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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 659, juillet 2011 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Enjeux de pouvoir à Notre-Dame de Paris
- L'organum aux xiie et xiiie siècles : le discours musical comme stratégie de communication ou la légitimation implicite de l'autorité épiscopale - Guillaume Gross p. 487-510 Quelle place a tenu la polyphonie (organum) à partir de la seconde moitié du XIIe siècle et de quels enjeux sont révélateurs son avènement au sein des grandes fêtes liturgiques de la cathédrale Notre‑Dame de Paris ? Au cours de l'affrontement subtil et permanent que se livrent autorité spirituelle et pouvoir temporel dans la Cité, la promotion exceptionnelle de la polyphonie dans l'église de Paris nouvellement reconstruite montre une hiérarchie ecclésiale désireuse de renforcer son prestige. Elle tend également à affirmer la puissance d'un pouvoir épiscopal fragilisé par la politique expansionniste de la Curie romaine sous le pontificat d'Innocent III. Le développement de l'organum lors des grandes célébrations va ainsi contribuer à valoriser l'image de l'évêque et renforcer encore son autorité morale, spirituelle et politique dans son diocèse. Autour des notions de plenitudo potestatis et d'aberratio fidei se concrétise ainsi, dans la seconde moitié du xiie siècle, une manifestation inédite de la parole sacrée : l'organum... pro servitio divino multiplicando. Les organa sont les « miroirs » de l'évêque qui reflètent son pouvoir à travers leur fonction liturgique et, à ce titre, le discours musical se mesure en termes d'efficacité et entre dans une véritable « stratégie de la communication » menée sous le ministère d'Eudes de Sully (1196‑1208).What place did polyphony (organum) take up from the second half of the twelfth century onwards and what issues are revealed by its advent in the great liturgical feasts of Notre‑Dame de Paris cathedral? During the constant and subtle confrontation engaged by the spiritual authority and the temporal power in the City, the special promotion of polyphony in the newly rebuilt church of Paris shows an ecclesiastical hierarchy keen to enhance its prestige. It also tends to affirm the power of an episcopal authority weakened by the expansionist policy of the Roman Curia under Pope Innocent III. In a context of oppositions and tensions, the development of polyphony during services contributes to enhance the image of the bishop and to further strengthen its moral, spiritual and political authority in his diocese. Thus, in the new decor of Notre Dame, an unprecedented revelation of the sacred word takes shape in the second half of the twelfth century : organum... pro servitio divino multiplicando. The organa, virtuoso solo songs, are not only an illustration and a special beautification of the texts of the psalms, they are also « mirrors » that reflect the bishop's power through their liturgical function.In this regard, we will focus on the Viderunt omnes response sung in four voices which gives a reinforced image of the plenitudo potestatis – not the one that Innocent III hoped and prayed for but that of a bishop who is the legitimate multi‑secular custodian and who intends to preserve both his spiritual authority over the souls of his diocese and his podestat over the subjects of his field. The Sederunt principes response emphasizes the struggle of pure souls against « evil » ones : it is indeed the aberratio fidei which is here stigmatized – faith gone astray and more surely fought and stifled by the beauty in which souls are shrouded during divine services. In the fight against delinquency, the bishop does not intend to let the precedence of pastoral action in his own diocese be stolen. A pragmatic prelate, anxious to keep control over the affairs of his domain, Eudes de Sully shows its power via the organum and he gathers the community around him.If the organum held an important role in this perspective of cohesion of the « ecclesia Paris », we will then wonder whether the compositions were directed only at a highly restricted circle of clerics, the only ones to be able to taste all their subtlety? In the light of the conditions accompanying the promotion of polyphony in the church of Paris, we will raise the question of the audience: which « public » for this music? Was it only reserved to a small number of well‑informed listeners? All are invited to see and hear : the organum, relying on the senses, is part of the promotion and enhancement of the image of Notre Dame and his bishop and as such, the musical discourse is also measured in terms of efficiency and is involved in a true « communication strategy » conducted by the ministry of Eudes de Sully (1196‑1208).
