Contenu du sommaire : Tourismes. La quête de soi par la pratique des autres
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 193-194, 2009 |
Titre du numéro | Tourismes. La quête de soi par la pratique des autres |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Corps et âmes. Conversions touristiques à l'africanité - Julien Raout, Nadège Chabloz p. 7-26
Imaginaires d'hier et d'aujourd'hui
- « Découvrir l'âme africaine » : Les temps obscurs du tourisme culturel en Afrique coloniale française (années 1920-années 1950) - Sophie Dulucq p. 27-48 Des années 1920 aux années 1950, des formes précoces de tourisme ont émergé en Afrique tropicale sous domination française. Ce tourisme s'est essentiellement structuré autour d'activités de nature (safari, pêche), mais il s'est également concentré sur la découverte des cultures locales, contribuant dès l'Entre-deux-guerres à leur « mise en forme » et à leur « mise en scène ». Administrateurs coloniaux, opérateurs privés et voyageurs eux-mêmes ont ainsi amorcé un processus d'« invention » du patrimoine touristique africain, autour de sites repérés (Tombouctou, falaise dogon, etc.) et d'activités codifiées (achats d'objets artisanaux sur les marchés, assistance à des « tam-tam » et des danses cérémonielles, etc.). Si peu développé qu'ait alors été ce tourisme, il a néanmoins eu des effets de retour sur les sociétés et les cultures locales et a construit des représentations pérennes de ce qui était « touristiquement pertinent » en Afrique.
- Imaged or Imagined ? : Cultural Representations and the "Tourismification" of Peoples and Places - Noel B. Salazar p. 49-72 Les différentes façons dont les peuples et les lieux sont représentés dans les médias populaires ont un impact immense sur la manière qu'ont les touristes d'imaginer et de prévoir leurs futures destinations. Bien que les discours sur le tourisme prennent des formes diverses et variées, les images semblent avoir la plus grande influence sur la façon dont les touristes rêvent leurs voyages. Basé sur un travail de terrain ethnographique, ce texte illustre les processus dynamiques de tourismification culturelle dans ce qu'on appelle « le circuit du nord » de Tanzanie. Dans beaucoup d'endroits du monde, les documentaires célèbres sur la nature, les divertissements grand-public de Hollywood et les films plus ou moins biographiques de cette région sont devenus des icônes à la mode pour l'Afrique sub-saharienne, renforçant souvent une vision nostalgique du continent noir comme un Eden sauvage inexploré et figé dans le temps. Alors que les représentations du tourisme se sont principalement centrées sur la faune et la flore, une large demande « de rencontrer des gens » se fait sentir. De plus en plus, le tourisme culturel fait entrer la population dans le paysage. On montre fréquemment les habitants pratiquant des rituels vibrants ou habillés de costumes de cérémonie dans des mises en scène sans authenticité. En exemple, ce texte traite de l'image idéalisée du guerrier massa ï, viril, paré dans des couvertures rouges et orné de bijoux, qui mène à une vraie « massa ï-mania » qui affecte profondément la vie quotidienne et la culture des Massa ï et d'autres groupes ethniques.
