Contenu du sommaire : La géopolitique des géopolitiques

Revue Hérodote Mir@bel
Numéro no 146-147, 3ème-4ème trimestre 2012
Titre du numéro La géopolitique des géopolitiques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • La géopolitique : un raisonnement géographique d'avant-garde - Béatrice Giblin p. 3-13 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Ce numéro se veut une réflexion sur la et les géopolitiques et répond à la préoccupation de l'équipe d'Hérodote face au succès médiatique du terme géopolitique (souvent utilisé à tort et à travers) même si, dans certains milieux géographiques, la géopolitique est encore tenue en suspicion. Le succès est loin d'être seulement médiatique comme le prouve celui d'Hérodote et de l'Institut français de géopolitique.C'est l'analyse de très nombreuses situations géopolitiques dues à des rivalités de pouvoir pour prendre le contrôle de territoires qui a permis à l'équipe d'Hérodote et celle de l'IFG (qui se recouvrent en grande partie) d'avancer dans la réflexion théorique. C'est pour avoir étudié sur le terrain des conflits de toute nature que nous commençons à avancer sur le plan théorique. Nous avançons avec la prudence et la sagesse de ne pas établir de « lois géopolitiques », mais avec la volonté d'établir une démarche rigoureuse fondée sur le raisonnement géographique.Ce numéro est donc une sorte de bilan du long chemin parcouru et envisage les perspectives nouvelles que nous voulons ouvrir.
    Geopolitics : a novel geographic reasoning
    This issue is supposed to be a reflexion upon geopolitics and answers the concern of the Hérodote team over the media success of the term geopolitics (often used wrongly) even though, in some geographical circles, geopolitics is still looked upon with some suspicion. The success is far from being only media hype as is proven by the success of Hérodote and of the French Geopolitics Institute. It is the analysis of many geopolitical situations caused by power rivalries to take control of some territories that have enable the Hérodote team and that of FGI (the two overlap greatly) to advance in theoretical thinking. We advance on the theoretical side by having studied on site conflicts of all nature. We go forward with the care and the wisdom to not establish any “geopolitical laws” but with the will to establish a rigorous approach based on geographical reasoning. This issue is therefore a sort of assessment of the long way we have come and takes into account the new perspectives we want to lay out.
  • La géographie, la géopolitique et le raisonnement géographique - Yves Lacoste p. 14-44 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les fondements de la géographie sont aussi ceux de ce qu'en France on appelle de nos jours la géopolitique. Par ce mot, j'entends toute rivalité de pouvoirs sur du territoire. Il ne s'agit donc pas seulement de l'influence de données naturelles sur les rapports de forces (ce que les spécialistes anglo-saxons des « relations internationales » appellent parfois geopolitics), mais aussi des dimensions territoriales de ces rivalités et de la localisation des forces en présence dans un contexte international plus ou moins vaste. La géographie est le savoir et le raisonnement qui servent à penser les complexités de l'espace terrestre, à différents niveaux d'analyse spatiale et dans leurs interactions (du local au national, au planétaire, et réciproquement) en tenant compte des configurations cartographiques précises et des intersections de multiples ensembles spatiaux de différents ordres de grandeur. Le territoire géographique est essentiel en géopolitique, avec ses caractéristiques physiques mais aussi avec ceux qui y vivent et l'étude des pouvoirs qu'ils acceptent et ceux qu'ils combattent, en raison de l'histoire qu'ils se racontent à tort et à raison, de leurs craintes et des représentations qu'ils se font d'un passé plus ou moins lointain et de l'avenir plus ou moins proche. C'est pourquoi la prise en compte des représentations contradictoires du territoire en conflit est un outil majeur de la géopolitique.Une étude de cas, le conflit israélo-palestinien, illustre ces relations entre raisonnement géographique et géopolitique.
