Contenu du sommaire : Rituels, territoires et pouvoirs dans les marges sino-indiennes
Revue | Moussons : Recherche en Sciences Humaines sur l'Asie du Sud-Est |
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Numéro | no 19, 2012 |
Titre du numéro | Rituels, territoires et pouvoirs dans les marges sino-indiennes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Rituels, territoires et pouvoirs dans les marges sino-indiennes - Grégoire Schlemmer p. 5-18 Faisant suite à l'idée de Paul Mus concernant l'existence d'une « religion cadastrale » constitutive de l'organisation socio-religieuse du « socle asien », nous proposons d'approcher de manière comparative les rituels liés à la prospérité du territoire des populations vivant en marge des pouvoirs étatiques des régions sinisées et indianisées, ce que nous appelons ici les « marges sino-indiennes ». Ces rituels s'organisent autour d'un schéma récurrent dont nous analysons les détails et les variantes. Il s'agit d'une force du lieu, naturelle et sauvage, pacifiée par un ancêtre fondateur, lequel en devient avec ses descendants les sacrificateurs représentant la communauté toute entière. En légitimant l'occupation d'un espace par un groupe et en favorisant sa fertilité, ces rituels sont le lieu de cristallisation de nombreux enjeux imbriqués qui impliquent tout à la fois les sources de la subsistance, la légitimité d'occuper un territoire, mais aussi les formes d'appartenance et l'exercice du pouvoir interne au groupe et dans sa relation avec ses voisins et les centres de pouvoir qui les englobent.Taking Paul Mus's idea of a “cadastral religion” as part of the socio-religious organisation of the “Asian base” further, we propose approaching rituals linked to the territorial prosperity of groups living on the margins of state power in the Chinese and Indian worlds in a comparative way. These rituals are organised around the recurring schema of a force of place, both natural and wild, which was pacified by a founding ancestor who, along with his descendants, became the sacrificers representing the entire community — a schema the details and variations of which we have analysed. By legitimising the occupation of a space by one group and promoting its fertility, these rituals are where many interlocking stakes are crystallised. These involve the sources of subsistence and the legitimacy to occupy a territory and also membership and power-play forms, both within the group and in its relations with its neighbours and the umbrella power centres.
- Rituals, Territories and Powers in the Sino-Indian Margins - p. 19-31 Faisant suite à l'idée de Paul Mus concernant l'existence d'une « religion cadastrale » constitutive de l'organisation socio-religieuse du « socle asien », nous proposons d'approcher de manière comparative les rituels liés à la prospérité du territoire des populations vivant en marge des pouvoirs étatiques du monde chinois et indien, ce que nous appelons ici les « marges sino-indiennes ». Ces rituels s'organisent autour d'un schéma récurent d'une force du lieu, naturelle et sauvage, pacifié par un ancêtre fondateur dont lui et ses descendants deviennent les sacrificateurs représentant la communauté toute entière – schéma dont nous analysons les détails et les variantes. En légitimant l'occupation d'un espace par un groupe et en favorisant sa fertilité, ces rituels sont le lieu de cristallisation de nombreux enjeux imbriqués qui impliquent tout à la fois les sources de la subsistance, la légitimité d'occuper un territoire, mais aussi les formes d'appartenance et l'exercice du pouvoir interne au groupe et dans sa relation avec ses voisins et les centres de pouvoir qui les englobent.Taking Paul Mus's idea of a “cadastral religion” as part of the socio-religious organisation of the “Asian base” further, we propose approaching rituals linked to the territorial prosperity of groups living on the margins of state power in the Chinese and Indian worlds in a comparative way. These rituals are organised around the recurring schema of a force of place, both natural and wild, which was pacified by a founding ancestor who, along with his descendants, became the sacrificers representing the entire community — a schema the details and variations of which we have analysed. By legitimising the occupation of a space by one group and promoting its fertility, these rituals are where many interlocking stakes are crystallised. These involve the sources of subsistence and the legitimacy to occupy a territory and also membership and power-play forms, both within the group and in its relations with its neighbours and the umbrella power centres.