- « Découvrir l'âme africaine » : Les temps obscurs du tourisme culturel en Afrique coloniale française (années 1920-années 1950) - Sophie Dulucq p. 27-48
Passeurs culturels et prestataires sexuels
- « Guides, guidons et guitares » : Authenticité et guides touristiques au Mali - Anne Doquet p. 73-94 Au Mali, pays toujours perçu et vendu comme une terre d'authenticité où prévaut le tourisme culturel, l'esprit de rencontre et de partage avec les populations, le touriste de MacCannell prend tout son sens. Mais la rencontre escomptée est-elle possible ? Pour différentes raisons (pas uniquement linguistiques), elle est médiatisée par des acteurs très peu analysés dans la littérature sur le tourisme. Cet article tente d'éclairer les liens entre les guides touristiques et la quête d'authenticité de leurs clients. La question de l'authenticité est d'abord questionnée dans sa double nature, que Selwyn qualifie de « froide » et « chaude ». Les stratégies des guides pour nourrir cette double quête sont analysées, en même temps qu'est relativisé le caractère trompeur de leur activité. Si les guides parviennent à instaurer avec leurs clients une relation fraternelle transférable à l'ensemble des villageois, leur talent réside plus dans la connaissance et l'adéquation des réponses aux désirs touristiques que dans des mises en scène factices et artificielles. La question de l'authenticité est alors reconsidérée sur le terrain malien. Préexistante au tourisme, l'émergence de la notion dans les politiques culturelles du pays inaugurait la convergence des politiques culturelles et touristiques, et celle de leurs manifestations. Cette fusion met en question l'idée de simples mises en scène nourrissant les désirs étrangers au profit du dynamisme culturel. Tels des courtiers en développement, les guides peuvent devenir des acteurs sociaux et culturels du Mali contemporain, rejoignant une élite politico-intellectuelle active dans la reconstruction contemporaine des identités. Enfin, l'article se penche sur la nature des relations entre les guides et leurs clients, fortement marquées par l'ambivalence. Le traitement paradoxal des colonisés par les colons semble aujourd'hui se reproduire dans celui des ex-colons par les ex-colonisés. Héritière de situations antérieures de violence et de domination coloniales, la rencontre touristique porte en elle ce paradoxe et s'avère pour cette raison plus authentique qu'elle ne paraît.
- Culture nomade versus culture savante : Naissance et vicissitudes d'un tourisme de désert en Adrar mauritanien - Sébastien Boulay p. 95-122 Le tourisme organisé a pris son essor dans la région de l'Adrar (Mauritanie) à partir de 1996. Les circuits commercialisés par leurs promoteurs français articulent « tourisme d'aventure », proposant des randonnées chamelières dans le désert, et « tourisme culturel », ciblant la découverte du patrimoine culturel local. La naissance du fait touristique en Adrar suppose des processus de fabrication et de mise en visite d'une « culture locale », mobilisant différents types d'acteurs et suscitant des ajustements de représentations et de pratiques. Ce sont ces processus à l'interface que ce texte se propose de décrire et d'analyser.
- Du tourisme culturel au tourisme sexuel : Les logiques du désir d'enchantement - Corinne Cauvin Verner p. 123-146 Une enquête monographique conduite au Maroc sur des circuits de randonnées « à la rencontre des peuples du Sahara » montre que les touristes sont fréquemment déçus. Ils ne parviennent ni à authentifier des Bédouins devenus des professionnels du tourisme, ni à se singulariser en voyageant en groupe, ni à vivre une aventure tout en respectant un programme. Un type d'interactions semble toutefois réaliser les prophéties d'enchantement délivrées par les brochures, lorsque les randonneuses ont un échange sexuel avec leur guide : une intimité se construit qui transcende alors la situation touristique par un équivalent de rite d'agrégation. Mais ces romances, en ce qu'elles permettent de renégocier les statuts et les rapports de pouvoir, présentent aussi un caractère agonistique très marqué.
- Antiquaires et businessmen de la Petite Côte du Sénégal : Le commerce des illusions amoureuses - Christine Salomon p. 147-174 Dans un contexte de précarité économique et d'obstacles à partir au Nord, l'arrivée massive de touristes -dont des femmes seules- susceptibles de fournir des compensations pour des services rendus, paraît avoir engendré au Sénégal une proposition de prestations sexuelles qui n'existait pas, du moins à cette échelle et sous cette forme. Le phénomène a acquis sur la Petite Côte, première destination touristique du pays, une visibilité incontestable. L'article s'appuie sur les récits d'hommes, désignés sous le terme générique d'« antiquaires », qui ne vendent pas forcément des objets, mais s'engagent dans des transactions sexuelles avec des vacancières venues d'Europe, souvent plus âgées qu'eux. Il décrit les compétences mobilisées pour réussir dans cette activité, interroge la réorganisation des rapports sociaux de sexe qu'elle implique et souligne la complexité des significations possibles pour les acteurs eux-mêmes. L'étude discute enfin le rôle de culture brokers parfois attribué aux beach boys ailleurs en Afrique.
