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Revue Revue historique Mir@bel
Numéro no 655, juillet 2010
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Marché matrimonial clandestin et officines de clandestinité à la fin du Moyen Âge : l'exemple du diocèse de Rouen - Carole Avignon p. 515-549 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis le XIIe siècle, théologiens et canonistes reconnaissent que seul l'échange de consentements fait le mariage. Ce faisant, même clandestins, ces mariages sont valides, du moment que l'échange de consentements peut être prouvé, et qu'il n'y a pas d'empêchements dirimants entre les époux. Les mariages clandestins sont toutefois moralement condamnés par les docteurs et canoniquement prohibés par les lois de l'Église. Les autorités redoutent que la clandestinité ne fragilise les principes de monogamie et d'indissolubilité du mariage chrétien. Elles craignent aussi que ces mariages ne soient conclus en dehors de tout contrôle de leur légitimité. La législation synodale spécifie donc localement les conditions de publicité et de solennités à respecter. Les mariages clandestins dénoncés dans les archives judiciaires de l'officialité de Rouen au XVe siècle ne sont cependant pas l'antithèse de mariages publics, solennels ou religieux. Ils sont célébrés en présence d'ecclésiastiques, qui sont aussi condamnés pour leur complicité dans l'infraction ; ils sont entourés de solennités liturgiques et jouissent des festivités coutumières. Les couples en situation irrégulière recherchent en effet le secours de prêtres bienveillants, négligents ou intéressés, afin d'échanger leurs consentements dans des églises ou des chapelles, qui peuvent être situées en dehors de leur propre paroisse ou bien relever de juridictions exemptes, monastiques, canoniales ou paroissiales. Des logiques de proximité se combinent aux opportunités juridictionnelles offertes par ces territoires. Tout un réseau d'hommes et d'institutions s'offre aux laïcs pour donner une dimension ecclésiale à des noces entachées d'irrégularités (défaut de bans, défaut de présentation de documents correctement authentifiés par l'officialité de Rouen, etc.).
    In the twelfth century, Catholic theologians and canonists specified the consensual nature of marriage. That the reason why one could say that a clandestine marriage was a real one, if the couple was able to prove it. Publicity and solemnity were required to prove the consent and to honor the sacrament; forms were defined by diocesan laws. Nevertheless clandestine marriages were prohibited by canonical Law. The practice of lay people of diocese of Rouen, in the fifteenth century, can be analyzed through legal proceedings of ecclesiastical courts. Penalized clandestine marriages were not secret ones or performed outside the supervision of a cleric. They were publicly celebrated with family and friends, and above all, blessed by priests, but out of the parish church of the couple, in chapels or churches of exemptions. Those clerics were also penalized for their complicity because, from the diocesan legal viewpoint, those marriages were not regular. (For example, banns were not publicized or papers required by the bishop were not correct). Clandestiny was a way to hide those marriages to the local authorities: there were ecclesiastical spaces and clerics available for the lay people who above all wanted to solemnize their marriage.
  • Enjeux politiques et sociaux de la culture chevaleresque au xvie siècle : les prologues de chansons de geste imprimées - Benjamin Deruelle p. 551-576 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que la première modernité est traditionnellement présentée comme le « crépuscule de la chevalerie », le nombre et la diffusion des romans de chevalerie n'ont jamais été aussi importants. Paradoxalement, alors que les liens entre histoire et politique ont été l'objet de l'intérêt des historiens ; celui entre littérature et politique demeure peu étudié. Pourtant, les littéraires, telles qu'Emmanuelle Poulain Gautret et Élisabeth Gaucher, ont récemment démontré la dimension politique de la littérature chevaleresque de la fin du Moyen Âge. Cette littérature connaît depuis ses origines des mouvements de réécritures incessants qui lui permettent de survivre tout en s'adaptant aux évolutions de la société. Les traductions en prose et le passage du manuscrit à l'imprimé sont l'occasion, au cours du XVe siècle et de la première moitié du XVIe siècle, d'une redécouverte de la culture chevaleresque avec les yeux de la Renaissance. L'étude des prologues des romans issus des anciennes chansons de geste permet de saisir quels sont les pratiques, les fonctions et les enjeux de la transmission de la culture chevaleresque dans une noblesse confrontée à la genèse de l'État moderne, à la concurrence de la Robe et de la bourgeoisie, et aux critiques de plus en plus acerbes de sa position de domination.
