Contenu du sommaire : Néolibéralisme et responsabilité

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 28, décembre 2007
Titre du numéro Néolibéralisme et responsabilité
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Editorial

  • Dossier

    • S'apprécier, ou les aspirations du capital humain - Michel Feher p. 11-31 accès libre avec résumé
      Le capital humain est au néolibéralisme ce que le travailleur libre selon Marx était au capitalisme libéral, à savoir le sujet tout à la fois présupposé et ciblé par les institutions préposées à son gouvernement. Telle est l'hypothèse que l'on tente ici de soutenir et qui fait du capital humain le nom propre de la condition néolibérale.Le travailleur libre est un être clivé : entre sa subjectivité inaliénable et sa force de travail faite pour être louée, entre les aspirations constitutives de sa vie spirituelle et les intérêts présidant à sa vie matérielle, entre la sphère de la reproduction de la force de travail et celle de la production des marchandises. En revanche, le capital humain ne suppose aucunement la division des sphères de la production et de la reproduction : il est le stock des compétences ­ innées et acquises ­ immanentes au sujet qui s'en prévaut. à ce titre, son utilisation va produire des flux de revenus ­ monétaires ou non ­ tandis que sa valorisation va dépendre de tout ce que le sujet accomplit et de tout ce qui lui arrive ­ dans n'importe quel registre existentiel. Mon capital humain c'est donc moi, en tant que stock de compétences ou portefeuille de conduites cherchant à s'apprécier. à partir de cette définition, on s'interrogera sur la manière dont une politique de gauche peut investir cette subjectivité néolibérale, tout comme le mouvement ouvrier avait naguère appris à utiliser la condition de travailleur libre.
    • L'extension sociale du marché dans le néolibéralisme - Stéphane Legrand p. 33-47 accès libre avec résumé
      Cet article se propose de reprendre les analyses consacrées par Foucault à l'extension sociale du modèle théorique du marché concurrentiel libre en les rattachant à l'évolution de la catégorie (juridique, morale, psychologique) de responsabilité, et ce autour de deux types de processus : les transformations du concept de responsabilité pénale depuis le début du 19e siècle, notamment sous l'influence de l'expertise psychiatrique ; la responsabilisation infinie des sujets vis-à-vis d'eux-mêmes qu'induisent les dispositifs de gouvernementalité néolibéraux. L'auteur croit pouvoir dégager de cette analyse un chiasme structurant, situé au c ur des régimes normatifs propres aux politiques de la criminalité contemporaines.
    • La responsabilité, une technique de gouvernementalité néolibérale ? - Emilie Hache p. 49-65 accès libre avec résumé
      La plupart des analyses portant sur l'art de gouverner néolibéral, à la suite de Foucault, se retrouvent autour de la responsabilisation de l'individu, comme (re)configuration privilégiée du transfert des responsabilités traditionnelles de l'Ãtat sur (certains) individus dans lequel s'engagent, entre autres, les politiques néolibérales. Nous nous intéresserons ici à l'examen ­ partiel, faute de place ­ des techniques de fabrication de cette « responsabilisation individuelle » ; et tenterons de contribuer à l'élaboration d'une parade, en nous attachant à la « faille » sur laquelle s'appuie ce sophisme pour que « ça marche » ­ au sens tout du moins où il est assez séduisant pour inhiber les ripostes. Le tour de passe-passe repose sur la confusion désarmante entre la valorisation de la responsabilité morale des individus ­ au sens d'une capacité à agir c'est-à-dire aussi à prendre ses responsabilités ­, désirée et souhaitée par le plus grand nombre, et l'individualisation moralisante de la prise en charge matérielle de soi-même sous peine d'accusation d'irresponsabilité. L'enjeu de ce « décryptage » est de permettre de ne pas se priver de la ressource des processus d'empowerment (« mise en capacité collective des individus) pour réinventer la gauche.
    • Le cauchemar américain : le néoconservatisme, le néolibéralisme et la dé-démocratisation des Etats-Unis - Wendy Brown p. 67-89 accès libre avec résumé
      Le néolibéralisme et le néoconservatisme sont deux rationalités politiques distinctes dans les Ãtats-Unis d'aujourd'hui. Ils ont peu de caractéristiques formelles qui coïncident, et apparaissent même contradictoires sous de nombreux aspects. Pourtant, ils convergent non seulement dans l'actuelle Administration américaine mais aussi dans leurs effets dé-démocratisants. Le néolibéralisme et le néoconservatisme dévaluent chacun la liberté politique, l'égalité et une citoyenneté substantielle, et les règles de droit en faveur de la gouvernance en accord avec les critères du marché d'un côté, et la valorisation du pouvoir de l'Ãtat à des fins présumées morales de l'autre côté, fragilise à la fois la culture et les institutions de la démocratie constitutionnelle. Surtout, ces deux rationalités travaillent en symbiose pour produire un sujet relativement indifferent à la véracité et à la responsabilité du gouvernement et à la liberté politique et l'égalité entre les citoyens.
    • Responsabilité morale et théorie sociale dans l'école de Francfort. : D'Adorno à Honneth - Katia Genel p. 91-109 accès libre avec résumé
      Les analyses d'Horkheimer et Adorno offrent des outils conceptuels permettant de critiquer le néolibéralisme et la manière dont la gouvernementalité néolibérale instrumentalise la morale, et notamment la responsabilité morale. Adorno en particulier trace un difficile chemin, critiquant à la fois la responsabilisation morale qui dénie les conditions sociales et la responsabilité qui, en prenant en compte les conditions existantes, risque d'en être l'apologie ou la validation cynique, pour dégager un rapport entre morale et théorie sociale : une morale soucieuse d'être responsable du monde social et une société qui rende possible la morale. La théorie sociale d'Honneth, fondée sur les attentes morales, rencontre les mêmes problèmes qu'Adorno. à partir de l'exemple de la responsabilité, il s'agit de se demander comment penser la morale, si elle est à la fois prise dans les processus néolibéraux de légitimation, et à la fois ce qui permet d'élaborer une critique sociale.
  • Varia

