Contenu du sommaire : Actualité de l'humanisme civique

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 36, décembre 2009
Titre du numéro Actualité de l'humanisme civique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Editorial

    • De Leonardo Bruni à Francesco Guicciardini : actualité de l'humanisme civique ? - Yves Sintomer p. 5-23 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'enjeu du dossier est d'abord de combler un vide de la recherche francophone, qui ne s'était jusqu'ici que peu penchée sur Leonardo Bruni ou l'humanisme civique et qui continue de sous-estimer l'importance de Francesco Guicciardini. Les thèses séminales de Hans Baron ont pour une large part été infirmées, mais elles restent stimulantes : si les textes de Bruni sont loin de refléter la réalité de l'ordre politique florentin, ils n'en sont pas moins porteurs d'un idéal civique qui systématise et reformule le républicanisme. La réinvention de la politique qui avait commencé un siècle plus tôt dans la cité toscane put ainsi avoir un impact considérable sur le développement de la pensée politique moderne. L'examen des textes montre cependant qu'il existe plusieurs républicanismes, qui s'opposent notamment sur la question sociale et sur l'alternative autogouvernement vs. gouvernement représentatif.
      The first objective of this issue is to remedy the weakness of the francophone research on Leonardo Bruni and civic humanism and to contribute to a reevaluation of Francesco Guicciardini. Although most Hans Baron's seminal thesis have been convincingly criticized, they remain stimulating: Leonardo Bruni's texts do not reflect the real political order of that time but do embody a civic ideal that systematize and reformulate republicanism. The reinvention of politics that had begun a century before in Florence could therefore have a crucial impact on the development of modern political thought. A careful text analysis shows nevertheless that there is not one unified, but contrasted republicanisms, which differ among others on the social question and on the alternative self-government v. representative government.
  • dossier

    • Leonardo Bruni dans la tradition républicaine - Laurent Baggioni p. 25-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le républicanisme a connu au 20e siècle un renouveau notable, notamment dans la pensée politique de langue anglaise : une recherche extrêmement riche a conduit à un réexamen historique et théorique de la notion de république. Cet article a pour objet de revenir sur la généalogie de cette réflexion à travers les diverses lectures qui ont été faites d'un auteur « redécouvert » par cette nouvelle tradition de pensée : le chancelier-humaniste Leonardo Bruni (1370-1444). L'interprétation de Bruni, à partir des travaux fondateurs de Hans Baron (1900-1988), a en effet constitué l'un des foyers de la réflexion néo-républicaine ; l'un des objectifs de l'article est donc de faire apparaître les enjeux épistémologiques, historiographiques et politiques qui se sont noués autour de la lecture de Bruni et de la tentative républicaine de reconceptualisation du politique.
      Republicanism enjoyed renewed favour in the 20th century, especially in english-speaking political thought: Thanks to a considerable wealth of research, the notion of republic has been put under close scrutiny, both historically and theoretically. This article aims at reconstructing the genealogy of this reflection, through the examination of the different readings that have been proposed for a writer rediscovered by this new ftradition of thought: chancellor-humanist Leonardo Bruni (1370-1444). Since the pioneer works of Hans Baron (1900-1988), the interpretation of Bruni has constituted one of the main focal points of neo-republican thought; one purpose of this study is thus to highlight the epistemological, historiographical and political questions at stake in the interpretation of Bruni, and consequently in the elaboration of the republican attempt at reconceptualizing politics.
    • Eloge de Florence (1403-1404) - Leonardo Bruni p. 45-63 accès libre avec résumé
      Cet écrit est considéré par de nombreux auteurs comme le manifeste fondateur de l'humanisme civique. S'inscrivant dans le genre rhétorique, il constitue un texte de propagande en faveur de la République toscane. Dans les extraits ici présentés, Bruni présente Florence comme porteuse d'un idéal de liberté républicaine qui l'inscrit dans la lignée d'Athènes et de la Rome pré-impériale. La florentina libertas se décline vis-à-vis des puissances extérieures (et notamment de Milan, dirigée par un Duc au pouvoir absolu et dont l'expansion a été arrêtée par la résistance de la cité de Dante), et vers l'intérieur, où l'ordre républicain implique l'Etat de droit, l'égalité des citoyens devant la loi, un système permettant aux différentes institutions de s'équilibrer mutuellement et un certain équilibre social entre les riches et les pauvres.
    • Oraison funèbre de Nanni Strozzi (1427-1428) - Leonardo Bruni p. 65-75 accès libre avec résumé
      Rédigé au moment où l'éclat de Florence s'est énormément affirmé dans les lettres, les arts et l'architecture, avec en particulier l'invention de la perspective, cette oraison funèbre constitue un hommage à un proche de l'auteur mais aussi le prétexte à un nouveau panégyrique en l'honneur de Florence. Bruni présente le rayonnement culturel, militaire et politique de la ville comme résultant d'une dynamique commune. Il exalte notamment le dévouement à la patrie républicaine, dans laquelle l'institutionnalisation de la liberté pousse les citoyens à rechercher les honneurs en défendant le bien commun. Le régime populaire permet à chacun, en fonction de ses mérites, de participer au gouvernement de la cité. La République constitue ainsi un système qui pousse à la vertu et s'oppose ainsi aux régimes oligarchiques qui favorisent l'esprit courtisan.
    • De la constitution de Florence (1439) - Leonardo Bruni p. 77-83 accès libre avec résumé
      Offrant un tableau systématique des institutions florentines à l'époque de la première domination des Médicis, ce court traité présente la cité toscane comme une constitution mixte. La République florentine est en effet marquée par un double principe d'exclusion sociale, les travailleurs manuels et les nobles étant rejetés hors du cercle de la citoyenneté. En outre, la présence d'une armée de mercenaires plutôt que d'une milice populaire, tout comme le fait que les conseils législatifs ne décident pas de leur ordre du jour et ne puissent librement discuter des propositions de loi transmises par la Signoria (mais seulement les accepter ou les rejeter), constituent des traits aristocratiques. Inversement, la matérialisation de l'idéal du vivere libero au c ur des institutions, la rotation rapides des charges publiques et le fait qu'elles soient attribuées par tirage au sort constituent des dimensions démocratiques essentielles.
    • Du mode d'élection aux offices dans le Grand Conseil - Francesco Guicciardini p. 85-107 accès libre avec résumé
      Sur le mode du pro et contra, le texte retrace le débat sur les procédures électorales qui eut lieu dans le Grand Conseil florentin à la fin du 15e siècle. Il opposa les partisans de l'élection au suffrage majoritaire uninominal (procédure dite « du plus grand nombre des fèves ») à ceux qui entendaient procéder par tirage au sort (tratta) parmi les conseillers dont la compétence avait été préalablement reconnue au moyen d'un scrutin. Placés devant cette alternative, les florentins redécouvrirent le caractère aristocratique de l'élection et démocratique du tirage au sort. Le texte offre l'une des premières théorisations modernes du gouvernement représentatif en même temps qu'il présente une critique de l'élection qui préfigure par bien des aspects les arguments sociologiques et philosophiques contemporains.
    • Repenser la liberté politique - Quentin Skinner p. 109-129 accès libre avec résumé
      Le but est de repenser le consensus des commentateurs rivaux sur la révolution anglaise. Malgré une dispute sur son degré, la plupart pense qu'à cette époque la liberté des sujets est violée, étant privés de leur droits en dépit de la loi. L'article apporte une définition inédite de la liberté civique, basée sur le droit romain et la common law, expliquant que le statut d'homme libre peut être perdu même sans violation de droits, l'homme libre ne pouvant dépendre de la volonté d'autrui. La dépendance confère le statut d'esclave, malgré le respect des droits. Cette idée peut résoudre deux énigmes de cette période : les principes expliquant la limitation du suffrage par les Nivelleurs et leurs adversaires et la justification de porter les armes contre le roi par Parlement.
  • varia

