Contenu du sommaire : Droit et jeu.
Revue | Droit et société |
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Numéro | no 17-18, janvier 1991 |
Titre du numéro | Droit et jeu. |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Michel van de Kerchove, François Ost p. 5-7
- Le théâtre et le procès - Gérard Soulier p. 9-24 Le jeu du procès a plus que des analogies avec celui du théâtre : l'un et l'autre se développent dans un espace consacré, suivant des règles qui dérogent aux pratiques de la vie ordinaire, qu'il s'agisse des gestes, de la parole, de la parure vestimentaire. Dans l'un, et l'autre cas, il y a représentation, fondée sur la mimesis, mêlée d'une autre forme de jeu, l'agôn, qui structure aussi bien l'audience et la tragédie. Mais d'autre part, l'enjeu de cette représentation n'est pas le même. Le jeu est une fin en soi, tandis que le procès a pour objet immédiat la réglementation d'un litige, lequel conduit à donner sens au droit. Toutefois, les deux institutions se retrouvent dans un même effet de catharsis, qu'Aristote avait attaché à la tragédie, mais qui peut-être donne aussi sa signification profonde à la représentation judiciaire.The performance of a trial presents a number of analogies with that of a play : both take place in a consecrated space, according to rules which depart from the habits of daily life concerning gestures, words or clothing. In both cases, it is dealt with a performance based upon mimesis, mixed with another kind of acting, agôn, which participates in the structure of the trial as well as of the tragedy. On the other hand, however, what is at stake in these two performances is not the same. Playing is an end in itself, whereas the immediate purpose of a trial is the settlement of a dispute, which leads to give meaning to law. Nevertheless, both institutions remain close to each other in so far as they provoke the same catharsis-effect, which Aristotle had assigned to tragedy, but may also shed light on the deep signifiance of the judicial performance.
- Huizinga et le droit : le procès et le jeu en Italie - Simona Andrini p. 25-37 Parler de jeu sans évoquer Huizinga serait quasiment impossible. Mais il n'en est pas de même lorsqu'on parle des rapports entre le jeu et le droit. Le présent article a pour objet d'établir une relation entre la pensée de Johan Huizinga et le monde du droit. Un monde que Huizinga connaissait bien, encore que pas toujours de façon directe (c'est le cas pour Max Weber, qu'il ne connut que par le biais de Troeltsch). Un monde pour lequel la pensée de Huizinga était loin d'être inconnue. C'est le cas, en l'occurrence, des deux plus éminents juristes italiens, Francesco Carnelutti et Piero Calamandrei qui, sur l'approche huizinguienne et sur l'analogie entre deux notions — procès et jeu — qui retint l'attention de l'auteur néerlandais, modulèrent leur combat en faveur de deux conceptions opposées et antagonistes du procès.Though any discussion of games immediately colis to mind Johan Huizinga and his Homo ludens, the connection between game and law is scarcely as forthcoming. This essay's purpose is to clarify the relationship between Huizinga 's thought and a juridical experience with which Huizinga himself was, if indirectly a times (as in the case of his knowledge of Max Weber, gained mainly by reading Troeltsch) familiar. Jurists are in their turn equally familiar with Huizinga 's writings, as is the case with two great italian trial law specialists, Francesco Carnelutti and Piero Calamandrei who articulate opposing and conflicting views on trial law and procedure taking their cue from the analogies between trial procedures and game posited by the Dutch thinker.
- Du jeu fini au jeu ouvert. Réflexions additionnelles sur le Droit post-moderne - André-Jean Arnaud p. 39-55 Au modèle de jeu révélé par les législations "modernes" qui l'avaient enserré dans des codes, jeu fermé entre individus appartenant à des statuts en nombre limité, pour faire des opérations en nombre également limité, la société contemporaine tend à substituer un modèle ouvert, où l'informel gagne du terrain, et où les acteurs jouent un rôle jusque dans l'élaboration de la décision complexe qui fonde la règle du jeu. De ces nouveaux rapports fluctuants entre le social et le juridique, naît une nouvelle structure du jeu, qui préfigure ce que pourrait être le Droit d'une société post-moderne.The "modern" legislations — especially the continental codes — had regulated society through the Law according to a closed pattern of game. In such a System, each person pertains to a specific statute and the personal statutes are limited in number. All the play-actions are defined in advance. The contemporary society shows another type of game, an open game. Informal regulation of social relations as well as informal dispute resolution processing is progressing. Moreover, the actors are required more and more to participate in the complex process of norm creation on which the game itself is based. In this context, a new structure of the game is emerging. It could be the image of the post-modern Law.
