Contenu du sommaire : Crime et châtiment
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 17, février 2005 |
Titre du numéro | Crime et châtiment |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Criminelle politique. À propos de l'essence politique du crime - Jean-Michel Blanquer p. 5-7
Dossier
- Autour du « crime des crimes » : au-delà des affaires humaines ? - Jorge E. Viñuales p. 9-30 L'article explore les différentes implications de l'idée qu'Hannah Arendt avait exprimée en 1958 dans son ouvrage « La condition de l'homme moderne » selon laquelle certains crimes ne peuvent être ni punis ni pardonnés, en se focalisant sur le crime de génocide et la façon dont il est traité en droit international. En utilisant la pensée d'Hannah Arendt comme fil rouge du texte, l'auteur cherche à montrer les ambiguïtés propres aux idées du philosophe, celles qui semblent appartenir irréductiblement à la question explorée et, plus particulièrement, la nécessité d'une issue humaine face à un mal qui peut être tout aussi extrême que banal. L'analyse met en exergue que toute tentative de rendre justice face à un crime comme le génocide doit nécessairement établir, voire construire artificiellement, une correspondance entre l'acte et ses conséquences juridiques.
- De la visibilité du crime et du privilège de l'illégalité légitime - Jean de Maillard p. 31-46 La décennie 1990 a été celle de la découverte des « affaires ». Elle correspond en réalité à l'émergence d'un nouveau rapport de la société avec la criminalité qui a vu s'inverser la relation traditionnelle entre crime et marge sociale. Désormais, le crime est un mode de fonctionnement des pouvoirs établi et reconnu. La criminalité a changé de forme et de structure en changeant de statut social, elle est aussi devenue visible là où elle ne l'était pas, à savoir dans les instances de pouvoir. Mais cette nouvelle visibilité semble en réalité révéler une intolérance récente des opinions publiques à l'égard des illégalismes dont l'Atat moderne s'était accaparé le monopole de la légitimité. Cela ne veut pas dire que la criminalité propre aux instances de pouvoir disparaisse dans une grande vague de moralisation, mais simplement qu'elle se déporte vers de nouveaux acteurs, ceux qui ont pris le vrai pouvoir avec la mondialisation : les marchés financiers. Les Atats sont ainsi entrés dans une opposition-concurrence avec les marchés financiers, dont l'enjeu est la détention du monopole de l'illégalité légitime.
- La criminologie, héritière paradoxale de l'école d'anthropologie criminelle - Aurore Llorca p. 47-64 L'individualisation de la peine, intervenue lors de la deuxième moitié du 19e siècle, représente un changement radical dans l'administration de la sanction. Depuis, le politique reste confronté au débat sur la légitimité du droit de punir, réflexion qui détermine, au niveau des politiques anti-criminelles, la perception du criminel et de la victime.L'analyse de l'interaction entre l'influence de l'opinion publique très réceptive aux faits divers nourrissant un sentiment d'insécurité avec le politique, garant de l'ordre social, mettra en lumière les grandes tendances des débats et choix politiques sur le type de sanction qui peut être privilégié. Il sera alors question de montrer comment le politique est à la fois susceptible de faire évoluer les notions de culpabilité et de responsabilité de l'individu dangereux, mais également comment le politique est lui-même responsable devant la société.
- Sanctions politiques internationales et crimes de torture : entre (il)légitimités et (dé)politisation, effets et paradoxes - Émilie Combaz p. 65-79 Si la torture est à présent un crime largement condamné dans le droit international public et dans la plupart des discours diplomatiques, elle fait l'objet de sanctions ' politiques comme pénales ' sélectives et très variées. Les logiques ' entendues comme sens et stratégies ' constitutives des sanctions politiques dans les enceintes multilatérales peuvent ainsi être analysées en tenant compte des singularités et caractéristiques de l'espace international. Une lecture de la construction des sanctions politiques en termes de différences et/ou de confrontation de légitimités et de légitimations, concernant d'une part les normes, éthiques et références, d'autre part les acteurs et cibles de la construction d'une sanction politique, permet alors d'enrichir l'explication classique par les conflits d'intérêts ou les rapports de pouvoir internationaux. Ces oppositions suscitent des tentatives de « politisation » et de « dépolitisation » des sanctions politiques, traduites par plusieurs types de stratégies et de choix aux objectifs et aux effets paradoxaux en termes d'efficacité, pouvant notamment déboucher sur un sabordage de la « politisation » et sur un appel d'air à la pénalisation de la sanction par « dépolitisation ».
