Contenu du sommaire : Paradoxes et ambiguïtés des politiques multiculturelles
Revue | Problèmes d'Amérique Latine |
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Numéro | no 92, printemps 2014 |
Titre du numéro | Paradoxes et ambiguïtés des politiques multiculturelles |
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Dossier : Paradoxes et ambiguïtés des politiques multiculturelles
- L'application des politiques multiculturelles en Amérique Latine - Carlos Agudelo, Maité Boullosa Joly p. 7-10
- Les paradoxes des politiques multiculturelles en Bolivie : entre inclusion et exclusion - Andrew Canessa p. 11-26 La Bolivie est un bon exemple de pays ayant placé le multiculturalisme au centre de son idéologie politique. L'actuelle administration Morales ne se contente pas de cautionner les politiques multiculturelles, elle a également inscrit les principes d'une nation multiculturelle et pluriethnique dans la nouvelle Constitution. Cet article décrit certains paradoxes au cœur de cette nation multiculturelle : le nouveau discours sur l'indigénéité est utilisé autant pour affranchir les masses subalternes que pour exclure d'autres populations privées d'accès aux discours du pouvoir. L'auteur montre ici que lorsque l'indigénéité passe d'un langage de protestation au langage de la gouvernance, elle peut être un facteur d'affranchissement autant que d'exclusion.The paradoxes of multiculturalism policies in Bolivia : between inclusion and exclusion
Bolivia is a clear example of a country which has put multiculturalism at the very centre of its political ideology : not only does the current Morales administration endorse the politics of multiculturalism but the very principles of a multicultural and pluriethnic nation are enshrined in the new Constitution. This article explores some of the paradoxes at the heart of this multicultural nation where the new language of indigeneity – through which much of the ideas of multiculturalism is articulated – serves to liberate the subaltern masses but also excludes others with less access to state discourses of power. I suggest that when indigeneity moves from the language of protest to the language of governance it can serve to exclude as much as it can liberate and a critical analysis of indigeneity is necessary to distinguish between competing claims under its label. - Métis malgré tout : une résistance Amazonienne aux politiques ethniques - Jean-François Véran p. 27-45 Nação Mestiça est un mouvement politique né des banlieues pauvres de Manaus, capitale de l'État d'Amazonie, en réaction aux politiques dites « ethno-raciales » qui se développent à l'échelle nationale depuis le début des années 2000. Dans l'objectif de restituer et comprendre le point de vue logique à partir duquel ses militants questionnent la démocratie brésilienne, l'article montre dans un premier temps comment Nação Mestiça défend le métissage dans le parfait contresens de la déconstruction idéologique par laquelle le concept s'est vu progressivement destitué de toute légitimité au plan politique national. Il sera ensuite argumenté que cette posture doit être comprise à partir d'une pragmatique de l'expérience métisse, dans laquelle s'inscrit une conception particulière des rapports entre métissage et démocratie. Il s'agira finalement de montrer comment le mouvement déplace le débat sur les politiques « affirmatives » en le re-territorialisant au sein de l'espace pratique des enjeux micro-locaux.Métis in spite of everything : an amazonian resistance to ethnical policies
Nação Mestiça is a political movement born in the poor suburbs of Manaus, capital of the state of Amazonas, in response to the so-called “ethnoracial” public policies that were nationally implemented since the early 2000s. With the aim to understand the logical point of view from which its activists question Brazilian democracy, the article first shows how Nação Mestica defends miscegenation. This is in perfect contradiction to the ideological deconstruction through which the concept has been gradually removed of its legitimacy at the national political level. It will then be argued that this position should be understood from a pragmatic mestiça experience, in which a particular conception of the relationship between democracy and miscegenation is rooted. In conclusion, it will be shown how the movement moves the debate on “affirmative” policies on by re- territorializing it within the practical space of micro-local issues. - Chronique d'une ethnogenèse annoncée – Histoire des luttes indiennes contemporaines dans le Nord-ouest argentin (1970-2014) - Maité Boullosa Joly p. 47-71 On assiste à un processus important d'ethnogenèse dans la région du Nord-Ouest argentin. Il est lié au développement des lois multiculturelles qui donnent des droits culturels, sociaux et territoriaux aux populations autochtones depuis la fin des années 1980. Afin de comprendre ce processus d'ethnicisation, nous reviendrons sur l'histoire coloniale de la région et sur le traitement subi par les Indiens qu'on a dépossédés de leur territoire. Cette dépossession s'est accentuée après l'indépendance au 19e siècle dans un pays qui, ayant construit son identité nationale sans les prendre en compte, a été considérée comme une Nation sans indiens. Comment expliquer alors ce renouveau identitaire que connaît aujourd'hui l'Argentine ? Nous reviendrons sur 40 ans d'histoire de luttes sociales et territoriales menées par les populations dans le Nord-Ouest argentin qui se revendiquent Diaguita Calchaquies. Mais nous verrons aussi les stratégies employées par les propriétaires terriens pour délégitimer les arguments des organisations indianistes. Les situations sont cependant très contrastées, plus ou moins violentes selon les contextes. Ces études de cas nous permettront de mesurer les avancées qu'a permis l'implantation des lois multiculturelles dans le pays, la valorisation identitaire qu'elles ont suscitée, les droits qu'elles ont permis de réclamer, mais d'en observer aussi les ambiguïtés et les limites.Chronicle of an ethnogenesis foretold : an account of contemporary indigenous struggles in the argentinian northwest (1970-2014)This article explores the important process of ethnogenesis in the northwest region of Argentina. This is tied to the development of multiculturalism in Argentina and the passage of laws which have, since 1980, granted cultural, social and territorial rights to indigenous populations. In order to understand this process of ethnicisation we must first consider the region's colonial history and the treatment of Indians who have been dispossessed of their territory. This phenomenon intensified in during the nation-building process of the 19th century where, not only were Indians taken into account, but the nation was imagined as devoid of Indian inhabitants. How then, can we explain this renewed indigenous identity in contemporary Argentina ? In this article I will look at 40 years of social and territorial struggles as well as the strategies employed by landowners to delegitimise indianists' arguments. Each group deploys profoundly different arguments which sometimes develop into violent conflict, according to the particular circumstances. These case studies allow us to measure the progress made since the implementation of multicultural laws in the country, the valorisation of indigenous identity that they have inspired, the rights that they have allowed to be reclaimed, but also to observe the limits and ambiguities of indigenous discourses.
