Contenu du sommaire : Sociologie du bien-être
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 64, no 2, 2014 |
Titre du numéro | Sociologie du bien-être |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Études réunies et présentées par Michel Forsé et Simon Langlois
- Présentation - Michel Forsé, Simon Langlois p. 261-271
- Le bien-être dans les sciences sociales : naissance et développement d'un champ de recherches - Rémy Pawin p. 273-294 En France, le bien-être a longtemps été délaissé par les sciences sociales. C'est dans le monde anglo-saxon qu'apparaissent les premières études sur le « subjective well-being », au début du XXe siècle. Elles prennent leur essor dès l'entre-deux-guerres et un champ de recherches spécifique peut être identifié aux États-Unis dès le début des années 1960. Le développement des enquêtes sur le bien-être est plus récent en France, où les chercheurs mettent plus de temps à reconnaître le bien-fondé des études subjectives. Certains, au premier rang desquels Jean Stoetzel, s'emploient à faire circuler les nouvelles méthodes sociologiques. Mais l'évolution plus générale des valeurs et des normes est également responsable de l'essor du nouveau champ de recherches : la constitution d'une sociologie du bien-être est tributaire de sa consécration comme idéal régulateur.Subjective well-being in social sciences : birth and growth of a research field
In France, the welfare has long been neglected by social science. The first studies on the “subjective well-being” appeared in the Anglo-Saxon world in the early twentieth century. They take their rise in the inter-war period and a specific research field can be identified in the United States since the early 1960s. The development of such surveys is more recent in France, where researchers take longer to recognize the merits of the subjective studies. In this evolution, we have to emphazise the role of a few social scientists, like Jean Stoetzel. But the more general evolution of norms and values is also responsible for the development of this new research field : without the uprise and the consecration of well-being, there will be no welfare's sociology. - Societal well-being in Europe. from theoretical perspectives to a multidimensional measurement - Wolfgang Aschauer p. 295-330 L'union européenne fait face à des défis économiques et les scénarios futuristes pessimistes ont la capacité d'influencer progressivement le fonctionnement de la société. Les signes des processus de désintégration et la perception des crises sociales peuvent être expliqués par les conditions actuelles de la société, à savoir les transformations rapides (dans le contexte de la politique européenne d'intégration), l'augmentation des inégalités au sein et entre les États membres de l'Union Européenne, ainsi que la forte insécurité affectant la cohésion sociale. L'objectif principal de cet article est d'élaborer un concept permettant d'analyser et de mesurer les sentiments subjectifs de crise dans les études transnationales s'appuyant sur des données d'enquêtes (base de données de l'Enquête sociale européenne). La partie empirique de ce travail fournit une première approche d'un protocole multidimensionnel pour les évaluations subjectives sur le fonctionnement de la société. On y analyse si les construits sociaux des facteurs du bien-être social sont une mesure fiable (en prenant en compte également plusieurs sous-facteurs), s'ils peuvent être considérés comme des équivalents transculturels à travers l'Europe, comment l'étendue de la perception de la crise varie entre les États européens et à travers le temps et si les restrictions des conditions objectives de vie et de bien-être social sont capables d'expliquer l'ethnocentrisme.The European Union is struggling with economic challenges and pessimistic future scenarios have the potential to gradually influence societal functioning. Signs of disintegration processes and societal crises perceptions can be explained by contemporary societal conditions, namely rapid transformations (in the context of the European integration policy), rising inequalities within and between European member states and broad insecurities affecting social cohesion. The main aim of this article is to present a concept of how subjective crises feelings can be analyzed and measured in cross-national research based on survey data (using the database of the European Social Survey). The empirical part of the paper provides a first approach to a multidimensional operationalization of subjective evaluations on societal functioning. It is analyzed if the second order construct of societal well-being (including several first order factors) reflects a reliable measurement and can be seen as cross-culturally equivalent across Europe, how the extent of crises perceptions varies between European states and over time and if restrictions in objective living conditions and societal well-being are able to explain ethnocentrism as one potential critical outcome.
