Contenu du sommaire : La réception des Académiques à l'Âge moderne
Revue | Astérion |
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Numéro | no 11, 2013 |
Titre du numéro | La réception des Académiques à l'Âge moderne |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : La réception des Académiques à l'Âge moderne
- La fécondité des Académiques de Cicéron dans l'Histoire du scepticisme - Sylvia Giocanti
- Les Academica dans le Contra Academicos : détournement et usage du scepticisme académicien par Saint Augustin - Stéphane Marchand Saint Augustin parvient-il à réfuter le scepticisme académicien dans le Contra Academicos ? Une lecture attentive du premier dialogue philosophique d'Augustin laisse apercevoir une compréhension profonde de la nature du scepticisme académicien par le jeune Augustin. Le Contra Academicos propose une stratégie de réfutation du scepticisme à plusieurs niveaux : il s'agit, d'une part, de réfuter un à un les arguments sceptiques exposés dans les Academica de Cicéron afin de ne pas laisser croire aux esprits faibles que ces arguments pourraient être définitifs. Mais Augustin a compris que le scepticisme est bien plutôt confirmé par une telle réfutation. Il faut donc proposer aussi des moyens de dépasser le scepticisme dans son intention philosophique en en proposant une réduction psychologique : le choix philosophique du scepticisme est alors interprété comme un mouvement de désespoir dans la vérité. Enfin, il faut donner les moyens de surmonter le scepticisme en montrant comment l'accès à la vérité est conditionné par la foi. L'étude de cette stratégie complexe de réponse au scepticisme montre ainsi que les principaux arguments contre le scepticisme développés dans la suite de l'œuvre d'Augustin trouvent leur origine dans ce débat avec Cicéron et les Académiciens.Does Augustine succeed in refuting Academic skepticism in the Contra Academicos ? A careful reading of Augustine's first philosophical dialogue shows that he has a deep understanding of Academic skepticism. The three books of the Contra Academicos produce a refutation of skepticism at several levels. First, Augustine refutes many of the skeptical arguments from Cicero's Academica by showing that they are not definitive. But he has perfectly understood that this logical refutation is actually an argument for skepticism. So he has to propound a new way to overcome skepticism by showing its psychological significance. Hence, the philosophical choice of skepticism is interpreted as a despair of the truth. Finally, he seeks to refute skepticism by arguing that the path to the truth depends on faith (fides). This study of the complex answers to skepticism reveals that Augustine's main arguments against skepticism have their origin in his debate with Cicero and the New Academy.
- La seconde acculturation chrétienne de Cicéron : la réception des Académiques du IXe au XIIe siècle - Christophe Grellard Cet article examine le destin médiéval des Académiques de Cicéron à partir du cas particulier d'un des rares philosophes médiévaux à se revendiquer academicus, Jean de Salisbury (1120-1180). Après avoir présenté les étapes de la réception médiévale des Académiques, ainsi que le corpus cicéronien auquel avait accès Jean de Salisbury, on conclut qu'il n'avait sans doute pas une connaissance directe de la principale œuvre sceptique de Cicéron. Néanmoins, en s'appuyant sur les autres textes de Cicéron à sa disposition, il parvient à reconstruire une forme originale de scepticisme, à la fois dépendante de la source cicéronienne et inscrite dans un horizon chrétien indépassable au Moyen Âge.This study deals with the place of Cicero's Academics in the Middle Ages. It focuses on the case study of John Salisbury who is one the few medieval philosopher to claim to be an Academic (Academicus). We first examine the progress of the medieval reception of Academics and individuate John's ciceronian corpus. We conclude from this analysis that he probably did not have a direct access to the Academics. But, relying on some other ciceronian works, he was able to build a new form of skepticism, both ciceronian and christian.
- Montaigne et les Academica de Cicéron - Luiz Eva Dans le présent article, il s'agit de reconsidérer le rapport entre pyrrhonisme et scepticisme académicien dans Les Essais de Montaigne, en posant l'hypothèse que le philosophe aurait, dès le début de sa réflexion, perçu ces deux tendances sceptiques comme des philosophies très proches, voire compatibles, malgré leurs divergences importantes. Son intérêt croissant pour les Academica de Cicéron, dans les versions postérieures des Essais, le conduirait donc non seulement à transformer son propre scepticisme (qu'il découvre de plus en plus proche de celui de Cicéron), mais aussi à affiner son jugement sur les rapports entre les deux philosophies. En conclusion, l'article évoque brièvement ce qu'apportent ces éléments dans la perspective d'une nouvelle vision des relations entre Montaigne et Cicéron.In this paper, I offer a reconsideration of the question about the relation between pyrrhonism and Academic skepticism in Montaigne's Essais. I argue that he had taken from the start these two skeptical tendencies as rather similar and even compatible (in spite of important differences he recognizes among them). Montaigne's evolving interest on Cicero's Academica, as we can remark along the successive editions of the Essais, brings with it not only a transformation of his own personal skepticism (that he takes to be more and more close to what he finds in Cicero), but also an improvement of his judgment on this question of the relationship between these two philosophies. In conclusion, I discuss briefly on the relations between Montaigne and Cicero in a more general way, from the perspective of these skeptical elements.