- Le double discours des politiques d'éducation interculturelle bilingue au Paraguay - Capucine Boidin p. 73-90 La nouvelle Constitution du Paraguay en 1992 a reconnu le guarani comme langue officielle sur tout le territoire national aux côtés de l'espagnol. Depuis 1994 une politique nationale d'éducation bilingue interculturelle a été lancée. Le Paraguay est proclamé comme étant un pays “bilingue et pluriculturel”. Mais ce ne sont pas tant des politiques multiculturelles qui sont mises en place qu'une nouvelle manifestation de nationalisme paraguayen : la communauté nationale est imaginée comme métisse et bilingue guarani espagnol, à l'exclusion de toute autre identité ethnique. Pour comprendre la spécificité de ces politiques, il faut les situer en continuité avec la gestion historique des altérités au Paraguay à l'époque coloniale et indépendantiste : une altérité incorporée (guarani) et des altérités maintenues en état d'extériorité (Ayoreo, Aché, Enxet, Mbya...). Cela étant dit, si au niveau politique le guarani bénéficie d'une forte reconnaissance symbolique, au niveau de la planification linguistique, de nombreuses résistances envers l'usage officiel du guarani peuvent être observées. Parallèlement à cette officialisation et visibilisation croissante, se multiplient les propositions pour effacer les connotations indigènes de la langue au profit de ses dimensions nationales.Doublespeak in the Paraguayan policies of bilingual intercultural education
The current Paraguayan constitution (1992) recognizes Guarani as an official language alongside Spanish in the entire country. Since 1994 a bicultural and intercultural national education policy has also existed and Paraguay was proclaimed a “bilingual and multicultural country”. However, what has been put into place is another demonstration of Paraguayan nationalism, instead of multiculturalism ; the nation is imagined as being interracial (mestizo) and bilingual in Guarani and Spanish, excluding all other ethnic identities. To understand the particularities of these policies it is necessary to see them as a continuation of the past management of otherness in Paraguay during the colonial and post-colonial periods. A single form of otherness has been incorporated (Guarani) while others have been kept out (Ayoreo, Aché, Enxet, Mbya...). Nevertheless, whereas it is true that Guarani has benefitted politically from a strong and emblematic recognition, there has, on the other hand, been resistance to the official use of Guarani. In parallel with its officialization and increased visibility, numerous efforts have been proposed for erasing indigenous elements from Guarani, to the better to emphasize its nationalistic dimensions. - Le Belize, une société pluriculturelle sans politiques multiculturelles ? - Elisabeth Cunin, Odile Hoffmann p. 91-109 Le Belize, ancienne colonie britannique en Amérique centrale, est généralement décrit en termes de diversité culturelle et de multiplicité des groupes ethniques qui le composent, par les observateurs comme par les administrateurs et gouvernants. Pourtant, depuis son indépendance récente (1981), le gouvernement bélizien n'a pas mis en place de politiques multiculturelles qui accorderaient un traitement différentiel à des individus en raison de leur appartenance ethnique ou raciale, comme on le constate dans les Amériques depuis les années 1980-90. Partant de ce constat, cet article se construit autour d'un double questionnement portant sur les modalités de la mise en place d'un projet national : comment le gouvernement bélizien a-t-il géré l'héritage du « divide and rule » colonial qui visait à segmenter la population ? Comment s'est-il adapté au « tournant multiculturel » des années 1980-90 et ses logiques de reconnaissance de la diversité ? Fondée sur deux champs d'application – les politiques culturelles et les politiques agraires-, l'analyse tend à montrer que la prise en compte de l'altérité par les politiques publiques s'inscrit dans la tradition coloniale britannique tout en intégrant les aspirations nées de la longue marche vers l'indépendance, et qu'elle suscite des formes spécifiques de gestion de la différence, au sens de politiques fondées sur des redistributions différentielles en fonction des appartenances collectives.Belice, a pluricultural society without multicultural policies
The former British colony in Central America, Belize, is usually described by observers as well as administrators and rulers in terms of cultural diversity and multiplicity of ethnic groups which compose it. However, since recent independence (1981), the Government of Belize has not implemented multicultural policies that would grant differential treatment to individuals because of their ethnicity or racial background, as is generally the case across the Americas since the 1980s. From this observation, this article is built around a double questioning on the modalities for the implementation of a national project : how has the Government of Belize managed the legacy of the “divide and rule” colonial policy aimed at segmenting the population ? How has it adapted to the “multicultural turn” of the 1980s and its logic of recognition of diversity ? Based on two fields of application – cultural policies and agrarian policies –, analysis tends to show that taking account of otherness though public policy is part of the British colonial tradition while integrating the aspirations born of the long march towards independence. It also creates specific forms of management of difference, in the sense of differential redistribution on the basis of collective memberships. - Lectures - p. 111-118