Contenu du sommaire : Les délégués et le renouveau syndical (numéro spécial)

Numéro spécial - Les délégués et le renouveau syndical

• Les délégués, acteurs stratégiques du renouveau syndical ? - Adelheid Hege, Christian Levesque, Gregor Murray, Christian Dufour p. 3
  Les représentants sur les lieux de travail (shop stewards, délégués) semblent au cœur des processus de renouveau syndical, mais cette catégorie de représentants est délaissée dans la littérature internationale. A la différence notable des traditions de recherche autour de la figure du shop steward britannique, les différentes littératures nationales tendent à réserver au délégué de terrain un rôle de figurant plutôt que de leader. Nous explorons quatre facteurs qui motivent le regain d'intérêt pour les délégués du côté tant des politiques syndicales que de la recherche : une crise globale de représentativité des syndicalismes au niveau sociétal ; une crise de représentativité des délégués eux-mêmes à l'égard de leurs mandants ; la complexité et la diversification croissantes des lieux de représentation autant que des stratégies d'employeurs ; les transformations et/ou l'affaiblissement des systèmes de référence des acteurs syndicaux locaux. Chacun de ces facteurs constitue un défi pour les représentants de terrain mais pousse aussi à de nouvelles investigations de recherche, investigations dont nous témoignons ici et auxquelles nous souhaitons nous-mêmes contribuer.

  Workplace delegates: strategic actors for union renewal?
  While workplace representatives (shop stewards, delegates) appear to be central to processes of union renewal, the international literature on this category of representative is in fact very limited. With the notable exception of research traditions on the British shop steward, the workplace representative is more likely to have a walk-on than a leading role in different national research traditions. We explore four factors that are driving renewed thematic, union policy and research interest in workplace representatives: an overall crisis of union representativeness at the societal level; a crisis of representativeness of the delegates themselves vis-à-vis the workers they represent; the increasing complexity and diversification of both the sites of representation and employer strategies; and transformations and/or weakening of the references informing the strategies of local union actors. Each of these factors constitutes a significant challenge for workplace representatives but has also sparked a range of new research interest that we highlight and to which the articles in this special issue contribute.
• Diversité des équipes de délégués et fondements communs de la représentation collective - comparaisons internationales et retour - Adelheid Hege, Christian Dufour p. 19
  La représentation des salariés dans les entreprises passe d'abord par les délégués. Ils exercent leurs fonctions dans des conditions d'une grande diversité. La comparaison internationale aide à l'organiser. Pour cela, le travail empirique de comparaison des pratiques permet de dépasser la confrontation entre modèles nationaux. Au sein de chaque pays, les inégalités des pratiques sont au moins aussi grandes qu'entre pays. Il est cependant possible de dégager une communauté dans les principes sociologiques qui permettent de comprendre pourquoi une équipe de délégués est forte ou faible. La relation avec la base, la capacité à organiser des liens avec l'extérieur de l'entreprise, l'inscription dans le temps, la prise en charge de l'évolution de l'équipe elle-même sont parmi ces facteurs décisifs et communs d'un pays à l'autre. Des conséquences à la fois théoriques, méthodologiques et pratiques en sont tirées, ainsi que des pistes d'action dans la perspective du renouveau syndical.

  Diversity and commonality in the collective representation of workplace delegates: comparative perspectives. The first line of representation for workers at the level of the firm is that of workplace delegates or stewards. These front-line representatives fulfill their roles in different ways and in a great variety of circumstances. International comparisons help to shed light on this phenomenon. Indeed, empirical work offers a way of going beyond simple differences between national models. Our analysis indicates that in-country diversities in practice are at least as great as the variations between countries. It is nonetheless possible, in terms of key sociological principles, to identify certain commonalities as to why some groups of workplace delegates are weaker or stronger than others. Their relationship with their members, their ability to organize links outside of their workplace, their ability to strategize over time and their capacity to ensure their own development as a group are among the most important factors that are common to every country considered in this study. This analysis leads to theoretical, methodological and practical consequences as well as to the identification of paths for union renewal.
• Les mutations de la représentation des salariés en Grande-Bretagne - Andy Charlwood, John Forth p. 43
  Cet article retrace le déclin de la représentation des salariés en Grande-Bretagne depuis 1980. En 1980, on dénombrait environ 328 000 délégués syndicaux sur les lieux de travail. En 2004, ils étaient plus que moitié moins. Ce déclin s'est produit parce que, en même temps que les syndicats peinaient à recruter des shop stewards, leurs adhérents rechignaient de plus en plus à assumer un rôle de représentants, démoralisés qu'ils étaient par des défaites, les licenciements et l'intensification des rythmes de travail. Les données disponibles suggèrent que le rôle des shop stewards qui restent s'est considérablement restreint : en effet, le nombre de sujets soumis à négociation s'est réduit, la mobilisation des adhérents autour de revendications collectives et de conflits a décru, et les shop stewards consacrent de plus en plus de temps à la représentation individuelle des travailleurs confrontés à des problèmes ou à des griefs.