    Geography, geopolitics and geographical reasoning
    The foundations of geography are also those of what we in France call Geopolitics. By this word, I mean any power rivalries on a given territory. It is therefore not only the influence of natural facts on the balance of power (what anglo-saxon specialists of international relations sometimes call geopolitics), but also that of the territorial dimension of these rivalries and of the localisation of the strengths in presence in an international context. Geography is the knowledge and the reasoning that is used to conceive the complexities of the earthly space, on different levels of spatial analysis and in their interactions (local, national, worldwide) by taking into account the precise cartographic layout and the intersections of many spatial regions of differing sizes. The geographical territory is essential in geopolitics, with its physical features but also with the people that live there and the study of the powers they accept and those they rebel against for historical reasons that they keep believing in, also of the people's fears and of the way they think of a more or less distant past and future. Therefore, taking in account the conflicting representation of a territory in the midst of a conflict is a major tool in geopolitics. A case study, the israelo-palestinian conflict shows this relation between geographical and geopolitical reasoning.
  • La géopolitique, une ou plurielle ? Place, enjeux et outils d'une géopolitique locale - Philippe Subra p. 45-70 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Rivalités électorales, conflits de pouvoir entre l'État et les collectivités locales, mobilisations contre des projets d'aménagement ou d'infrastructures, rivalités de pouvoir dans les banlieues, les conflits locaux présentent de nombreuses différences avec ce qu'on a l'habitude d'appeler « conflits géopolitiques », c'est-à-dire les conflits internationaux et les conflits étatiques internes. Leur niveau de violence et de couverture médiatique est bien moins élevé. Le rôle de l'État n'est pas le même. D'autres acteurs (entreprises, associations de défense de l'environnement, riverains, etc.) jouent un rôle majeur dans ces conflits locaux. Chacun avec sa logique et des modes d'action bien particuliers. Néanmoins ces conflits doivent être analysés comme des conflits géopolitiques, car ce qui s'y joue c'est l'usage, donc le contrôle, d'un territoire que se disputent des acteurs aux intérêts contradictoires.La géopolitique locale se distingue de la géographie politique et des travaux de recherche sur la gouvernance car elle cherche à mettre en relation l'ensemble des facteurs, propres à un territoire, qui permettent d'expliquer une situation de conflit : non seulement les évolutions électorales et les relations entre acteurs, mais les enjeux du territoire, son histoire, les stratégies des acteurs, leurs représentations.
    Geopolitics, singular or plural ? Place, stakes and tools of local geopolitics
    Electoral rivalries, power conflicts between State and local authorities, mobilization against housing projects, power rivalries in suburbs, local conflicts present us with many differences with what we call “geopolitical conflict”, that is to say and internal state conflicts. The level of violence and of media exposure is far lower. The State's tole is not the same. Other actors (companies, environment protection organizations, locals etc.) play a major role in these local conflicts. Each one with its own logic and unique means of action. Never the less, these conflicts must be analyzed as geopolitical ones, because what plays out there is the use, therefore the control of a territory that actors with conflicting interests are fighting over. Local geopolitics distinguishes itself from geographical politics and of the research works about governance because it tries to put in relation all of the factors, unique to a territory that allow to explain a conflictual situation : not only the electoral evolutions and the relations between actors, but the stakes of the territory, it's history, the strategies of the actors, their representations.
  • Géopolitique interne et analyse électorale - Béatrice Giblin p. 71-89 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La géopolitique interne est l'application des outils de la démarche géopolitique à l'étude des rivalités sur du territoire entre diverses forces politiques à l'intérieur d'un même État, y compris dans les États démocratiques non confrontés à des conflits ouverts. En effet, s'il n'y a pas conflit armé, il y a bien rivalités de pouvoir pour prendre ou garder le contrôle d'un territoire, même si, en démocratie, ce n'est pas la force qui permet la prise du pouvoir, mais les élections, et que la situation politique est réversible aux élections suivantes. Ce nouveau champ de la géopolitique a donné lieu à trois gros volumes, Géopolitique des régions françaises (1986), dans lesquels une attention précoce était portée au vote Front national. Vingt ans plus tard, compte tenu des profonds changements, nous publiions Nouvelle géopolitique des régions françaises, où une beaucoup plus large place était accordée aux nationalismes régionaux. Désormais, ceux-ci paraissent affaiblis ; il n'en va pas de même pour le vote Front national qui s'étend sur l'ensemble du territoire tout en restant particulièrement puissant dans les midis où la porosité avec le vote de droite classique est grande à la différence des autres régions françaises.
