Contenu du sommaire : L'argumentation au carrefour des disciplines : sciences du langage et sciences sociales
Revue | A contrario |
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Numéro | no 16, 2011/2 |
Titre du numéro | L'argumentation au carrefour des disciplines : sciences du langage et sciences sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Avant-propos
- L'argumentation au carrefour des disciplines : sciences du langage et sciences sociales - Raphaël Micheli p. 3-9
Articles
- Des sciences du langage aux sciences sociales : l'argumentation dans le discours - Ruth Amossy p. 10-25 Cet article présente la théorie de l'« argumentation dans le discours » (par opposition à « l'argumentation dans la langue » de Ducrot) comme faisant partie intégrante des sciences du langage, tout en explorant le problème qu'y soulève la question du logos – raison et parole. Il appelle à une intégration des arguments et des schèmes de raisonnement dans l'analyse du discours. Il préconise ce faisant une approche socio-historique de l'argumentation, montrant comment elle a recours à des notions développées en sociologie et en psychologie sociale (la représentation sociale et le stéréotype, la théorie des champs de Bourdieu), tout en subordonnant ces cadres conceptuels à ses besoins propres. Il distingue néanmoins nettement l'étude de l'argumentation verbale des recherches sur la persuasion menées en sciences sociales à l'aide de méthodes expérimentales.This article presents the theory of « argumentation in discourse » (as opposed to Ducrot's « argumentation in language ») as an integral part of language studies, while examining the problem raised by the question of logos as reason and language, and calling for an integration of arguments and schemes of reasoning into Discourse Analysis. It shows how a socio-historical approach to argumentation both recurs to notions developed by sociology and social psychology (such as social representations and stereotypes, or Bourdieu's theory of fields), and subordinates these conceptual frames to its own needs. While emphasizing the connection of argumentation in discourse to the social sciences, it distinguishes the study of verbal argumentation from research on persuasion achieved in the social sciences through experimental methods.
- La rhétorique : à la recherche d'un paradigme perdu - Emmanuelle Danblon p. 26-40 Cet article a pour ambition de repenser la rhétorique dans toute sa dimension pratique. Une discipline pratique, mais consciente d'elle-même. Ni philosophie, ni artisanat pur, la rhétorique comme pratique intelligente peut être appréhendée dans toute sa globalité comme un paradigme. Nous défendrons l'idée que ce paradigme permet d'articuler une exigence de rationalité à une sensibilité respectant les émotions, les intuitions, le besoin d'utiliser la fiction, mais aussi la nécessité pour une communauté de célébrer un monde commun. Cette démarche exige un détour épistémologique que nous résoudrons par une sortie hors de la discipline. Celle-ci permet de repérer certains aspects anthropologiques de la raison pratique à l'œuvre dans ce paradigme rhétorique.This paper aims at describing rhetoric in its whole practical dimension. This does not mean that rhetoric, as a practice, is not self-conscious. This means that, as a discipline, it is neither philosophy, nor a simple technique. Rhetoric will be described as a paradigm that is able to integrate criteria for rationality and emotions, intuitions, the need to create and to use fictions, but also the importance of celebrating a common world. In order to succeed in this project, it is necessary to borrow some developments from other disciplines ; this will help us to shed light on some characteristics of a practical rationality as it is used in the rhetorical paradigm.
- Le courant du Critical Thinking et l'évidence des normes : réflexions pour une analyse critique de l'argumentation - Thierry Herman p. 41-62 Cette contribution vise à prendre position sur des manières d'envisager l'évaluation de l'argumentation en évitant un double écueil. Le premier, analysé dans la première partie de cette étude, consisterait à adopter une posture normative rigide, non dénuée de jugements moraux, telle qu'on peut la lire dans les manuels de Critical Thinking anglo-saxons ; l'autre serait d'ignorer ou de rejeter toute forme de norme alors que la pratique de l'argumentation regorge d'évaluations faites par les débattants. Nous plaidons pour une méthode d'analyse apte à discerner la force des arguments, c'est-à-dire leur résistance à la critique, plutôt que de les envisager selon leur caractère acceptable, bon ou mauvais, et nous considérons pour ce faire différents lieux d'exercice de la critique.This essay aims at taking a stand on how to evaluate argumentations, avoiding two pitfalls. The first one, analysed in the first part of this essay, would be to adopt a rigid and normative standpoint not deprived of moral judgments : English textbooks about Critical Thinking are good examples of this kind of position. The second one would be to ignore or to reject norms and evaluations, which nevertheless make up an important part of any debate. We will argue for a critical analysis that evaluates an argumentation's strengths or weaknesses, rather than judging whether an argument is acceptable, good or bad. Different levels of critical analysis will be investigated.