- L'évolution du bien-être en France depuis 25 ans : un bilan mitigé, une augmentation des inégalités - Régis Bigot, Sandra Hoibian p. 331-358 La richesse nationale mesurée à travers le produit intérieur brut a longtemps été le principal étalon de l'évolution du bien-être des populations. Pourtant, les critiques se multiplient contre cette tentation de réduire à un indicateur monétaire les multiples dimensions de la qualité de vie. Sur la base du dispositif permanent d'enquête sur les « Conditions de vie et Aspirations » mené depuis 35 ans en France par le CRÉDOC, cette contribution se propose de dresser le portrait de l'évolution des différentes dimensions du bien-être de la population française. Après avoir précisé l'apport de l'enquête, les principes méthodologiques retenus, leurs avantages et leurs limites, nous montrons que l'amélioration des conditions de vie matérielles, l'élévation du niveau de qualification et la démocratisation de l'accès aux loisirs depuis une trentaine d'années n'ont pas empêché l'enracinement d'un sentiment d'insécurité sociale et économique, la propagation d'un certain mal-être et l'augmentation des inégalités de modes de vie, expliquant un décalage croissant entre le PIB et l'indice synthétique de bien-être.Well-being evolution in France during the past 25 years
National wealth measured through the gross domestic product has been for a long time the main indicator of measuring the evolution of well-being. However, critics increasingly emphasize the temptation inherent to this approach to reduce multiple dimensions of quality of life within a unique monetary indicator. On the basis of data from the barometric survey “Living Conditions and Aspirations”, which is led since 35 years by the CRÉDOC in France, this paper aims to paint a picture of the evolution of the different dimensions of well-being of the French population. After exposing the interest of the survey, the methodological principles that have been used, their advantages and limits, we aim to show that improving material living conditions, a rising level of qualifications and a more widespread access to leisure time activities since the last thirty years, did not hinder the sedimentation of a feeling of social and economic insecurity, the proliferation of a certain malaise and the dissemination of inequalities in lifestyle and living conditions. Altogether these elements explain a growing distortion between the GDP and the composite index of well-being. - Bien-être subjectif et sentiment de justice sociale - Michel Forsé, Maxime Parodi p. 359-388 Il est à présent communément admis que l'étude du bien-être se doit d'incorporer une mesure de la satisfaction à l'égard de la vie que l'on mène. Cette satisfaction est ici analysée à l'aide d'une question posée dans un sondage réalisé en France en 2009 sur la perception des inégalités et les sentiments de justice. Les incidences sur le bien-être subjectif du revenu, de la vie professionnelle, de la mobilité sociale et de la frustration relative ou plus largement de la comparaison aux autres, ainsi que des relations sociales et affectives sont mises en évidence. Mais il apparaît aussi une forte corrélation avec les sentiments à l'égard de la justice de la société dans son ensemble. Ce lien n'était pas donné d'avance, puisqu'il s'agit dans un cas d'un jugement sur sa vie personnelle et, dans l'autre, sur la société prise globalement. Il peut cependant trouver une explication dans des théories de la justice et notamment celle de Rawls. C'est en tout cas là une dimension explicative qui ne se réduit pas aux autres, ni même à la simple perception des inégalités, et il serait dès lors opportun, pour mieux comprendre le bien-être subjectif, qu'à côté de tous les indicateurs classiquement utilisés et qui jouent leur rôle, il soit davantage tenu compte de cette relation avec les sentiments de justice sociale.Subjective well-being and feelings of social justice