- Jean Simon, évêque de Paris (1492?1502) : les réseaux d'un succès - Véronique Julerot p. 511-525 Bien que Gérard Gobaille ait été élu évêque de Paris par le chapitre cathédral le 8 août 1492, Jean Simon est pourvu par le pape de ce même siège en octobre suivant. Il en résulte un conflit entre les deux hommes qui s'achève par la victoire du pourvu. Si la mort de son concurrent lui a facilité la tâche, le vainqueur, conseiller du roi au Parlement et chanoine de Notre‑Dame, bénéficiait d'arguments de poids qui le plaçaient, quelles qu'aient été les circonstances, en bonne place pour l'emporter : le soutien de Charles VIII, celui de sa famille, bien implantée dans le monde des officiers royaux et dans le milieu épiscopal, et celui de la clientèle du cardinal André d'Espinay. Il est cependant remarquable que, malgré cela, il ait dû s'opposer pendant deux années au chapitre cathédral devant les justices royale et ecclésiastique, avant de prendre possession du siège parisien : c'est une nouvelle preuve que les réseaux, aussi puissants soient‑ils, ne peuvent ignorer les règles de la société et les institutions du royaume.Although Gérard Gobaille was elected as a bishop of Paris by the cathedral's chapter, on the 8th of august, in 1492, Jean Simon was appointed by the pope in october during the same year. Thus, a conflict is opened between the two men, wich ended by the victory of the appointed. Even if the death of his competitor brought the deal easyer, Jean Simon, adviser of the king and canon of Notre‑Dame, seems to have been, anyway, in a good position to win: the support of Charles VIII, of his family, well established in the world of royal offices or in episcopal entourage, and the support of the clientele of cardinal André d'Espinay. However, it is interesting to notice that, despite these supports, he was obliged to argue, two years long, with the chapter in front of both the royal and the ecclesiastical courts, before he succeeded and could take his see : it's a new proof that nets, even when powerful, cannot ignore society rules and kingdom institutions.
- Entre le chapitre cathédral et l'hôtel?Dieu de Paris : les enjeux du conflit de la fin du Moyen Âge - Christine Jéhanno p. 527-559 Le 11 juillet 1497, l'incarcération de Jean le Fèvre, maître de l'hôtel‑Dieu de Paris, par les chanoines de Notre‑Dame fait entrer le conflit qui oppose ces deux parties dans une phase aiguë, et ce, dans le contexte de la réforme que le chapitre veut imposer à la communauté religieuse en charge de l'établissement d'assistance. Cette mesure est exceptionnelle au regard des autres cas d'emprisonnement recensés, qui sont rares – même s'ils tendent à augmenter à partir de la fin du xve siècle –, d'autant qu'elle touche le plus haut responsable de l'institution. Elle est officiellement motivée par la mauvaise tenue de ses comptes, suspects, selon les chanoines, de receler des fraudes qui sont autant de preuves de propriété, indice majeur de « déformation » du religieux hospitalier traqué par les chanoines réformateurs. L'emprisonnement du maître provoque chez le personnel une colère qui dure après sa libération sur ordre du Parlement, car il reste destitué. L'hostilité des chanoines à son égard ne tient pas à sa personnalité, effacée, puisqu'il n'a posé aucun problème les quelque quarante-cinq ans qu'il a déjà passés à l'hôtel‑Dieu. Elle s'explique davantage par les conditions de son accession à la maîtrise. Il y a été plébiscité en 1482 par le personnel consulté selon des modalités de vote que l'on voit s'élaborer et se préciser tout au long des XIVe et XVe siècles, dans le sens d'un poids toujours plus grand de la communauté hospitalière au détriment de l'initiative capitulaire qui était la seule instance de nomination prévue par les statuts rédigés au début du XIIIe siècle. Il est donc moins le relais du chapitre que l'émanation de la communauté soignante. Fort de son soutien, il en vient à incarner la résistance de celle‑ci aux mesures réformatrices, si bien que les chanoines sont contraints de le rétablir.On July 11, 1497, Jean Le Fèvre, master of the hôtel‑Dieu of Paris, is sent to jail by the canons of Notre‑Dame, a decision that introduces an acute conflict between these two parties in the context of the reform which the chapter seeks to impose on the monastic community that is in charge of the hospital. In terms of other cases of detention, which are rare – even if they became more numerous by the end of the 15th century – this measure is exceptional, all the more because it touches the highest official of the institution. It is officially motivated by the misuse of his accounts, suspected by the canons of concealing frauds which are regarded as proofs of impropriety, a major indication of the « deformed monk », pursued by the reforming canons. The imprisonment of the master provokes anger among his fellow monks which lasts after his release by authority of the Parliament, because he nonetheless remains dismissed. The chapter's hostility towards him is not due to his personal behaviour, since the archives contain no mention of misbehaviour for the forty‑five years he served the hôtel‑Dieu. It is better explained by the conditions involved in his election as master : he was elected in 1482 by a huge majority of monks and nuns according to the system of voting elaborated and defined more precisely throughout the 14th and 15th centuries that accorded greater weight to the hospital community at the expense of the chapter's initiative ; the latter was the sole means of appointment in the statutes drafted at the beginning of the 13th century. He has thus become less the chapter's representative than the appointee of the hospital. Thanks to this support, he finally comes to embody his colleagues' resistance against the reforming measures, so much so that the canons are forced to restore him.
