Contenu du sommaire : Une opinion publique internationale ?
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 19, septembre 2005 |
Titre du numéro | Une opinion publique internationale ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- De l'espace public comme concept à l'opinion publique comme fait social - Alice Goheneix p. 5-7
Dossier
- L'opinion à la conquête de l'international - Bertrand Badie p. 9-24 L'impact sur le jeu international de la révolution technologique, en matière d'information et de communication, a sans doute été sous-estimé. En s'adressant aux individus, les médias achèvent un processus à l'oeuvre depuis le 19e siècle, qui bouleverse l'identité des acteurs internationaux et énonce une rupture de paradigmes. Auparavant strictement réservées aux Atats, les Affaires étrangères sont désormais « l'affaire de tous ». Au sein d'un Atat donné, les individus se mobilisent pour faire valoir leur opinion sur l'international (OPSI). Celle-ci agit au sein même des frontières nationales, mais peut également converger avec l'OPSI d'autres populations. Simultanément, des réseaux transnationaux de mobilisation déploient une autonomie croissante, et forgent un véritable espace transnational de débat, pour une opinion publique internationale (OPI).
- L'invention de la contestation transnationale par les forums et sommets : la naissance d'un « espace public mondial » ? - Cecilia Baeza, Laurent Bonnefoy, Hélène Thiollet p. 25-43 Les manifestations de février 2003 contre la guerre en Irak soulèvent une interrogation : cette mobilisation mondiale marque-t-elle l'avènement d'un nouvel espace d'exercice de l'action publique, un espace public transnational ? Pour examiner avec rigueur un évènement qui est apparu comme une rupture, un changement d'échelle de la contestation, il convient d'en faire l'archéologie et de regarder les processus sociaux qui ont amené cette transnationalisation de la mobilisation. On a choisi de confronter la définition que donne Jürgen Habermas de l'espace public dans son ouvrage de 1962 avec l'histoire des mouvements sociaux transnationaux depuis le milieu des années 1980.
- L'opinion publique arabe entre logiques étatiques et solidarités transnationales - Mohammed El Oifi p. 45-62 L'une des conséquences des attentas du 11 septembre 2001 est la fin de l'accord implicite, entre l'administration américaine et certains gouvernements arabes alliés, sur la nécessité de tenir les opinions publiques arabes en dehors de la politique et notamment quand il s'agit de la politique étrangère. Désormais, l'idée que les gouvernements arabes représentent leur peuple ne fait plus illusion. En effet, les transformations structurelles qu'a connu les sociétés arabes (alphabétisation, urbanisation etc.) l'épuisement de la légitimité des pouvoirs et l'émergence de médias panarabes relativement indépendants ont accéléré l'autonomisation des opinions publiques. La gestion des opinions publiques arabes hostiles de la part des acteurs étatiques locaux et internationaux notamment les Atats-Unis est d'autant plus délicate qu'elles ont une double nature : nationale et transnationale. Cette configuration spécifique des opinions publiques, basée sur la vigueur des identifications supranationales et la multi- appartenance doit être prise en compte dans la compréhension du fonctionnement du politique dans la région.
- Les ONG et la fabrique de l'« opinion publique internationale » - Marielle Debos, Alice Goheneix p. 63-80 Pour étudier la fabrique de l'opinion publique internationale, il convient de distinguer d'une part la nouveauté empirique de l'essor des mobilisations transnationales, et d'autre part les discours militants qui, en invoquant « l'opinion publique internationale », lui donnent une existence sociale et un statut d'acteur. Dans ce processus, les ONG interviennent à plusieurs niveaux. Leurs campagnes globales d'information et de mobilisation sont tout d'abord l'un des moteurs du développement des manifestations de solidarités transnationales. Leurs discours construisent ensuite les prises de positions et les actions militantes éparses en un acteur susceptible de peser sur la scène internationale : elles forgent ainsi un imaginaire de l'opinion publique internationale.
