Contenu du sommaire : La pensée catholique
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 4, décembre 2001 |
Titre du numéro | La pensée catholique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- L'autocompréhension du catholicisme, entre critique et attestation - Jean-Marie Donegani p. 5-14
Dossier
- Actualité d'une philosophie chrétienne - Paul Gilbert p. 15-39 La recherche philosophique contemporaine tient loin d'elle le syntagme « philosophie chrétienne » qui lui semble ne pas respecter la liberté de pensée. Mais la signification de ce syntagme n'a pas d'évidence, d'autant plus que l'autoconscience de la philosophie ne peut pas s'aveugler sur l'importance qu'a joué le christianisme dans son passé. Le concept de « philosophie chrétienne » a été décrit par l'encyclique Fides et Ratio d'une manière qui rencontre, dans quelque mesure, les préoccupations de La religion de Kant : on ne peut pas enfermer la pensée philosophique, comprise en son ampleur la plus exacte, dans le domaine que limite la pensée scientifique ; il y a une raison au-delà de la science, un domaine du « sens » que la pensée chrétienne envisage. Dans la culture contemporaine, le « sens » est compris le plus souvent à la suite de la lecture heideggérienne de l'histoire de l'être, qui est à la fois avènement et effacement de soi. Des philosophes italiens, comme S. Natoli ou G. Vattimo, voient dans le christianisme une étape essentielle de cette histoire, proposant une philosophie du christianisme qui débouche sur des positions typiquement postmodernes et largement stoïciennes. Des auteurs français reprennent plutôt l'idée kantienne d'un modèle que la philosophie peut recevoir du christianisme pour penser ce qu'au-trement elle ne pourrait pas aborder ; mais il ne s'ensuit pas que J.-L. Marion ou M. Henry aient l'intention de déployer une philosophie proprement « chrétienne ».
- Qu'est-ce qu'un texte religieux ? - Francis Jacques p. 40-56 La Bible est le terrain où le questionnement doit instruire les trois questions de l'identité, du statut et du rapport au texte religieux. Mais à quoi reconnaît-on un texte religieux, la capacité d'animation de nos existences que possède le Livre ? Le modèle de la différence textologique est présenté comme un modèle de structuration érotétique et catégoriale, donc dynamique. Un texte serait un pauvre petit tas de feuilles, n'était le grand mouvement qui s'empare de lui, a fortiori l'absolument Livre.
- Théologie fondamentale et discours politique - Francis Schüssler Fiorenza p. 57-70 Examinant l'émergence de la théologie fondamentale comme appel à la raison publique et ses rapports avec le développement d'une éthique sociale et politique indépendante au sein de la théologie chrétienne, Francis Schüssler Fiorenza se penche sur la critique du fondationalisme apportée par le pragmatisme et la conscience herméneutique de l'historicité de la raison. Prenant en compte cette critique, certains théologiens élaborent une théologie afondationaliste à la manière dont certains philosophes plaident pour une éthique politique contextualisée et communautaire. Mais ces tentatives ne fournissent pas une base satisfaisante pour critiquer les valeurs et les croyances d'une communauté particulière. A l'inverse, l'auteur développe la notion d'« équilibre réfléchi » qui devrait permettre à la réflexion théologique et éthique de relever le défi d'une critique du fondationalisme.
- Sujet de désir, sujet de foi. Après Freud, quelle religion ? - Nicole Jeammet p. 71-82 Les découvertes psychanalytiques ont profondément bouleversé notre façon de penser l'homme, mais aussi de penser Dieu. Elles ont été, cependant, marquées par des courants divers. Bien sûr, c'est à Freud qu'on les doit : révélant le concept d'inconscient, il a introduit un doute durable sur un sujet qui se croyait jusqu'alors « maître chez lui » et sur un Dieu qu'il découvre créé par les désirs d'immortalité et de toute-puissance de l'homme. Lacan, lui, délaissant la sphère du biologique propre à Freud, a mis l'accent sur le langage. Cette dimension structuraliste a permis que s'opère un certain concordisme entre pensée psychanalytique et pensée catholique. Aujourd'hui, et même si ces deux courants sont toujours fortement représentés, une troisième voie est apparue, ouverte par Winnicott. S'appuyant sur les expériences relationnelles mère-enfant, il propose un modèle théorique qui nous permet de penser autrement : le modèle paradoxal d'un trouver/créer le monde.