- Rituels, territoires et pouvoirs dans les marges sino-indiennes - Grégoire Schlemmer p. 5-18
Articles
- Fils du territoire, alliés de la forêt. Expressions rituelles du rapport au territoire chez les Kulung Rai du Népal oriental - Grégoire Schlemmer p. 33-50 Les rituels réalisés par les Kulung révèlent un rapport complexe, et parfois contradictoire, au territoire, notamment en fonction des entités auxquelles ils s'adressent : ancêtres, forces forestières ou la figure ambivalente et médiatrice qu'est le Nagi. Il en ressort une tension entre deux types de légitimité à occuper un espace-territoire. L'une se fonde sur une logique de confrontation/alliance et met en avant l'individu et la conquête territoriale. L'autre se fonde sur une logique de filiation et met en avant le groupe comme collectivité et l'héritage de la terre, voire l'autochtonie. Cette tension peut notamment s'expliquer par les enjeux concrets qui accompagnent ces représentations, en l'occurrence, les relations politiques et foncières au sein du groupe comme avec les communautés voisines.Rituals performed by the Kulung reveal a complex and sometimes contradictory relationship to territory. This is notably the case of the entities to which these rituals are addressed : ancestors, forest powers or the ambivalent and mediating figure of the Nagi. Tension between two forms of space-territory occupation legitimacy is revealed. One is founded upon the logic of confrontation/alliance and places individuals and territorial conquest at the forefront. The other is founded on the logic of filiation and places the group as a collective, land inheritance and even autochthony at the forefront. This tension can be explained by concrete stakes which accompany these representations, in this case : the political and land control relation both within the group and with neighbouring communities.
- Entre village et royaume. La « divinité du hundi » des Joria Poraja (Orissa, Inde) - Raphaël Rousseleau p. 51-70 Cet article cherche à clarifier l'identité d'une divinité présente dans de nombreux villages du sud de l'Orissa, en Inde. Cette divinité est interprétée comme une forme de « déesse terre tribale » dans la vulgate ethnologique. L'on montrera qu'il s'agit, au contraire, dans le cas des Joria Poraja, d'une sorte de pilier du village miniature, incarnant le lien entre le sol ou la localité, le ciel et les habitants. Ce point de vue interne n'est cependant pas exclusif d'un point de vue externe associant plutôt cette divinité à l'ancien royaume régional, sinon à une déesse pan-hindoue telle que Durga.This article aims to clarify the identity of a divinity existing in numerous villages in South Orissa, in India. This divine being is commonly interpretated, by ethnologists, as a local kind of “tribal earth goddess”. On the contrary, we try to show that it is a sort of miniaturized village pillar, in the Joria Poraja case, materializing the link between the soil or the locality, the sky and the inhabitants. This internal perspective is, nevertheless, complementary to an external one, according to which the village divinity refers also to the former regional kingdom, if not to a pan-hindu goddess like Durga.
- Le culte lua' aux esprits des princes (Thaïlande). La construction d'une légitimité - Emma Guégan p. 71-90 Parmi les Lua', groupe de langue austro-asiatique de la province de Nan en Thaïlande, une communauté se targue d'être garante de la prospérité de l'ensemble des habitants, très majoritairement taï, du territoire de l'ancienne principauté de Pua. Ils affirment être les seuls capables d'effectuer le culte aux « esprits des princes », pourtant autrefois exclusivement réalisé par des princes taï. En examinant les discours et pratiques liés à ces anciens princes et aux rites qui leur sont adressés, l'article tente d'expliquer ce fait, et plus généralement de décrire les relations complexes qui unissent Lua' et populations taï.Among the Lua, an Austro-Asiatic speaking group living in Nan province in Thailand, a community prides itself on being a guarantee of prosperity for all people, overwhelmingly tai, inhabiting the territory of the former Pua principality. They claim to be the only ones able to perform the worship to the “spirits of princes”, however once exclusively performed by Tai princes. By examining the discourses and practices associated with these ancient princes and rituals addressed to them, the article attempts to explain this paradox and, more generally, to describe the complex relationships that bind Lua' and Tai population.
