recherches de terrain faites dans la Corne de l'Afrique et au Canada.Dreaming the departure: construction of the myth among young Somali refugees
Many young Somali refugees experience long premigration waits and a pourly delimitated transition period before reaching their final distination. During with difficult period, a myth of departure is collectively constructed and serves as a mobilizing dream that orients individual strategies. This substitution of « dream travel » for real travel during the transition period may cause Somali youths to lose contact with reality and to slide into madness. The authors' approach is based on three assumptions : a) that pastoralism predisposes the Somali to value travel as a way of maturing ; b) that age-based peer groups created special migratory dynamics, and c) that an ethic of solidarity involves many people in the adventure of a migrant youth. When trapped in an indefinite transition, young men share qaat-chewing sessions during which they relate success stories and dreams of leaving. Many grow frustrated with the delay, and if their departure plans fall through, the dream trip often becomes dream madness. Actual cases illustrate how some young Somali get lost in their dreams. Data were collected in the Horn of Africa and in Canada. - De gaashaanqaad à mooryaan : quelle place pour les jeunes en Somalie ? - Mohamed Mohamed-Abdi p. 69 Après avoir spécifié le sens des termes somali pour les désigner (kuray, gaashaanqaad, sindheer, mooryaan, dayday...) et la place des jeunes dans la société somali(enne) à différentes époques, l'article cherche à décrire le processus d'évolution qui, partant d'une prise en charge structurelle des jeunes par la société, a abouti à leur révolte sanglante. La dernière partie traite de la situation actuelle des jeunes, dans le cadre d'un essoufflement du conflit civil et de l'aboutissement de la conférence d'Arta (Djibouti).From gaashaanqaad to mooryaan: what is the role of youth in Somalia today?
This article begins with a definition of Somali terms used to identify young people today (kuray, gaashaanqaad, sindheer, mooryaan, day-day...) and a discussion of their role in Somali society at various times in its history. It then seeks to describe the evolutionary process which began with society providing a structural base for young Somalis but ended in bloodshed and revolt. The last part of the article reviews the current situation for these young people, whose lives are affected by a civil conflict now running out of steam and the moves towards peace which were established at the Arta Conference in Djibouti. - Learning Modernity? The Technologies of Education in Indi - Nita Kumar p. 85 Cet article propose une interprétation/étude ethnographique des écoles dans une ville provinciale du nord de l'Inde afin d'examiner l'utilisation des « technologies » de l'éducation, notamment autour des bâtiments, espaces et rituels. Selon l'auteur, si les élèves ont des difficultés à manipuler quotidiennement ces technologies, la difficulté est encore plus grande au niveau de leur vie ou de leur carrière, parce que les écoles ne parviennent pas à former le citoyen moderne auquel elles croient. Ces écoles provinciales sont certainement des instances de la « modernité », mais ce reflet nécessite d'être mis en question. En effet, les écoles elles-mêmes, par leur façon de fonctionner, remettent en question les modèles dont elles sont supposées être la copie. Mais cet article suggère que les chercheurs doivent problématiser plus profondément leur critique de la modernité en étudiant les positionnements respectifs des élèves, des éducateurs, des observateurs et de l'État.This paper is an ethnographic interpretation of schools in a provincial North Indian city to highlight the working of the « technologies » of education, particularly of how buildings, spaces, and rituals work. The argument is that there is pain for the children at an everyday level from the working of these instances of technology. But there is even greater pain at the level of the whole life or career, in that the schools do not succeed in producing the modern citizen subject they claim to believe in. These provincial schools are certainly an instance of « modernity » but one that has to be interrogated. Indeed the schools themselves in their functioning question the pure models of which they are supposedly copies. But, the paper suggest, scholars need to problematize much further their critique of modernity by looking at the relative positions of children, educators, observers, and the nation state.
