Contenu du sommaire : La démocratie à l'épreuve du conflit
Revue | Astérion |
---|---|
Numéro | no 13, 2015 |
Titre du numéro | La démocratie à l'épreuve du conflit |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Usages et mésusages du conflit dans la démocratie - Marie Goupy, Sébastien Roman
- Spinoza et l'épineuse question de la servitude volontaire - Miguel Abensour Existe-t-il une hypothèse de la servitude volontaire chez Spinoza ? En partant des tensions qui naissent de l'apparente contradiction entre une telle hypothèse et l'anthropologie spinoziste, le présent article montre qu'il existe bien chez l'auteur du Traité théologico-politique des conditions politiques qui conduisent à l'inversion du conatus, au point de pousser les hommes à combattre « pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut ». Spinoza tempère l'hypothèse laboétienne : un individu ou un peuple ne saurait de lui-même désirer la servitude, mais peut y être conduit sous l'effet de l'adoption d'une certaine politique ou institution. Il ne s'agit pas seulement de la crainte favorisée par le régime monarchique. La fondation de la République des Hébreux, après la sortie d'Égypte du peuple juif, pose également la question de la servitude volontaire. La pensée spinoziste, ce faisant, témoigne d'un rationalisme politique inquiet, dont on peut s'inspirer aujourd'hui pour réfléchir sur les « causes extérieures cachées » qui peuvent fragiliser, voire contredire, le désir de liberté.Is there a thought of voluntary servitude in Spinoza's theory? Starting with tensions arising from the apparent contradiction between such a thought and Spinoza's anthropology, this paper shows that the Tractatus Theologico-politicus's author identifies some political conditions that lead to the reversal of the conatus and make men fight “for their servitude as if it were their salvation”. Spinoza dampens La Boetie's hypothesis : a man or a people cannot want to enslave himself/themselves, but can be induced to do it under the effect of the adoption of a certain politics or institution. It is not only the fear the monarchical regime breeds. The foundation of the Hebrew Republic, after the Jewish people left Egypt, also raises the issue of voluntary servitude. Spinoza's thought, consequently, shows a discerning political rationalism that can help us today to think about the “hidden external causes” which can weaken, even conflict with the desire for freedom.
- Conflit, anarchie et démocratie : en repartant de Proudhon - Jean-Christophe Angaut Cette contribution cherche à déterminer les rapports entre anarchie et démocratie chez Proudhon en partant de la place qu'il accorde au conflit. La première partie revient sur la prise en compte de ce que Proudhon nomme antagonisme ou antinomie et sur les différents types de conflits qu'il range sous cette rubrique, qui est au centre de son projet d'ontologie sociale. La deuxième partie s'intéresse à un cas d'antinomie, à la fois limite et fondamental : celui de la différence sexuelle, qui est désignée comme une antinomie tout en se voyant dénier le statut de rapport conflictuel. La dernière partie montre comment la prise en compte du conflit chez Proudhon conduit à une critique de la démocratie et à un projet positif désigné par le terme de fédéralisme.This paper seeks to determine the relationship between anarchy and democracy in Proudhon's thought, considering the place of the conflict in this autor. The first part exposes what Proudhon names antagonism and antinomy in his social ontology and the different sorts of conflicts this ontology takes into account. The second part focuses on a case of antinomy, that is at the same time a basic and a borderline case : sexual difference, that Proudhon considers as an antinomy, but not as a conflict. The last part shows how this theory of conflictuality leads to a criticism of democracy and to a positive federalist project.
