Contenu du sommaire : Frontières des hommes, frontières des plantes cultivées : des territoires de l'agro-diversité
Revue | Les Cahiers d'Outre-Mer |
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Numéro | no 265, janvier-mars 2014 |
Titre du numéro | Frontières des hommes, frontières des plantes cultivées : des territoires de l'agro-diversité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Frontières des hommes, frontières des plantes cultivées : introduction générale - Christine Raimond, Thierry Robert, Éric Garine p. 3-12 La répartition spatiale des plantes cultivées répond à des facteurs multiples qui différent selon qu'on considère les niveaux de la combinaison des espèces, du cortège variétal ou de la structuration génétique. Les espèces domestiquées sont tout à la fois des objets biologiques façonnés par les contraintes de l'environnement ; elles sont aussi l'objet de nombreuses manipulations humaines qui influencent leur évolution. Les semences peuvent être sélectionnées au champ ou dans les greniers par les paysans qui les cultivent, échangées dans le cadre de réseaux non monétaires et chargées de valeur culturelle, mais elles sont aussi, et depuis longtemps sans doute, transférées de manière marchande dans le cadre de systèmes commerciaux à longue distance. Elles sont enfin transformées et transférées dans le cadre de programmes internationaux d'amélioration et de développement ou de programmes de diffusion mis en place par des compagnies multinationales. Tous ces phénomènes ont, à des degrés divers, une influence sur la biologie autant que sur les dynamiques sociales et spatiales qui affectent la répartition des plantes cultivées et des ressources génétiques. L'étude de cette dynamique doit à l'évidence être conduite de façon multi-scalaire et en croisant les approches de différentes disciplines de l'ethnologie, de la génétique… et de la géographie.?The spatial distribution of crops depends on various factors that differ wither considering the level of multiple species combined in agrosystems, landraces portfolios or genetic structure. Domesticated species are both biological entities shaped by environmental factors and they are also affected by multiple human actions that influence their evolutionary trajectory. Seeds may be selected in the fields or granaries by the peasants who cultivate them, they are also transferred in non-monetary exchange systems, imbued with high cultural value, but they are also, probably since a long time, monetized and transacted in commercial long distance systems. Last, they are transformed and circulate through international formal programs of seed aid, development and varietal improvement led by transnational agencies or multinational companies. All these processes have an impact on the social dynamics underlying the spatial distribution of crops and genetic resources. A multiscalar approach, combining anthropology, genetics, and, off course, geography, seems to be quite obviously the best research design to study this complex dynamic.?
- Glossaire : Frontières des hommes, frontières des plantes cultivées - p. 13-14
- Des territoires de l'agro-biodiversité : introduction - Christine Raimond, Thierry Robert, Éric Garine p. 15-18
- Frontières des hommes et échanges des plantes cultivées - Thierry Robert, Anne Luxereau, Hélène Joly, Marthe Diarra, Laure Benoit, Y. Dussert, Jika Naino, Amal Abad p. 19-42 Une analyse comparative de la relation entre diversités ethnolinguistique et génétique a été menée dans le bassin du lac Tchad sur les variétés de trois espèces : le mil, le sorgho et le pois de terre. Pour le mil, très allogame, les résultats conduisent à proposer l'hypothèse d'une coïncidence entre la distribution des groupes génétiques et celles de groupes ethnolinguistiques. Ainsi, des « barrières » sociales à la diffusion des échanges de variétés révélées par les enquêtes anthropologiques, limitent les flux de gènes. La répartition de la diversité génétique du pois de terre, autogame et de culture souvent marginale, révèle une histoire riche en échanges et circulations des semences, en accord avec un système de dénomination largement partagé par toutes les communautés, et une circulation marchande importante. Le sorgho, préférentiellement autogame, pour lequel les emprunts de variétés sont fréquents, révèle une situation intermédiaire. Les groupes génétiques ont une répartition fragmentée, la sélection pour la conservation de types nommés et le système de reproduction majoritairement autogame limitant les échanges génétiques entre ces groupes.A comparative analysis of the relationships between ethno-linguistic and genetic diversities has been carried out in the Lake Chad basin, on pearl millet, sorghum and Bambara groundnut varieties. Results suggest the hypothesis of a coincidence in spatial distribution of farmers social groups and pearl millet genetic groups, despite its outcrossing mating system. The ethnographic surveys indicate ethnic barriers that reduce exchanges of varieties and gene flow. The Bambara groundnut, a self-pollinated species, is mainly a marginal crop. Its genetic diversity witnesses important seed exchanges that probably occurred throughout the history of the cultivation of this plant in this region. This result is in agreement with both the similar naming systems in the different ethnic groups and the important merchant exchanges of this crop. For sorghum, use and adoption of exotic varieties are frequent, which could contribute to explain the patchy spatial distribution of genetic groups. However, farmer's selection for the conservation of well-identified varieties and a mainly selfing mating system, contribute to limit gene flow between varieties.
