Contenu du sommaire : Usages publics de l'Histoire en France

Revue Matériaux pour l'histoire de notre temps Mir@bel
Numéro n° 85, janvier-mars 2007
Titre du numéro Usages publics de l'Histoire en France
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Editorial - Robert Franck p. 1 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis peu, il y a du nouveau dans le mode de fonctionnement des mémoires en France... L'obligation du « devoir de mémoire » impose de relire le roman national du point de vue des supposées « victimes » de l'histoire. Ce phénomène, symptomatique d'une crise d'avenir, ne pourrait être combattu que par un devoir d'histoire.
    Memories, in France, have recently begun to function differently... Owing to the obligation of the “duty to remember”, the country's national story has now be reread according to points of view held by history's alleged “victims”. This phenomenon, symptomatic of a crisis of the future, might only be countered by duty towards history.
  • "Vers de nouvelles formes d'usages du passé ?" - Régis Meyran p. 5 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Pour comprendre l'actuelle « guerre des mémoires » en France, il faut étudier la « mémoire » (sous-entendue collective) comme un fait social dont on peut faire l'histoire, depuis la mémoire de la Shoah jusqu'à la « concurrence des victimes ». Dans une telle histoire, on envisage la possibilité d'une rupture récente, qui serait caractérisée par de nouvelles formes d'usages du passé. En particulier, cette rupture semble concomitante d'un retour des questions « ethno-raciales » — fait éminemment questionnable.
    In order to understand the “war of memories” currently going on in France, it is necessary to study “memory” (that is, collective memory) as a social fact with a history, from the memory of the Shoah to the “competition between victims”. In this specific history, one envisages the possibility of a recent breaking point caracterized by new forms of uses made of the past. In particular, this breaking point seems concomitant with a recurrence of ethno-racial issues, a highly questionable fact.
  • L'Histoire ne sert pas à guérir les mémoires blessés - Entretien avec Benjamin Stora p. 10 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Pourquoi les polémiques autour de la mémoire ont-elles pris une telle place dans la sphère publique ? Il faut y voir un retour du communautarisme à une époque de crise des idéologies et de fin de lutte des classes, ce phénomène obéissant à une dynamique mondiale. En France, les enjeux autour de la mémoire de la guerre d'Algérie s'avèrent centraux, où s'affrontent différents groupes concurrents. L'historien doit par ailleurs garder une posture critique vis-à-vis de telles revendications.
    Why do polemics about memory now take such an important place in the public sphere? Because of the return of communautarism -a phenomenom obeying to worldwide dynamics- at a time of both ideological crisis and the end of the class struggle. In France, memory related issues concerning the war in Algeria are central and are affected by rivalry between different groups. The historian must assume a critical posture regarding such claims.
  • Les usages publics de la mémoire de l'esclavage coloniale - Jean-Luc Bonniol p. 14 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article propose une histoire de la mémoire de l'esclavage colonial dans les Antilles françaises. Au départ réalité historique dont le souvenir fut soigneusement évité dans une perspective citoyenne et républicaine, l'esclavage devient une revendication mémorielle dans les années 1930, avec le mouvement de la négritude. À partir des années 1990, des groupes mémoriels entrent dans la spirale de la concurrence des victimes, et dressent un « front identitaire », remettant en cause le pacte républicain.
    This article proposes a memorial history of colonial slavery in the French West Indies. In the beginning, in a civic and republican perspective, the historical reality of slavery was carefully avoided. It became a memorial claim in the 30's, with the “negritude mouvement”. From the 90's, memorial groups entered into a competitive spiral between victims, building up an “identity front” and therefore challenging the republican pact.
  • "La 'question noire' illustrée par l'histoire longue du colonialisme français" - Entretien avec Jean-Pierre Dozon p. 22 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'histoire des rapports entre France et Afrique aux époques coloniale et postcoloniale montre que ceux-ci ont toujours été ambigus : les élites, notamment, étaient certes critiques vis-à- vis du colonialisme, mais défendaient l'assimilation à la française. Mais un changement apparaît au moment où l'immigration venant d'Afrique est stoppée. Dès lors, un ressentiment émerge, tant chez les Africains que chez les Français issus de l'immigration africaine : la “question noire” est née.
    The history of the relationship between France and Africa during the colonial and postcolonial periods demonstrates permanent ambiguity: the elites in particular, though adopting as a matter of course a critical attitude towards colonialism, at the same time supported the French model of assimilation. Changes occurred when immigration from Africa was stopped. From then on, resentment grew, as much among the Africans as among the French descendants of African immigrants, thus giving birth to the “Black issue”.
