Contenu du sommaire : Usages populaires de l'espace
Revue | Espaces et Sociétés |
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Numéro | no 144-145, 2011/1-2 |
Titre du numéro | Usages populaires de l'espace |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
I. Usages populaires de l'espace
- Éditorial : Les pratiques populaires de l'espace - Thomas Sauvadet, Marie-Hélène Bacqué p. 7-13
- L'apprentissage du vide : Commerces populaires et espace public à Paris dans la première moitié du xixe siècle - Manuel Charpy p. 15-35 Cet article observe le devenir des échoppes dans le Paris de la première moitié du XIXe siècle. Il tente de comprendre ce que ces constructions en apparence précaires révèlent des usages populaires de la rue et de ce qui décide de leurs disparitions. Cet article cherche ainsi à comprendre comment, avant que n'adviennent les grands travaux, les usages commerciaux de la ville sont réformés et comment l'espace public est conçu puis produit comme un espace vide composé soit de monuments arrachés au quotidien, soit des circulations de marchandises et de chalands.This article traces the evolution of stalls (échoppes) in the beginning of the 19th century in Paris. It attempts to understand what these apparently fragile buildings reveal about the popular uses of the street and what decided their disappearance. This work explores how, before Haussmann's works, popular commercial uses of the city were changed and how public space was viewed and produced as empty space furnished with monuments derived from everyday life and with movements of goods and customers.
- Usages des espaces rénovés et continuités populaires en centre ancien - Matthieu Giroud p. 37-54 Les anciens quartiers ouvriers représentent dans de nombreuses villes sud-européennes de véritables espaces stratégiques. À Lisbonne, dans le sillon creusé par l'organisation de l'exposition universelle de 1998, autorités publiques et privées ont entrepris la reconquête urbaine d'Alcántara, ancien faubourg ouvrier historique de la ville. Derrière les efforts affichés par ces acteurs de mieux respecter la mémoire industrielle et le contexte social local, la reconquête d'Alcántara s'est accompagnée de la production d'espaces rénovés dont l'accès est de plus en plus sélectif socialement. Cet article présente la manière dont deux espaces rénovés – Docas et Alcântara Rio – emblématiques de cette reconquête sont investis par des usagers issus des milieux populaires, résidents « déjà-là » ou non du quartier. L'analyse des fréquentations, usages et temporalités de ces deux espaces invite à évoquer la formation de continuités populaires et à interroger leur rôle dans le changement urbain des centres anciens.In many south European cities, old working-class districts represent new strategic spaces. In Lisbon, thanks to the dynamic created by the organization of the 1998 universal exhibition, public and private authorities undertook the urban reconquest of Alcântara, an historical working-class suburb of the city. Behind the public efforts by these actors to show more respect for the industrial memory and the local social context, the reconquest of Alcântara has led to the production of renovated spaces the acces to which has become increasingly socially selective. This article presents the way in which two renovated spaces emblematic of this reconquest – the Docas and Alcântara Rio – are made use of by users from the lower classes, whether “already-there” residents of the district or not. The analysis of the frequentations, uses and temporalities of these two spaces suggests a continuity of behaviours by ordinary people and raises questions regarding their impact on the urban change of the old central districts.
- L'occupation populaire de la rue : un frein à la gentrification ? : L'exemple de Paris intra-muros - Anne Clerval p. 55-71 À partir des quartiers populaires et immigrés du Bas-Belleville (10e-11e arrondissements) et de Château-Rouge (18e) à Paris, cet article montre l'importance des usages populaires de la rue et de l'espace public. Marqués par une importante fréquentation autour de centralités commerciales immigrées et une sociabilité populaire extravertie, ces usages se prolongent d'une vague d'immigration à l'autre, en transcendant les origines nationales. Dans les deux quartiers étudiés, ils parviennent même à masquer le processus de gentrification en cours. S'il a été nettement retardé et freiné dans ces quartiers par rapport au reste de Paris, celui-ci n'en est pas moins réel et s'accompagne d'une volonté d'appropriation matérielle et symbolique de l'espace public par les gentrifieurs. Dès lors, usages populaires et gentrification apparaissent directement en concurrence. À Paris, la municipalité de gauche tend à accompagner les gentrifieurs par une politique d'embellissement de la ville et de normalisation des usages de l'espace public, au détriment des pratiques populaires.Based on the case studies of two working-class and migrant neighbourhoods of Paris, the Bas-Belleville (10th-11th arrondissements) and Château-Rouge (18th), this paper shows the importance of working-class use of street and public space. This use is characterised by many people standing in the street where there is a concentration of cheap shops for immigrants. This concentration creates an urban centrality in which streets are a really sociable place for working-class people of all national origins. In the two neighbourhoods that were studied, this use of public space by immigrants tended to hide the on-going process of gentrification. If this process has been delayed and slowed down in these neighbourhoods compared with the rest of Paris, it nevertheless really does exist today, driven by the gentrifiers' will to appropriate public space. Therefore, working-class use of public space and gentrification are competing directly with each other. In Paris, the left-wing municipality tends to support the gentrifiers by a general policy of embellishment of the city and standardisation of manners in public space, at the expense of working-class practices.