- Comment traiter de ce qui n'est pas « entièrement certain et indubitable ». Descartes héritier des Académiques de Cicéron - Sylvia Giocanti Descartes est de manière générale peu enclin à reconnaître ce qu'il doit à ses prédécesseurs. Sa relation avec les sceptiques grecs est d'autant plus difficile à identifier qu'elle a été paradoxalement occultée par la réception sceptique de son œuvre : en dépit de l'incontestable apport néo-académicien dans la rédaction de l'argumentaire des Méditations, l'entreprise cartésienne a été interprétée comme inaugurant un scepticisme radical et inédit par lequel la rupture avec la tradition serait consommée. Pourtant, Descartes utilise le scepticisme de la Nouvelle Académie, et notamment l'argument du sorite, pour critiquer la tradition philosophique dans son ensemble et donner une licence telle à son esprit qu'aucune connaissance ou même croyance ne pouvait être préservée a priori. L'incertain n'est pas pour autant totalement évincé de sa philosophie qui, en science comme en morale, hérite de la conception sceptique de la vraisemblance, telle qu'elle a été transmise par les Académiques de Cicéron.Descartes is generally not very inclined to admit what he owes to his predecessors. His relationship to the greek Skeptics is all the more difficult to identify, that it has been paradoxically hidden by the skeptical reception of his work : in spite of the indisputable contribution of the Academics to the writing of the argument of the Meditations, the cartesian venture has been interpreted as inaugurating a new and radical Skepticism doomed to mark a break with the tradition. However, Descartes uses Academics' Skepticism, and particularly the sorit argument, in order to criticize the whole philosophical tradition, and to grant his mind such a licence, that neither knowledge, nor even one belief could be a priori preserved. Nevertheless, uncertainty is not entirely dismissed from his philosophy which inherits, in science as in morals, the skeptical insight of probability, as this latter notion has been passed down from Cicero's Academica.
- Entre réhabilitation du scepticisme et critique du cartésianisme : Foucher lecteur du scepticisme académique - Sébastien Charles Réduire le renouveau sceptique propre à la période moderne au seul pyrrhonisme serait passer sous silence la résurgence du scepticisme académicien à la fin du xviie siècle en la personne de Simon Foucher, pour qui l'académisme constituait la seule philosophie capable de déjouer les impasses du dualisme cartésien au niveau de ses implications épistémologiques. Voilà pourquoi, pour donner une idée exacte de ce que fut le scepticisme moderne, il est important de présenter les raisons justifiant, pour Foucher, une nécessaire réhabilitation de l'académisme, afin d'évoquer la compréhension et l'interprétation qui furent les siennes de ce courant philosophique, et l'utilisation qu'il en a faite contre le cartésianisme présenté sous la forme d'un nouveau dogmatisme. C'est donc au nom d'une conception sceptique de la philosophie conçue comme recherche méthodique de la vérité et dénuée de tout préjugé dogmatique, que Foucher s'en est pris au dualisme de ses contemporains, comme s'il avait compris que seule la philosophie académicienne pouvait être en mesure de fournir à l'esprit scientifique des temps nouveaux une méthode sceptique adaptée, anticipant par là le « pyrrhonisme raisonnable » du siècle suivant.Although the early modern renewal of scepticism is often reduced to that of pyrrhonism, it is important to not forget that academic scepticism was also revived at the end of the 17th century in the person of Simon Foucher. Foucher believed that Academism was the only philosophy capable of overcoming the epistemological dead-ends to which Cartesian dualism had led. In this paper, I shall present the reasons why Foucher thought that Academism needed to be revived, how he understood this trend of thought, and the way he intended to use it against what he considered to be the new form of dogmaticism, namely, Descartes' philosophy. I shall show that it is in the name of a sceptical conception of philosophy, understood as a methodic search for truth devoid of any prejudices, that Foucher attacked his contemporaries' dualism. Thus anticipating the “reasonable pyrrhonism” that became one of the mottos of the following century, Foucher brings to light the fact that only Academic philosophy was able to provide the scientific spirit of the new times with a sceptical methodology adapted to its needs.