- « Guides, guidons et guitares » : Authenticité et guides touristiques au Mali - Anne Doquet p. 73-94
Circulations artistiques transnationales
- Au rythme du tourisme : Le monde transnational de la percussion guinéenne - Julien Raout p. 175-202 Mis à part le tourisme d'affaires et quelques circuits de trekking dans le Fouta-Jalon, le tourisme en Guinée est porté par un engouement international grandissant pour les percussions et les danses traditionnelles. Le tambour jembé, l'instrument emblématique de la culture guinéenne, attire chaque année des centaines de touristes désirant perfectionner leur pratique musicale et découvrir le pays d'origine de leur instrument d'élection. Nous proposons d'étudier ce tourisme du rythme, émergent en Guinée depuis la fin des années 1980, en replaçant le phénomène dans le cadre de l'accélération des transformations musicales et de la circulation des artistes depuis la décolonisation. Comment cette nouvelle économie du tourisme musical génère des réseaux transnationaux d'artistes, suscite localement des vocations artistiques mais provoque également des tensions autour d'un patrimoine musical désormais partagé ?
- Danser l'Orient : Touristes et pratiquantes transnationales de la danse orientale au Caire - Julie Boukobza p. 203-226 La danse orientale professionnelle au Caire est une activité touristique. Les professionnels de ces spectacles ont adapté leurs prestations aux attentes des publics. La relation de domination imposée par la demande touristique est renversée par un mécanisme de récupération du savoir-danser sous une bannière locale. Une large audience cairote est présente à ces spectacles, montrant combien cette danse fonctionne comme une vitrine de soi, agréée par une partie de la population. Les danseuses étrangères, présentes au Caire depuis un quart de siècle, oscillent entre la conformité au modèle et des stratégies de défense de leurs différences. Un festival annuel au Caire cristallise ces enjeux au niveau du réseau actuel des pratiquantes mondiales de la danse orientale.
- Inspiration triangulaire : Musique, tourisme et développement à Madagascar - Marie-Pierre Gibert, Ulrike Hanna Meinhof p. 227-256 Cet article explore les relations complexes liant musique, tourisme et développement à Madagascar et en Europe. Trois parcours de « développeurs » sont analysés, où se construisent des relations d'échange et de soutien mutuel entre musiciens et organisations humanitaires et dans lesquels le tourisme a tantôt joué le rôle de déclencheur, tantôt au contraire découle de cette rencontre entre membres d'une ONG et artistes. Nous faisons l'hypothèse que l'arrivée dans le duo développement-tourisme d'une troisième dimension, celle des pratiques culturelles (ici la musique), et plus particulièrement de leurs acteurs, les musiciens, permet de dépasser les incompréhensions entre membres d'une ONG venus d'Europe et population malgache qu'ils sont venus aider. Ce triangle de support mutuel permet de rééquilibrer ? en partie au moins ? les inégalités inévitablement créées par ces pratiques d'aide à sens unique.
- « La tarentule est vivante, elle n'est pas morte » : Musique, tradition, anthropologie et tourisme dans le Salento (Pouilles, Italie) - Elina Caroli p. 257-284 Cet article montre comment dans le Salento, une région fortement ethnologisée, a été impulsé un tourisme culturel qui prend appui sur la patrimonialisation et la mise en scène de traditions qui ont fait l'objet du regard anthropologique. Le catalyseur du succès du Salento durant les dix dernières années est la taranta, le produit de la relecture d'une manière positive du tarentisme, comme il avait été décrit notamment par de Martino. Dans cette contribution, le cas de figure du Salento a été analysé, à partir de mes propres matériaux d'observation, et en comparaison avec le processus analogue qui se produit au Mali et notamment en Pays dogon.