    Internal geopolitics and electoral analysis
    Internal geopolitics is the application of tools of the geopolitical approach to the study of rivalries on a territory between different political forces inside the same State including the democratic States that are not faced with open conflict. Indeed, if there is no armed conflict, there are some power rivalries to take or keep control of a territory, even if in a democracy it is not force that enables one to take power but elections and the political situation can be reversed at the following election. This new field of geopolitics has given place to three big volumes, Géopolitique des régions françaises (1986), in which precocious attention was given to the Front National (french extreme right wing party). 20 years later, given the profound changes, we are publishing Nouvelle géopolitique des régions françaises, where a much larger place is given to regional nationalism. Henceforth these seem weakened, on the other hand it is not the same fot the Front National vote that is spreading to the whole territory all the while remaining particularly powerful in the south where the porosity with the traditional with the classical right wing vote is larger than in other french regions.
  • Les crises géopolitiques et leur cartographie - Barbara Loyer p. 90-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les cartes suscitent aujourd'hui un engouement extraordinaire grâce aux possibilités nouvelles qu'offrent les techniques de géolocalisation et la géomatique qui permettent de très rapidement cartographier des phénomènes. Dans les situations de crises géopolitiques, la cartographie géomatique est parfois même présentée comme une nouvelle « arme » pour ceux qui choisissent la non-violence et qui disent pouvoir déjouer la force par la communication sur la géographie des combats. La question de l'efficacité des cartes issues de ce qu'on appelle aussi la « science citoyenne » ouvre sur celle de la fonction des cartes et, dans le cas de conflit, de leur place au sein de stratégies adverses. Les cartes géopolitiques à différentes échelles devraient être la base sur laquelle localiser des phénomènes qui évoluent très vite, à l'aide des systèmes d'informations géographiques, si l'on veut analyser les rapports de forces dans les territoires. Il faut mieux articuler les apports de la géomatique avec le raisonnement géopolitique afin d'aboutir à une cartographie de crise géopolitique. Il est tout aussi important de ne pas se laisser abuser par le pouvoir de la technologie cartographique.
    Geopolitical crises and their cartography
    Maps arouse today an extraordinary craze thanks to the new possibilities that are offered the geolocalisation and geomatic techniques that enable us to map phenomenons very swiftly. In situations of geopolitical crisis, geomatic cartography is sometimes introduced as a new “weapon” for those that choose non-violence and say that they can thwart force by communication on combat geography. The question of the efficiency of these maps that stem from what one calls “citizen science” opens that of the role of these maps, and in case of a conflict, their place amongst opposing strategies. Geopolitical maps, on different scales should be the base on which one localizes fast evolving phenomenons thanks to geographical information systems if one wants to analyze the balance of power in territories. It is better to articulate the contributions of geomatic with geopolitical reasoning so as to end up with geopolitical crisis cartography. It is also very important to not let oneself be deceived by the power of cartography technology.
  • L'évolution de la place de la cartographie dans le journal Le Monde - Delphine Papin p. 108-118 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La place grandissante de la cartographie dans les pages du quotidien Le Monde est la combinaison de plusieurs facteurs : d'une part, un contexte général favorable aux visuels et l'attrait particulier des Français pour les cartes, et, d'autre part, une volonté politique de la direction et des rencontres humaines favorables à ce type d'expression au sein du journal. Les cartes sont aujourd'hui de plus en plus fournies, précises et accompagnées d'une légende substantielle. Elles n'ont plus seulement pour but de montrer un phénomène, elles peuvent aussi démontrer un raisonnement. L'apprentissage du raisonnement géopolitique au sein de l'Institut francais de géopolitique, couplé à l'efficacité journalistique et à la multiplicité des compétences au sein de la rédaction du Monde, permet la création d'un nouveau type de carte : des cartes qui racontent une histoire géographique.