- Science et foi : de l'épistémologie à l'éthique - Antoine Delzant p. 83-92 La science et la foi sont deux compartiments du savoir, distincts par leurs méthodes et leurs objets. La science se focalise sur la nature, sur le cosmos, et sur tout ce qui peut faire l'objet d'une expérience. Elle a des méthodes très précises et qui lui sont propres. Le christianisme renvoie toujours à autre chose qu'à lui-même, à Dieu, au sens de l'existence. Il en appelle aussi à la liberté. Si, donc, on respectait les deux épistémologies, bien des affrontements pourraient être évités. Il n'en demeure pas moins qu'il y a entre ces deux disciplines de l'esprit de nécessaires dialogues et que rien ne nous promet que ces dialogues seront toujours faciles. Mais ce sera toujours le signe que ces disciplines demeurent vivantes.
- L'institution ecclésiale et sacramentelle dans le champ du symbolique - Louis-Marie Chauvet p. 93-103 La modernité contemporaine a été marquée par un tournant épistémologique que l'on peut caractériser comme le fait de penser dans la différence (ou dans l'écart) et donc dans le champ du symbolique. De ce fait, le discours théologique, discours certes croyant, mais en quête d'intelligence critique de sa propre cohérence, a connu un déplacement considérable. On examine ici ces déplacements dans ses deux secteurs les plus institutionnels : la théologie des sacrements et l'ecclésiologie. Cet examen fait apparaître un véritable paradoxe : l'institution a d'autant plus de force qu'elle est débordée et contestée par le « mystère » qu'elle veut servir (grâce de Dieu dans les sacrements ; mystère de Dieu dans les dogmes).
- La théologie des religions ou le salut d'une humanité plurielle - Claude Geffré p. 104-120 La théologie des religions est un des chantiers les plus travaillés de la théologie catholique contemporaine. Depuis Vatican II, elle s'efforce de dépasser une réflexion trop uniquement polarisée sur la question du « salut des infidèles » pour devenir une théologie du pluralisme religieux qui s'interroge sur la signification de ce pluralisme à l'intérieur de l'unique Dessein de Dieu. C'est le seul moyen d'assigner un fondement théologique au dialogue interreligieux et de ne pas confondre l'universalité du mystère du Christ et l'universalité de la religion chrétienne. La théologie de l'avenir est invitée à approfondir le paradoxe de l'Incarnation pour faire droit à la valeur irréductible des autres religions sans sacrifier en rien l'unicité du mystère du Christ.
- L'?cuménisme aujourd'hui - Hervé Legrand p. 121-132 A la veille de Vatican II, l'oecuménisme ne concernait qu'une élite dans l'Aglise catholique. Trente-cinq ans après, les questions disputées pendant le concile (place des Aglises locales et régionales, réforme de l'exercice de la primauté romaine, collégialité, exercice du magistère) sont perçues comme autant de questions oecuméniques. Il ne s'agit plus seulement de s'ouvrir aux autres, mais de donner à leur pensée une réelle hospitalité. Plus encore, il faut entreprendre, chez nous, dès maintenant, tout ce qui favorisera la marche commune vers la catholicité. Depuis que des tensions confessionnelles ont revu le jour en Europe de l'Est, le legs de Vatican II retrouve une actualité auprès de l'opinion publique qui ne prête pourtant pas assez attention aux nombreux dialogues entre toutes les Aglises, qui en ont résulté, notamment les accords de Balamand et d'Augsbourg, et dont les résultats porteront leurs fruits, à long terme, sur la théologie et les institutions de l'Aglise catholique.