- "We Offer the Whole of Africa Here !" : African Curio Traders and the Marketing of a Global African Image in Post-apartheid South African Cities - Aurelia Wa Kabwe-Segatti p. 285-308 Commerçants de bibelots africains et commercialisation d'une image africaine globale dans les villes sud-africaines après l'apartheid. À partir d'un travail de terrain de deux ans dans et aux alentours de Johannesburg, cet article montre comment l'émergence de « marchés africains », dans les paysages urbains post-apartheid, est venue combler une niche créée par la production d'images commercialisables du pays, et par extension, du continent. L'analyse se concentre sur le processus créatif à l'oeuvre autour de l'identification et des lectures multiples d'une identité africaine « cosmopolite » par différents groupes d'acteurs (les municipalités sud-africaines, le secteur privé et les commerçants migrants). On tente de montrer comment ce processus a servi les attentes immédiates et contrastées des acteurs mais n'a pas nécessairement conduit à renverser durablement les clichés négatifs sur la migration africaine. Le cadre théorique de la notion d'entrepreneur ethnique est ainsi appliqué au contexte sud-africain. Cet article documente les pratiques et les activités de la vente d'objets artisanaux africains dans les villes sud-africaines, les produits vendus, les réseaux commerçants et les imaginaires sur lesquels les perceptions des migrants, des gérants de marché et des conseillers municipaux reposent et à leur tour contribuent à alimenter. Après avoir décrit le contexte culturel et politique de l'industrie touristique sud-africaine et donné un aperçu de l'étendue des nouveaux réseaux commerçants et migratoires inter et intra-urbains, cet article étudie l'imagerie de l'Afrique qui est véhiculée par les publics sud-africains et internationaux et par sa généalogie.
- Au rythme du tourisme : Le monde transnational de la percussion guinéenne - Julien Raout p. 175-202
Détournements politiques
- Les scènes de la danse : Entre espace touristique et politique chez les Peuls woDaaBe du Niger - Mahalia Lassibille p. 309-336 Le tourisme culturel trouve dans les danses un ressort non négligeable. Les touristes viennent les admirer en même temps que les autorités locales en font la promotion. Or, en 2004, les Peuls woDaaBe décidèrent de ne plus participer à la « Cure Salée », fête intégrée au circuit touristique par le gouvernement nigérien, alors que leurs danses en sont une attraction. Ils organisent à la place leur « Assemblée » pour attirer les touristes à eux et officialiser ainsi leurs revendications auprès des autorités politiques. Cet article développe une analyse micro-anthropologique de cette assemblée en se centrant sur les interactions entre touristes, WoDaaBe et autorités. Il s'agit de dégager les réseaux par lesquels les touristes arrivent à l'Assemblée, en pleine brousse nigérienne, et dans lesquels les WoDaaBe s'avèrent très actifs. Le but est aussi de saisir les imbrications entre les acteurs qui dépassent les catégories « touriste » et « autochtone », et de considérer la danse comme pivot, entre espace touristique et politique.
- Le festival, le bois sacré et l'Unesco : Logiques politiques du tourisme culturel à Osogbo (Nigeria) - Saskia Cousin, Jean-Luc Martineau p. 337-364 Cet article propose d'étudier le processus de classement au patrimoine mondial (Unesco) du bois sacré d'Osogbo (Nigeria) en 2005, ses objectifs touristiques et ses enjeux politiques. Il s'intéresse à la manière dont les acteurs (ambassadeur, experts, élus, roi) peuvent s'approprier le classement au patrimoine mondial et la valorisation touristique. L'inscription du bois sacré au patrimoine mondial est utilisée par les autorités locales, à plusieurs titres. Elle permet de promouvoir le festival d'Osogbo et d'avaliser une réécriture de l'histoire propice à la promotion touristique. Ici, comme ailleurs, cette histoire est le fruit d'un travail de sélection, voire d'invention, d'éléments susceptibles de marquer le caractère unique et extra-ordinaire des lieux. Mais derrière ce premier objectif touristique, explicite, se profilent d'autres enjeux, plus anciens, liés à l'organisation du territoire nigérian et à l'ambition d'Osogbo de peser dans la construction d'une identité yoruba régionale. Le tourisme n'est pas ici une fin, mais un outil au coeur des enjeux de pouvoirs et de représentation de soi.