- Opinion publique transatlantique et politique étrangère : le cas de l'intervention en Irak - Natalie La Balme p. 81-97 Les enquêtes d'opinion comparatives tendent à montrer que les valeurs, mais aussi la perception des dangers et des enjeux en politique étrangère restent sensiblement les mêmes de part et d'autre de l'Atlantique. En revanche, le degré de sévérité à adopter à l'égard des contrevenants différencie nettement Européens et Américains. Aussi la crise irakienne et la rhétorique médiatique qui l'a entourée ont-elles cristallisé, d'une part, les divergences en matière d'usage de la force, d'autre part, les perceptions mutuelles négatives des Américains et des Européens. Et, dans la mesure où l'Alliance transatlantique repose sur une conception commune des priorités en matière de politique étrangère, il devient alors essentiel de suivre les évolutions des opinions européennes et américaines. Car s'il est vain de vouloir trancher définitivement la question de savoir qui, de l'opinion ou des gouvernements, manipule l'autre, il est clair que l'opinion publique devient un facteur-clé du processus décisionnel en matière de politique étrangère, comme l'illustrent les positionnements de Gerhard Schröder, Jacques Chirac et George W. Bush au début de la crise irakienne.
- L'idée d'une « opinion européenne » - Dominique Reynié p. 99-117 L'hypothèse qu'il existe des phénomènes relevant d'une « opinion européenne » s'inscrit dans une préoccupation plus large pour les formes transnationales d'expression de préférences et de mobilisations collectives. L'idée d'une « opinion européenne » suppose notamment de montrer qu'il existe un fait d'opinion reflétant une opinion dominante, à un moment donné, au sein d'un espace européen pertinent, ici assimilé à l'Union européenne, et, par ailleurs, que ce fait d'opinion est le propre des Européens. L'idée d'une « opinion européenne » n'est que partiellement validée par les instruments de mesure des phénomènes d'opinion. L'épreuve de sa consistance suppose également la possibilité de repérer des formes publiques d'expression d'une opinion collective européenne, permettant ainsi de passer d'une opinion commune aux Européens, c'est-à-dire dominante, à une opinion publique européenne, c'est-à-dire une opinion collective qui soit à la fois européenne et publiquement affirmée.
- Politique étrangère et opinions publiques : les stratégies gouvernementales d'influence et de contrôle de l'opinion publique à l'épreuve de son internationalisation - Florent Blanc, Sébastien Loisel, Amandine Scherrer p. 119-141 La fin de la guerre froide, la généralisation des sondages et la médiatisation grandissante des événements internationaux sont autant de transformations récentes qui ont profondément changé à la fois la place et le rôle de l'opinion publique en matière de politique étrangère. L'analyse des pratiques gouvernementales dans ce domaine depuis le début des années 1990 montre des acteurs soucieux de l'état de l'opinion publique, parfois même à l'extérieur de leurs frontières. Elle dévoile également des dispositifs gouvernementaux d'influence et de contrôle mis en place pour capter, orienter ou censurer l'expression des différents courants qui constituent l'opinion. De véritables stratégies de communication viennent donc compliquer les calculs secrets qui faisaient jusqu'ici l'essentiel des politiques étrangères. En investissant l'arène médiatique, le gladiateur hobbesien recherche un soutien électoral, un argument de négociation internationale ou un surplus de puissance. Il reconnaît cependant implicitement un droit de cité à une opinion publique parfois sensible à des solidarités transnationales, et perd ainsi le monopole qui le définissait en matière de politique étrangère.
- L'opinion à la conquête de l'international - Bertrand Badie p. 9-24
Actualité - Guerre et responsabilité individuelle morale
- Crimes de guerre et responsabilité : étude sur la chaîne de commandement - Caroline Allard p. 143-159 Cet article se penche sur la distribution, en amont de la chaîne de commandement, de la responsabilité pour certains crimes de guerre. Nous partirons de l'observation selon laquelle certains bris dans la chaîne de commandement peuvent jouer un rôle causal dans la perpétuation de certains crimes de guerre. Nous montrerons qu'il est difficile d'attribuer une responsabilité à certains hauts gradés pour les crimes commis même si ces militaires sont responsables des modifications à la chaîne de commandement qui ont en partie causé ces crimes. Cela nous amènera à poser qu'il faut reconnaître l'existence d'une responsabilité a priori pour la qualité de la chaîne de commandement, responsabilité qui appartient à tous les militaires mais qui incombe à un plus large degré aux hauts gradés des forces armées. Une brève analyse des crimes commis à la prison d'Abou Ghraïb en Irak servira de base à notre discussion.
