Contenu du sommaire : Parentés, plaisanteries et politique
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 184, 2006 |
Titre du numéro | Parentés, plaisanteries et politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Pactes, alliances et plaisanteries : Pratiques locales, discours global - Cécile Canut, Étienne Smith p. 687-754
- Sang, lait, distance et plaisanterie : Articulations et « assèchements » des alliances au Maasina (Mali) - Claude Fay p. 755-778 Les relations plaisantes se pratiquent au Maasina d'une part entre groupes ayant contracté un pacte de confiance (hoolaare), forme locale des alliances dites cathartiques, d'autre part entre groupes ou individus en relation de cousinage. Elles semblent constituer, avec l'insulte, l'évitement, le quémandage ou les dons réciproques, un ensemble de marqueurs dans un système plus général de distribution d'identités collectives (notamment ethniques) contraposées. Ce système opère entre les deux pôles articulés de la disjonction (ou dissimilation) et de la consubstantialisation (par le sang et le lait) des groupes concernés et semble très orienté par la dimension territoriale. On examine comment ces marqueurs peuvent glisser et les frontières se déplacer dans l'histoire des relations inter-groupes, et la façon dont les modèles relationnels sont occultés, euphémisés ou manipulés dans le cadre des reformulations contemporaines des paradigmes du pouvoir et de la propriété.
- Identités et relations de plaisanterie chez les Peuls de l'ouest du Burkina Faso - Youssouf Diallo p. 779-794 L'article, qui porte sur les relations de plaisanterie chez les pasteurs peuls et leurs voisins sédentaires de l'ouest du Burkina Faso, décrit les aspects historiques et actuels de cette institution sociale. Il souligne l'importance et la variété des formes des plaisanteries interethniques qui tiennent à la dispersion des Peuls et à la nécessité pour eux de s'intégrer dans les sociétés sédentaires. Sont discutées, outre les équivalences, homologies et formes de familiarité au sein même du groupe peul, les relations de plaisanterie peules/non-peules de même que l'alliance entre Peuls et forgerons.
- Practical Joking - Robert Launay p. 795-808 La pratique de la plaisanterie. La littérature théorique sur le comportement des parents à plaisanterie s'est intéressée en priorité à la nature même des relations - oncles maternels et neveux, grands-parents et petits-enfants, hommes libres et esclaves, certaines relations hiérarchiques, etc. Cette approche ignore le fait essentiel qu'un tel comportement n'est jamais obligatoire ni automatique mais doit toujours s'appuyer sur un exemple. L'observation de la pratique de la plaisanterie montre que les relations à plaisanterie ne sont pas le produit de l'application mécanique de règles logiques, mais plutôt le produit de stratégies qui déterminent quand et comment ces règles peuvent être invoquées. Ni la pratique ni le sens de ces règles supposées ne sont prédéterminés. Elles demeurent capables de créer et de bouleverser les relations de hiérarchie et d'égalité, de susciter ou d'apaiser l'agression.
- Joking Kinship as a Syncretic Institution - Dennis Galvan p. 809-834 Les relations à plaisanterie dans une institution syncrétique. En s'appuyant sur l'examen empirique des relations à plaisanterie dans un groupe de villages serer au Sénégal et chez les migrants de Dakar, cet article parvient à trois conclusions. Premièrement, la parenté à plaisanterie est mieux comprise à travers la théorie sociale pragmatiste et constructiviste en termes de syncrétisme institutionnel, processus qui consiste à désassembler les institutions dérivées d'une origine multiple afin de mettre ensemble de nouvelles structures recombinantes. Deuxièmement, concevoir la parenté à plaisanterie en termes de syncrétisme déstabilise fondamentalement les efforts visant à l'utiliser comme une variable indépendante pour justifier la coopération ethnique et la construction de la nation. Malgré cela, une version limitée et modifiée de l'analyse positiviste est possible à la lumière du syncrétisme. Enfin, le syncrétisme institutionnel permet d'éloigner la discussion de la parenté à plaisanterie des stériles débats primordialistes-instrumentalistes et universalisme-particularisme pour s'orienter vers une anthropologie politique plus solide des compréhensions changeantes et des déploiements divers des éléments de la culture soi-disant "traditionnelle".
- Joking for Peace. Social Organization, Tradition, and Change in Gambian Conflict Management - Mark Davidheiser p. 835-859 Plaisanteries pour la paix : organisation sociale, tradition et changement dans la gestion des conflits en Gambie. La littérature anthropologique du XXe siècle présente la parenté à plaisanterie comme favorisant la cohésion sociale et l'apaisement des conflits. Toutefois, les sciences sociales ont largement répudié le fonctionnalisme structurel, et compte tenu de la mondialisation et de ce qu'on sait aujourd'hui de la nature élastique de la tradition, une étude sur le rôle des relations à plaisanterie dans la conciliation est nécessaire. Cet article examine le rôle actuel des relations à plaisanterie dans la gestion des conflits en Gambie. Certaines affinités particulières comme la parenté à plaisanterie ont en effet joué un rôle déterminant dans l'apaisement des conflits, ce qui montre que les Gambiens ruraux confrontés à un changement de situation continuent de se replier sur des pratiques sociétales familières. Cette observation a des implications pour la résolution des conflits en Occident et ailleurs. Les efforts de médiation menés du haut vers le bas n'ont pas réussi à résoudre de nombreux conflits importants et les résultats mitigés des efforts occidentaux ont suscité un intérêt croissant pour la conciliation au niveau local. Analyser comment ces groupes et individus servent d'intermédiaires dans des différents contextes sociétaux et identifier des aspects universels et particuliers du processus de médiation peut jeter un nouvel éclairage sur l'éternel défi de la conciliation. Chez les Gambiens, l'utilisation d'affinités particulières pour modérer les disputes offre un ensemble de leçons pour ceux qui souhaitent améliorer la praxis de la résolution de conflits.