- Des ancêtres aux esprits du lieu. Centralisation politique et évolution des rituels collectifs dans le Nord Laos - Vanina Bouté p. 91-110 Avant les réformes religieuses entreprises par les révolutionnaires communistes lors de leur arrivée au pouvoir au Laos en 1975, les Phounoy réalisaient plusieurs rituels collectifs qui avaient comme caractéristique commune de solliciter, pour l'ensemble d'une communauté partageant le même territoire, protection et prospérité auprès d'un couple d'esprits mâle (apha) et femelle (aba), souvent identifiés respectivement aux esprits du ciel (montha dat) et de la terre (mithon dat). Ces deux entités étaient toujours honorées aux côtés – voire confondues avec – d'autres esprits dont la nature différait selon que les rituels étaient effectués de part et d'autre de la rivière Ou, qui scinde en deux le territoire occupé par les Phounoy : sur la rive droite, les esprits associés aux figures du ciel et de la terre étaient des esprits associés à des forces du lieu, tandis que ceux honorés sur la rive gauche, étaient considérés comme des ancêtres fondateurs. Pourtant, d'après les premiers textes publiés sur cette population (Roux 1924 ; Aymé 1930) ainsi que de mémoire d'anciens, les ancêtres tenaient une place essentielle dans les cultes collectifs effectués sur la rive droite au début du XXe siècle. Dans cet article, je tacherai alors de comprendre comment et pourquoi les figures d'esprits sur la rive droite de la rivière Ou, mais aussi les fonctions des officiants qui leur étaient attachés, se sont progressivement transformées entre les années 1920 et les années 1970.Prior to the religious reforms carried out by the Communists after they came to the power in 1975, the Phounoy – a small society in Northern Laos – used to perform various collective spirit cults. All those cults shared the following characteristic : the worship of a couple of male (apha) and female (aba) spirits–identified respectively as the Sky spirit (montha dat) and the Earth spirit (mithon dat). Both entities were worshipped side to side with–or subsumed into–several other spirits. The identity of these spirits was changing according to the localities where the rituals were performed. Thus, the villages located on the right bank or by those located on the left bank of the main river crossing the Phounoy's territory. On the right bank of the Ou River, spirits honoured alongside the Sky and the Earth spirits were associated with some local spiritual beings, while those revered on the left bank were identified as founding ancestors. However, according to the first French colonial writings on the Phounoy (Roux 1924 ; Aymé 1930) and to the elders'account about their past, ancestors were also the prime beneficiaries of the right bank villages rituals at the beginning of the 20th century. The aim of this article is to analyze how and why the nature of the spirits worshipped on the righ bank–but also their ritual officiants–changed between the 1920's and the 1970's.
- Cultes de fertilité chez les Drung du Yunnan (Chine) - Stéphane Gros p. 111-136 L'absence, chez les Drung du Yunnan, de rituels clairement identifiables comme rituels territoriaux implique de se questionner sur l'articulation entre l'ancestralité, le territoire et le pouvoir politique dans le cadre d'un objectif rituel commun : l'obtention de la fertilité. Après une description de deux pratiques rituelles liées à cette notion de fertilité, le sacrifice de bovins et le culte aux montagnes, telles qu'elles coexistaient autrefois chez les Drung, l'auteur questionne les liens entre ces deux pratiques et leurs implications politiques respectives. Si ces deux rituels peuvent se définir comme des cultes à la fertilité, ils manifestent cependant un rapport différent au territoire dans sa définition politique. D'un côté le sacrifice manifeste un caractère dynamique et compétitif de la relation politique (lié au prestige) sans réelle inscription spatiale, tandis que de l'autre le culte aux montagnes manifeste un fort ancrage territorial révélateur de l'ancienne structure politique hiérarchique dans laquelle les Drung se trouvaient intégrés sous l'autorité de chefs tibétains (considérés comme les anciens maîtres des lieux). À un autre niveau, ces deux cultes de fertilité cristallisent une relation plus complexe au territoire vu comme un espace communautaire au sein duquel s'articulent les relations entre hommes et esprits.Among the Drung of Yunnan, the absence of any clearly identifiable territorial rituals calls into question the relationship between ancestrality, territory and political power within the framework of a common ritual goal : achieving fertility. This article presents an ethnographic description of two rituals associated with the notion of fertility — the ox sacrifice and the mountain cult — that used to coexist in Drung society. The links between these two rituals and their respective political implications are thus explored. While both rituals can be defined as fertility rituals, they each exhibit a different relationship to territory in its political acceptation. On the one hand, the ox sacrifice is exemplary of the dynamic and competitive characteristic of political relationships, linked to the notion of prestige, with no discernable spatial anchoring. On the other hand, the mountain cult exemplifies a strong territorial embedment that reveals the past hierarchical political structure within which the Drung people were infeoded to local Tibetan chiefs whom they considered the masters of the land. At yet another level, both fertility rituals convey a complex relationship to the territory understood as a communal space within which relationships between humans and spirits take place.