- La place de l'accord dans l'argumentation polémique : le cas du débat Sarkozy/Royal (2007) - Marianne Doury, Catherine Kerbrat-Orecchioni p. 63-87 On admet généralement qu'après une assertion, la réaction positive (accord) est « préférée » (ou « non marquée ») par rapport à la réaction négative (désaccord). Mais dans le cas d'un débat, et singulièrement d'un débat électoral, cette norme discursivo-interactionnelle entre en conflit avec une norme « générique » voulant que dans les interactions à caractère agonal, c'est au contraire le désaccord qui est la règle, l'accord devenant alors « marqué » par rapport au désaccord. C'est ce que nous tentons de vérifier à partir du cas du débat télévisé Sarkozy-Royal du 3 mai 2007, que nous analysons à l'aide d'outils empruntés d'une part à l'approche argumentative et d'autre part à l'approche pragmatique et interactionnelle. L'étude montre que si les manifestations d'accord ne sont pas rares dans un tel débat, elles se prêtent à diverses exploitations qui s'inscrivent dans une stratégie globale de disqualification de l'adversaire, tout en permettant au locuteur de construire de lui-même une image (un « éthos ») plus favorable que le recours systématique au désaccord frontal.It is generally accepted that the « preferred » (unmarked) reaction to an assertion is agreement rather than disagreement. Nevertheless, in the case of debates, more specifically of televised debates during electoral campaigns, this discursive and interactional norm conflicts with the generic norm of debates, according to which it is disagreement that rules in such polemic interactions, thus rendering agreement the « marked » type of possible reaction. We seek to substantiate this claim by proposing a study of the televised debate between Sarkozy and Royal on May 3 2007, which draws on categories and conceptual tools borrowed from both argumentation studies and interactional pragmatics. It is shown that, although frequent in this debate, expressions of agreement are exploited in various ways that amount to a global strategy of discrediting the opponent and constructing a self-image (ethos) of the speaker that is more efficient than the systematic recourse to blunt disagreement.
- Localiser, décrire et faire voir le fait argumentatif : le modèle dialogal de l'argumentation au défi d'un corpus complexe - Jérôme Jacquin p. 88-109 Cette contribution entend questionner à nouveaux frais le caractère observable de l'argumentation dans le cadre d'une approche interactionnelle des discours. Après la présentation des modalités de construction d'un corpus à forte probabilité argumentative, je présente rapidement le modèle dialogal de l'argumentation proposé par Christian Plantin : dans ce modèle, l'argumentation est localisable dans des situations argumentatives, situations où des locuteurs construisent des positions antagonistes (Proposition et Opposition) en réponse à une même question. J'éprouve la validité du modèle sur un exemple prototypique. La suite de la contribution explore plus spécifiquement la notion d'Opposition, pierre de touche de ce modèle. J'aborde ainsi les ressources linguistiques et discursives de l'Opposition et considère les cibles que l'Opposition est susceptible de viser. La fin de la contribution est l'occasion de présenter une méthode – encore au stade expérimental – pour cartographier les situations argumentatives.This paper aims at questioning anew the observability of argumentation in a discursive/conversation analysis approach. After introducing the corpus, which encapsulates argumentation at a high probability, I briefly discuss the « dialogal model of argumentation » of Christian Plantin : in this model, one can find argumentation in « argumentative situations », that is situations where speakers build antagonist positions (Proposition and Opposition) as answers to the same Question. First, the profitability of the model is tested on a prototypical example. Second, I analyze more precisely the notion of Opposition. It is an occasion to tackle the issue of the linguistic and discursive resources of the Opposition and to consider the targets the Opposition is likely to point to. The end of the paper aims at introducing a method – still in an experimental stage – for mapping argumentative situations.