- Pêches populaires et gestion des espaces maritimes - Frédérique Chlous-Ducharme, Philippe Lacombe p. 73-88 Les activités de ramassage ou de prélèvement sur l'espace littoral et maritime sont des usages populaires méconnus et socialement peu valorisés en dehors des groupes concernés. Aujourd'hui, ces espaces sont investis par différentes catégories sociales. Que deviennent alors ces usages populaires de l'espace ? Cet article analyse la manière dont un usage populaire s'ancre puis peut être visité par d'autres catégories sociales. Il révèle leur diffusion, réappropriation, transformation et légitimation par des catégories supérieures.Par ailleurs, ces prélèvements effectués dans des zones fragiles posent la question de la gestion de la ressource et de la réglementation de ces usages. Dans le cadre spécifique de la gestion concertée de ces espaces « naturels », des alliances apparaissent entre les pêcheurs, d'origines désormais variées. Les différences entre catégories sociales semblent être lissées, mais n'assiste-t-on pas plutôt à la confiscation des espaces, de concertation, par les catégories supérieures ?Gathering, collecting or catching sea food on coastal and maritime areas by local people are little understood and poorly valued activities, other than by the groups concerned. Today, these areas are used by different social groupings. What then becomes of these activities? This paper analyses how a popular usage becomes established and then how it can be encroached upon by other social categories. It shows their distribution, reappropriation, transformation and legitimation by socially superior categories. In addition, these catches if they are made in fragile areas raise the question of resource management and the regulation of these activities. In the face of the specific framework for the overall management of these “natural” areas, new alliances appear among the different fishing groups. Their differences seem to be smoothed out, but are we not really observing the take-over of spaces and their arrangements by superior categories?
- Les usages populaires du logement dans un grand ensemble de Berlin-Est - Cécile Cuny p. 89-104 Cet article porte sur les usages populaires du logement. Il s'appuie sur une enquête ethnographique menée dans le quartier nord du grand ensemble de Marzahn à Berlin-Est. Il confronte trois ménages au statut socio-professionnel identique (leurs ressources principales proviennent des aides sociales) mais qui développent des usages différents du logement. Cette différenciation dépend de la composition sociale et de l'inscription géographique des réseaux d'interconnaissance dans lesquels leurs membres sont insérés. Les usages que je qualifie de « populaires » sont marqués par une forte sociabilité entre voisins appartenant au même groupe familial élargi et identifient une catégorie sociale qui se caractérise par un faible capital culturel et social.This article deals with the common uses of housing. Its results are based on an ethnographic inquiry undertaken in the great housing estate of Marzahn, East Berlin. It compares three households which share the same socio-professional status (they all depend largely on social benefits) but which have developed different housing patterns. This differentiation is linked to the social composition and geographic dispersion of the households' social networks. In that context, popular uses of housing are influenced by a strong sociability among neighbours belonging to the same enlarged family and they identify a social category characterized by a low cultural and social capital.