- Object or Subject? The Paradox of "Youth” in Turkey - Leyla Neyzi p. 101 Cet article propose une analyse de la construction de la jeunesse dans le discours public en Turquie, depuis l'établissement de la République turque. Pendant la période 19231950, la jeunesse devient le symbole du nouvel Etat turc. Entre 1950 et 1980, par contre, le discours public reconstruit l'image des jeunes, les représentant comme des rebelles. Malgré ce changement dans leur représentation, les jeunes des deux périodes qui ont suivi des études se situent en grande partie dans la transformation de la société par le haut. Après 1980, il existe un nouveau départ dans la construction moderniste de la jeunesse, comme dans la culture politique turque en général. La situation en Turquie suggère que les études-recherches sur la jeunesse dans les sociétés modernistes non occidentales peuvent bénéficier d'une approche concevant les jeunes dans un contexte plus large, associant les questions d'âge, de cycle vital et de génération.Objet ou sujet ? Le paradoxe des “jeunes” en Turquie
This article analyses the construction of youth in public discourse in Turkey since the establishment of the Turkish Republic. I show that in the 1923–1950 period, youth came to embody the new Turkish nation. In the 1950–1980 period, on the other hand, youth were reconstructed in public discourse as rebels. Despite the change in discourse, however, educated young people in these two periods largely identified with the mission of transforming society from above. The post-1980 period, on the other hand, marked a break with modernist constructions of youth, just as it constituted a break with Turkish political culture as a whole. The Turkish case suggests that studies of youth in non-Western experiences of modernity can benefit from an approach which contextualizes youth within the wider frame of age, life cycle and generation. - Rester jeune au Congo-Brazzaville : violences politiques et processus de transition démocratique - Rémy Bazenguissa-Ganga p. 119 Ce texte présente, à partir du cas congolais, les modalités de construction de la jeunesse, en tant que catégorie politique et groupe d'acteurs précis, dans le contexte des changements intervenus en Afrique où certains pays ont vu s'établir une relation entre le processus de transition démocratique et la généralisation des usages de la violence. Ces transformations produisent une configuration où la référence à la vieillesse est bannie par les pratiques de « déparentélisation ». Les tensions entre générations politiques s'inscrivent dans un contexte où les plus puissants se revendiquent, en même temps, comme les plus jeunes. Les Congolais attribuent plusieurs acceptions à ce terme. Les groupes définis ont tendance à valoriser des formes précises d'actions violentes. Pour comprendre ces corrélations, nous avons analysé chaque groupe dans le système de relations qu'il forme avec tous les autres et dans l'univers des représentations par lesquelles les acteurs construisent leur réalité politique.Staying young in Brazzaville : political violence and the transition to democracy
Based on research carried out in the Congo, this article reviews ways of studying young people, with reference to specific political categories and groups of participants in the context of the situation in Africa. Some African countries have seen the transition to democracy marked by widespread violence. These changes have given rise to a situation in which all reference to old age must be banned by the process of 'deparentalisation'. Tension between different generations of political groups has arisen in an environment where the younger participants often have the strongest position. The Congolese attribute several interpretations to the term 'deparentalisation'. These groups tend to condone precise forms of violent acts. In order to understand these relationships, we have analysed each group according to the rapports they have with all the other groups and according to the way in which these participants represent themselves in their political reality. - Être jeune à Ziguinchor - Geneviève Gasser p. 135 Les récits de vie de jeunes à Ziguinchor révèlent qu'une partie d'entre eux vivent en apparence sans histoire. Ils montrent par leur manière d'être et de faire qu'ils partagent les références culturelles des jeunes Sénégalais ainsi que celles du temps mondial, notamment en voulant apprendre l'anglais. Un second groupe s'identifie à la lutte armée pour l'indépendance de la Casamance. Un petit nombre d'entretiens a montré que ces jeunes reprennent, sans l'altérer substantiellement, le discours de légitimation de la guerre tenu par le MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance). Ces jeunes soulignent pourtant que le sous-emploi dans leur région est une cause du conflit, et cette opinion leur est propre. La frontière entre les premiers et les seconds n'est pas nette, les jeunes peuvent passer d'un statut à l'autre, sans contradiction. L'enquête n'apporte pas de réponse définitive à la question de savoir ce qui pousserait ces sympathisants à prendre réellement le statut de jeunes guerriers. Il pourrait exister des bandes armées, constituées de jeunes ayant une autonomie complète par rapport au MFDC.Being young in Ziguinchor