- Un patricien au service du prince et de la res publica ? M. Valerius Messalla Messallinus (cos. 3 av. J.?C.) - Cyrielle Landrea p. 561-587 Cet article a pour but de reconsidérer les relations entre les nobiles et le Princeps. Alors que le principat est souvent perçu comme la mise en place d'un nouveau régime, une partie de la nobilitas républicaine participe encore à l'exercice du pouvoir, comme les Valerii Messallae, une ancienne stirps patricienne. Ici, nous nous intéressons à M. Valerius Messalla Messallinus (cos. 3), un membre de la gens Valeria. C'est le fils de Messalla Corvinus (cos. 31) et il réalisa une grande partie de sa carrière sous le principat augustéen. Outre le prestige lié à son ascendance, les deux aspects de sa carrière sont examinés : le cursus honorum en tant que tel et les sacerdoces. La question de la nature du service se pose. Est‑ce que Messallinus servait le Prince ou la res publica ? En effet, le principat a profondément changé les pratiques politiques et les sénateurs ont parfois été considérés comme des partisans de l'adulatio Principis. Pourtant, Messallinus, comme tant d'autres, servait à la fois l'empereur et la res publica, parce que l'élément le plus important demeurait la perpétuation de la gens.This paper aims to reconsider the relationships between the nobiles and the Princeps. While describing the principate traditionally as the rise of a new regime, a part of the republican nobilitas was still pertaining to the circle of power, like the Valerii Messallae, an old patrician stirps. Here, we focus on M. Valerius Messalla Messallinus (cos. 3), a member of the gens Valeria, son of Messalla Corvinus (cos. 31), whose career took place above all during Augustus' principate. The two parts of this great career are examined: the cursus honorum on the one hand, the priesthoods on the other. We can wonder if he served the Princeps or the res publica. The principate has indeed changed the political practices and the senators have sometimes been considered as supporters of the adulatio Principis. And yet, Messallinus, like many others, served both res publica and the emperor, because the most important thing was the perpetuation of the gens.
- Nicolas Desmaretz et la prise de décision au conseil du roi - Stéphane Guerre p. 589-610 Le dernier contrôleur général du règne de Louis XIV Nicolas Desmarets est‑il un ministre faible sans réel pouvoir politique au même titre que certains de ses prédécesseurs ou au contraire joue‑t‑il un rôle dans la prise de décision ? Cette question implique de s'intéresser d'abord aux raisons qui ont poussé le monarque à promouvoir cet homme longtemps disgracié. Au contraire de la plupart des ministres de la fin du règne nommé selon le goût du roi, le neveu de Colbert doit son retour en grâce à son expertise reconnue dans le domaine financier à un moment où l'État est au bord de la banqueroute. Cette réputation se consolide encore par la manière dont le nouveau contrôleur réorganise d'emblée son administration et conçoit l'exercice de sa charge. Elle est le fondement de son autorité au Conseil d'en haut à un moment où celui‑ci redevient un organe de décision important. L'expertise de Desmarets y est alors fondamentale, car elle oblige le pouvoir à reformuler certaines propositions politiques et à les adapter aux possibilités financières réelles de l'État. En ce sens, notre homme incarne une forme de rationalité qui s'impose au roi au point que celui‑ci le met en situation de valider ou non certains projets. Desmarets joue donc un rôle réel dans la prise de décision. Son cas montre que la ligne de partage entre administration et politique est plus poreuse que ne le laisse penser souvent l'opposition entre ces deux termes.Was Nicolas Desmarets, last Controller‑General of Louis XIVth's reign, a weak and powerless minister, like many of his predecessors or did he play a crucial role in the decision‑making ? To answer this question, it is necessary to look into the reasons which induced the king to promote this formerly disgraced man. Whereas most ministers were chosen according to the king's taste, Colbert's nephew owed his come back to his well-known financial expertise, at a time when the State was on the brink of bankruptcy. His reputation was further consolidated by the way he reorganised his administration and by his sense of duty. This gave him authority in the Conseil d'en haut at a time when it was becoming again an essential organ of decision. Desmarets's expertise was crucial since it forced the king to change some political decisions and to adapt them to the financial realities of the State. Our man epitomizes a form of rationality which forced itself upon the king to the point of allowing him – or not – to enforce a project. Therefore Desmarets played an essential role in the decision‑making. His example proves that the line between administration and politics is much more porous than the usual opposition would have us believe.
- L'organum aux xiie et xiiie siècles : le discours musical comme stratégie de communication ou la légitimation implicite de l'autorité épiscopale - Guillaume Gross p. 487-510
Mélanges
- L'irruption de l'événement dans le temps de l'Histoire. Rythmique événementielle et longue durée selon Alphonse Dupront (1905?1990) - Sylvio Hermann De Franceschi p. 611-636
- L'imaginaire républicain en France, de la Révolution française à Charles de Gaulle - Sudhir Hazareesingh p. 637-654
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 655-699