    Cartography at Le Monde newspaper
    The growing presence of cartography in the pages of daily newspaper Le Monde is the combination of different factors : on the one hand, a general favorable context to visuals and the attraction of the French for maps and, on the other hand, a political will of the management and of human encounters favorable to that kind of article in the newspaper. Maps are today more and more thorough, precise, and accompanied by a lengthy key. Their goal isn't to only illustrate a phenomenon anymore, they an also show a reasoning. The learning of geopolitical reasoning amongst the Institut français de géopolitique allied with the journalistic effectiveness and the multiple skills in the Le Monde editorial staff allow the creation of a new kind of map : maps that tell a geographical story.
  • La mondialisation économique remet-elle en cause la souveraineté des États ? - Christophe Strassel p. 119-138 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article a pour objet d'analyser l'évolution des conditions d'exercice de la souveraineté étatique dans le cadre de la mondialisation économique. Il montre que les deux dimensions de la mondialisation – le commerce international d'une part, la circulation des capitaux et le développement des marchés financiers internationaux d'autre part – interagissent avec le pouvoir des États et l'influencent mais ne privent pas ces derniers de leur capacité à agir. L'Union européenne et la Zone euro en particulier font toutefois exception à ce constat, en raison principalement de leur état d'inachèvement politique qui ne permet pas l'exercice d'une véritable souveraineté européenne.
    Does economical globalization question states sovereignty?
    This article's goal is to analyze the evolution of the conditions upon which relies State sovereignty in the frame of economical globalization. It shows that the two dimensions of globalization – international trade on one hand, movement of capital and the development of international financial markets on the other – interact with the power of States and influence it but don't deprive it of their power to act. The European union and the euro zone in particular are exceptions, mainly because of their state of political limbo that doesn't allow any real european sovereignty.
  • « Le pivot géographique de l'histoire » : une lecture critique - Yves Lacoste p. 139-158 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article est une analyse critique et précise du célèbre article de Mackinder « The geographical pivot of History ». Alors qu'il n'a jamais employé le terme géopolitique, Mackinder est pourtant toujours considéré comme le fondateur de la géopolitique. C'est pourquoi une lecture critique de son article s'impose. Sa notoriété repose sur l'emploi du terme heartland considéré, de nos jours, comme le concept central de sa théorie, qui évoque une région qui est le cœur même du territoire d'une nation, mais il prend aussi, plus loin dans le texte, la signification de « région centrale » connotée alors à l'idée d'Eurasie, espace beaucoup plus vaste que celui de région centrale. Le second terme, considéré comme l'autre concept majeur de la théorie de Mackinder, est celui de pivot. Mais ce terme, appliqué aux immenses plaines d'Eurasie, fait problème, celles-ci ne pouvant logiquement être considérées comme un pivot. Pour expliquer la puissance de l'Empire russe, Mackinder accorde donc la plus grande importance à une donnée de la géologie et de la géographie physique – l'étendue de la plaque eurasiatique. Il tend à minimiser le rôle des structures politiques et militaires qui ont rendu possibles la conquête et le contrôle depuis trois siècles de cet immense territoire, en tentant de l'étendre encore. La thèse de Mackinder est donc étroitement déterministe et somme toute assez rudimentaire.
