Contenu du sommaire : Théorie américaine : réceptions françaises
Revue | Revue française d'études américaines |
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Numéro | no 126, 4ème trimestre 2010 |
Titre du numéro | Théorie américaine : réceptions françaises |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Théorie américaine : réceptions françaises
- Introduction. L'inversion des flux théoriques : vers un Gulf Stream intellectuel ? - François Cusset p. 3-20 Cet article dresse un panorama de l'influx de traductions de l'américain vers le français en théorie littéraire, en philosophie et en sciences sociales depuis une dizaine d'années, le nombre annuel de ces traductions ayant plus que doublé sur la période. Outre un classement des ouvrages concernés selon les enjeux et les disciplines et une analyse du rôle des différents médiateurs et organismes impliqués au fil de ce processus, sont abordés également les enjeux épistémologiques et politiques d'un tel apport théorique américain dans le champ intellectuel français contemporain.This article offers an overview of the new wave of translations from American into French of essays in the fields of literary theory, philosophy and social sciences over the last ten years.?Indeed, the annual number of such translated titles has doubled over the past decade. The first objective is to sort out and categorize the selected books as well as describe the roles played by various mediators and institutions along the process of their publication. In addition, it seeks to emphasize the epistemological and political stakes of such an influx of “American theory” for France's contemporary intellectual field.
- Le moment américain. Sur la mondialisation des pensées critiques - Razmig Keucheyan p. 21-32 On assiste à l'heure actuelle à une mondialisation des pensées critiques, c'est-à-dire des pensées qui, sous diverses formes, contestent l'ordre social existant. Cette mondialisation est indissociable de l'américanisation de ces pensées, les universités américaines constituant aujourd'hui leur principal lieu de valorisation et de consécration. Les pensées critiques se caractérisent donc actuellement par un double mouvement de diversification des provenances nationales et d'américanisation de leurs auteurs. C'est ce que nous appelons le « moment américain » des pensées critiques. Nous nous interrogeons ensuite sur la manière dont s'opère la réception de ces pensées critiques mondialisées/américanisées en France.Critical thought—which criticizes the social order with varying degrees of radicality —is currently undergoing a process of globalization. Today's most prominent critical intellectuals are from a great variety of places, most notably the global South. The globalization of critical thought is concomitant with its Americanization, that is with the fact that more and more critical thinkers are based in—or are the products of—the U.S. academe. This is what we call the “American moment” of critical thought. We then reflect on the reception of this globalized/Americanized critical thought in France.
- « Je m'attendais à un silence indifférent... » : Entretien avec William J. T. Mitchell - François Cusset p. 33-40 Professeur aux départements d'anglais et d'histoire de l'art de l'Université de Chicago, William J. Thomas Mitchell, né en 1942, est à l'origine aux États-Unis du champ d'étude transversal dit des Visual Studies : l'appréhension des images, passées et présentes, quels qu'en soient les supports et les modalités (de l'iconologie religieuse à la culture de masse et à la cyberculture, en passant par les notions revisitées de l'imaginaire ou de la composition graphique), non plus à partir du postulat logocentrique de leur (il)lisibilité ou de leur traductibilité linguistique, mais en tant que formes culturelles et perceptives autonomes, dotées d'une vie et d'une historicité propres, irréductibles par conséquent aux textes et aux contextes qui les encadrent. Formalisée dans plusieurs essais désormais classiques, notamment Iconology (1986), Picture Theory (1994) et What Do Pictures Want ? (2005), une telle approche, résolument transdisciplinaire, fait usage aussi bien d'études pointues en théorie et en histoire de l'art que des propositions de Sigmund Freud sur l'image et l'inconscient collectif ou de celles de Karl Marx sur la représentation et l'idéologie. Directeur de la rédaction de la revue de sciences humaines Critical Inquiry, basée à Chicago, Mitchell s'est trouvé en outre, au cours des vingt-cinq dernières années, au croisement de polémiques théoriques et axiologiques de premier plan qui alimentèrent en retour son entreprise de problématisation du monde-image. La publication au printemps 2009, dans la collection « Penser/Croiser » des Éditions Les Prairies ordinaires, de son premier volume en traduction française, Iconologie : image, texte, idéologie (traduction de Maxime Boidy et Stéphane Roth), lui-même composé`np pagenum="034"/b de l'essentiel de son essai éponyme de 1986 ainsi que de fragments d'ouvrages ultérieurs, fut l'occasion pour Mitchell de faire l'expérience d'une projection inédite dans l'espace intellectuel français, notamment grâce à deux courts séjours en France – pendant lesquels il donna conférences et interviews, dont un dialogue public avec le philosophe Jacques Rancière. Son livre, vieux de 25 ans en anglais, a trouvé soudain une actualité nouvelle, fût-elle déplacée, et très localisée. W. J. T. Mitchell a accepté de raconter, au cours d'un bref entretien, sa confrontation récente d'American theorist avec le champ intellectuel hexagonal.