Varia
- Le rôle de l'imagination dans la naissance du sentiment moral chez Rousseau - Laetitia de Rohan Chabot Telle qu'elle se décline dans la théorie de la pitié du livre IV de l'Émile, la philosophie morale de Rousseau réconcilie deux traditions : les morales dites de l'amour-propre et celles du sentiment moral. La présence de l'imagination, dans la morale dite égoïste, mêle le sentiment moral à l'intérêt et donc à l'amour-propre. A contrario, ne pas recourir à l'imagination dans les morales du sentiment moral doit permettre d'éviter cette perversion. L'originalité de la philosophie morale de Rousseau est de concilier le recours à l'imagination, qui seule permet la mise en place de rapports affectifs entre soi-même et autrui, et l'existence d'un sentiment moral véritable non teinté d'égoïsme.Rousseau's moral philosophy, as Book IV of the Emile exemplifies, ties together two moral traditions: the morality of self-esteem (“amour-propre”) and that of moral sentiment. The use of one's imagination, in the morality of self-esteem, links moral sentiment to self-interest and thus to self-esteem. Not using one's imagination in the morality of moral sentiment, on the other hand, enables one to avoid this perversion. J.J. Rousseau's moral philosophy is original in that it attempts to bring together the use of one's imagination – which alone allows an affective rapport between oneself and others to be established – and genuine unselfish moral sentiment.
- Michel Foucault et le "soi" chrétien - Philippe Chevallier La place qu'occupe le christianisme dans l'œuvre de Michel Foucault est souvent réduite par les commentateurs à la question de l'aveu. Renouvelant les hypothèses formulées dans Les anormaux (1975) et La volonté de savoir (1976), le cours au Collège de France Du gouvernement des vivants (1980) contourne cette question pour remonter à un problème plus fondamental que le christianisme a dû affronter aux premiers siècles de notre ère : celui du rapport entre le salut et la perfection. L'effort du christianisme ancien pour dissocier le salut de la perfection a des conséquences majeures sur sa définition du soi, qui ne peut être conçu comme un principe d'identité. Ainsi posée, l'inconstance essentielle du soi chrétien, qui le rend irréductible au soi moderne, met en question les continuités historiques trop simples.The place which Christianity occupies in Michel Foucault's work is often limited to the question of confession. Renewing the hypotheses formulated in Les anormaux [Abnormal] (1975) and La volonté de savoir [The Will to Knowledge] (1976), the lecture at the Collège de France Du gouvernement des vivants [On the Government of the Living] (1980) by-passes this question to go back to a more fundamental problem that Christianity had to face in the first centuries of our era: that of the relationship between salvation and perfection. The effort of former Christianity to separate salvation of perfection has major consequences on its definition of the self, which can not be considered as a principle of identity. The essential inconstancy of the Christian self, which makes it irreducible to the modern self, questions the too simple historical continuities.
- L'ennemi cartésien. Cartésianisme et anti-cartésianisme en philosophie de l'esprit et en sciences cognitives - Sandrine Roux La référence au cartésianisme est constante dans les travaux contemporains de philosophie de l'esprit et de sciences cognitives. Sa fonction n'est pas de fournir une exégèse historique de Descartes ; elle est plutôt de dégager certains aspects de la conception cartésienne de l'esprit, ceux qui informeraient encore la recherche philosophique et scientifique actuelle, et qu'il resterait à dépasser. Ainsi l'adjectif cartésien n'est-il pas seulement utilisé pour faire directement référence à Descartes, mais aussi pour désigner les théories et les approches modernes de l'esprit qui, tout en rompant avec le cartésianisme sur plusieurs points, auraient néanmoins hérité d'importantes erreurs cartésiennes. On remarquera en outre que dans cette logique, l'adjectif cartésien revêt un sens essentiellement critique. Et pour la plupart des théoriciens contemporains en effet, le cartésianisme est bien l'ennemi à combattre. La présente contribution se propose de dresser un portrait de cet ennemi, à partir de quelques-uns des usages qui sont faits de la notion de cartésianisme en philosophie de l'esprit et en sciences cognitives. Cette analyse, qui ne prétend pas à l'exhaustivité, nous permettra de faire apparaître les raisons et les enjeux de la référence à la figure cartésienne dans les réflexions des deux champs mentionnés.Reference to Cartesianism is a permanent feature of the contemporary works in the fields of philosophy of mind and cognitive science. Its function is not so much to provide a historical exegesis of Descartes as to highlight some supposed aspects of the Cartesian theory of mind, more precisely those that are still reported to inform the current philosophical and scientific research and that remain to be improved on. Thus not only is the adjective Cartesian used to refer directly to Descartes, but also to designate modern approaches to the mind which, though breaking with Cartesianism on several points, are nevertheless thought to inherit important Cartesian errors. Moreover, in line with this one may note that the term Cartesian is essentially employed in a critical sense. And indeed, for most contemporary theorists, Cartesianism is regarded as the arch-enemy. In the present contribution we intend to draw a portrait of this enemy from the way the notion of Cartesianism is sometimes used in the philosophy of mind and in cognitive science. Our analysis, which is not meant to be exhaustive, aims at accounting for reference to the Cartesian figure and the issues it raises in the above-mentioned fields.