    • Originalité et pertinence contemporaine du langage politique républicain. Une approche historiographique et analytique - Jean-Fabien Spitz p. 131-149 accès libre avec résumé
      L'article est une contribution à la question de la distinction entre langage politique libéral et langage politique républicain. Laissant de côté les débats sur l'appartenance du républicanisme au courant communautarien et sur le caractère potentiellement compréhensif de cette théorie, il tente de montrer que, à la fin du 18e siècle, lorsque le langage républicain est confronté au défi consistant à donner naissance à des formes politiques stables pour remplacer les monarchies d'ancien régime, il s'adapte en abandonnant ses composantes archaïques incompatibles avec le monde moderne mais sans devenir pour autant la variante du libéralisme que beaucoup veulent voir en lui parce qu'il conserve une idée-force qui fait sa distinction : l'égalité est la condition de la liberté comme non domination et cette exigence égalitaire implique que, dans une société de liberté individuelle, le droit de propriété ne peut être ni absolu ni inconditionnel.
    • L'Europe et ses mémoires. Trois perspectives croisées - Enzo Traverso p. 151-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      A la différence des deux siècles qui l'ont précédé ­ marqués par l'impact de la Révolution française et de la Révolution russe ­ le 21e siècle s'ouvre sous le signe d'une éclipse des utopies. La disparition d'un « horizon d'attente » visible engendre une mémoire saturée du 20e siècle comme époque de la violence, des totalitarismes et des génocides, symbolisée par la figure de la victime. Analysant les commémorations du 8 mai 1945 ­ date anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et du massacre de Sétif ­, l'article définit trois espaces majeurs de la mémoire européenne : un espace occidental façonné par le souvenir de la Shoah ; un espace oriental dominé par l'héritage du communisme ; et un espace postcolonial exhumant le passé impérial du continent. En dépit des conflits qui l'accompagnent, le croisement de ces différentes perspectives peut se révéler fructueux aussi bien sur le plan herméneutique (repenser l'histoire de l'Europe) que sur le plan politique (reformuler une idée de citoyenneté dépassant les clivages nationaux).
      By contrast with the two preceding centuries, which were shaped by the impact of the French and Russian Revolutions, the 21st century has begun under the sign of the eclipse of utopias. The disappearance of a visible "horizon of expectation" has generated a charged memory of the 20th century as a time of violence, totalitarianisms and genocides, encapsulated by the image of their victims. Analyzing the commemorations of May 8, 1945 ­ the anniversary of the end of the Second World War and of the Sétif massacre ­ this article distinguishes three main spaces that define Europe's memories: a Western space shaped by the remembrance of the Holocaust; an Eastern space dominated by the legacy of Communism; and a postcolonial space exhuming the continent's imperial past. In spite of the conflicts that it entails, the conjunction of these different perspectives can prove fruitful both hermeneutically (as a tool for rethinking European history) and politically (as a means of reformulating an idea of citizenship that transcends national divisions).