- Les deux morts de Rawls : Analyse croisée des hommages posthumes à John Rawls en France et aux États-Unis - Mathieu Hauchecorne p. 41-52 Cet article propose une étude comparative des hommages publics rendus au philosophe John Rawls en France et aux États-Unis à la suite de son décès en novembre 2002. Alors que les hommages à Rawls aux États-Unis se concentrent dans les revues académiques, ils sont en France davantage le fait de la presse et des revues intellectuelles généralistes. En outre, alors que la presse étasunienne met l'accent sur le positionnement philosophique de l'œuvre de Rawls, les médias français appréhendent davantage sa théorie de la justice en termes politiques. Ces différences entre les funérailles étasuniennes et françaises de Rawls s'expliquent tout d'abord par des rapports au champ politique et des modèles d'intervention différents entre intellectuels étasuniens et français. Quoique le retrait politique qu'a observé Rawls tout au long de sa carrière l'apparente au modèle étasunien du professional, il est lu en France comme on lirait un intellectuel engagé, modèle spécifique au champ intellectuel français depuis l'affaire Dreyfus. Les différences entre les funérailles étasuniennes et françaises de Rawls tiennent ensuite à la carrière spécifique épousée par la pensée de Rawls en France, celle-ci ayant dans un premier temps fait l'objet d'une attention plus soutenue dans les réseaux intellectuels de la gauche anti-totalitaire et du centre-droit, que chez les philosophes proprement dits.This essay is a comparative study of the tributes paid to the American philosopher John Rawls, in France and the United States, after his death in November 2010. Whereas in the U.S. tributes to Rawls appeared in scholarly journals, in France they did in political magazines and general interest media. Besides, the focus in U.S. journals on Rawls's philosophical commitments is at odds with the emphasis placed by the French media on the political interpretations of his theory of justice. The contrast between Rawls's French and U.S. “funerals” is a consequence of the way intellectual fields in France and the U.S. differ in their relation to politics. While Rawls conformed with what was expected of him in the American academia by staying away from politics almost all his life, he was seen in France as an intellectuel engagé, the typical figure of intellectual life since the Dreyfus case. The contrast between the French and American reactions to Rawls's death is also related to the fact that those who first got interested in his theory of justice in France were supporters of the anti-totalitarian left or center-right, rather than academic philosophers.
- Les (més)aventures continentales d'un pragmatisme critique : lire Richard Rorty et Richard Shusterman en France - Romain Pudal p. 53-65 Cet article est consacré aux réceptions françaises des philosophes pragmatistes américains, Richard Rorty et Richard Shusterman. Sont analysés certains débats suscités par leur travail (notamment avec Jacques Bouveresse, Pascal Engel ou Pierre Bourdieu), mais plus généralement il s'agit de mettre en lumière les phénomènes d'incompréhensions et les malentendus qui sont caractéristiques de la circulation internationale des idées.This article addresses the French reception of two pragmatist philosophers : Richard Rorty and Richard Shusterman. Pragmatism has been used and appropriated by French academics, in many ways, in philosophy as in social sciences. The frame of the author's interpretation is informed by the sociology of intellectuals. His aim is to highlight different phenomena connected to the international dissemination of ideas—namely misreading and misunderstanding. As Bourdieu argues, “texts circulate without their context.” Hence, it seems that the context of reception overdetermines the readings and uses of texts.