    « The geographical pivot of history », a critical reading
    This article is a precise and critical analysis of Mackinder's famed article : The Geographical Pivot of History. While he never used the word, Mackinder is considered the founder of geopolitics. Therefore, an analysis of his article was necessary. The fame of the article resides in the use of the term heartland that is today considered as the central concept of Mackinder's theory, that evokes a region that is the heat of a territory and a nation, but he also takes, further in the text, the meaning of “central region” associated with the idea of Eurasia, a much vaster expanse of land than that of heartland. The second term that is considered as the other concept Mackinder's theory is that of pivot. This term poses a problem because it is applied to the great plains of Eurasia, these cannot be logically considered as pivots. To explain the power of the russian empire, Mackinder gives more importance to a fact of geology and physical geography – the Extent of the eurasian plate. He tends to minimize the role of the political and military structures that rendered possible the conquest and control for more than three centuries of this immense territory, all the while trying to extend it even more. Mackinder's thesis is therefore strictly determinist and fairly rudimentary.
  • Des nomades aux monades : patriotisme, citoyenneté et sous-idéologies nationales dans une Russie multiethnique - Xavier Le Torrivelec p. 159-182 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article analyse deux éléments clés de la situation politique dans la Russie contemporaine – l'eurasisme et le patriotisme – en les replaçant dans deux histoires parallèles. D'abord, l'histoire territoriale d'un espace sur lequel les populations slaves orthodoxes et turciques musulmanes cohabitent depuis l'apparition d'un embryon d'État. La prise en compte de la diversité ethnique et confessionnelle de la Russie permet de comprendre la diffusion d'une pensée eurasiste comme point de cohérence et la force de l'élan patriotique comme instrument d'unité. Ensuite, l'histoire des rapports entre la Russie et l'Occident, marquée de fascination et d'incompréhensions, et qui révèle la singularité de l'adaptation russe à la modernité. Ces deux éléments sont ensuite combinés autour de la question centrale de l'évolution du fédéralisme en Russie. La restauration par Poutine d'une pyramide des patriotismes (combinée à celle des allégeances) a marqué le début d'une libéralisation politique dans les régions (et notamment dans les républiques nationales de Russie). Que cette évolution « démocratique » atteigne désormais Moscou montre l'intérêt d'une étude du rapport centre-périphérie pour appréhender l'avenir du régime politique russe et la pérennité d'une « démocratie à la russe ».
    From nomads to monads, Patriotism citizenship and national ideologies in multi-ethnical Russia
    This article analyses two key components of the political situation in modern Russia – eurasianism and patriotism – by replacing them in two parallel histories. Firstly the territorial histories of a land upon which slavic orthodox and turkish muslim populations have been living together since the appearance of the embryo of a State. Taking into account ethnical and religious diversity in Russia allows one to understand the spreading of a eurasian way of thinking as a middle ground and the strength of the patriotic fervor as a tool of unity. Secondly, the history of relations between Russia and the West, marked by fascination and misunderstandings and that reveal Russia's peculiar adaptation to modernity. These two components are then combined around the central question of the evolution of federalism in Russia. Putin's restoration of a pyramid of patriotism (combined with that of allegiance) has marked the beginning of political liberalization in these regions (especially in Russia's national republics). The fact that this “democratical” evolution now has reached Moscow shows the reason for which a study of the centre-superb to apprehend the future of russian political regimen and the durability of “Russian democracy”.
  • La géopolitique dans la Russie contemporaine - Anastasia Mitrofanova p. 183-192 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le mot géopolitique a été introduit à l'Académie russe et à son discours politique par Alexandre Douguine en 1997. En dépit de son statut, marginal à l'époque, la géopolitique est devenue populaire parmi les universitaires russes spécialisés en politique en raison de la crise méthodologique due au rejet de l'analyse marxiste des classes. Les auteurs russes voient la géopolitique, en analogie avec le marxisme, comme une science leur donnant un reflet objectif de la réalité. De plus, contrairement au marxisme « étranger », l'analyse géopolitique peut s'appuyer sur d'authentiques théories russes. Le grand public était aussi intéressé par la géopolitique en raison de la crise identitaire des Russes après la chute de l'URSS. La méthodologie géopolitique de Douguine et d'autres auteurs russes est basée sur l'idée de conflit et de coopération entre des civilisations différentes et égales. Chaque civilisation forme un centre géopolitique indépendant ; ainsi le monde est multipolaire d'un point de vue politique. Les auteurs russes sont, pour la majeure partie, en désaccord avec l'idée de Huntington selon laquelle le conflit entre les nations serait inévitable. Ils supposent que toutes les civilisations devraient participer à un ordre mondial gouvernant. Les penseurs radicaux, tels que Douguine et ses disciples, ont pour théorie que toutes les civilisations devraient s'unir contre la civilisation occidentale destructrice. L'article conclut qu'en Russie la géopolitique en tant qu'instrument d'analyse est monopolisée par le camp antilibéral. Le philosophe Vadim Zymbursky a tenté de créer une théorie géopolitique libérale, elle aussi basée sur l'idée de civilisation mais elle n'est toujours appréciée ni des académies ni du grand public.