- De l'espace dancehall comme refuge cathartique à la Jamaïque - Abdoulaye Gaye p. 105-119 L'objectif de cet article est d'identifier la fonction sociale du dancehall dans un contexte de crise multiforme. À travers l'analyse des réactions des participants à deux manifestations organisées autour de cette musique populaire, nous explorons l'utilisation du dancehall en tant qu'espace thérapeutique. Les résultats de l'enquête qualitative menée sur terrain entre 2006 et 2008 démontrent que les participants aux moments de divertissement utilisent les éléments intrinsèques de ce champ pour développer une stratégie hédoniste qui les libère ponctuellement de l'angoisse existentielle. C'est à travers cette stratégie hédoniste que la catharsis est mise en œuvre. Ainsi l'espace dancehall est perçu comme un lieu de dépassement des incertitudes de la réalité sociale. Face aux contraintes conjoncturelles, les participants aux festivités se situent dans la perspective de la catharsis par la danse. Cependant, le dancehall reste un espace de production culturelle paradoxal, qui reproduit plus qu'il ne conteste les déterminismes d'une société aux structures rigides.This paper seeks to identify the social role of Jamaican dancehalls in a context of multifaceted crisis. Drawing from the perspective of regular consumers, we examine the use of the dancehall space as a designated instrument for social therapy. The results of the empirical research that was conducted among participants in two popular events between 2006 and 2008 suggest that, by utilizing the specificity of dancehall culture, the consumers develop a hedonistic strategy which can temporarily relieve anxiety over existing social problems. The catharsis emerges as part of this strategy. Thus the dancehall space is perceived as an arena where the uncertainties of social reality are overcome. Confronted with the social, political and economic constraints of Jamaica, the dancehall consumers engage in a cathartic process through dancing. However, the dancehall remains a paradoxical space of cultural production, which tends to reproduce rather than challenge the rigid structures of Jamaican society.
II. Hors dossier
- Stratégies résidentielles et position sociale : l'exemple des localisations périurbaines - Josette Debroux p. 121-139 L'analyse des rapports entre social et spatial s'élargit, depuis quelques années, aux zones périurbaines dont le développement n'est pas sans effet sur l'accentuation des polarisations au sein des métropoles puisque s'y installent, de manière privilégiée, les « classes moyennes ». Une analyse rapprochée des caractéristiques sociales de ces périurbains montre que, s'ils sont socialement diversifiés, leurs trajectoires professionnelle et sociale présentent certaines similitudes les rendant incertains de leur position sociale. Profitant d'une conjoncture biographique favorable, et mobilisant le modèle résidentiel de la maison individuelle, ils vont investir, de manière socialement différenciée, la sphère résidentielle pour améliorer leur position sociale. La progression dans la trajectoire résidentielle s'avère d'autant plus nécessaire que l'identité sociale d'origine professionnelle est insatisfaisante.The analysis shows that the gap between the social and the spatial has for some yeas been widening in outlying suburbs, a development not without consequences regarding the intensification of a polarisation within the city because the “middle classes” have settled there. A more detailed analysis of the social characteristics of the individuals settling into the outlying suburbs shows that if they are socially very mixed, their professional and social trajectory reveal similarities making them doubtful of their social position. Taking the opportunity of a favourable biographical situation, and mobilizing the residential model of the individual house, they are investing a lot, in a socially differentiated way, into the residential sphere to improve their social position. In this way making progress in residential terms becomes all the more necessary as the social identity of professional origin becomes less satisfactory.
- « Faire le beau chez soi » : la part du corps dans l'aménagement et la décoration des espaces du quotidien - Sofian Beldjerd p. 141-156 Le corps sensible joue un rôle central dans les processus d'appropriation des espaces du quotidien. L'enquête empirique menée sur la mise en forme, l'usage et l'appréciation de territoires personnels (domestiques et professionnels) donne à voir de nombreux dialogues entre les sensations et les sentiments, l'agréable et le beau. Après avoir mis en évidence les enjeux distincts (instrumentaux, hédoniques et formalistes) caractérisant l'appropriation corporelle de ces environnements (l'« aisance », le « confort » et la « beauté »), il s'agit de montrer que le corps habitant, contraint, voire dressé, ne se trouve pas seulement enjoint de « faire le beau », comme on l'attendrait d'un animal. Il se montre en effet tout autant capable de faire le beau, c'est-à-dire d'alimenter des mises en forme et des appréciations des espaces du quotidien qui relèvent d'une esthétique pleinement formaliste.The sentient body plays an important role in the appropriation of everyday life spaces. Our empirical study, focused on how personal territories are shaped, used and evaluated, gives insight into numerous dialogues between physical sensations and predispositions, between what is agreeable and what is beautiful. After shedding light on the specific issues (instrumental, hedonistic and formalistic) characteristic of the bodily appropriation of these environments (“ease”, “comfort” and “beauty”), it is then a matter of showing that the inhabited, constrained, even trained body is able not only to make things beautiful, as one could expect of an animal, but also to endow everyday spaces with a fully formalistic aesthetic.
