Contenu du sommaire : Paternalisme libéral
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 44, décembre 2011 |
Titre du numéro | Paternalisme libéral |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Editorial
- Le paternalisme, maladie sénile du libéralisme ? - Jean-Marie Donegani p. 5-13
Dossier
- Comment un État libéral peut-il être à la fois neutre et paternaliste ? - Roberto Merrill p. 15-40 Je défends dans cet article que le perfectionnisme libéral, même lorsque paternaliste, est toutefois compatible avec la neutralité de l'État. Je défends cette compatibilité de la manière suivante. Je distingue d'abord trois types de neutralité, puis trois types de paternalisme. Ensuite, j'examine sous quelles conditions la neutralité et le paternalisme peuvent être compatibles. Enfin, je défends que la neutralité des conséquences, qui me semble être la version la plus exigeante de la neutralité est, elle aussi, compatible avec le paternalisme et je termine en suggérant que la seule manière de rendre incompatibles le paternalisme et la neutralité consiste à exiger que la neutralité englobe à la fois la neutralité des justifications, des buts, et des conséquences.In this article I defend that liberal perfectionism, even when paternalistic, is compatible with state neutrality. I defend this compatibility as follows. First, I distinguish three types of neutrality. Then, I distinguish three types of paternalism. I then examine under what conditions neutrality and paternalism can be compatible. Finally, I argue that neutrality of consequences, which seems to be the most demanding version of neutrality, is also compatible with paternalism and will conclude by suggesting that the only way to make paternalism and neutrality incompatible is to require that neutrality encompasses at the same time neutral justifications, aims, and consequences.
- Le paternalisme peut-il être « doux » ? Paternalisme et justice pénale - Christophe Béal p. 41-56 Selon la définition la plus courante, le paternalisme juridique consiste à interférer sur les décisions et les actions d'une personne, contre sa volonté, avec pour seule fin de l'empêcher de se nuire à elle-même. Souvent perçu comme une atteinte à la liberté individuelle, ce paternalisme est parfois jugé incompatible avec le libéralisme. Peut-on pour autant éliminer tout paternalisme de la sphère pénale ? Selon Joel Feinberg, il est possible de concevoir un « paternalisme doux » qui préserve l'autonomie des individus tout en limitant les dommages qu'ils pourraient, directement ou indirectement, se causer à eux-mêmes de manière non volontaire. Cette contribution vise à analyser les fondements de ce paternalisme « doux » et ses implications dans le domaine pénal.Legal paternalism is commonly defined as interference with someone's choices and actions, against his will, which aim is to prevent harm to self. This type of paternalism is frequently believed to be incompatible with liberalism. However, is it possible to exclude paternalism from criminal law ? Joel Feinberg's theory of “soft paternalism” preserves autonomy and justifies interference to prevent individuals from committing harmful self-regarding actions that are non-voluntary. In this paper, we analyze this version of paternalism, its principles and its consequences in criminal law.
- Vendre ses organes : un cas de préjudice consenti ? - Alicia-Dorothy Mornington p. 57-77 Au cœur du débat sur la légalisation de la vente d'organe figure un individu qui consent à vendre une partie de son corps. Ce cas permet de poser la question du préjudice consenti puisque le vendeur semble consentir à un acte qui peut paraitre préjudiciable. À l'aune de la maxime romaine volenti non fit injuria, cet article commence par déplier la question du consentement, en mettant en relief la structure argumentative permettant d'invalider celui du vendeur. L'analyse se focalise sur la notion d'information asymétrique, de contrainte et de vulnérabilité. Puis l'auteure considère la nature du préjudice subi par le vendeur, en examinant le préjudice corporel et psychologique ainsi que la question de la dignité humaine.At the premise of the debate around organ sale is an individual consenting to sell a body part. This case allows us to analyse the issue of consent to harm because the seller seems to consent to something which seems to qualify as "harm". By using the volenti non fit injuria doctrine, the article starts by examining the seller's consent and arguments used to invalidate it, such as asymmetric information, coercion and vulnerability. It then goes on by looking at the question of harm, looking at bodily and psychological harm and lastly at the notion of human dignity.