- Le lac Tchad, un agrosystème cosmopolite centré sur l'innovation - Charline Rangé, Mahamadou Abdourahamani p. 43-66 Quasi-espace vierge à la veille des années 1950, les rives du lac Tchad sont devenues un pôle de densité démographique attirant des migrants d'origines géographiques et culturelles très diverses et une région exportatrice de surplus vivriers. Cet article analyse les innovations matérielles sur lesquelles a reposé le développement du lac dans un contexte de forte variabilité des paysages. Il met en avant le rôle des emprunts aux zones humides anciennement exploitées, de la conjugaison d'une population culturellement diverse, de conditions favorables d'accès aux ressources, et de la diversification des échanges marchands. Il montre comment les plantes cultivées et les savoirs associés ont traversé les frontières nationales et culturelles avec pour conséquence l'individualisation d'un agrosystème cosmopolite au sein du bassin tchadien. Caractérisé par un potentiel élevé de sélection de cultivars adaptés à l'inondation dans les trois espèces « phare » (maïs, niébé, patate douce), par la construction de savoirs environnementaux locaux et l'élaboration de techniques innovantes, le lac s'affirme aujourd'hui comme un laboratoire pour l'intensification endogène de l'agriculture de décrue.Almost blank space on the eve of the 1950's?, ?the shores of Lake Chad have become a center of population attracting migrants from various geographical and cultural origins, and a region exporting large agricultural surplus. This article analyzes the innovations on which the development of the Lake has rested in a context of high variability of landscapes. It highlights the key role of borrowings to formerly exploited wetlands, of the association of a culturally varied population with favourable access conditions to resources, and of the diversification of market exchanges. It shows how crops and associated knowledges have crossed the national and cultural borders resulting in the individualization of a cosmopolitan agrosystem in the lake Chad basin. Characterized by a high potential for selection of cultivars adapted to the flood recession in the three main species (maize, bean, sweet potato), by the local development of environmental knowledges and innovative techniques, the Lake has now become a laboratory for the endogenous intensification of flood recession agriculture.
- Quel pourrait être le territoire des semences des sorghos que cultivent les Duupa du Massif de Poli (Nord du Cameroun) ? - Éric Garine, Adeline Barnaud, Christine Raimond p. 67-92 Les collectivités paysannes duupa, une ethnie de 5 000 personnes environ, ont pour base de leur subsistance la pratique de l'agriculture, et la production du sorgho y joue un rôle éminent. Comme beaucoup d'agriculteurs dits « traditionnels », les Duupa disposent d'un large éventail de variétés de cette céréale – plus de cinquante sont nommées dans leur langue. Toutefois, cette diversité est inégalement répartie entre les agriculteurs d'un même village ou d'un village à l'autre. Peut-on considérer que ce corpus de variétés locales, et le pool génétique qu'elles représentent, est un trait culturel de l'ensemble du groupe ethnique duupa ? Un examen croisé des principes sociologiques qui sous-tendent la circulation des semences et de l'analyse de la structure génétique du sorgho révèle que l'étendue du territoire où on les retrouve dépasse celle du terroir villageois et du groupe ethnique. Les ressources génétiques dont dépendent les Duupa pour assurer leur subsistance et leur identité culturelle sont semblables à celles de leur voisin dowayo dont ils se distinguent pourtant par leur langue et de nombreux traits de leur culture.?Duupa communities, an ethnic group comprising 5000 persons, rely for subsisting on agriculture and sorghum is the main crop. As many traditional farmers, Duupa farmers deal with a large number of landraces, more than fifty are locally named. However, this diversity is unevenly distributed among individuals in the same village and from one village to another. How far can this portfolio of landraces, and its genetic diversity, be considered as a cultural trait of the Duupa ethnic group? Looking at social processes underlying the seed system and the genetic structure of sorghum reveals that its area is larger than villages and ethnic group territories. The genetic resources of Duupa sorghum appears to be similar to that of their Dowayo neighbors with whom they differ in language and many features of their cultural system.?
- Dans les sillons de l'alliance. Ethnographie de la circulation des semences de sorgho dans l'Extrême-Nord du Cameroun - Jean Wencélius, Éric Garine p. 93-116 Nous proposons dans cet article une analyse des échanges de semences de sorgho pluvial basée sur une ethnographie fine des sources et des pratiques d'approvisionnement par les agriculteurs d'un village masa de l'Extrême-Nord du Cameroun. Le croisement d'un corpus de données sur les acquisitions de semences avec un recensement généalogique met au jour une correspondance étroite entre les aires d'échanges de semences et d'échanges matrimoniaux. Les alliances matrimoniales conclues entre différents clans et groupes ethnolinguistiques participent à forger une unité socio-territoriale qui transcende ces frontières et constitue une aire de circulation intense tant des personnes que des biens. Les semences empruntent des circuits similaires à ceux des femmes et les transferts privilégiés entre affins sont une expression, parmi d'autres, des relations sociales d'échange dans lesquelles ces parents par alliance sont engagés.The aim of this article is to analyze rainy-season sorghum seed flows through an in-depth ethnography of seed supply sources and practices in a Masa village of Northern Cameroon. Cross-referencing datasets concerning farmers' seed acquisitions and genealogical relationships reveals a strong match between the geographical dimensions of both seed and matrimonial exchanges. Marital unions between members of different clans and ethno-linguistic groups result in the forging of a socio-territorial unit which transcends group boundaries and harbors intense flows of people and goods. Seed transfers are channeled through the paths of women's mobility. The frequency of sorghum seed transfers between in-laws represents one of the many expressions of the social relationships of exchange affines are engaged in.