  • "Entre mémoires et histoire : controverses sur les enjeux du passé colonial" - Claude Liauzu p. 27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les études savantes sur la colonisation, aujourd'hui nombreuses, ont mis du temps à s'imposer en France, à cause de la difficulté de penser l'histoire autrement que de manière nationale. Profitant de ce fossé et de l'amnésie étatique, comme de l'apparition d'un nouveau régime de mémoire au niveau mondial, divers groupes de pression se sont engouffrés dans une guerre des mémoires. Ce moment doit être l'occasion, affirme l'auteur, de repenser le rôle social de l'historien.
    Nowadays abundant, academic studies on colonization took time to impose themselves in France due to the difficulty of thinking history otherwise than in a national perspective. Taking advantage of this gap, of the state's amnesia as well as of the appearance, worldwide, of a new approach to memoral issues, various pressure groups have launched a war of memories. According to the author, it is now time to rethink the historian's social role.
  • "Histoire et nation : le divorce" - Michel Wieviorka p. 33 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La montée en puissance des revendications mémorielles en France n'est pas, pour l'auteur, la conséquence directe de la crise économique actuelle : il s'agirait plutôt d'un mouvement de contestation du récit national, né dans les années 1960. Dès lors, pour que les vérités historiques puissent être à nouveau entendues dans l'espace public, les historiens, comme les tenants des autres sciences sociales, doivent redéfinir leurs méthodes, et notamment se désolidariser de la Nation, à l'heure de la globalisation et de l'individualisme.
    The upsurge of memorial claims in France does not, according to the author, stem directly from the current economic crisis: it dates back to the 1960s and is more likely a contestation movement directed against the French national story. To ensure that historical truths may again be heard in the public sphere, historians, as well as their counterparts in the other social sciences, must redefine their methods, and in particular desolidarize themselves from the Nation in the times of globalization and individualism.
  • Malaise dans l'histoire et troubles de la mémoire - Annette Wieviorka p. 38 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Aujourd'hui, les lois mémorielles prescrivent de ne pas blesser les « témoins », qu'ils soient victimes directes ou descendants de victimes. Il s'agirait là d'un pas supplémentaire vers la construction d'une histoire « compassionnelle ». Désormais, un nouveau type de « témoin », qui commémore un souvenir qu'il n'a pas vécu, apparaîtrait dans la sphère médiatique. Face à cela, l'autorité de l'historien, en ce qui concerne l'établissement des faits historiques, risquerait de devenir caduque.
    Today's memorial laws prescribe not to wound “witnesses”, be they direct victims or descendants of victims. This could be considered as yet another step towards the construction of a “compassionate” history. In the sphere of the media, a new type of “witness” could emerge, commemorating the remembrance of something he/she has not lived through. Confronted by this, the authority held by historians in establishing historical facts could well become obsolete.
  • "Combattre les usages mémoriels" - Entretien avec Gérard Noirel p. 43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les revendications mémorielles sont pour l'auteur une manière nouvelle et inadéquate de nommer les problèmes sociaux. Leur impact dans la sphère publique serait dû à la surenchère sensationnaliste dans les médias. Dans ce contexte, et après la disparition des dernières « grandes figures » intellectuelles, les chercheurs devraient se mobiliser en groupes pour défendre les vérités historiques.
    Memorial claims are, according to the author, a new and inadequate way of naming social problems. Their impact in the public sphere could be due to a sensationalist media coverage. In such a context, and following the disappearance of the last outstanding “intellectual figureheads”, researchers should mobilize themselves in groups to defend historical truths.
  • Passé/présent. Quelques réflexions sur une incrustation - Olivier Pétré-Grenouilleau p. 47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À l'aube du XXIe siècle, nous assisterions en France à une transition depuis les « lieux de mémoire » vers le « devoir de mémoire », ce qui définirait un nouvel ordre moral. La conséquence en serait la sacralisation des individus et des groupes sociaux, et du coup la perte de crédibilité du discours de l'historien. Par ailleurs, l'importance des discours mémoriels viendrait témoigner d'une métamorphose du social, encore difficile à penser.
    Since the very beginning of the 21st century, France could be witnessing a transition from “places of memory” to the “duty of memory”, a new moral order being thus defined. The ensuing consequences could be a sacralization of individuals and of social groups, and therefore a loss of credibility affecting the historian's discourse. Moreover, the importance of memorial discourse could bear witness to social metamorphosis, a process still difficult to elaborate on.