- Protection légale des animaux ou paternalisme ? - Marcela Iacub p. 79-95 Cet article examine une affaire judiciaire récente dans laquelle un homme a été condamné pour avoir « sodomisé » son poney « Junior ». Le délit de « sévices de nature sexuelle » concernant les animaux a été ajouté en 2004 à l'article 521.1 du Code pénal, lequel autorise la condamnation des « sévices graves » ou des « actes de cruauté ». Alors que la législation concernant les animaux semble justifiée au nom de la protection de ceux-ci et de la prévention des souffrances inutiles qui pourraient leur être imposées par les hommes sous l'empire desquels ils se trouvent, il apparaît que cette législation condamne au contraire les mauvais penchants de la sexualité humaine sous la forme du moralisme le plus pur. L'interprétation de la loi donnée par les juges dans cette affaire révèle une conception pastoraliste de l'intervention de l'État, confirmant ainsi la rationalité moraliste qui guide les interventions du législateur et du juge dans le domaine de la sexualité depuis les années 1980.
This article takes a closer look at a recent trial in which a man has been charged for having « sodomised » his pony Junior. The offence of “physical abuse of a sexual nature” related to animals was added in 2004 to the article 521.1 of the criminal Code which also condemns “aggravated physical abuse” and “cruelty”. Wether animalrelated laws are justified in the name of their protection and the prevention of unjustified suffering as they are subjected to humans, it appears that this piece of legislation actually condemns wrong sexual inclinations in a sheer moralistic way. The interpretation of the judges in this case reveals a pastoral conception of State intervention, strengthening the moral rationality which drives law-makers and judges in the realm of sexuality since the1980's. - Liberté d'expression : De quoi parle-t-on ? - Denis Ramond p. 97-116 Cet article propose une analyse critique de la notion de « liberté d'expression ». Revenant sur le caractère à la fois récent et flou de la formule, il tente de montrer son caractère problématique sous deux angles : si l'on défend la liberté d'expression pour son apport à la vie démocratique, alors le terme d'« expression » apparaîtra soit trop restrictif, s'il désigne les énoncés directement politiques ; soit indiscernable, s'il désigne tous les éléments qui contribuent à la formation du jugement politique. Si bien que par « liberté d'expression » entendue au sens large on en vient à signifier la liberté elle-même. En revanche, lorsque l'on défend une conception négative de la liberté d'expression, fondée sur le principe de non-nuisance, le mot « expression » est inutile, voire contre-productif, puisqu'il accorde à l'expression un pouvoir qui peut se retourner contre elle-même. L'invocation de la liberté d'expression n'est donc pas la meilleure manière de la protéger, contrairement à un principe de non-nuisance fondé sur un postulat anti-paternaliste d'autonomie.This article provides a critical analysis of the notion of “freedom of expression”. Outlining the fact that it is both a recent and vaguely-defined concept, the article aims to examine this freedom's problematic features from two perspectives : if we defend freedom of expression for its contribution to democratic life, then the term “expression” will appear either too restrictive – if it exclusively designates political speech – or indefinable, if it designates everything that shapes political judgment itself. A broad conception of “freedom of expression” must then cover freedom itself. On the other hand, if we adopt a negative conception of freedom of expression, grounded in the harm principle, the word “expression” becomes useless, even counterproductive. An evocation of freedom is therefore not the best way to protect this “expression” ; instead, the harm principle, which is based on an anti-paternalistic postulate of autonomy, proves more useful.
- Former le « bon citoyen » libéral - Janie Pélabay p. 117-138 Dans cet article, le rapport complexe qu'une éducation civique moralement « robuste » entretient au pluralisme est examiné à partir d'une lecture croisée des positions de William Galston et Stephen Macedo. Si tous deux enracinent leurs plaidoyers pour l'inculcation des valeurs et vertus du « bon citoyen » libéral dans un rejet commun du libéralisme « neutraliste », leurs positions se désolidarisent face au défi de « l'unité dans la diversité ». Ainsi les divergences entre les modèles « libéral-pluraliste » et « civique-libéral » qu'ils défendent respectivement se cristallisent autour des limites de l'intervention éducative de l'État libéral vis-à-vis des familles et groupes « dissidents ». Ouvrant la perspective d'un choc des paternalismes, la confrontation des points de vue de Galston et Macedo vient révéler les tensions et difficultés, à la fois théoriques et pratiques, engendrées par l'usage d'un langage des « valeurs » en vue de promouvoir la citoyenneté démocratique libérale.With the aim of analysing the complex relationship between a morally “robust” civic education and pluralism, this article confronts and compares the stances of William Galston and Stephen Macedo. Based on their rejection of “neutralist” liberalism, both authors argue for the inculcation of values and virtues constitutive of the liberal “good citizen”. However, the “unity amid diversity” challenge still divides them. The main oppositional node between their “liberal-pluralist” and “civic-liberal” standpoints is on the appropriate limits of the liberal state's educational intervention vis-à-vis “dissenting” families and groups. This therefore opens up a potential clash of paternalisms. The article concludes with an emphasis on the theoretical and practical tensions and problems resulting from the use of a “values” lexicon to promote liberal democratic citizenship.
