Contenu du sommaire : Pérou : émergence économique et zones d'ombre

Cette entrevue du réputé anthropologue péruvien Carlos Iván Degregori a été réalisée par la chercheure de l'IEP María Isabel Remy immédiatement après le premier tour des élections présidentielles de 2011 et publiée dans la revue Argumentos (an 5, n? 3, juillet 2011), qui a autorisé cette traduction pour le public francophone. C.I. Degregori revient sur la nécessité de prendre en compte, au delà du jeu électoral et du déroulement de la campagne, les effets de l'histoire et des structures du pays dans le vote des citoyens. Il livre une analyse issue de sa longue expérience du terrain et de son engagement auprès de la Commission de la Vérité et Réconciliation, autour des notions de modèle économique et d'exclusion, d'autoritarisme et d'ethnicité. Carlos Iván Degregori est décédé avant le second tour du scrutin, qui a finalement porté au pouvoir le candidat nationaliste Ollanta Humala.

Entre 1999 et 2009, la société péruvienne est passée par un processus de reconstruction, de démocratisation et d'expansion économique soutenue, après quinze ans de guerre interne et de banqueroute économique à la fin des années 1980 et une décennie de régime autoritaire et corrompu pendant le mandat de A. Fujimori. À partir de ce constat, l'article examine les tendances principales de la transformation des ménages à la lumière des processus clés, économiques et sociaux. L'analyse empirique repose sur une enquête Ménages représentative à l'échelle nationale, l'Encuesta Nacional de Hogares (ENAHO), qui a été réalisée en 1999 et 2009. Les résultats suggèrent que les cycles économiques sont un facteur important dans les transformations des ménages. Alors qu'il y a trente ans, la crise économique au Pérou avait entraîné une augmentation de la part des ménages élargis – ce qui faisait partie de stratégies de survie –, l'expansion économique de la dernière décennie s'accompagne de la montée en puissance des ménages nucléaires, ménages nucléaires sans enfant et ménages d'une seule personne, comme stratégie pour atteindre un meilleur niveau de vie mais également en répercussion de changements sociaux et culturels complexes.

L'agriculture péruvienne a considérablement changé de cap entre les années 1980 et les années 2010. Après une période de réforme agraire, d'intervention de l'État dans la production et la commercialisation, de presque disparition de la grande propriété privée et de développement d'une petite agriculture approvisionnant les villes, le Pérou est redevenu un pays exportateur agricole, marquant sa présence sur les marchés mondiaux autour de produits d'exportation nouveaux comme les asperges, les piments ou les mangues. Il est également en train de redevenir un pays de grandes exploitations agricoles, du moins dans certaines régions. L'article décrit les éléments de ce qui a été et reste un choix politique et débat de ses implications tant pour les sociétés locales et leurs territoires qu'au niveau de l'ensemble du pays. L'analyse s'appuie sur des études de cas réalisées dans différents contextes au cours des années 2000 et 2010.

L'article présenté cherche à expliquer l'histoire récente de la conflictualité sociale au Pérou. Il tient compte de différentes approches et interprétations, tout en concentrant l'analyse sur les conflits dénommés socio-environnementaux, dans lesquels sont impliqués directement des entreprises, les communautés locales et l'État. Dans une perspective historique, les auteurs postulent que le pays est passé d'une matrice conflictuelle marquée par le conflit armé interne pendant presque une décennie entière, à une autre matrice conflictuelle marquée par les conflits de caractère socio-environnemental, dans laquelle interviennent des aspects structurels et conjoncturels, notamment la persistance de la pauvreté dans un contexte de forte croissance économique et le retour à la démocratie.

Dans un contexte de changements, avec la mondialisation et la construction de routes d'intégration depuis le Brésil, l'Amazonie péruvienne et ses villes dépendent toujours principalement de l'extraction des ressources naturelles et des exportations agricoles. L'article décrit différentes “ruées” contemporaines (pétrole, gaz, or ...) et le développement des cultures d'exportation (palmier à huile, café, cacao, et coca qui est de plus en plus présente dans les terres basses). Il aborde les questions de l'efficacité limitée de l'utilisation directe par les autorités locales et régionales d'une partie des impôts payés par les grandes compagnies, comme des effets de la présence d'activités échappant à tout contrôle de l'État et toute fiscalisation, et de la dégradation de l'environnement que finissent par impliquer toutes les formes d'extraction. Il souligne les médiocres conditions de vie que les villes amazoniennes offrent à des populations prises entre profusion et carences, et la faible possibilité d'évolution vers un développement plus durable.

L'article analyse, à partir des résultats d'une enquête empirique menée par entretiens semi-directifs (96 entretiens), la portée et les limites de la thèse de l'existence d'un Individu néolibéral dans la société chilienne contemporaine. Une fois rappelé le caractère exceptionnel du pays – premier laboratoire mondial du néolibéralisme depuis 1973 – il isole cinq grands éléments du modèle qui sont mis par la suite à l'épreuve des faits. Le résultat est tout sauf monolithique. Si le néolibéralisme a sans doute façonné la condition historique actuelle du pays, le texte montre, à travers différents facteurs et expériences, ses contradictions et ses limites, et propose une interprétation alternative – celle de l'hyper-acteur relationnel – qui permet de rendre compte de l'affirmation des individus dans ce pays dans les dernières décennies.