- « L'âme pense-t-elle toujours ? » Postérité de la théorie de l'intensio et remissio formarum dans la querelle entre empiristes et cartésiens - David Simonetta « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » Il n'est pas rare de voir dans l'incipit du Discours de la méthode un de ces énoncés cartésiens qui, par leur simplicité et leur transparence, marquèrent une rupture avec la technicité de la philosophie scolastique des siècles précédents. Pourtant, à se pencher sur les commentaires qui ont été produits de ce texte, dès sa publication, il apparaît que pour un certain nombre de contemporains de Descartes, il y avait là une référence à la théorie dite de l'intensio et remissio formarum – ou latitude des formes – qui, de Pierre Lombard à Nicolas d'Oresme en passant par Richard de Middleton, fit l'objet de discussions soutenues pendant plus de six siècles. Cette théorie énonce que seules les qualités accidentelles sont susceptibles de variations intensives dans une substance, contrairement aux propriétés essentielles qui, elles, sont invariables. L'énoncé de Descartes, aux atours de simple proverbe, cacherait en réalité un tour de force argumentatif : tenant pour acquis que la pensée constitue l'attribut essentiel de l'âme, Descartes mobiliserait la théorie de l'intensio et remissio formarum pour affirmer qu'en chaque âme, cette pensée n'est pas susceptible de plus et de moins. Il devient alors possible de définir certaines opérations épistémiques élémentaires qui s'observent à part égale en chacun de nous, et ne sont pas soumises à la variabilité des compétences individuelles. Mais ce point d'interprétation du texte de Descartes ne conserverait qu'un intérêt herméneutique s'il ne trouvait, outre-Manche et quelques dizaines d'années plus tard, un remarquable rebondissement : En 1690, John Locke, dans L'Essai sur l'entendement humain, identifie parfaitement la référence médiévale sous-jacente à cet énoncé canonique du cartésianisme, et la discute avec la plus grande rigueur. En indexant la pensée sur l'attention, et en remarquant que cette attention est susceptible de variations d'intensités au cours du temps, Locke en vient à se demander s'il ne faut pas renoncer au postulat cartésien selon lequel la pensée constituerait l'essence de l'âme, et lui préférer l'hypothèse selon laquelle cette pensée ne serait pour l'âme qu'une activité.« Good sense is, of a all things among men, the most equally distributed ». This sentence stands out as one of the most famous in Descartes' philosophy. We often consider this simple statement a clear break from the « obscurity » of the so-called scholastic tradition. However, some contemporary commentators of the Discourse on Method, such as father Poisson, understood this sentence as an implicit reference to an ancient scholastic theory, called the theory of intensio et remissio formarum. This theory states that where the accidental qualitites of a substance undergo increase or decrease, i. e. variations in intensity, the essential qualities of a substance do not. According to these commentators, Descartes uses it as a way to prove that Thought, or « good sense », knows no variation in one's mind, that it is distributed equally amongst all men, and that the soul « always thinks ».In the present article, we recall the meaning of this scholastic theory and we show how it was perceived as a key to understanding and justifying Descartes'claim about the substantiality of thought. We then show how, a few years later, John Locke uses the very same theory to argue against Descartes that the life of the mind is in fact subject to variations in intensity.
- La tentation de l'édition : Montesquieu annotateur de Cicéron - Catherine Volpilhac-Auger Cet article retrace la manière dont j'ai découvert et surtout identifié et authentifié un manuscrit inédit de Montesquieu, les Notes sur Cicéron (conservé dans le fonds de La Brède de la bibliothèque de Bordeaux). Ce document jette un jour nouveau sur la formation philosophique de Montesquieu et révèle une attitude très critique envers la religion, inspirée en grande partie par la lecture de Bayle.This article relates the process by which I discovered and, even more, identified and authenticated an unpublished Montesquieu manuscript, Notes sur Cicéron (held in the La Brède collection of the Bordeaux city library). This document casts new light on Montesquieu's philosophical education and reveals a highly critical attitude towards religion, inspired in large part by the reading of Bayle.
- Le rôle de l'imagination dans la naissance du sentiment moral chez Rousseau - Laetitia de Rohan Chabot
Lectures et discussions