- Care, paternalisme et vertu dans une perspective libérale - Raul Magni-Berton p. 139-161 Cet article propose deux critères pour distinguer bon et mauvais paternalisme dans une perspective libérale perfectionniste. Il distingue le paternalisme qui repose sur la valeur d'autonomie et celui qui repose sur d'autres valeurs. Seulement le premier est compatible avec le libéralisme. Dans le premier groupe, il distingue le paternalisme qui repose sur une conception particulière de l'autonomie et celui qui ne suppose pas une conception particulière de l'autonomie. Du point de vue éthique, le premier est justifiable, mais au niveau légal, seul le deuxième est compatible avec le libéralisme. À travers une discussion sur la justification et le fonctionnement de l'économie du care et d'autres exemples concrets, l'article montre comment les politiques paternalistes peuvent être souhaitables s'ils sont conformes à ces critères.This article advocates two criteria to distinguish good and bad paternalism in a liberal perfectionist view. It identifies paternalism based on the value of autonomy and paternalism based on other values. Only the first is compatible with liberalism. Within the first group, I identify paternalism based on a specific definition of autonomy and another that does not assume a specific definition of autonomy. Whereas the first is morally justified, legally, only the second is compatible with liberalism. Through a discussion of how care economics works and is justified – and other particular examples – this article shows how paternalistic policies may be desirable, acceptable or unacceptable according to their compliance with these criteria.
- Comment un État libéral peut-il être à la fois neutre et paternaliste ? - Roberto Merrill p. 15-40
Parcours de recherche
- Pierre Rosanvallon : Un penseur critique paradoxal ? - Laurent Godmer, David Smadja p. 163-172
- Entretien avec Pierre Rosanvallon - Laurent Godmer, David Smadja p. 173-199
Varia
- La société civile européenne : les usages d'une fiction - Rosa Sanchez Salgado p. 201-226 Cet article s'intéresse à la multiplicité d'usages de la notion de société civile par les acteurs politiques européens. À la fin des années 1990, le terme société civile s'impose face à la notion traditionnelle de groupes d'intérêt. Pour les décideurs européens, les acteurs en question ne constituent plus un instrument pour la construction de l'Europe (comme l'entendaient les néo-fonctionnalistes), mais une source de légitimité à exploiter. Cette notion est très adaptée à la publicité politique car elle permet d'intégrer des conceptions du monde très différentes, voir contradictoires. Or, dans la pratique, les acteurs politico-administratifs européens privilégient implicitement une conception de la société civile « libéral pluraliste » où elle est synonyme de société des groupes d'intérêt. Cet usage n'est pas partagé par les acteurs du monde associatif, qui considèrent mériter un traitement spécifique en raison de la valeur supérieure qu'ils attribuent aux positions qu'ils défendent. Si les acteurs politico-administratifs européens réussissent à imposer dans la pratique l'usage de cette notion qui semble plus les convenir, ils ne devraient pas oublier que pour certains, l'usage de cette notion conduit à la légitimation de l'existence des valeurs universelles en dehors de l'autorité publique. L'usage de l'ambigüité en politique est an art qui comporte des risques.European Civil Society : the Functions of a Fiction This article draws the attention to the multiple uses of the term “civil society” by political actors in Europe. Since the end of the 1990s, there is a shift in literature from interest groups to civil society. Social actors are not any more considered as a significant contribution to the European construction process but as a means for the legitimation of European institutions. The term civil society can indeed be easily used for political advertising as it integrates diverse (and even contradictory) world views. However, European political leaders in their daily practise insist on a pluralist conception (inspired by liberal views). Civil society is then synonymous with interest groups society. This use of the term is not shared by the voluntary sector as they consider they deserve a specific treatment based on their value-based behaviour. European political and administrative actors impose the specific semantics that suits them best, but they may have not considered that by using the term civil society, they contribute to the legitimation of universal values out of the political realm. Ambiguity in politics is an art full of risks.
- La société civile européenne : les usages d'une fiction - Rosa Sanchez Salgado p. 201-226
lectures critiques
- lectures critiques - Olivier Alexandre p. 227-235