- Malheur moral, jus in bello et responsabilité morale - Paul Dumouchel p. 161-171 Cet article défend premièrement la thèse que la guerre ouvre une période où les situations de malheur moral se font de plus en plus fréquentes. Un malheur moral est une situation où tous les choix qui sont ouverts à un agent causent des torts injustifiés. En conséquence dans une telle situation même si un agent choisit la solution qui moralement est la meilleure parmi celles qui lui sont offertes, il a une responsabilité morale envers ceux qu'il a lésés. Il propose par la suite une analyse du droit de la guerre, en partie du jus in bello, à la lumière de la notion de malheur moral.
- Le pacifisme subtil - Nicolas Tavaglione p. 173-192 L'article se penche sur la responsabilité individuelle des soldats du rang dans les circonstances d'une guerre juste, pour défendre un pacifisme subtil. Ce dernier consiste à reconnaître qu'il y a un conflit entre la raison d'agir jusbelliciste de participer aux guerres justes de sa propre communauté et la raison pacifiste de s'abstenir de toute entreprise homicide ; et que ce conflit donne lieu à un dilemme insoluble rendant toute guerre juste moralement problématique. L'article présente ainsi trois raisons de penser que les soldats font effectivement face à un dilemme insoluble (arguments du débat ouvert, des descriptions incommensurables et de l'inférence à la meilleure explication sur le cas du soldat nu). Sur cette base, il tire deux conclusions pacifistes : pour minimiser les occasions de dilemme, il faut oeuvrer pour un ordre international où les guerres justes disparaissent ; et pour minimiser les tentations de mauvaise foi, il faut refuser la conscription obligatoire.
- Crimes de guerre et responsabilité : étude sur la chaîne de commandement - Caroline Allard p. 143-159
Varia
- L'école d'Essex et la théorie politique du discours : une lecture « post-marxiste » de Foucault - Erwan Sommerer p. 193-209 Le post-marxisme de l'école d'Essex est une reconnaissance du caractère contingent des luttes et des identités sociales : l'abandon de toute référence à un sujet privilégié de l'émancipation en même temps qu'une tentative pour restituer la possibilité de la décision politique sur le terrain mouvant de la postmodernité. La notion de formation discursive, issue de la pensée foucaldienne, en est l'un des concepts centraux ; la trame symbolique de la Cité apparaît ainsi constituée d'un système instable de significations hétérogènes apposées sur les choses et les hommes, un discours dont la fixation hégémonique constitue l'enjeu des luttes politiques. A l'écart de toute téléologie essentialiste annonçant la fin de l'histoire, cette acceptation de la contingence comme terrain privilégié des conflits sociaux agit comme un renouveau du rôle de la politique en tant que décision de la structure sociale quant à son propre sens et du sujet quant à sa propre identité fluctuante et indécise.
- Carl Schmitt et la « révolution conservatrice » américaine - François Vergniolle de Chantal p. 211-229 La vie politique américaine apparaît fortement polarisée depuis une quarantaine d'années. Les forces politiques, en particulier républicaines, n'hésitent devant aucun moyen pour déstabiliser l'adversaire et le traumatisme du 11 septembre 2001, en renforçant le sentiment d'insécurité d'une majorité d'Américains, a encore accentué la radicalisation de la vie publique. Cet article analyse les origines intellectuelles de cette « brutalisation » de la politique américaine. Notamment, il est possible de voir dans l'héritage de la pensée de Carl Schmitt une influence, souvent ignorée et pourtant manifeste, de cette évolution des moeurs politiques. La droite américaine apparaît ainsi largement marquée par le schéma schmittien qui conçoit la politique comme une lutte sans merci et l'article s'attache à retracer les vecteurs de cette influence intellectuelle à travers les figures d'un certain nombre de théoriciens politiques et de centres de recherche qui ont contribué à redonner vigueur au néoconservatisme dans un pays dont l'identité nationale est pourtant fondée sur les idéaux du libéralisme.
- L'école d'Essex et la théorie politique du discours : une lecture « post-marxiste » de Foucault - Erwan Sommerer p. 193-209
Lectures critiques
- Lectures critiques - p. 231-242