- « Bobo buveurs, Yarse colporteurs » : Parenté à plaisanterie dans le débat public burkinabè - Sten Hagberg p. 861-881 Avec les processus de démocratisation et de décentralisation, on constate l'émergence des nouvelles configurations politiques et culturelles en Afrique. Il y a actuellement de plus en plus de revendications identitaires sur la base de l'autochtonie, d'une tradition quelconque ou bien de n'importe quelle légitimité historique. Pour comprendre les nouvelles configurations politiques et culturelles dans le contexte de la démocratie, je démontrerai comment les institutions variablement appelées « parenté à plaisanterie », « alliances cathartiques » ou « alliances à plaisanterie » sont utilisées et réappropriées dans le débat public burkinabè. Il s'agit d'une analyse sur les références des acteurs politiques, dans un sens large du terme, à « la parenté à plaisanterie » dans le débat public avec un accent particulier sur la presse écrite. Sur la base d'une étude de cas de l'hebdomadaire satirique le Journal du Jeudi, je démontre comment la parenté à plaisanterie est pratiquée simultanément pour divertir et critiquer. Une des lignes éditoriales de ce journal est de promouvoir la parenté à plaisanterie et d'insulter les parents à plaisanterie des Peuls, notamment les Bobo et les Yarse. Si souvent cette ligne éditoriale se manifeste, faisant, sous formes de simples moqueries, allusion à la consommation de bière de mil des Bobo et à l'esprit commercial des Yarse, la plaisanterie est également utilisée et instrumentalisée pour servir la satire politique. La parenté à plaisanterie est ainsi replacée dans un contexte des libertés de presse, de la corruption, de l'impunité et de la récupération politique et politicienne des revendications identitaires au Burkina Faso.
- Le discours diplomatique et démagogique du cousin plaisant au Mali - Denis Douyon p. 883-906 Quand un Bozo et un Dogon entretiennent des propos très libres, on dit qu'ils le font parce qu'ils sont « cousins » : mangu. Cette relation est nommée en d'autres milieux par des termes renvoyant soit à un lien de sang de parenté, en l'occurrence le « cousinage » (dendiraagu en fulfulde, baaseterey en songoi, tububusha en tamasheq), soit à un pacte (yaraga chez les Minyanka, bariro ou ciabari en bwa, tursènè en dafing, zinkuntè en senoufo et sinankuya en bamanan). La sinankuya évoque une alliance entre des individus sous la protection du « jo » (force positive quand le serment est respecté, et négative quand il est transgressé). Le mangu dogon qui existe entre consanguins et alliés est sacré ou profane selon les circonstances, les lieux et les acteurs impliqués dans la production et la consommation de « discours plaisants ». En ville et a fortiori dans la capitale, ces discours à plaisanterie sont proférés dans certaines circonstances de la vie politique malienne dans le but de bénéficier des faveurs de la masse : diplomatie ou démagogie ?
- La nation « par le côté » : Le récit des cousinages au Sénégal - Étienne Smith p. 907-965 La production d'un discours irénique de promotion des cousinages au Sénégal doit être replacée dans le contexte d'un récit nationaliste en crise. L'article passe en revue les différentes initiatives d'entrepreneurs culturels qui ont tenté, en réaction à la wolofisation (homogénéisation) et au conflit en Casamance (séparatisme), de faire des cousinages des moyens de penser la nation sénégalaise comme un kaléidoscope de petites patries ethniques alliées. Ce récit des cousinages peut se comparer à la promotion des petites patries dans la France de la IIIe République, dont il partage certaines impasses culturalistes.
- Construction des discours identitaires au Mali : Ethnicisation et instrumentalisation des senankuya - Cécile Canut p. 967-986 Dans une optique d'anthropologie du langage, l'étude des relations à plaisanterie ou senankuya au Mali nécessite d'examiner l'ensemble des interactions produites afin de montrer combien elles sont conditionnées à la fois par la relation à l'altérité et par le régime de domination. Face à ces relations quotidiennes et hétérogènes, la récente formation discursive qui porte sur ces pratiques en provenance de plusieurs instances énonciatrices (discours politiques, discours des organismes de développement, discours médiatiques, discours associatifs, discours scientifiques, etc.) tend au contraire à les fonctionnaliser ou les essentialiser. La dimension culturaliste et l'instrumentalisation politique qui en résulte feront l'objet de l'analyse de l'article dans le cadre de la construction des États-nations.
- L'africanité à travers le prisme des relations à plaisanterie : Étude d'un essentialisme au long cours - Marie-Aude Fouéré p. 987-1012 Malgré la multiplicité des instances énonciatives concernées par les pratiques de « relations à plaisanterie », on note une même tendance à reproduire, sans les soumettre à un examen critique, les imaginaires de l'Afrique et des Africains construits par l'africanisme classique. Ces imaginaires s'ancrent dans une vision essentialiste de l'africanité couplée à une perspective non critique de la notion de « tradition ». La promotion des « relations à plaisanterie » dans la résolution des conflits en Afrique s'inscrit dans une approche afrocentrée de la réalité africaine. Les discours qui définissent l'africanité en termes raciaux, géographiques et culturels ont ceci de paradoxal qu'ils cherchent à asseoir la participation de l'Afrique à l'humanité en générale sur l'exacerbation de la différence.
- Analyses et comptes rendus - p. 1013-1032