It is now commonly accepted that the study of well-being must incorporate a measure of life satisfaction. This satisfaction is studied here using a question asked in a survey conducted in France in 2009 on the perception of inequality and feelings of justice. Subjective well-being then appears to be influenced by income, professional life-course, social mobility and relative deprivation or, more broadly, by comparisons with others, as well as by social and emotional relationships. But there is also a strong correlation with feelings about justice in society as a whole. This association could not be anticipated, since in one case it is a matter of judgment about one's own personal life and, in the other, about society as a whole. However, it may be explained by theories of justice and in particular that of Rawls. It is in any case an explanatory dimension which cannot be reduced to others, even to the mere perception of inequality. For a better understanding of subjective well-being, it would therefore be advisable to take into account this relationship with feelings of social justice beyond all indicators conventionally used. - Bonheur, bien-être subjectif et sentiment de justice sociale au Québec - Simon Langlois p. 389-420 L'article analyse les données d'une enquête menée au Québec en 2013 sur le sentiment de bien-être, le bonheur ressenti et les inégalités. L'enquête montre que la mesure du bonheur et la mesure de la satisfaction à l'égard de la vie menée ne sont pas complètement interchangeables, bien que fortement corrélées. Ainsi, le cas de figure des enquêtés heureux mais insatisfaits devant la vie menée caractérise une fraction de la classe moyenne et des immigrants. Il apparait ensuite que la relation bien établie entre le revenu et le sentiment de bien-être, qui est aussi observée dans l'enquête québécoise, ne peut pas être analysée sans prendre en compte la représentation sociale que les acteurs sociaux se font de leur situation. Le niveau de revenu ne détermine pas à lui seul l'atteinte du bonheur, mais son effet est médiatisé par le sentiment de privation et les aspirations des enquêtés. Enfin, l'enquête confirme l'importance de prendre en compte le sentiment de justice dans l'estimation du bien-être, en distinguant le jugement porté sur sa situation personnelle et le jugement posé sur la société dans son ensemble. Elle montre la pertinence de distinguer les principes d'équité et d'égalisation des ressources. Les résultats de l'enquête québécoise confortent les observations faites en France et appuient la nécessité de prendre en compte l'étude du sentiment de justice sociale dans les analyses portant sur le bien-être dans les sociétés développées.Happiness, subjective well-being and feelings of social justice in Québec
This article presents the main findings of a study on subjective wellbeing, happiness and social inequalities in the province of Quebec. The study demonstrates that subjective measures of happiness and life satisfaction are not completely interchangeable, although highly correlated. As a case in point, the category of respondents who are happy but unsatisfied characterises a fraction of the middle class and immigrants. It also appears that the well-established relationship between income and wellbeing, which is also observed in this study, cannot be analysed without taking into account the social representations that actors make of their situation. The level of income does not solely determine happiness since its effect is influenced by the sentiment of deprivation as well as personal aspirations. Finally, the study confirms the importance of taking into consideration the sentiment of justice in wellbeing studies, distinguishing between the evaluation of one's personal situation and one's judgement of society as a whole. It shows the pertinence of distinguishing the principles of equity and of equalization of resources. The results of this Quebec study reinforces observations made in France and supports the necessity of taking into account the sentiment of social justice in analyses of wellbeing in developed societies. - Bien-être et ressenti des discriminations à l'école. une étude empirique en contexte ségrégué - Barbara Fouquet-Chauprade p. 421-444 Cet article vise à mieux comprendre les mécanismes du bien-être à l'école. En France, peu d'enquêtes traitent de cette question. Pourtant, Meuret et Marivain (1997) montraient la place centrale du bien-être dans l'explication des phénomènes scolaires. À leur suite, on peut considérer qu'une inégale répartition du bien-être entre les établissements et entre les classes au sein même des collèges constitue une injustice sociale de premier ordre (Fouquet-Chauprade, 2013). L'enquête de terrain s'est déroulée dans six collèges parmi les plus ségrégués des académies de Bordeaux et de Créteil dans lesquels 1350 questionnaires ont été administrés. Dans ce contexte, la question du ressenti des discriminations est particulièrement saillante, et nous faisons l'hypothèse qu'elle explique une bonne part du bien-être scolaire, davantage encore que l'origine ethnique des élèves (Safi, 2010). Ce lien entre discriminations ressenties et bien-être s'explique probablement par l'effet produit sur les aspirations sociales et scolaires. Ce sont en tout cas les hypothèses de départ de cette contribution, qui ne sont que partiellement vérifiées.Well-being and perceived discrimination in school. an empirical study in a segregated context