- Imaginaire national et imaginaire touristique : L'artisanat au Musée national du Niger - Julien Bondaz p. 365-390 Le Musée national du Niger à Niamey apparaît comme un lieu institutionnel essentiel de la mise en tourisme de la culture, une « zone de contact » (James Clifford) entre deux types de représentations, les unes nationales, les autres touristiques. Ces deux imaginaires entrecroisés s'expriment en particulier dans les différentes pratiques artisanales mises en scène comme patrimoine immatériel dans le centre artisanal du musée. En tant que Musée national, le musée vise alors explicitement la construction et le renforcement d'une identité nationale et favorise l'« artisanat national » (poterie, bijouterie, maroquinerie). En tant qu'institution culturelle, visitée par de nombreux touristes (plus de 11 000 en 2006), il intègre des représentations plus larges de l'Afrique, en important certaines pratiques artisanales (sculpture sur bois et batik). Cette double vocation du musée apparaît en particulier dans l'invention d'une tradition nationale et touristique, les croix touarègues régionales. C'est finalement moins en effet la mise en scène de la Nation ou la mise en tourisme de la culture qui est proposée par le Musée national du Niger, que la rencontre des imaginaires national et touristique.
- Les scènes de la danse : Entre espace touristique et politique chez les Peuls woDaaBe du Niger - Mahalia Lassibille p. 309-336
Retours aux sources
- Tourisme et primitivisme : Initiations au bwiti et à l'iboga (Gabon) - Nadège Chabloz p. 391-428 Cet article apporte un éclairage sur les ressorts d'une pratique touristique que nous appellerons « mystico-spirituelle et thérapeutique », en partie basée sur la figure du primitif. L'étude des parcours et des discours de Français partis s'initier au bwiti, un rite initiatique gabonais utilisant les racines d'une plante, l'iboga, ainsi que de ceux qui ont médiatisé et souvent initié cette pratique en France, permet de mieux comprendre les différents registres et les différentes représentations concernant le primitif. Ces représentations, multiformes, souvent ambivalentes, évoluent en fonction des situations vécues par les touristes. On tentera tout d'abord de décrire cette pratique touristique, ainsi que les personnes qui la mettent en oeuvre, la médiatisent et l'expérimentent. On s'emploiera ensuite à définir les différentes acceptions de la notion de primitif et de primitivisme à travers les discours et les pratiques des acteurs. Enfin, nous nous attacherons à analyser de quelles manières ces représentations et ces pratiques primitivistes viennent conforter ou contredire les idéologies et les lieux communs du tourisme dit culturel ? notamment celles portant sur la « rencontre avec l'autre », une meilleure compréhension entre les peuples et la sauvegarde des traditions locales.
- Marketing Vodun : Cultural Tourism and Dreams of Success in Contemporary Benin - Jung Ran Forte p. 429-452 Depuis les années 1990, tout en suivant un chemin similaire à ceux d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest, la République du Bénin s'est lancée dans le domaine du tourisme culturel dans lequel l'histoire, les traditions ethniques, les valeurs ancestrales et les connaissances indigènes apparaissent comme des attractions principales. L'étude des développements récents de l'industrie touristique béninoise illustre les façons par lesquelles les significations et les biens marchands sont produits dans les espaces de rencontre entre les touristes et les « hôtes ». Par la reconstruction des récits biographiques polyvocaux de deux femmes engagées dans le tourisme -un guide touristique et une prêtresse vodun-, j'analyse les réponses locales aux flux touristiques, tout en questionnant l'enchevêtrement des marchés globaux et des circuits de consommation culturelle. Dans cet article, l'appréhension de la production de l'« Africanité » et de la « tradition », ainsi que l'objectification de la culture en biens marchands sont éclaircies par l'examen des dynamiques qui ont transformé les cultes vaudou en héritage culturel national, mémoire de l'esclavage et, par la suite, en attraction touristique. En brouillant la distinction entre mondes touristiques et vie quotidienne, et en juxtaposant les politiques étatiques aux récits de vie, cet article rend compte du point de vue des agents locaux, des façons par lesquelles ils performent et perçoivent leur culture dans la rencontre avec les « autres », en devenant « entrepreneurs » et en aspirant au succès.