- Le « spatialisme » du dernier Halbwachs - Thomas Beaubreuil p. 157-171 Cet article d'histoire des sciences humaines et sociales a pour objectif de mieux faire connaître la théorie de l'« espace social » développée par Maurice Halbwachs, durant l'entre-deux-guerres. Les travaux du sociologue sur le « temps social » et la mémoire collective sont désormais à nouveau entrés dans le paysage de la recherche francophone. Néanmoins, sa conceptualisation de « l'espace social », pourtant consubstantielle de sa réflexion sur le « temps social », demeure peu connue. L'étude de la dimension spatiale des faits sociaux, telle qu'elle est étudiée par l'auteur à partir des Cadres sociaux de la mémoire (1925), n'en constitue pas moins une approche heuristique du lien entre la société, l'espace, le temps et la mémoire collective.From the perspective of the history of the social and human sciences, the aim of this article is to make the theory of “social space”as developed between the two world wars by Maurice Halbwachs better known. The work of this sociologist on “social time” and collective memory is now once again receiving attention within francophone research. Nevertheless his conceptualisation of “social space” consubstantial with his reflexions on “social time” remains little known. The study of the spatial dimension of social facts, such as initially presented by the author in Cadres sociaux de la mémoire (1925), is nothing less than a heuristic approach linking together society, space, time and collective memory.
- Préservation de l'environnement littoral et inégalités écologiques : L'exemple du Touquet-Paris-Plage - Valérie Deldrève p. 173-187 À partir d'une étude (inecolito Deboudt coord. puca-medd, 2005-2008) menée sur un site de la Côte d'Opale (Pas-de-Calais) doté de fortes aménités environnementales, une station balnéaire réputée – Le Touquet-Paris-Plage –, cet article propose une lecture des formes d'inégalités écologiques que développent l'attractivité croissante des sites littoraux et la montée concomitante des préoccupations écologiques. Il s'agit, à travers la manière dont les résidents de ces sites définissent et qualifient leur environnement naturel et urbain, à travers les usages qu'ils ont de ses aménités, et la légitimité qu'ils s'octroient et octroient aux autres usagers potentiels (résidents et touristes) à en bénéficier, de montrer comment l'écologisation des sociétés, au sens de Kalaora (2001), conduit à activer des logiques de ségrégation sociale légitimées par la nécessité de réguler l'accès aux sites naturels littoraux.Based on a study (inecolito Deboudt coord. puca-medd, 2005-2008) carried out on the Opal Coast (in northern France) very rich in environmental amenities at the well-known seaside resort of Le Touquet-Paris-Plage, this article offers a reading of forms of ecological inequalities which are generated by the growing attraction of the seaside and the increasing awareness of ecological preoccupations. First through the way the residents of these sites define and qualify their natural and urban environment, second through the way in which they make use of its amenities, and, third, the legitimacy that they grant to themselves and to the other potential users (residents and tourists) to take advantage of the amenities, we show how the ecologization of societies (Kalaora, 2001) contributes to activate logics of social segregation legitimized by the necessity to regulate access to these coastal natural areas.
- Stratégies résidentielles et position sociale : l'exemple des localisations périurbaines - Josette Debroux p. 121-139
Controverses
- Les écoquartiers : un laboratoire pour la « ville durable » ? - Stéphane Nahrath p. 189-192
- Les écoquartiers, un laboratoire pour la ville durable : entre modernisations écologiques et justice urbaine - Antonio Da Cunha p. 193-200
- Les quatre défis des écoquartiers : entretien avec Alain Jund - Alain Jund, Maurice Blanc p. 201-207
- Les enjeux de l'écologisation de la gestion de l'eau dans les écoquartiers - Bernard Barraqué p. 209-212
Notes de lecture
- Les échelles spatiales et temporelles de la « ville durable » - Philippe Hamman p. 213-227
- Recensions d'ouvrages - p. 229-252