Contenu du sommaire : Histoire sociale des sciences sociales (2)
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 108, juin 1995 |
Titre du numéro | Histoire sociale des sciences sociales (2) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Histoire sociale des sciences sociales (2)
- Un air de radicalisme. Sur quelques tendances récentes en sociologie de la science et de la technologie. - Yves Gingra.
Un air de radicalisme Ce texte propose une analyse critique de certains travaux récents en sociologie des sciences qui utilisent le langage des «acteurs-réseaux» et du «génie hétérogène». On y examine attentivement la façon dont ces notions sont présentées, justifiées et utilisées dans la description des études empiriques. À la suite de cette étude critique, le texte propose un modèle sociologique de la pratique scientifique qui se veut réflexif, en accord avec les connaissances actuelles de la micro-dynamique de la recherche, et qui tient compte de contraintes structurelles de la pratique scientifique, invisibles à la microanalyse. Ce modèle tente de reconnaître, au sein des variations infinies mises à jour dans les nombreuses micro-histoires des pratiques scientifiques, les invariants qui les unissent.A hint of radicalism This text proposes a critical analysis of some recent pieces of work in the sociology of sciences using the language of "actors-networks" and "heterogeneous engineering". It scrutinizes the way these notions are presented, justified and used in the description of empirical studies. Following this critical study, the text proposes a sociological model of the practice of science which is meant to be reflexive, in harmony with the present state of knowledge about the microdynamics of research, and which takes into account the structural constraints of the practice of science. The model attempts to identify, from among the infinite variations brought to light in the many micro-histories of scientific practices, those constants that unite them.
- L'invention de l'échelle métrique de l'intelligence. - Patrice Pinell. L'invention de l'échelle métrique de l'intelligence L'ambition de cet article est de montrer que l'invention de l'échelle métrique de l'intelligence (EMI) est le produit d'un processus de transformations affectant la société française, d'où vont émerger un certain nombre de conditions permettant que la question de la mesure de l'intelligence soit posée et résolue par un psychologue expérimentaliste « singulier », Alfred Binet, dans les termes où celui-ci l'a posée et résolue. Parmi ces conditions, certaines concernent la demande sociale adressée à la psychologie telle qu'elle se construit indépendamment de l'individu Binet, d'autres ont à voir avec l'émergence du sous-espace « psychologie expérimentale » dans lequel Binet s'investit (et donc auquel il participe), d'autres encore tiennent aux propriétés particulières acquises par Binet au cours de son histoire (c'est-à-dire les expériences passées qu'il a incorporées sous forme de schèmes de perception, de pensée et d'action), d'autres enfin sont le produit de la dynamique du jeu social par rapport auquel la construction de l'EMI prend sens - elles impliquent la constitution du réseau où Binet va opérer la traduction de la demande sociale en question de psychologie expérimentale. C'est en reconstruisant la façon dont ces différentes conditions s'articulent que l'on peut espérer rendre compte sociologiquement de la production de cette « innovation ».The invention of the metric scale of intelligence : a contribution to the sociology of scientific practices The aim of this article is to show that the invention of the metric scale of intelligence (MSI) was the product of a process of transformations affecting French society, out of which a number of conditions would emerge so that the issue of measuring intelligence could be raised and resolved by an "uncommon" experimental psychologist, Alfred Binet, in those terms in which he raised and resolved the question. Certain of these conditions concern the social demand addressed to the field of psychology as it was being constructed, independently of Binet, the individual ; others had to do with the emergence of the subfield of "experimental psychology" in which Binet had an investment (and in which he participated) ; others stemmed from the specific properties Binet had acquired in the course of his life (i.e. earlier experiments that he incorporated as patterns of perception, thought and action) ; and finally still others were the product of the interplay of social forces in relation to which the construction of the MSI takes on meaning ; these conditions imply the constitution of a network through which Binet would transform social demand into a question for experimental psychology. By reconstructing the articulation of these different conditions, one can hope to give a sociological account of the production of this "innovation".
- L'invention de la démographie et la formation de l'Etat. - Rémi Lenoir.