- Back to the Land of Roots : African American Tourism and the Cultural Heritage of the River Gambia - Alice Bellagamba p. 453-476 À la fin des années 1960, le journaliste et romancier africain-américain, Alex Haley, a identifié le petit village rural de Juffureh, situé à l'embouchure du fleuve Gambie, comme l'endroit où les commerçants d'esclaves ont enlevé son ancêtre Kunta Kinte afin de le vendre, comme esclave, de l'autre côté de l'Atlantique. Quelques années plus tard, en 1976, la publication du roman Racines et la production d'une série télévisée portant le même titre ont attiré l'attention de la communauté internationale sur la petite République de Gambie, et ont inauguré une tradition de rencontres entre Gambiens et touristes africains-américains. Cet article traite de la commémoration de la traite atlantique des esclaves et de l'utilisation d'un tel héritage comme ressource touristique dans la Gambie d'aujourd'hui. Ce thème est illustré par deux initiatives commerciales entreprises à la fin des années 1990, toutes deux destinées à « vendre » la patrie de Racines à un public de touristes africains-américains. La première a été la création d'un musée de l'esclavage dans la localité d'Albreda, près de Juffureh ; la seconde, une cérémonie initiatique organisée, en 2000, par la petite communauté jola, près de la capitale Banjul, pour un groupe d'étudiants africains-américains.
- "Find their Level" : African American Roots Tourism in Sierra Leone and Ghana - Adia Benton, Kwame Zulu Shabazz p. 477-512 Dans beaucoup de « pays en voie de développement » et dans les nations africaines sortant d'un conflit armé, on a vanté les mérites du tourisme culturel comme une source essentielle de revenu pour faire redémarrer le développement national. Cette tendance a entraîné une ruée chez les fonctionnaires africains pour vendre une certaine image de leur pays dans le but d'attirer la clientèle « de la diaspora » : les descendants du Middle Passage qui voyagent en Afrique à la recherche de « leurs racines » culturelles et historiques. Cette nouvelle situation est encore compliquée par le fait que l'organisation et la réalisation d'un programme de promotion nationale négligent fréquemment le citoyen ordinaire. Ainsi, le programme de ces États-nations est parfois en désaccord avec les aspirations des habitants locaux et des touristes pan-africains. De plus, cette tendance a contribué à un dérapage conceptuel considérable, et a eu, pour conséquence, des débats véhéments sur le sens et sur les critères de l'africanité. Dans d'autres cas, cette situation a transformé et durci les idées reçues sur l'identité africaine. Une comparaison ethnographique d'un pays en développement, le Ghana, avec un pays sortant d'un conflit armé, le Sierra Leone, peut approfondir et diversifier la compréhension de ce phénomène panafricain émergent ainsi que de ses possibilités afférentes comme de ses limites. Nous examinons comment ces intérêts complémentaires et contradictoires, ces croyances et ces pratiques convergent pour former de nouveaux modes de pèlerinage, de nationalité, de dialogue transnational et de mondialisation.
- Tourisme et primitivisme : Initiations au bwiti et à l'iboga (Gabon) - Nadège Chabloz p. 391-428
Désillusions exotiques
- Les déçus de Tombouctou - Marco Aime p. 513-524 Cet article se propose d'étudier la construction du mythe de Tombouctou dans l'imaginaire collectif occidental, entre découverte géographique et représentation mythique du lieu. Il montre ensuite comment cet imaginaire conditionne les touristes qui visitent aujourd'hui cette ville du Mali. Les récits du Moyenage jusqu'à ceux des explorateurs et voyageurs européens des XIXe et XXe siècles, font de Tombouctou un lieu de plus en plus mythique. L'article explique pourquoi les voyageurs qui se rendent pour la première fois à Tombouctou sont souvent très déçus.
- Désillusions et stigmates de l'exotisme : Quotidiens d'immersion culturelle et touristique au Sénégal - Hélène Quashie p. 525-550 Les contextes de semi-résidence touristique et d'expatriation au Sénégal favorisent l'étude d'interactions quotidiennes entre des groupes sociaux minoritaires de ressortissants européens/occidentaux et leurs voisins locaux. Cette cohabitation avec l'Autre semble renforcer l'élaboration de frontières et stéréotypes, assez proches dans leurs fondements de ceux que l'on retrouve dans des contextes touristiques plus classiques. L'analyse des rapports sociaux que cette « rencontre culturelle » instaure et de son environnement sociopolitique et identitaire révèle l'existence de regards et représentations croisés particulièrement conflictuels et ambigus.