    Geopolitics in contemporary Russia
    The word geopolitics was introduced to the Russian academic and political discourse by Alexander Dugin in 1997. In spite of his then marginal status, geopolitics has become popular with Russian scholars of politics due to methodological crisis caused by rejection of Marxist class analysis. Russian authors see geopolitics, analogically to Marxism, as a “science” providing objective reflection of the reality. Besides, unlike “foreign” Marxism, geopolitical analysis could lean upon authentic Russian theories. Broader public was also interested in geopolitics because of the identity crisis of Russians after the collapse of the USSR. Geopolitical methodology of Dugin and other Russian authors is based on an idea of conflicts and cooperation between multiple and equal civilizations. Each civilization makes an independent geopolitical center ; the world, thus, is politically multipolar. Russian authors mostly disagree with the Huntingtonian idea of the inevitable clash of civilizations. They assume that all civilizations should participate in governing world order. Radical thinkers, like Dugin and his disciples, theorize that all civilizations should unite against the destructive Western civilization. The article concludes that in Russia geopolitics as analytical instrument is monopolized by the antiliberal camp. Philosopher Vadim Zymbursky made an attempt to create liberal geopolitical theory, also based on the idea of civilizations, but it remains unpopular with both academics and the public.
  • Analyse géopolitique des enjeux d'une politique de puissance : le cas de la science et de l'innovation en Russie - Kevin Limonier p. 193-216 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis quelques années, la science et l'innovation sont devenues pour les autorités russes une préoccupation majeure qui touche à l'avenir économique du pays. Mais, au-delà du fait que la Russie cherche aujourd'hui des moyens de sortir de l'ornière énergétique en misant sur une « économie de la connaissance », la science et l'innovation constituent également une question brûlante sur le plan politique. Après une décennie de mise en scène d'un renouveau du pays comme grande puissance, la Russie se trouve actuellement confrontée à une série d'enjeux internes qui questionnent le devenir d'un projet de puissance qui s'appuie sur un patrimoine matériel et identitaire issu de l'Union soviétique. Le secteur scientifique n'échappant pas à cette règle, c'est à travers celui-ci que cet article se propose de questionner les modalités d'une mise en scène politique et économique qui s'ancre dans le territoire sur la base de divers réseaux de pouvoir et représentations du renouveau qui entrent parfois en conflit.
    Geopolitical analysis of what is at stake in a policy of power : the case of science and innovation in Russia. For a few years now, science and innovation have become, for russian authorities, a major preoccupation that concerns the country's economical future. But a part from the fact that Russia is now looking for means to get out of the energetic rut it finds itself in by betting on “knowledge economy”, science and innovation are a burning question on the political front. After a decade of staging the rebirth of the country as a great power, Russia is know confronted to a series of internal political issues that question the future of the power project that leans on a material and identity heritage taken from the USSR. The scientific does not escape from this rule, it is from that angle that this article proposes to look into the political and economical staging that anchors itself in the territory on the basis of various power networks and representations of the rebirth that sometimes come into conflict.