- Féminisme et théologie - Susan A. Ross p. 133-146 La théologie féministe, qui se considère comme une théologie de la libération, a depuis une trentaine d'années élaboré une critique épistémologique et politique de la pensée chrétienne traditionnelle et notamment de son orientation patriarcale et fondationaliste. En abordant de façon nouvelle l'anthropologie biblique ou le langage de la Révélation, en traitant de questions aussi sensibles que l'éthique sexuelle, le leadership ecclésiastique ou la dimension politique de la liturgie, le courant féministe a contribué à un important renouvellement de la réflexion théologique. Mais si cette tendance a largement modifié les perspectives de la discipline, elle semble aujourd'hui rencontrer ses limites dans la mesure où elle n'a pu influencer en aucune manière les orientations du magistère romain.
- Loi naturelle, droit naturel, droit positif - Alain Sériaux p. 147-155 Ici plus qu'ailleurs, la découverte d'une pensée « catholique » sur le droit naturel se heurte à la difficulté de préciser quels auteurs sont susceptibles de s'en réclamer. Sous cette importante réserve, qui tient aux rapports généraux qu'entretient la raison avec la foi, les doctrines jusnaturalistes sont actuellement diversifiées, parfois contradictoires. Leur mission commune reste toutefois la même : redonner sens et profondeur aux droits positifs.
- Liberté religieuse et modernité politique - Silvia Scatena p. 156-167 En dépit de lectures intentionnellement minimalistes, la déclaration sur la liberté religieuse du concile Vatican II est considérée le plus souvent comme un tournant dans les relations difficiles qu'a entretenues l'Aglise catholique avec le monde moderne. Reconnaissant le droit individuel et collectif à la pratique d'une religion dans les limites de la loi et la liberté de chacun à l'égard de toute coercition religieuse, l'Aglise a réglé le point majeur du contentieux qui l'opposait à la modernité politique. Dans l'autre sens, l'insistance de Mgr Wojtyla sur le lien unissant nécessairement la liberté et la vérité a été perçue comme une sorte de renversement par rapport aux positions conciliaires. Au-delà de l'interrogation sur la continuité ou non des positions de Jean-Paul II par rapport à la déclaration Dignitatis Humanae, c'est en analysant la genèse du texte et les contextes culturels et politiques dans lesquels il s'inscrit que l'on peut tenter de déchiffrer les questions herméneutiques qu'il soulève.
- Sur la théologie politique - Henri-Jérôme Gagey, Jean-Louis Souletie p. 168-187 En imposant de différencier la communauté religieuse et la communauté politique dans les Atats démocratiques modernes, la sécularisation semble conduire à une inéluctable privatisation de la foi à laquelle le christianisme ne peut consentir. Cependant, divers théologiens du 20e siècle se sont efforcés de penser la responsabilité propre à la foi dans le champ « politique » sans nourrir le rêve d'un retour à l'Ancien Régime prédémocratique. Ces tentatives n'ont certes pas permis l'élaboration d'une théologie véritablement « politique » redonnant une place centrale aux Aglises dans l'appareil d'Atat. Mais, en soulignant, en particulier, la mission prophétique de protestation, elles ont jeté les bases d'une « déprivatisation » de la foi qui déplace notablement la problématique héritée du 19e siècle.
- Théorie politique et représentation. Une autre histoire du progrès - Bernard Reber p. 188-198 Pour défendre une nouvelle science politique menacée par les approches positivistes, Eric Voegelin, dont Hannah Arendt disait qu'il ouvrait les premiers débats avec les problèmes réels depuis Max Weber, fait l'hypothèse selon laquelle l'évolution de la société occidentale reposerait sur l'opposition de deux représentations de l'ordre politique : la tradition méditerranéenne (tension entre monde grec et monde chrétien) et le gnosticisme, depuis le Moyen Age jusqu'aux discours actuels de la fin de l'histoire. Les thèses de Voegelin trouvent également leur actualité dans les questions liées à l'incertitude et au progrès technologique, dans sa version innovatrice ou apocalyptique. Dans le domaine de la théologie politique, certains ouvrages de Schmitt permettent de discuter la thèse voegelinienne de la modernité comme processus de redivinisation, aux antipodes de la tradition wébérienne très répandue.
- Actualité d'une philosophie chrétienne - Paul Gilbert p. 15-39