- Tourisme d'oasis. Les mirages naturels et culturels d'une rencontre ? - Vincent Battesti p. 551-582 Ce texte s'articule sur deux terrains ethnographiques oasiens : en Tunisie dans la région arabophone du Jérid et dans l'oasis berbérophone égyptienne de Siwa. L'inclination contemporaine du tourisme est clairement au « culturel ». Moins qu'une opposition entre des « touristes culturels » et des touristes qui ne le seraient point, il s'agit surtout d'un zèle chez les uns et les autres à mettre en oeuvre une nouvelle ressource, un nouveau registre de pratiques touristiques. Les émotions esthétiques ont aussi évolué (du pittoresque à l'authenticité), avec l'exigence d'un accès direct et vrai à la culture locale. Plus que le panorama en surplomb offert depuis les inselbergs qui entourent Siwa ou les montgolfières à Tozeur, rien ne vaut désormais d'assister à un « vrai » mariage, à une « vraie » fête des jeunes travailleurs enivrés sous les palmiers. Quiproquo et simulacres laissent place cependant aussi à une satisfaction. Il se crée peut-être une « novlangue » coproduite entre touristes et interface locale, amalgamant préservation identitaire (diversité culturelle) et préservation éco/biologique (biodiversité).
- Les déçus de Tombouctou - Marco Aime p. 513-524
Chronique filmographique
- Le tourisme et les images exotiques - Jean-Paul Colleyn, Frédérique Devillez p. 583-594 Le tourisme s'inscrit dans un contexte de rencontres inégales, car il participe de la conquête du monde par les peuples nantis. Le cinéma, qui construit plutôt qu'il ne reflète une histoire de la vision et du regard, accompagne ce processus. L'un et l'autre sont des objets d'études et de bons postes d'observation pour les anthropologues dont les travaux alimentent, qu'ils le veuillent ou non, l'imaginaire touristique, cinématographique ou non. Cette chronique soulève, à la lumière des films programmés par la dernière édition du Cinéma du Réel (festival de la BPI, au Centre Pompidou), quelques-unes des questions importantes soulevées par ces jeux de miroirs.
- Le tourisme et les images exotiques - Jean-Paul Colleyn, Frédérique Devillez p. 583-594
Chronique bibliographique
- De quelques dynamiques contemporaines en anthropologie du tourisme francophone - Sébastien Roux p. 595-602 L'anthropologie du tourisme francophone est longtemps restée à l'écart des publications les plus réputées. La science du tourisme semblait contaminée par l'illégitimité de son objet et peinait à s'affranchir des revues spécialisées ? principalement anglophones ? qui structuraient la production scientifique. La publication récente de quelques numéros de revues généralistes consacrées à l'anthropologie du tourisme témoigne toutefois de la vivacité d'un champ d'investigation trop longtemps délaissé. En revenant sur la parution de trois revues francophones (Autrepart, Actes de la recherche en sciences sociales et Civilisations), cette chronique bibliographique esquisse quelques-unes des dynamiques qui traversent aujourd'hui l'analyse du tourisme et souligne l'intérêt de la discipline pour la compréhension des phénomènes contemporains.
- De quelques dynamiques contemporaines en anthropologie du tourisme francophone - Sébastien Roux p. 595-602
Analyse de textes
- L'anthropologie du tourisme et l'authenticité : Catégorie analytique ou catégorie indigène ? - Céline Cravatte p. 603-620 Cette note critique présente un panorama rétrospectif de la manière dont la notion d'authenticité a été conceptualisée et utilisée par des anthropologues observant des phénomènes touristiques. Elle analyse en particulier l'ambiguïté de cette notion qui est en même temps un concept mobilisé par les chercheurs et une catégorie indigène utilisée par les touristes. Elle interroge les liens entre les procédures d'authentification mises en oeuvre par les anthropologues et les conditions de reconnaissances par les touristes de l'authenticité d'une relation, d'une situation ou d'une expérience.
- Analyses et comptes rendus - p. 621-646
- L'anthropologie du tourisme et l'authenticité : Catégorie analytique ou catégorie indigène ? - Céline Cravatte p. 603-620