  The Changing Face of Employee Representation in Great Britain
  In this article we chart the decline of employee representation in Britain since 1980. In 1980, there were around 328 000 union representatives in British workplaces. By 2004, there were fewer than half this number. Decline came about because unions struggled to recruit shop stewards as union members demoralised by defeat, redundancies and work intensification became increasingly reluctant to take on a representative role. Evidence points to a much reduced role for the shop stewards who remain, with fewer issues subject to negotiation, less mobilisation of members around collective grievances and disputes and increasing amounts of shop steward time taken up with the representation of individual workers with a problem or grievance.
• Les militants de terrain dans les campagnes d'implantation syndicale dans le secteur des services en Grande-Bretagne - Melanie Simms p. 75
  Cet article examine le rôle des délégués sur les lieux de travail au moment où les syndicats s'y implantent pour la première fois. Les observations empiriques montrent que les rôles qu'accomplissent les militants sont très variés, mais se concentrent sur les activités de recrutement d'adhérents et d'implantation du syndicat au niveau du site. Les militants semblent en revanche faiblement investis dans la construction de liens avec le syndicat externe, les négociations avec l'employeur ou la prise de contacts avec des groupes en dehors des lieux de travail. Tant la gamme relativement étroite des activités prises en charge par les militants que les variations entre les campagnes d'implantation s'expliquent en grande partie par les politiques syndicales et par les attentes placées dans les délégués par les permanents. Cette approche, quoique compréhensible, risque d'aboutir à des formes très étroites et faibles de syndicalisme, isolant les sites et les représentants.

  Workplace trade union activists in UK service sector organising campaigns
  This paper examines the role of workplace representatives as unions organise workplaces for the first time. The evidence demonstrates the diversity of roles adopted by activists but notes that they largely focus on workplace level activities of recruitment and building union structures. There is relatively little evidence of building links with the wider union, negotiating with the employer, or linking with groups outside the workplace. Both the relatively narrow focus of their work and the variations between campaigns are largely explained by union policies and the expectations placed on representatives by officers. Although this is understandable, it is an approach which risks developing a very narrow and weak form of trade unionism which isolates workplaces and representatives.
• Les salariés précaires et la codétermination en Allemagne – la représentation collective au-delà des normes - Ingrid Artus p. 109
  Le célèbre système dual allemand de relations professionnelles (négociation collective/Tarif autonomie et représentation dans l'établissement/co-détermination) ne fonctionne que dans certaines branches de l'industrie. Cet article examine sa véritable couverture institutionnelle, et se concentre sur ces segments (majoritaires) de l'économie allemande, où les conseils d'établissement (Betriebsräte) n'existent que rarement. Il décrit différentes formes de négociation sans conseils d'établissement. La plus précaire se trouve dans le secteur des services à bas salaires, qui est en expansion. Sur la base d'une enquête de terrain menée dans ce secteur, l'article passe au crible les caractéristiques de la négociation : les modes d'interaction entre la direction et les salariés oscillent entre répression, peur et intégration forcée – donnant parfois lieu à des luttes « insensées » pour la co-détermination et la reconnaissance. Ainsi, la représentation des intérêts dans le secteur des services précarisés balance entre luttes de survie et risque de corruption.

  Precarious Delegates in Germany – Irregular forms of employee interest representation
  The well-known German “dual system” of industrial relations (collective bargaining/Tarif autonomie and workplace representation/Mitbestimmung) is realised only in some parts of the German industry. The article discusses its actual institutional coverage and concentrates especially on these (majority of) segments within the German economy, where workplace councils (Betriebsräte) rarely exist. It describes different forms of bargaining without Betriebsräte. The most precarious one is found in the expanding low wage service sector. Based on empirical case studies in this sector the paper analyses typical features of interest bargaining: interaction modes between repression, fear and forced integration – and sometimes “crazy” struggles for Mitbestimmung and respect. Thus interest representation in the precarious services sector tends to oscillate between fights for survival and the threat of corruption.
• Contre vents et marées : le délégué au cœur du renouveau syndical - Catherine Le Capitaine, Christian Levesque, Gregor Murray p. 141
  A partir d'une enquête menée auprès de 1 105 délégués parmi les enseignants dans le secteur de l'éducation au Québec, cet article porte sur le rôle des délégués dans les établissements scolaires et les conditions qui renforcent leur capacité d'agir dans le contexte de la « nouvelle gestion publique » (NGP). Si la mise en œuvre de la NGP engendre de fortes pressions dans les milieux de travail et complexifie le rôle des acteurs locaux, la décentralisation de certains pouvoirs vers l'établissement offre aussi de nouveaux espaces pour la représentation syndicale, ce qui suppose que les délégués soient en mesure d'occuper ces espaces. Ce sont les aptitudes stratégiques des délégués ainsi que la mobilisation des ressources de pouvoir internes et externes qui renforcent leur capacité d'agir dans ce nouveau contexte.