The life-stories of young people in Ziguinchor reveal that some of them apparently lead uneventful lives. By the way they spend their days, they show that they share the same cultural references as Senegalese youth and the young throughout the world, especially in their desire to learn English. A second group identifies with the armed struggle for independence in Casamance. A small number of interviews has shown that these young people will offer the same arguments, with few significant changes, to justify the war and the cause of the MFDC (the Casamance Democratic Forces Movement). However, they emphasize that unemployment in their region is a major reason for the conflict and this sets them apart from the Movement. The dividing line between the MFDC and these groups of youths is far from clear, and the young people will change their allegiance, without any apparent contradiction. This study does not seek to provide definite answers nor a precise understanding of what pushes sympathisers to cross the line and enrol as warriors. There may be groups of armed youths that are completely independent of the MFDC. - Métaphores familiales dans les ghettos de Côte-d'Ivoire - Éliane de Latour p. 151 Les jeunes citadins en rupture se rassemblent dans des ghettos où des bandes se constituent. Ils créent un monde qui articule ancrage local et ambitions mondiales à travers un théâtre épique et familial. Ils créent des rôles qui exaltent la singularité, l'autonomie, la puissance, la réussite, en même temps qu'ils expriment des formes solidaires du lien humain déclinées en relations métaphoriques père/fils, mari/femme, fratrie... Les familles sont réinventées comme un brouillon du meilleur de la vie à partir du couple libre à l'occidentale, du respect des plus jeunes envers les plus vieux qui offrent leur tutelle, un lien que les vrais parents n'arrivent plus toujours à garantir. Les ghettomen se sentent identifiés à une grande famille d'amis rassemblée par un même choix initial, le contraire de leur famille d'origine qui assure la reproduction des générations sans qu'une attention considérable ne soit toujours prêtée aux choix personnels. Même si l'utopie du ghetto peut se retourner en contraintes et en blessures mortelles, c'est l'occasion pour chacun de construire une histoire personnelle. Le but ultime de cette poursuite de la reconnaissance est de modifier son destin et d'atteindre sa propre dimension d'adulte.Social metaphors in the ghettos of Côte d'lvoire
Young city-dwelling drifters meet in the ghettos where they group together in gangs. They create a world for themselves centred on local conditions and world ambitions using an epic and family-based theatre. They create roles which place value on singularity, autonomy, power, success, while they express forms of solidarity between humans based on metaphorical relationships, including father/son, husband/wife, siblings. Families are reinvented, as the young model their relationships on the better aspects of the Western-style free-living couple, while retaining respect for their elders in return for protection, a relationship which their true parents are not longer able to maintain. These ‘ghettomen' see themselves as a large family of friends motivated by the same set of choices, in contrast to their own families which guarantee reproduction of children but do not always recognise individual choices. Even if the utopia of the ghetto can generate constraints and fatalities, it gives the group's members the chance to shape their own lives. The main objective in this search for recognition is to change their destiny and to accept their place as adults. - Entre Jérusalem et Babylone : jeunes et espace public à Dakar - Ndiouga Adrien Benga p. 169 Nous nous proposons d'analyser deux situations qui se déroulent de manière enchevêtrée, urbanité de la revanche et du défi et invention d'un nouvel ordre urbain :la violence comme espace audible et lieu d'affirmation identitaire (insécurité dans la métropole dakaroise, « réflexe nationaliste » tendant à mettre l'étranger dans une situation mineure) ;la créativité artistique : la peinture murale et la musique ont été le champ de recomposition de l'espace public comme lieu pluriel de sociabilité. Le rap, notamment, a été non seulement un mode de revendication contre toute forme d'étouffement et de bâillonnement mais aussi un point d'ancrage des jeunes qui ont autant besoin de références que de réponses liées à la société dans laquelle ils vivent pour y trouver un équilibre.Between Jerusalem and Babylon : youth and the public arena in Dakar
We propose an analysis of two situations which are closely linked, revenge and challenge in the urban environment and the invention of a new city order :violence as an audible space and a method of affirming identity (insecurity in the city of Dakar, « nationalist reflex » which tends to put the stranger in an inferior position) ;artistic creativity : wall paintings and music have given impetus to a rehabilitation of the public arena as a plurialistic site of social interaction. Rap music, for example, has become more than a form of revolt against all forms of oppression and censure ; it also serves as a focus point for young people seeking markers and answers in their daily lives in order to find their place.
Notes de lecture
- p. 179