- Fils du territoire, alliés de la forêt. Expressions rituelles du rapport au territoire chez les Kulung Rai du Népal oriental - Grégoire Schlemmer p. 33-50
Postface
- Les jeux du double pouvoir. Puissances locales et chefs venus du dehors - Gisèle Krauskopff p. 137-149 On a trop souvent enfermé « le dieu du sol » dans le statut de dernier témoin d'un monde révolu, l'essentialisant en même temps que le groupe « tribal » qui le vénérait. Tous les rituels aux divinités du territoire décrits dans ce recueil révèlent une puissance évanescente, ambiguë, dédoublée, démultipliée. Ils mettent en scène le lien entre dedans et dehors, la nécessité des échanges avec l'extérieur, le jeu du « double pouvoir » entre les puissances de la terre « déjà là », et le pouvoir « venu du dehors » qu'il faut se concilier pour assurer la fertilité, dans le contexte spécifique des communautés périphériques des « systèmes galactiques » de l'Himalaya et de l'Asie du Sud et du Sud-Est. Cette postface reprend à son compte l'analyse que fait Marshall Sahlins du thème du « roi venu de l'extérieur », extrêmement répandu dans les récits de fondation, comme une « forme élémentaire de la vie politique » : tous les rituels adressés aux divinités du territoire dévoilent sous diverses modalités liées au contexte politique, ce rapport conflictuel mais vital à l'autre et la nécessaire incorporation de la « puissance de l'altérité » pour fonder une communauté et légitimer l'autorité sur un territoire.Territorial gods have been often conceived as a primordial entity, a remnant of a far off past, by essentialising their nature as well as the “tribal” groups who worship them. All the rituals described in this volume display ambiguous and evanescent forces, often split in two forms. They highlight the tension between the forces attached to the earth and the power “coming from outside”, a paradigmatic “double-power” in the specific context of peripheral societies in Himalayan and South and South East Asian “galactic polities”. Using Marshall Sahlins concept of the Stranger King as the “elementary form of the politic of life” this postface stresses the common elements of these rituals: Worships of territorial gods exemplify the conflictual but vital relation between “us” and the “Other” — the necessary exchange with the outside world provides fertility and incorporating the “potenty of alterity”, secures the group continuity and legitimates the local chieftain authority.
- Les jeux du double pouvoir. Puissances locales et chefs venus du dehors - Gisèle Krauskopff p. 137-149
Note
- Intermédiaires du tourisme médical. Les réfugiés afghans de Delhi - Julie Baujard p. 151-162 Cette note traite du rôle des réfugiés afghans dans le tourisme médical de leurs compatriotes venus d'Afghanistan se faire soigner à Delhi. Il explore la coopération qui se dessine entre citoyens et réfugiés et explore ce qui fait de ces derniers des courtiers médicaux. Renversant l'approche classique selon laquelle le tourisme médical résulte de flux du Nord vers le Sud, l'analyse montre que ces mobilités internationales de santé s'inscrivent dans un réseau transnational afghan où les différentes circulations se combinent entre elles.This paper considers the role refugees play in the medical tourism of their compatriots coming from Afghanistan to Delhi to get treatments. It explores the nature of the cooperation between fellow citizens and refugees and examines what make refugees medical brokers. Far from the classical approach that presents medical tourism as a result of North to South flows, the analysis shows that these international medical mobilities are part of a transnational Afghan network where the different circulations combine.
- Intermédiaires du tourisme médical. Les réfugiés afghans de Delhi - Julie Baujard p. 151-162
Comptes rendus
- Chinese Circulations. Capital, Commodities, and Networks in Southeast Asia, Eric Tagliacozzo & Wen-Chin Chang (éds) - Jean Baffie p. 163-166
- The Return of the Galon King. History, Law, and Rebellion in Colonial Burma, Maitrii Aung-Thwin - Guillaume Rozenberg p. 167-170
- La Thaïlande de A à Z, Jacques Bekaert - Jean Baffie p. 170-172
- Thaïlande. Histoire, Société, Culture, Arnaud Dubus - Jean Baffie p. 172-174
- Gathering Leaves & Lifting Words. Histories of Buddhist Monastic Education in Laos and Thailand, Justin Thomas McDaniel - Guillaume Rozenberg p. 174-178
- Spirits of the Place. Buddhism and Lao Religious Culture, John Clifford Holt - Guillaume Rozenberg p. 178-181
- Laos. Un pays en mutation, Vatthana Pholsena - Vanina Bouté p. 181-182
- Cambodian and their Doctors, a Medical Anthropology of Colonial and Post-Colonial Cambodia, Jan Ovesen & Ing-Britt Trankell - Didier Bertrand p. 182-183
- Le Maître des aveux, Thierry Cruvellier - Luc Benaiche p. 183-185
- Madurese Seafarers. Prahus, Timber and Illegality on the Margins of the Indonesian State, Kurt Stenross - Laurence Husson p. 185-187