  • L'OTAN comme phénomène géopolitique - Jean-Sylvestre Mongrenier p. 217-236 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au regard d'une approche de type Realpolitik, la « transformation » de l'OTAN dans l'après-guerre froide pourrait constituer une aberration, un certain nombre de commentaires en France reflétant cette idée. Selon l'école néoréaliste des relations internationales, la formation des alliances n'est censée refléter qu'un état momentané des rapports de puissance. A contrario, l'application à l'OTAN de la méthode géopolitique se révèle féconde et d'une plus grande portée interprétative. Inscrite dans la durée, cette alliance politico-militaire récapitule des héritages et des mémoires qui requièrent une démarche historienne distinguant différentes échelles de temps. L'élargissement de l'OTAN sur les plans géographique et fonctionnel ne saurait s'expliquer par la seule dynamique de la « révolution dans les affaires militaires » et, plus généralement, le progrès technologique des armements. Le processus de « transformation » de l'OTAN renvoie à des situations ainsi qu'à des représentations géopolitiques globales qui doivent être saisies selon différents ordres de grandeur et niveaux d'analyse.
    NATO as a geopolitical phenomenon
    When one uses a Realpolitik approach, NATO's “transformation” after the World War could constitute an aberration, a certain number of commentaries in France reflect on that idea. According to the neo-realist school of thought, the formation of alliances is supposed to show only snapshot of the balance of power. On the contrary, when applied to NATO the geopolitical method reveals itself to be interesting and to provide a deeper interpretation. This politico-military alliance is meant to last on and on and sums up heritage and memoirs that require historical research distinguishing different time scales. NATO's enlargement on the geographical and functional sides cannot be only explained by the “revolution of military affairs” dynamic and, in a broader view, the progress in armaments technologies. The process of NATO's “transformation” send us back to geopolitical situations and representations that must be assessed according to different measures and scales of analysis.
  • Geopolitics : la géopolitique dans le monde anglo-américain - Frédérick Douzet, David H. Kaplan p. 237-252 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La géopolitique dans le monde anglo-américain relève de conceptions différentes de celles de l'école française. Cet article analyse l'évolution de la géopolitique anglo-américaine, des modèles d'Alfred Mahan et Halford Mackinder à la déconsidération de la période nazie puis à sa renaissance aujourd'hui avec de nouvelles formes de raisonnement géopolitique, en particulier dans l'application de la géopolitique critique. Bien que bannies du monde académique pendant l'essentiel de la seconde moitié du XXe siècle, les idées géopolitiques ont eu de l'influence auprès des décideurs politiques au cours de la guerre froide, notamment l'endiguement. Plus récemment, des théories populaires comme celles de Fukuyama, Huntington et Mearsheimer ont gagné en notoriété. La géopolitique anglo-américaine reste très centrée sur les relations entre États-nations mais elle évolue vers une approche à différentes échelles, la prise en compte de l'importance des acteurs, et l'attention au fait que les représentations géopolitiques ne sont pas neutres mais proviennent d'un point de vue qui peut être utilisé pour renforcer ou défier l'ordre établi. De plus, la géopolitique anglo-américaine s'intéresse à de nouveaux sujets comme les diasporas, l'environnement ou le cyberespace. Mais il reste des sujets, notamment dans le domaine des études urbaines, qui ne font toujours pas partie de la démarche géopolitique.
    Geopolitics : geopolitics in the anglo-american world
    Geopolitics in the anglo-american world stems from a different foundation than that of the french one. This article analyses the evolution of anglo-american geopolitics since Alfred Mahan and Halford Mackinder's theories all the way to the discredit it had to endure during the nazi period and then its rebirth today with new forms of geopolitical reasoning, in particular in the application of critical geopolitics. Although it was banished from the scholarly world during most of the second half of the twentieth century, geopolitical ideas had some influence on political decision makers during the cold war, especially during containment. More recently, popular theories such as those of Fukuyama, Huntington and Mearsheimer have grown more popular. Anglo-american geopolitics remains very much centered upon relationships between nation states but it is evolving toward an approach on different scales, taking into account the importance of the actors, and the interest in the fact that geopolitical representations are not neutral but come from a point of view that can be used to reinforce or defy the established order. Furthermore, Anglo-American geopolitics focuses on new subjects such as Diasporas, the environment or cyberspace. But some subjects, especially in the realm of urban studies, remain on the outside of geopolitical research.
