Contenu du sommaire : Varia
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 52, no 1, janvier-mars 2011 |
Titre du numéro | Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- For love and fatherland : Political clientage and the Origins of Russia's first female order of chivalry - Igor Fedyukin, Ernest A. Zitser p. 5-44 Cet article décrit les origines et la portée politique de l'ordre de Sainte-Catherine ou de la Délivrance, le second ordre de chevalerie du système honorifique russe à avoir été mis en place sous le règne de Pierre le Grand, et le premier ordre monarchique russe à disposer de ses propres statuts et à être exclusivement réservé aux femmes. La fondation de l'ordre de Sainte-Catherine a traditionnellement été décrite comme un projet mené par le tsar lui-même et reflétant sa vision des choses. Cependant, comme le montrent les documents d'archives dernièrement découverts et analysés dans cet article, le rôle clé de cet épisode revient à la tsarine Catherine et à ses conseillers et clients tandis que le tsar semble n'avoir été, dans le meilleur des cas, qu'un observateur passif. Bien que la politique dynastique de Pierre et son intérêt pour les ordres monarchiques laïques aient sans doute défini le cadre général de ce qu'il était possible de faire, la conception spécifique de ce projet ne reflétait pas tant la volonté du tsar que les idées d'acteurs tels que Catherine, le favori royal (A.D. Menšikov) et l'ex-beau-frère du tsar (y compris le prince B.I. K urakin). La reconstitution des circonstances réelles de la fondation de l'ordre permet ainsi de documenter une étude de cas détaillée du rôle du clientélisme politique dans la formation des mises en scène du pouvoir aux premières heures de la cour impériale russe.This article describes the origins and political significance of the Order of St. Catherine, or Deliverance: the second-oldest knightly order in the system of honors introduced during the reign of Peter I, the first Russian monarchical order to have its own set of statutes, and the only one reserved exclusively for women. The foundation of the Order of St. Catherine has traditionally been described as a project driven by, and reflecting the vision of the tsar himself. However, as the newly discovered archival documents analyzed in this article indicate, the key role in this episode actually belonged to Tsaritsa Catherine Alekseevna and her advisors and clients, while the tsar seems to have been at best a passive observer. Although Peter's dynastic policy and his interest in lay monarchical orders obviously set the overall framework for what was possible, the specific design of this project reflected not the tsar's will, but the personal agendas of such actors as the royal consort (Catherine), the royal favorite (A.D. Menshikov), and the tsar's former brother-in-law (including Prince B.I. K urakin). A reconstruction of the actual circumstances of the Order's foundation thus provides the evidence for a detailed case study of the role of political clientage in shaping the scenarios of power at the early Imperial Russian court.
- Šuvalov À Rome (1765-1774) : Histoire d'une dédicace - Olga Medvedkova p. 45-73
- Le parti musulman Difai : Enjeux locaux, nationaux, impériaux et représentations dans le sud du Caucase (début du XXe siècle) - Édith Ybert-Chabrier p. 75-113 Seule organisation politique des musulmans du sud du Caucase jouissant d'une certaine assise populaire, le Difai est actif de 1906 à 1908. Il adopte des modes d'actions déjà éprouvés sur le terrain caucasien par le parti arménien Dašnakcutjun : recours au terrorisme ciblé, levée de milices armées. Se définissant comme une organisation panmusulmane du Caucase et de Crimée, il défend des enjeux locaux : peuplement musulman du Karabah, accès des pâturages d'été de cette région aux transhumants. Parti révolutionnaire selon les analyses de la police, le Difai constitue en fait un groupement de notables promouvant un programme réformiste musulman, acquérant de l'influence au sein de la population et contribuant au développement de sa conscience nationale. En pénétrant dans la vie locale du gouvernement d'Elisavetpol' (Gandja) grâce aux rapports policiers et à divers documents d'époque (journaux, annuaires officiels…), l'article tentera de contextualiser l'action politique et la violence, d'analyser les représentations qui ont durablement influencé l'historiographie et de mettre en exergue certains traits communs au Difai et aux mouvements sociopolitiques de l'Azerbaïdjan des années 1917-1920.The only political organization of Southern Caucasus Moslems to enjoy a popular base of support, the Difai was active between 1906 and 1908. It adopted the methods previously deployed in Caucasus territory by the Armenian Dashnaktsutiun party: recourse to targeted terrorism and recruitment of armed militia. Defining itself as a pan-Muslim organization of the Caucasus and Crimea, it took up local issues: Muslim settlement in Karabakh and transhumant access to summer pastures. Dubbed a revolutionary party by police analysis, the Difai was actually a grouping of leading citizens, promoting a Muslim reformist programme, gaining influence over the population and contributing to the development of its national consciousness. By gaining insight into the local life of the Elisavetpol' (Ganja) government, using police reports and various contemporary documents (newspapers, official yearbooks…), this article seeks to contextualize political action and violence, to analyze representations of enduring influence on the historiography, and to highlight some traits common to the Difai and the socio-political movements in Azerbaijan between 1917 and 1920.