This article aims to better understand the mechanisms of well-being at school. In France, few surveys deal with this issue. Yet Meuret and Marivain (1997) have shown that well-being is an important factor to explain educational experience. Following them, we can consider that an unequal distribution of well-being between schools and between classes within schools is a major source of social injustice (Chauprade-Fouquet, 2013). The field survey was conducted in two regional education authorities, Bordeaux and Créteil ; 1350 questionnaires were administered in six schools among the most segregated. In this context, the issue of perceived discrimination is particularly striking, and we assume it explains a good part of well-being at school, even more than the ethnic origin of students (Safi, 2010). This link between perceived discrimination and well-being is probably due to the effect produced on social and educational aspirations. These are the assumptions of this paper, which are only partially verified. - L'injonction au bien-être dans les programmes de prévention du vieillissement - Cécile Collinet, Matthieu Delalandre p. 445-467 En s'appuyant sur un corpus hétérogène composé de textes scientifiques et de divers rapports et textes de cadrage des politiques nationales et internationales, cet article retrace dans un premier temps les conditions d'émergence de la notion de bien-être dans les politiques de prévention du vieillissement dans la seconde moitié du XXe siècle. Le bien-être personnel y devient un objectif, et la capacité à rester actif est présentée comme la condition de ce bien-être. Pourtant, sous couvert d'une volonté de « capacitation », particulièrement saillante dans les politiques de prévention, se dessine un modèle quelque peu culpabilisateur puisqu'il repose sur une injonction forte qui impose aux individus âgés de rester actifs. Dans un second temps, nous mettons au jour certaines tensions émergeant dans cette conception du « vieillissement actif ». Tout d'abord, sommés de rester actifs, les personnes âgées ont la charge de contribuer au bien-être économique de la collectivité. Ensuite, cette injonction tend à imposer une norme du bien-être identique pour tous. Enfin, la volonté de mesure et d'objectivation du bien-être, que ce soit au niveau politique ou scientifique, tend à occulter la subjectivité des individus. Aussi sous couvert d'amélioration de la prise en compte de l'individu vieillissant dans sa totalité et d'amélioration globale de sa santé, la notion de bien-être impose des normes et des pratiques et contribue à occulter les différences individuelles et sociales.The injunction to well-being in the ageing prevention programmes
Leaning on a heterogeneous corpus consisting of scientific writings and various reports and texts related to the framing of national and international policies, this article first relates the circumstances from which the notion of well-being emerged in ageing prevention policies in the second half of the 20th century. Personal well-being became a target, and the capacity to remain active was presented as the necessary means to achieve this well-being. Nevertheless, under the cover of a will to “capacitate” senior citizens – particularly striking in prevention policies – a model was taking shape which was slightly incriminating because based on an injunction which strongly implied that older people should remain active. Secondly, we bring to light some tensions appearing in this notion of “active ageing”. First of all, summoned to remain active, the elderly feel the responsibility to contribute to the economic well-being of the community. Then, the injunction to remain active tends to impose a standard of well-being that would be identical for everyone. Finally, the will to measure and objectify well-being, whether at the political or the scientific levels, tends to hide the individuals' subjectivity. Thus under the cover of considering aging individuals in a better, more holistic way, and of globally improving their health, the notion of well-being imposes certain standards and practices, and contributes to overshadowing individual and social differences which are the natural consequences of heterogeneous life paths.
Recensions thématiques
- Recensions thématiques - p. 469-479
Analyses bibliographiques générales