    While Renaissance is traditionally described as the twilight of chivalry, the number and circulation of chivalric novels have never been so great. It is a paradox that, while the links between politics and history have always been a central concern to historians, those between literature and politics have not. And yet, literary scholars, such as Emmanuelle Poulain Gautret and Elisabeth Gaucher, have recently proven that chivalric literature already had an important political significance by the late Middle Ages. From its beginnings, this literature has suffered ceaseless revisions in order to adapt to the society's evolutions and survive. The translations into prose and the transition from manuscript to printed book were, between the end of the XVth century and the beginning of the XVIth century, the occasion for a rediscovery of the chivalric culture through the eyes of the Renaissance. The study of the prologues of novels derived from former chanson de geste makes it possible to understand the practice, functions, and stakes in the chivalric culture's transmission for a nobility confronted with the « the construction of the modern State », the competition of the legal profession and the upper middle class, and with the critics of it social domination.
  • Capitalisme, crises de trésorerie et donneurs d'avis : une relecture des années 1783?1789 - Marie?Laure Legay p. 577-608 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette étude analyse les crises de trésorerie de 1783 et 1787‑1788 comme points de rupture dans le temps long de l'histoire socioéconomique et sociopolitique de l'État. La crise de trésorerie est en amont un dérèglement des circuits capitalistes habituels d'alimentation du Trésor, un dérèglement de l'État qui cesse de payer ses billets et une remise en cause, en aval, du lien politique qui unit l'organisation publique et ses créanciers. Une crise de trésorerie ne peut se saisir qu'à partir d'une connaissance plus large de l'organisation financière dont elle bloque les rouages. Les crises françaises de 1783 et 1787 n'échappent pas à cette exigence, et nous souhaitons ici en faire une analyse renouvelée. L'article revisite les mécanismes de banqueroute à la lumière des choix de gestion comptable adoptés dans les années 1720, en montrant comment ces choix ont lesté le poids des intermédiaires financiers maîtres de la trésorerie du royaume, mais aussi comment ils ont joué sur les conditions de négociation du crédit public. Le recours‑panique à la rente dans le courant des années 1780 a consolidé une nation de créanciers dont l'assise sociale s'est élargie et dont les avis, exprimés à l'intention de Necker, tranchent avec ceux des patriotes.
    This study analyses the crises of treasury of 1783 and 1787‑1788 as breaking points in the long time of the socioeconomic and sociopolitical history of the State. A crisis of treasury is upstream a disorder of the usual capitalist circuits of supply of the Treasury, a disorder of the State which stops paying its bills and a questioning, downstream, of the political link which united the public organization and her creditors. A crisis of finance can seize only from a wider knowledge of the financial organization cogs of which it blocks. The French crises of 1783 and 1787 do not escape this requirement. This article revisits the mechanisms of bankruptcy in the light of the choices of accounting management adopted in the 1720s, by showing how these choices ballasted the weight of the financial intermediaries, guardians of the royal treasury, but also how they played on the conditions of negotiation of the public credit. The public loans of 1780s strengthened creditors' nation, the social based of which widened and the opinions of which, expressed in aid of Necker, cut with those patriots.
  • Monnayer l'incalculable ? L'indemnité de Saint?Domingue, entre approximations et bricolage - Frédérique Beauvois p. 609-636 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'indépendance de l'ancienne colonie française de Saint‑Domingue devenue Haïti en 1804 est reconnue par son ancienne métropole en 1825 en échange d'une indemnité de 150 millions de francs, diminuée à 90 millions en 1838. Ce montant est destiné à dédommager les anciens propriétaires dépossédés de leurs biens suite à l'abolition de l'esclavage de 1793‑1794 et à la perte de Saint‑Domingue. Une commission étatique est nommée en 1826 afin de procéder à la distribution de l'indemnité à ses ayants droit. Son fonctionnement technique est longtemps resté inconnu, jusqu'à la découverte il y a quelques années d'un manuscrit contenant les procès‑verbaux d'une section de la commission, dans lesquels sont examinées et discutées un certain nombre de demandes d'indemnisation. L'analyse de ces différents dossiers d'appréciation révèle les multiples écueils auxquels se heurtent les commissions chargées de distribuer l'indemnité, ainsi que les stratégies parfois discutables imaginées pour les surmonter. Cette source tout à fait inédite apporte un éclairage absolument fondamental sur la question jusque‑là méconnue du versement pour le moins équivoque de l'indemnité de Saint‑Domingue. Cette précieuse découverte permet ainsi l'étude détaillée de cet aspect essentiel de la problématique qui constitue l'objet central de cet article.