  • Quatre-vingts ans de géopolitique au Brésil : de la géographie militaire à une pensée stratégique nationale - Wanderley Messias da Costa, Hervé Théry p. 253-276 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La géopolitique brésilienne ne se résume pas à celle la dictature militaire (1964-1985), utilisée par les généraux-géopoliticiens pour justifier leurs politiques internes et externes. Sans nier l'usage très idéologique fait de la géopolitique lors cette période, il faut prendre en compte les mutations du Brésil, devenu aujourd'hui un des grands « pays émergents », pour voir à la fois comment a évolué la pensée géopolitique brésilienne et comment le changement de statut du pays se reflète – ou non – dans la vision que les Brésiliens ont du monde qui les entoure et de la place qu'ils y occupent.
    Eighty years of geopolitics in Brazil : from military geography to a national strategic thought
    Brazilian geopolitics does not sum up to that of the military dictatorship (1964-1985), used by generic geopoliticians to justify their internal and external policies. Without denying the very ideological use of geopolitics during that period, one must take into account the changes of Brazil, that has become one of the great “emerging countries”, to see how geopolitical thinking has evolved and how the country's status change reflects -or doesn't – in the vision that brazilians have of the world around them and of the place they have in it.
  • La guerre de Fukushima - Philippe Pelletier p. 277-307 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Plus d'un demi-siècle sépare Fukushima de Hiroshima-Nagasaki. Ces deux événements géopolitiques sont liés par la guerre. La puissance américaine chercha dès 1953 à légitimer le nucléaire civil dans le pays qui lui était a priori le plus réfractaire à cause des bombardements atomiques, le Japon. Dès 1954, le capitalisme d'État japonais y a trouvé son compte, via des personnages qui se trouvent aux commandes politiques et économiques avant comme après 1945. En mai 2011 sont révélés les mensonges de TEPCO., la compagnie gestionnaire de la centrale nucléaire de Fukushima, dont plusieurs réacteurs sont entrés en fusion après le séisme et le tsunami du 11 mars, et la dissimulation, par les autorités, du trajet du nuage radioactif pourtant bien identifié et qui a touché des dizaines de milliers de personnes. Il en résulte un revirement de l'opinion publique japonaise, désormais aux trois quarts hostiles au nucléaire. Le niveau tolérable de radioactivité, ennemi invisible, dans les zones contaminées fait l'objet de polémiques. Or ses critères de référence renvoient non pas à Tchernobyl (1986), accident le plus proche, mais à Hiroshima, phénomène malgré tout d'une autre nature.
    The Fukushima War
    More than half than century separate Fukushima from Hiroshima-Nagasaki. These two geopolitical events are linked by war. American power was looking, in 1953, to legitimate the use of civil nuclear power in the country that seemed to be the strongest opponent to it because of the atomic bombings, Japan. As early as 1954, Japanese State capitalism benefited from it, through characters that were in power politically and economically before and after 1945. In may 2011 TEPCO, the company that ran the nuclear plant whose reactors exploded after the earthquake and the tsunami on march 11th and that affected tens of thousands of people, revealed its lies and how the authorities hid the trajectory of the nuclear cloud. This caused a strong reversal in Japanese public opinion, now 75% hostile to nuclear power. The tolerable level of radioactive matter, the invisible enemy, in contaminated zones is subject to discussion. Yet, the reference criteria don't send us back to Tchernobyl (1986), the closest accident, but to Hiroshima, phenomenon of a completely different nature.
  • Hérodote a lu - p. 308-313 accès libre