L'invention de la démographie et la formation de l'État On ne saurait refaire ici l'histoire des catégories de la « pensée démographique». Il s'agit seulement, à propos d'une des sciences sociales qui s'est toujours voulue à la fois un outil de gestion étatique et un moyen de connaissance du monde social, de mettre au jour les mécanismes selon lesquels se constituent les catégories, les problématiques qui les sous-ten-dent et les enjeux dont ils sont l'objet. De sorte que l'analyse vise à construire l'espace social de la production et de la diffusion du discours démographique, espace certes différencié et dispersé, mais bien propre à contrecarrer les oppositions, et ainsi à contribuer à engendrer cette sorte de neutralité bureaucratique qu'on ne saurait confondre avec la neutralité axiologique. Il reste que le large consensus à la fois scientifique et politique dont bénéficie la démographie tient pour une part à la nature des catégories qu'elle emploie, celles de l'état civil et les présupposés qui lui sont liés, donc instituées et consacrées par l'État et utilisées du point de vue de l'État. Cette correspondance entre la « pensée démographique » et la « pensée d'État » pourrait bien être assurée par celle que la recherche fait apparaître entre les propriétés sociales des acteurs scientifiques, administratifs et politiques, voire religieux, qui participent à l'élaboration et au maintien de cette discipline.The invention of demography and the birth of the State This is not the place to remake the history of the categories of "demographic thinking". The sole aim of this article is to look at one of the social sciences which has always seen itself as a tool for state management and a means of knowing society and to bring out the mechanisms that serve to constitute the categories of this thought, their underlying problematics and the issues in which they have a stake. The analysis attempts to construct the social space in which the demographie discourse is produced and diffused, a differentiated and dispersed space to be sure, but one well suited to counteracting opposition, and in so doing to contributing to the sort of bureaucratic neutrality that could never be confused with axiological neutrality. It remains that the broad scientific and political consensus enjoyed by demography can be explained in part by the nature of the categories it uses, the same as those used by government registry offices, and the assumptions that go with them, categories instituted and consecrated by the State, then, and used from the viewpoint of the State. This correspondence between "demographie thinking" and "State thinking" might well be ensured by the correspondence revealed by research between the social properties of the scientific, administrative and political, and even religious, actors that take part in elaborating and maintaining this discipline.
- Une biographie d'inventeur. - Clémént Ader.
- L'ascension des économistes au Brésil. - Maria Rita Loureiro. L'ascension des économistes au Brésil Dans ce texte, nous nous efforcerons d'analyser la façon dont les économistes, occupant des postes très importants au sein des organismes du gouvernement, ont mis en œuvre, par la voie de leur compétence spécifique, les ambitions de pouvoir qui ont toujours caractérisé les intellectuels brésiliens. La présence des économistes au sein des élites dirigeantes et la position prééminente de la science économique dans la hiérarchie des disciplines universitaires sont le résultat du travail collectif de groupes et d'institutions variés, au cours de plusieurs décennies, dans les milieux universitaires et gouvernementaux. C'est pourquoi nous pensons qu'on ne saurait s'en tenir à l'analyse de la pensée économique, mais qu'il convient d'étudier aussi le milieu social des économistes, de leurs groupes, institutions et débats. L'étude porte sur la période de constitution du champ des économistes, depuis les années 30 jusqu'aux années 60.The ascension of economists as a governing elite in Brazil In this text we attempt to analyze how economists, who occupy high places in government organisms, have used their specific properties to implement the ambitions of power that have always characterized Brazilian intellectuals. The presence of economists within the governing elites and the preeminence of economics in the hierarchy of academic disciplines stem from a collective drive on the part of groups and various institutions, over the last few decades, within university and government milieus. That is why we believe that we must not be content with the analysis of economic thinking, but that we need also to go on to study the social milieu of economists, of their groups, institutions and debates. The present study covers the period from the 1930s to the 60s, during which the field of economists was being constituted.
- Un air de radicalisme. Sur quelques tendances récentes en sociologie de la science et de la technologie. - Yves Gingra.