- Le droit saisi par le jeu - Ejan MacKaay p. 57-83 La théorie des jeux d'interaction, point de ralliement des sciences sociales, à fait son entrée en droit depuis une quinzaine d'années environ. La première question étudiée a été celle de la nature d'un ordre spontané entre individus. On a exploré les conditions dans lesquelles des individus arrivent à développer des rapports de coopération malgré la possibilité de s'exploiter mutuellement. A côté de ce premier foyer d'intérêt, s'est constitué un deuxième foyer portant sur l'origine et le fonctionnement de l'Etat. La théorie des jeux permet d'explorer la nature des prétendus "biens collectifs" censés justifier la conclusion du contrat social. Elle permet aussi d'étudier la dynamique du pouvoir en tant que fondement de l'Etat. Elle clarifie, en dernier lieu, le paradoxe de la croissance indéfinie de l'Etat dans les démocraties sociales modernes. Dans l'ensemble, la théorie des jeux met au jour à quel point les institutions fondamentales du droit sont des réponses aux paradoxes de l'interaction humaine.Game theory, rallying point of the social sciences, has corne to the law over the last fifteen years. Its first focus has been the nature of spontaneous orders among individuals, that is the conditions under which individuals will find it profitable to co-operate, much as they are aware of the possibility of exploiting one another. Besides this first topic, research has recently been focused on a second one, that of the origin and functioning of the State. Game theory allows one to investigate the nature of the supposed 'public goods', whose provision is thought to be the justification for the 'social contract' founding the State. Game theory also allows one to study the dynamics of power as a founding cause of the State. Finally, game theory helps one to understand the paradox of the indefinitely growing government in modem social democracies. Altogether, game theory makes plain just how much of our fundamental legal institutions must be seen as responses to the paradoxes of human interaction.
- Le droit dans la forme praxéologique du jeu - Gianfranco Ferrari p. 85-98 L'article traite de la possibilité d'employer le modèle du jeu pour la compréhension du droit. Après avoir évoqué quelques exemples à ce propos, et soulevé quelques notes critiques, il conclut qu'il est possible de mieux démontrer l'analogie entre le droit et le jeu à la lumière de la méthodologie de la praxéologie.This paper offers an inquiry on the possibility to assume the model of a game for the understanding of the law. It shows some examples to this purpose, but also some criticisms, so that the possibility of an analogy between the law and the game is better conceivable in the light of the methodological apparatus of the praxeology.
- Towards a semiotic model of the games analogy in Jurisprudence - Bernard S. Jackson p. 99-123 II est fait, le plus souvent, un usage sélectif et non-systématique de l'analogie du jeu en droit. Cette critique s'applique autant à Hart qu'à Huizinga, l'un et. l'autre sélectionnant, pour les besoins de la comparaison, des traits différents du jeu, qu'il est cependant possible d'articuler à une même échelle évolutionniste. D'autres adoptent un modèle structuraliste (Erhmann) ou naturaliste (Midgley) pour présenter les jeux. L'étude de ces différents textes révèle, mieux que ne le ferait la présentation d'un auteur unique, (a) le faisceau des diverses caractéristiques du jeu et (b) les problèmes épistémologiques que suscite leur discussion. On suggérera que l'utilisation de concepts sémiotiques peut contribuer à clarifier autant la nature de l'analogie ludique que certaines de ses manifestations concrètes.Much use of the "games analogy" in law is selective and unsystematic. This criticism may be applied equally to its use by Hart and Huizinga, both ofwhom select different features for comparison with points on the same evolutionary's cale. Others adopt structuralist (Ehrmann) or naturalist (Midgley) modelsfor their presentation of games. A review of this literature indicates more fully than does any single author (a) the set of features characteristic of games, and (b) the epistemological problems involved in discussing them. It is suggested that the use of semiotic concepts may assist in clarifying both the nature of the analogy, and some of its substantive manifestations.