- Analogie et métaphore argumentatives - Christian Plantin p. 110-130 L'analogie est une ressource argumentative fondamentale. Cet article propose d'abord un point sur la question des façons de dire l'analogie, dont les marqueurs explicites ne sont qu'un aspect. On considère comme fondamentales l'analogie comme processus de catégorisation, l'analogie de proportion et l'analogie structurelle. On discute la question de l'analogie structurelle et de la métaphore, qui proposent également des modélisations de l'inconnu ou du disputé au moyen d'un transfert de langage d'un domaine Source (domaine argument) sur un domaine Cible (domaine conclusion). La métaphore procède par identification instantanée, alors que l'analogie structurelle opère ce transfert explicitement et « pas à pas », ce qui la rend accessible à la critique. Les deux techniques peuvent coexister dans une même intervention.Analogy is a basic argumentative device. An heterogeneous set of linguistic markers can point towards the existence of an analogical link ; metaphor is a kind, not the only one, of non-marked analogy. In this paper, we mention some basic distinctions between different forms of analogy, mainly analogy as categorization device, analogy of proportion and structural analogy. Then we focus on structural analogy and metaphor. Both are considered as processes through which the language of a Ressource domain (argument domain) is transferred to a Problematic domain (conclusion domain). Metaphor operates instantly, and structural analogy in a step by step, overt process, more open to criticism. The two techniques can coexist in the same passage.
- Sociologie argumentative et dynamique des controverses : l'exemple de l'argument climatique dans la relance de l'énergie nucléaire en Europe - Francis Chateauraynaud p. 131-150 Les développements récents de la sociologie des controverses conduisent à suivre la transformation des jeux d'acteurs et d'arguments au fil de longues séries d'épreuves. Pour montrer les vertus heuristiques de la notion de trajectoire argumentative, l'article s'intéresse à la manière dont s'est formé l'argument, tenu d'abord pour évident puis de plus en plus controversé, selon lequel la relance du nucléaire civil est incontournable pour lutter contre le changement climatique annoncé par les rapports successifs du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Il montre comment la production d'une contre-argumentation a supposé un long travail politique capable de faire converger des éléments nouveaux tout en attaquant le cœur de la doctrine adverse en retournant contre elle son propre raisonnement.Recent developments in the sociology of controversies have led to follow the transformation of actors and arguments over a long series of events and confrontations. To underline the heuristic virtues of the concept of argumentative trajectory, the article focuses on the emergence of an argument – which appeared quite strong at the beginning, but then became more and more controversial – which states that the revival of nuclear power is the best way to fight climate change – following the global alert raised by the successive reports of the IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change). The description proposed shows how the production of a counter-argumentation involves a long political work capable of bringing together new convincing elements while attacking the heart of the opposite doctrine by reversing its own reasoning.
- Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l'argumentation - Juliette Rennes p. 151-173 Alors qu'il n'existe guère de mobilisation sans dimension argumentative, les approches argumentatives et sociologiques des pratiques protestataires tendent souvent à s'ignorer. Cette division du travail disciplinaire est d'autant plus étonnante que ces deux approches prêtent attention à la régularité et à la récurrence des formes de contestation à travers des séquences historiques pouvant relever de la « longue durée » : d'un côté, des travaux d'argumentation font ressortir le nombre limité des types d'arguments ou topoï auxquels ont recours différentes générations d'acteurs dans des contextes différents ; de l'autre, la sociologie historique des mobilisations – inspirée notamment des travaux de Charles Tilly – met en lumière un tel principe de rareté concernant les « répertoires d'actions » des acteurs mobilisés pour défendre une cause. Cet article porte sur les enjeux méthodologiques, les difficultés spécifiques et les apports cognitifs d'une articulation entre ces deux perspectives d'analyse. Il vise notamment à montrer comment une telle articulation permet d'explorer les différents niveaux de temporalité qui traversent un conflit : celle des acteurs qui y sont engagés et celles plus longues des répertoires d'actions, des discours et des types d'arguments que ces acteurs réactualisent et reconfigurent dans des situations inédites.Although collective action is always backed by some line of reasoning, the study of this type of argumentation and the sociological study of forms of protest are disciplines which largely ignore each other. This academic division of labour is all the more surprising given that both disciplines examine the regularities and patterns which forms of protests display over a long period of time : on the one hand, the study of argumentation reveals the limited number of lines of argument that are used by successive generations of actors in different contexts ; on the other, the sociological history of protests – as inspired by the works of Charles Tilly – highlights the fact that these actors are also confined to a specific « Contentious Repertoire » when they take action to defend a given cause. This article deals with the methodological issues and the specific theoretical difficulties raised by the combination of both approaches, as well as with what new perspectives and insights such a conjunction may yield. In particular, this combination enables us to explore the various time-frames which underlie social conflicts : the time-frame of the social actors themselves, and the longer time-frame of the different forms of action, types of discourse and arguments which these actors put forth, constantly readjusting them to suit fresh circumstances.
- Des sciences du langage aux sciences sociales : l'argumentation dans le discours - Ruth Amossy p. 10-25