  Against All Odds: Workplace Representatives and Union Renewal
  Drawing on a survey of 1 105 workplace representatives among teachers in the education sector in Quebec province, this article focuses on the role of delegates and the factors that reinforce their capacity in the context of the New Public Management (NPM). While NPM accentuates workplace pressures and complicates the roles of local actors, administrative decentralization towards the level of the workplace opens up new spaces for union representation, but this requires that workplace representatives can actually play such an enhanced role. We find that the strategic capabilities of workplace representatives and the mobilization of both internal and external power resources are the key factors associated with the enhanced capacity of workplace representatives.
• Sept thèses sur la formation syndicale Propositions à partir d'enquêtes sur les lieux de travail en Australie - David Peetz, Michael Alexander p. 173
  Cet article a pour objet de synthétiser une décennie de recherche en Australie sur des sujets liés à la formation des délégués, notamment des délégués sur les lieux de travail. Nous en sommes parvenus à la conclusion que la formation permet d'augmenter la confiance en eux des délégués : c'est donc la voie à suivre pour développer le militantisme et le succès des syndicats. Le militantisme des délégués est influencé par la qualité, l'ampleur, la pertinence et le type de formation. Les politiques de formation devraient reconnaître les différences entre les délégués, par exemple selon qu'ils sont à l'aise ou non avec le recrutement d'adhérents. Par ailleurs, la formation formelle n'a que peu de valeur sans suivi. Si elle est importante, l'apprentissage sur le tas l'est au moins autant. Mettre en place un système de tutorat pour les délégués est donc essentiel pour le développement du militantisme et du pouvoir. Enfin, une formation syndicale effective est liée à la démocratie syndicale. Pour résumer, il est donc nécessaire d'envisager la formation syndicale comme quelque chose de bien plus large que ce qui se passe en classe. Nos résultats mettent les syndicats face à d'importants défis pratiques.

  Seven propositions about union education and training
  We synthesise a decade of research in Australia on matters relating to union training and especially workplace delegates. We find that union trai- ning boost delegates' confidence, and this is a critical pathway to boosting activism and union success. Delegate activism is influenced by the quality, breadth, relevance and type of training. Training policy should recognise differences between delegates, for example in whether they are suited to recruitment. Besides, there is limited value from formal training if there is not follow-up. Formal training is important, but at least as important is the informal side that occurs “on the job”. Organiser mentoring of delegates is critical for activism and power. Last, effective union training is related to union democracy. In short, it is necessary to conceptualise union training as something much broader that what happens in a classroom. Our findings pose some important practical challenges for unions.
• Les comités d'entreprise européens, des zones libres de syndicats ? - Michael Whittall, Hermann Kotthoff p. 207
  Depuis l'adoption de la directive de 1994 sur les comités d'entreprise européens, les syndicats ont joué un rôle stratégique dans la mise en place de cette instance européenne. Bien que la directive ne prévoie pas, sur le plan légal, de rôle pour les syndicats, un siège leur est réservé dans de nombreux CEE. Mais quel rôle les syndicats jouent-ils réellement dans cette instance européenne ? Cet article examine de près la relation entre les permanents syndicaux et les délégués des CEE. Il en ressort que les syndicats peinent à répondre à cette question : d'une part, leur manque de moyens limite le temps qu'ils peuvent consacrer au travail des CEE, d'autre part et plus important encore, ils craignent la concurrence que cette institution européenne pourrait constituer pour la représentation des salariés au niveau supra-national. Ce texte tend à démontrer que cette incertitude se traduit par un engagement limité dans les conseils de la part des syndicats. Mais il montre aussi que les CEE sont capables de fonctionner en dépit du vide laissé par les syndicats.

  EWCs – a trade union “free zone”?
  Since the passing of the European Works Council Directive in 1994, trade unions have played a strategic role in setting-up this European institution. Despite the fact that the Directive fails to legally provide a role for trade unions many European Works Council guarantee them a seat. But what role do trade unions really play in this European institution? This text looks closely at the relationship between trade union officers and EWC delegates. A picture emerges in which trade unions appear to struggle in answering this question, partly because a lack of resources limit the time they can expend on EWC work, but more importantly because unions remain insecure whether this European institution is a competitor in repre-senting employees at the supranational level. The text highlights that this conundrum results in trade unions limiting their involvement in the council. However, it also demonstrates that the European Works Council appears able to function irrespective of the void left by trade unions'.