- L'enjeu des règles - Amedeo G. Conte p. 125-146 II y a deux analogies qui justifient la comparaison entre droit et jeu. Dans leur formulation, paraît un concept cardinal de la déontique et de la philosophie du langage normatif : le concept de règle constitutive, en particulier le concept de règle eidético-constitutive. L'essai suivant est consacré à l'explication et aux implications de ce concept. Cet article est constitué par les six phases suivantes : (i) histoire de la théorie des règles constitutives ; (ii) deux définitions du concept de règle eidético-constitutive ; (iii) typologie des règles eidético-constitutives déontiques (règles paradigmatiques vs. règles syntagmatiques) ; (iv) distinction entre le concept de règle eidético-constitutive et le concept de règle anankastico-constitutive ; (v) discussion de la possibilité d'antinomie entre deux règles eidético-constitutives et entre deux règles anankastico-constitutives ; (vi) discussion de la signification des règles eidético-constitutives pour la déontique, pour la philosophie du droit, pour la philosophie du langage normatif.There are two analogies which justify the comparison between law and game. The notion of constitutive rule occurs in the formulation of both analogies. The paper L'enjeu des règles is devoted to the explication and the implications of the notion of eidetic- constitutive rule. The six main topics dealt with in the paper are : (i) history of the theory of constitutive rules ; (ii) definitions of the notion of eidetic-constitutive rule ; (iii) typology of deontic eidetic-contitutive rules (paradigmatic rules vs. syntagmatic rules) ; (iv) distinction between the notion of eidetic-constitutive rule and the related notion of anankastic-constitutive rule ; (v) discussion of the possibility of antinomies (conflicts) between eidetic-constitutive rules and between anankastic- constitutive rules ; (vi) analysis of the relevance of the theory of eidetic-constitutive rules for deontics, philosophy of law, philosophy of normative language.
- Les origines de la répression des jeux en droit anglo-saxon : le contrôle de l'Homo ludens dans l'Angleterre du XIVe au XVIe siècle - Pierre Robert p. 147-160 L'auteur propose une analyse détaillée du droit pénal anglais à l'origine de la répression moderne des jeux et paris. Cette analyse fait apparaître les fondements particuliers de la répression du jeu dans l'Angleterre médiévale et l'émergence du processus de construction de l'illégalisme du jeu.Pierre Robert undertakes an analysis of the ancient English Law at the origin of the modem criminalization of Gambling. This analysis shows the foundations of criminalization in Medieval England and the production process of the illegitimacy of the games.
- Le jeu : un paradigme fécond pour la théorie du droit ? - Michel van de Kerchove, François Ost p. 161-196 Le but de l'article est de réfléchir la possibilité de prendre au sérieux la référence au jeu dans la théorie du droit. Dans une première partie (I), les auteurs définissent les conditions indispensables pour assurer la fécondité d'une telle analogie. Il s'agira tout d'abord de développer une appréhension dialectique du jeu (A) qui fasse droit à ses multiples facettes ; il s'agira ensuite de préciser les modalités épistémologiques de l'usage de cette référence ludique dans la pensée juridique (B). Il apparaîtra, au terme de ce double examen, que le modèle du jeu, correctement compris, soit susceptible de fournir un véritable paradigme pour l'intelligence du juridique. C'est le propos de la seconde partie (II) que d'évoquer quelques applications possibles, au droit tout d'abord (A), à la théorie du droit ensuite (B), de ce paradigme explicatif. A cet effet sont dégagés cinq couples conceptuels entre lesquels le paradigme du jeu établit une tension dialectique : stratégie et représentation, coopération et conflit, réalité et fiction, régulation et indétermination, internalité et externalité. A l'horizon de cette étude se dégage une logique paradoxale qui, sur un plan réflexif cette fois, paraît susceptible d'éclairer le fonctionnement du logos juridique, tant dans ses aspects théoriques que éthiques.The purpose of the article is to examine the possibility of taking seriously the reference to the game in legal theory. In the first part (I), the authors specify the necessary conditions making such an analogy fruitful. They first develop a dialectical understanding of the game (A) that gives a general idea of its numerous aspects ; afterwards they precise the epistemological modalities which are used to express this game référence in legal thought (B). By the end of this twofold survey, it appears that the game pattern, when it is properly understood, is likely to provide a real paradigm for the understanding of law. In the second part (II), they mention a few possible applications, to law at first (A), then to legal theory (B), of this explicative paradigm. To that effect, five conceptual pairs are brought out, between which the paradigm of the game establishes a dialectical tension : strategy and representation, cooperation and conflict, reality and fiction, regulation and uncertainty, internality and externality. From this study a paradoxical rationality emerges that, on a reflexive level this time, seems to be likely to clarify the functioning of the legal "logos", in its theoretical as well as in its ethical aspects.