    • L'inflation bioéthique dans la perspective de l'ectogenèse - Philippe Descamps p. 111-125 accès libre avec résumé
      La maîtrise technologique de la reproduction humaine soulève depuis quelques décennies un grand nombre d'interrogations éthiques et suscite fréquemment une réaction de repli sur la notion de Nature comme en témoigne l'introduction dans le droit français d'une notion aussi problématique que celle d'espèce humaine. Contrevenant aux fondements naturalistes que la réflexion bioéthique insuffle ainsi au droit depuis 1994 et contrariant les visées différentialistes de certains courants féministes, la seule perspective de l'ectogenèse (i.e. la création d'utérus artificiels permettant la réalisation d'une gestation entièrement en dehors du ventre maternel) se trouve ainsi, avant tout examen rationnel et serein, par avance condamnée et dénoncée comme déshumanisante. Cet article s'attache à mettre au jour la pensée essentialiste et naturaliste du droit qui s'exprime à l'occasion de ces débats avortés.
    • Régulation par qui ? Régulation de quoi ? - Emmanuel dHombres p. 127-151 accès libre avec résumé
      En physiologie et en médecine, des expressions telles que celles de vis medicatrix naturae hier, de régulation et d'autorégulation aujourd'hui, suggèrent l'idée que les normes de fonctionnement de l'être vivant sont inhérentes à sa structure. Les mêmes expressions sont employées en sciences sociales pour signifier pareillement l'idée d'une immanence des normes ou des règles, laquelle se trouve paradoxalement avoir des défenseurs aussi bien du côté de ceux qui soutiennent le principe de l'intervention de l'Etat dans la vie économique, que chez ceux qui arguent du principe contraire.L'histoire des idées peut nous aider à résoudre cet apparent paradoxe, en nous éclairant notamment sur les implications relatives à l'extension du concept de régulation sous-jacentes aux différents usages. Implications dont il n'est pas sûr au reste que les acteurs des controverses récurrentes sur la compréhension du concept de régulation sociale sachent toujours mieux tenir compte aujourd'hui que par le passé.
  • Lectures critiques