- Un anti-Gide allemand : Lion Feuchtwanger - Anne Hartmann p. 109-132 Quand, fin novembre 1936, l'écrivain juif-allemand Lion Feuchtwanger quitta son exil en France pour gagner Moscou, son voyage se déroula dès le début dans l'ombre d'André Gide. Pour les responsables soviétiques, le récit de voyage de Gide Retour de l'U.R.S.S. constituait une débâcle qui ne devait en aucun cas se reproduire. Et Feuchtwanger se résolut à assumer le rôle qu'on lui avait attribué. Alors qu‘il se trouvait encore à Moscou, il lança une polémique contre Gide. De plus, il attaqua l‘écrivain français à plusieurs reprises dans son livre Moskau 1937, paru par la suite. Cependant, il suffit d‘y regarder de plus près pour s'apercevoir que, dans le fond, les visions de Gide et de Feuchtwanger concernant la vie soviétique varient très peu l'une de l'autre. Il semble donc d'autant plus surprenant que les deux écrivains aboutissent à des conclusions quasiment contraires dans leurs textes.Le présent article examine les récits de ces deux voyages ainsi que leurs liens internes, et analyse les différentes manières dont les deux auteurs se perçoivent en tant qu'écrivains et acteurs politiques de leur temps.At the end of November 1936, the German-Jewish author Lion Feuchtwanger left for Moscow from his exile in France. From the very beginning, his journey was under the shadow of André Gide. For the Soviet authorities in charge, Gide's recently published critical travel report constituted a debacle that was not to be repeated. As it turned out, Feuchtwanger played his assigned role: still in Moscow, he published a polemic article against Gide. He also repeatedly attacked the French author in his travel report Moskau 1937, published after his return. It is only on second glance that it becomes apparent that Gide and Feuchtwanger were not, in fact, worlds apart in their perceptions of the conditions in Soviet Russia. It is therefore all the more surprising that they should have reached nearly opposite conclusions. The present contribution reconstructs the interconnections between Gide's and Feuchtwanger's journeys and travel accounts and investigates the two writers' respective self-definitions as authors and political actors of their times.