- Le postcolonial dans ses allers-retours transatlantiques : glissements, malentendus, réinvention - Laetitia Zecchini, Christine Lorre p. 66-81 Cet article vise à retracer les enjeux d'une pensée postcoloniale évolutive et à examiner la généalogie des études postcoloniales qui résultent en partie d'échanges intellectuels et de transactions-réinventions entre les deux rives de l'Atlantique. Les deux temps forts de cet échange sont, à partir des années 1970, l'exportation d'une pensée dite post-structuraliste élaborée en France et sa germination dans les universités américaines puis le rapatriement hexagonal de ce courant de pensée sous l'appellation « théorie postcoloniale ». Cet aller-retour a suscité en France des malentendus révélateurs de certaines crispations disciplinaires et identitaires. La « question » postcoloniale ayant été médiatisée avec la polémique aux alentours de 2005, et s'étant imposée dans le débat public non sans une confusion terminologique lourde de malentendus, la critique postcoloniale, dans sa forme politique et surtout mémorielle, a pris le pas sur la théorie postcoloniale et sur l'analyse des discours. La méfiance qui règne vis-à-vis d'un courant de pensée qui semble faire entrer certaines disciplines dans une ère du soupçon déstabilisante traduit un malaise spécifiquement français par rapport au brouillage des frontières disciplinaires. Elle révèle également une certaine difficulté républicaine à penser l'articulation entre identités et altérités, à renoncer à un « récit national » du passé colonial, à faire dialoguer mémoires et histoires divergentes, à distinguer entre mémoire et histoire. Ainsi, malgré l'émergence d'un véritable débat postcolonial français et francophone, le décentrement que traduisent et qu'accomplissent les études postcoloniales est encore à venir en France. Leur puissance de perturbation, d'ébranlement et de renouvellement semble en tout cas intacte.This article aims to explore the questions at stake in an evolving postcolonial discourse, and examine how the genealogy of Postcolonial Studies partly results from intellectual exchanges and transactions/reinventions between the two sides of the Atlantic. The two key phases of this exchange are, from the 1970s onwards, the exportation of poststructuralist thinking that developed in France and germinated in American universities, and subsequently, the move back to France of this trend of thought under the name of “postcolonial theory.” In France, this postcolonial feedback has been a source of misunderstandings and destabilization that reveal certain institutional, disciplinary and identity-related tensions. Because the postcolonial question has been conspicuously and polemically present since 2005, with the term “postcolonial” itself being often very loosely defined, postcolonial critique, in its political and above all commemorative dimensions, has supplanted postcolonial theory and discourse analysis. Postcolonial theory has too often been equated with threatening communal identity politics. The distrust of a trend of thought that seems to usher disciplines into a destabilizing “age of suspicion” also reveals a certain French discomfort with inter-disciplinarity. It sheds light on France's reluctance to give up a national and metropolitan narrative of its colonial past, on the republican difficulty in dealing with divergent histories and conflicting memories, and on the blind spots of that history. Despite the recent emergence of a genuine French and francophone postcolonial debate, the shift in perspective that postcolonial studies can effectively perform is yet to unfold in France. Their power to challenge, alter and renew disciplines, institutions, discourses or national paradigms seems at any rate untouched.
- Theory et bricolage : confessions d'une traductrice - Françoise Bouillot p. 82-91 La traduction en français des textes de la French theory pose aux traducteurs des problèmes très spécifiques, tant du point de vue de la langue pure – les textes originaux étant en français – que du point de vue des concepts, développés essentiellement dans un cadre universitaire. Petit état des lieux à partir d'exemples pratiques.The translation into French of the “French theory” raises specific problems. These problems are linguistic, given that the texts are all written in French, but also conceptual, since the texts are produced in an academic context. The essay presents a brief inventory with examples.
- Introduction. L'inversion des flux théoriques : vers un Gulf Stream intellectuel ? - François Cusset p. 3-20
Varia
- Complot contre les évêques ? : La réaction de Washington et du Saint-Siège à « The Challenge of Peace : God's Promise and Our Response » (1981-1983) - Marie Gayte p. 92-111 Si certains ont évoqué l'existence d'une alliance entre Ronald Reagan et Jean-Paul II, il en alla différemment des relations entre le gouvernement et les évêques catholiques américains. Cela ne fut jamais aussi frappant qu'au moment de la rédaction de leur lettre pastorale « The Challenge of Peace », véritable réquisitoire contre la politique de dissuasion nucléaire américaine. Cet article présente les stratégies employées par l'administration Reagan pour essayer de contrer les évêques. Il se concentre tout particulièrement sur les tentatives de Washington de s'adjoindre l'aide du Saint-Siège, et s'efforce de déterminer si la réaction de Jean-Paul II à cette lettre, perçue comme propice aux intérêts américains, constitue le signe d'une « alliance » entre les États-Unis et le Vatican.While there has been talk of an alliance between Reagan and John Paul II, there was no alliance between the Administration and the Roman Catholic bishops in the United States. Never was this so visible than at the time of the drafting of “The Challenge of Peace,” the bishops'pastoral letter attacking U.S. nuclear deterrence policy. This essay explores the strategy employed by the Reagan Administration to counter the bishops. It focuses on Washington's efforts to enlist the Vatican's assistance, and tries to determine whether John Paul II's answer to the letter, perceived as favorable to U.S. interests, was in any way the sign of an “alliance” between the Holy See and the United States.
- Complot contre les évêques ? : La réaction de Washington et du Saint-Siège à « The Challenge of Peace : God's Promise and Our Response » (1981-1983) - Marie Gayte p. 92-111
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 112-127