    In August 1791, a servile revolt burst in Saint‑Domingue, richest colony of the Americas. France sent two commissioners to restore peace in this insurgent area. Under pressure of Revolution, they declared the abolition of slavery in 1793. This decision was ratified by the French Convention on 4 February 1794. Revocation of this abolition act in 1802 by Napoléon Bonaparte had no consequence on the situation of slaves in Saint‑Domingue, which proclaimed its independence 1st January 1804. This episode gave birth to the first black state of the Americas, baptised under its old Amerindian name « Haïti ». However this autonomy was recognised by France only in 1825 in exchange of a compensation of 150 million French francs. This amount was adjusted to 90 million in 1838. This compensation was meant to indemnify the former colonial owners dispossessed consecutively to the abolition of slavery in 1793‑1794 and the loss of the colony. In 1826, a state commission was appointed in order to allocate the compensation to the former owners and their descendants or creditors. We have long known little about its technical operating, until the discovery a few years ago of a manuscript of one commission's proceedings in which several applications for compensation are examined and discussed. The analysis of the different appraisal files reveals the numerous pitfalls, which complicated the mission of the commissions, and the sometimes dubious strategies developed to overcome them. The study of this unpublished document enables us to analyze, by « immersion », the ambiguous payment of the Saint‑Domingue compensation.
  • Mélanges

    • L'inventaire du monde des cités grecques. Une somme, une méthode et une conception de l'histoire - Pierre Fröhlich p. 637-677 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'indépendance de l'ancienne colonie française de Saint-Domingue devenue Haïti en 1804 est reconnue par son ancienne métropole en 1825 en échange d'une indemnité de 150 millions de francs, diminuée à 90 millions en 1838. Ce montant est destiné à dédommager les anciens propriétaires dépossédés de leurs biens suite à l'abolition de l'esclavage de 1793-1794 et à la perte de Saint-Domingue. Une commission étatique est nommée en 1826 afin de procéder à la distribution de l'indemnité à ses ayants droit. Son fonctionnement technique est longtemps resté inconnu, jusqu'à la découverte il y a quelques années d'un manuscrit contenant les procès-verbaux d'une section de la commission, dans lesquels sont examinées et discutées un certain nombre de demandes d'indemnisation. L'analyse de ces différents dossiers d'appréciation révèle les multiples écueils auxquels se heurtent les commissions chargées de distribuer l'indemnité, ainsi que les stratégies parfois discutables imaginées pour les surmonter. Cette source tout à fait inédite apporte un éclairage absolument fondamental sur la question jusque-là méconnue du versement pour le moins équivoque de l'indemnité de Saint-Domingue. Cette précieuse découverte permet ainsi l'étude détaillée de cet aspect essentiel de la problématique qui constitue l'objet central de cet article.
      In August 1791, a servile revolt burst in Saint-Domingue, richest colony of the Americas. France sent two commissioners to restore peace in this insurgent area. Under pressure of Revolution, they declared the abolition of slavery in 1793. This decision was ratified by the French Convention on 4 February 1794. Revocation of this abolition act in 1802 by Napoléon Bonaparte had no consequence on the situation of slaves in Saint-Domingue, which proclaimed its independence 1st January 1804. This episode gave birth to the first black state of the Americas, baptised under its old Amerindian name « Haïti ». However this autonomy was recognised by France only in 1825 in exchange of a compensation of 150 million French francs. This amount was adjusted to 90 million in 1838. This compensation was meant to indemnify the former colonial owners dispossessed consecutively to the abolition of slavery in 1793-1794 and the loss of the colony. In 1826, a state commission was appointed in order to allocate the compensation to the former owners and their descendants or creditors. We have long known little about its technical operating, until the discovery a few years ago of a manuscript of one commission's proceedings in which several applications for compensation are examined and discussed. The analysis of the different appraisal files reveals the numerous pitfalls, which complicated the mission of the commissions, and the sometimes dubious strategies developed to overcome them. The study of this unpublished document enables us to analyze, by « immersion », the ambiguous payment of the Saint-Domingue compensation.
    • Comptes rendus - p. 679-748 accès libre