- Attitudes towards Jews in Odessa: From Soviet rule through Romanian occupation, 1921-1944 - Diana Dumitru p. 133-162 L'article tente d'évaluer dans quelle mesure, au cours des vingt-cinq premières années d'existence de l'URSS, la population soviétique a intégré les politiques de 186 résumés l'État basées spécifiquement sur les relations interethniques. En choisissant Odessa comme objet d'étude, ce travail apprécie comment, par le biais de sa politique des nationalités, l'Union soviétique a géré l'antisémitisme, haine des plus anciennes et des plus intenses nourrie sur son territoire. Il retrace l'évolution des relations entre juifs et non juifs à Odessa depuis la fin de la période impériale en passant par les années de la domination soviétique jusqu'à l'occupation roumaine et allemande de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale et présente les changements dramatiques qui survinrent dans les opinions et les comportements des résidents odessites, résultat premier de la socialisation sous le régime soviétique. La période de l'occupation roumaine permet de tester les « réalisations » soviétiques potentielles en ce qui concerne le combat de l'État contre l'antisémitisme dans la mesure où la Roumanie participait à l'Holocauste et encourageait la population non juive à trahir ses voisins juifs. La présente étude fait appel aux travaux de recherche existants sur la politique soviétique des nationalités, elle contribue à éclairer certains aspects de cette politique restés obscurs jusqu'à ce jour et, aussi, à faciliter la compréhension des mécanismes responsables de l'absorption des normes et des idées promues par l'État.This article evaluates the degree to which the Soviet population internalized state policies during the USSR's first 25 years of existence, focusing specifically on interethnic relations. Concentrating on the case study of Odessa, this research assesses how Soviet nationality policies dealt with one of the oldest and most intense animosities inherited on its territory: antisemitism. By tracing the evolution of the relationship between Jews and gentiles within Odessa starting in the late imperial period, then moving to the years of Soviet rule, and finally through the Romanian and German occupation of the city during World War II, the article exposes the dramatic changes which occurred in the viewpoints and attitudes of Odessa' residents, primarily as a result of socialization under the Soviet regime. The period of Romanian occupation is used to test potential Soviet “achievements” vis-à-vis its fight against antisemitism, since Romania participated in the Holocaust and encouraged the gentile population to betray its neighboring Jews. The present study engages existing scholarship on Soviet nationality policies, helping to illuminate aspects of this policy that have, so far, remained obscure while simultaneously assisting our understanding of mechanisms responsible for the absorption of norms and ideas promoted by the state.
- I saw the light: Former Protestant believer testimonials in the Soviet Union, 1957-1987 - Emily Baran p. 163-184 Cet article étudie les récits d'anciens croyants publiés depuis les années Hruščëv jusqu'à la période de Gorbačëv. Il s'intéresse en particulier aux anciens protestants, que la propagande athéiste de l'époque a traités de façon disproportionnée. L'article déconstruit ces narrations dans lesquelles les anciens croyants décrivent leur passage de la religion à l'athéisme et au communisme. Ces récits sont davantage considérés comme l'un des aspects d'une tradition soviétique plus large selon laquelle la construction de l'identité et la trajectoire de vie personnelle vont de pair avec l'image idéalisée du nouvel homme soviétique. Ils sont également le reflet d'une insistance renouvelée, de la part du pouvoir poststalinien, sur la nécessité de créer une société sans dieu, libérée de tout vestige de croyance religieuse. Pour l'État soviétique, les rapports publiés de ces anciens croyants prouvaient que la société évoluait véritablement dans cette direction et, par là même, constituaient une incitation, pour les autres croyants, à suivre ces exemples et à embrasser l'athéisme. Enfin, cet article évalue dans quelle mesure ces témoignages ont réussi, ou échoué, dans leur mission d'éradication de la foi.This article examines former believer narratives from the Khrushchëv to the Gorbachëv era. In particular, it focuses on former Protestants, who received disproportionate coverage in atheist propaganda during this period. The article deconstructs the ways in which former believers described their journey from religion to atheism and communism. These narratives are best seen as one aspect of a broader Soviet tradition of constructing one's identity and personal life trajectory in line with the idealized image of the new Soviet man. They also reflect a renewed emphasis in the post-Stalin era on creating a godless society free of any vestiges of religious belief. For the Soviet state, published accounts by former believers provided proof that society was indeed moving in this direction and offered encouragement to other believers to follow these examples and embrace atheism. Lastly, this article assesses the relative success or failure of these testimonials in eliminating religious faith.