- La dimension punitive des guerres justes dans la doctrine théologique (d'Augustin à Vitoria) - Frédéric Gros p. 81-96 Il s'agit dans ce texte de prendre au sérieux la mise en garde de C. Schmitt : toute guerre qui fait de son ennemi un criminel et prétend se mener au nom de la justice sera une guerre d'anéantissement, plus inhumaine et totale que des guerres classique opposant des Atats égaux pour des enjeux politiques. Une étude précise des textes de la tradition théologique permettent de dresser de la doctrine de la guerre de juste cause un tableau plus contrasté : la guerre juste se comprend d'abord comme simple entreprise de réparation d'une violation du droit déterminée ; l'ennemi est bien vu comme un criminel, mais son châtiment ne signifie pas son extermination absolue ; la guerre juste n'est pas une guerre sainte et continue de se réfléchir comme d'essence juridique.
- Quand la délinquance s'invite en politique : la politisation de la question criminelle dans la nouvelle Afrique du Sud - Thierry Vircoulon p. 97-115 La délinquance est souvent un objet médiatique mais elle n'est pas systématiquement un objet politique. L'Afrique du Sud montre au contraire que la délinquance peut être non seulement politisée mais sur-politisée. Après 1994 et l'avènement de la démocratie, l'Afrique du Sud a été confrontée à une recrudescence rapide de la criminalité qui a surpris la communauté blanche et provoqué un sentiment d'insécurité profond. Cette fraction de la population sud-africaine a réagi en mettant en cause le gouvernement et en considérant cette poussée criminelle comme une crise nationale, un problème de gouvernance. Le parti d'opposition qui la représentait a instrumentalisé ce problème lors du scrutin électoral de 1999 et le gouvernement a contre-attaqué en sur-réagissant. Cet article retrace l'enchaînement rapide entre sentiment d'insécurité-médiatisation-politisation-sur-politisation qui s'est joué entre 1995 et 2000 et aboutit maintenant à une polémique politique que seule la lassitude de l'opinion publique ou une réduction drastique de la criminalité semble pouvoir clore. S'ils relèvent de circonstances contextuelles particulières, cet enchaînement et son aboutissement ' la sur-politisation ' révèlent un malaise plus profond que la simple peur de la violence : il révèle l'inquiétude fondamentale qui domine la communauté blanche quant à son avenir dans un pays qu'elle ne contrôle plus. Mais, simultanément et paradoxalement, la sur-politisation de la question criminelle est un renversement de l'ancien paradigme de la criminalisation du politique, renversement qui témoigne de la réussite de la démocratisation.
- Autour du « crime des crimes » : au-delà des affaires humaines ? - Jorge E. Viñuales p. 9-30
Actualité
- La censure et la loi - Dominique de Leusse p. 117-129
- Les justifications de la censure - Ulysse Korolitski p. 131-147 Les justifications traditionnelles de la répression du racisme et de son cas chimiquement pur, le révisionnisme, butent sur une double difficulté : l'absence de causalité claire (de l'opinion raciste à l'acte raciste, en passant par le sentiment raciste), la nécessité de présupposer une volonté de nuire, alors que celle-ci n'est pas avérée. Par une analyse de ces difficultés et l'examen de la possibilité de punir une personne pour un acte qu'elle n'a pas commis, il apparaît que le modèle de la présomption peut permettre de substituer une justification politique cohérente à une justification théorique défaillante, un réalisme juridique à des raisons démocratiques illusoires.
- Contrôle concerté ou censure ? L'euphémisation du contrôle public des médias et sa légitimation - Jean-Matthieu Méon p. 149-160 Cet article traite de l'élaboration et du fonctionnement du dispositif public actuel de contrôle des programmes de télévision, assuré par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) et les chaînes. Par cette démarche empirique, il contribue à une analyse de la censure, de ses évolutions ' dans le sens d'une euphémisation ' et de ses processus de légitimation.
Varia
- Le Neveu de Rameau après Michel Foucault - Florence Chapiro, Jean Goldzink p. 161-177 L'analyse du Neveu de Rameau par Michel Foucault, dans l'Histoire de la folie, est devenue fameuse. Elle assigne au texte de Diderot une place exceptionnelle, en l'interprétant comme un dialogue entre raison et déraison, au moment même où, selon l'auteur, la raison classique a expulsé la folie hors de l'espace social et intellectuel. L'article s'interroge sur la légitimité d'un tel point de vue, et s'efforce de démontrer que le célèbre dialogue oppose raison philosophique et raison cynique, en prenant ouvertement parti contre celle-ci.
- Le Neveu de Rameau après Michel Foucault - Florence Chapiro, Jean Goldzink p. 161-177
Lectures critiques
- Lectures critiques - p. 179-192