- Désir de liberté, citoyenneté et démocratie. Retour sur la question de l'actualité politique de Machiavel - Marie Gaille La pensée de Machiavel a fait l'objet, ces dernières décennies, de nombreuses références dans les réflexions sur les processus de démocratisation, sur la signification et les conditions de la liberté politique ou encore sur la participation civique. La présente contribution défend la thèse d'une actualité indirecte de Machiavel pour la théorie contemporaine de la démocratie, à travers le questionnement que son œuvre suscite sur le rôle du désir de liberté dans l'approfondissement de la démocratie. Sa pensée nous invite à nuancer le rôle que nous attribuons communément à l'institution de la citoyenneté en lien avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la signification donnée à la « modernité » politique. Elle permet d'éclairer les ambivalences de la citoyenneté démocratique et d'interroger les limites de la conception participative de la démocratie.Machiavelli's thought has been referred to in numerous ways in the past decades in political theory. His work has grounded various comments about the process of democratization, the meaning and the conditions of political liberty and about civic participation. This paper advocates the thesis of an indirect relevance of Machiavelli's work for contemporary political thought. It stresses the importance given by Machiavelli to the desire for liberty and its meaning for the understanding of the deepening of democracy. From then on, it argues that his thought invites us to qualify the scope of citizenship understood in relationship with the Déclaration des droits de l'homme et du citoyen and with political modernity. It allows us to highlight the ambivalence of democratic citizenship and to question the limits of the participatory conception of democracy.
- La guerre civile (mondiale ?) et le dialogue Schmitt-Benjamin - Ninon Grangé Dans sa critique de la démocratie libérale de Weimar, Carl Schmitt s'oppose avant tout au pluralisme. La souveraineté de l'État qu'il veut maintenir prend la forme d'un présidentialisme renforcé ; il entend ainsi sauver la substance de la Constitution allemande contre la Constitution de Weimar. Walter Benjamin, sans se placer sur le même plan, critiquant le monde de l'après-guerre avant d'envisager une essence démocratique, rencontre Schmitt sur la notion de souveraineté. Alors que tout les éloigne, et malgré l'hommage explicite de Benjamin à la Théologie politique, l'hommage plus discret de Schmitt à Benjamin, l'impression qu'ils ne raisonnent pas avec la même définition de la souveraineté doit au moins être une hypothèse appelée à être démentie. Sur quoi véritablement se rencontrent-ils ? Le diagnostic du conflit et le constat sur une époque ne sont qu'une réponse partielle et à bien des égards insatisfaisante. En s'appuyant sur les analyses de Giorgio Agamben, on partira de la rencontre fugace entre Schmitt et Benjamin pour étudier un concept qui a le rôle de pivot chez l'un et chez l'autre : l'état d'exception, concrétisé par la guerre civile mondiale chez Schmitt, par la guerre civile muée en terreur chez Benjamin. Dans le jeu des concepts, le point de rencontre focalisant deux pensées très différentes est aussi un point de divergence. Cela nous amènera dans un premier temps à déterminer la guerre civile mondiale comme une signature, semi-concept ou illustration de concept, et dans un deuxième temps à redéfinir ce qui sous-tend ces deux conceptions : la temporalité politique en temps de crise de la démocratie.In his criticism of Weimar liberal democracy, Carl Schmitt mainly shows his opposition to pluralism. The State sovereignty that he wants to maintain takes on the form of intensified presidentialism and he thus intends to save the substance of the German Constitution against Weimar Constitution. Walter Benjamin, although he does not stand on the same level and criticizes the after-war world even before contemplating a democratic essence, agrees with Schmitt on the notion of sovereignty. While everything leads them apart from each other and in spite of the explicit tribute paid by Benjamin to Political Theology, Schmitt's more discreet homage to Benjamin, the feeling that they do not argue according to the same definition of sovereignty must at least be considered as a hypothesis likely to become contradicted. What are they really agreed on ? Diagnosing the conflict and acknowledging an epoch are but a partial and unsatisfactory answer in many respects. Using Giorgio Agamben's analyses, we will take the fleeting meeting between Schmitt and Benjamin as a starting point to study a concept that plays a pivotal role for both of them : the state of emergency being given concrete expression by civil world war with Schmitt, and by civil war turned into terror with Benjamin. In the interplay of the concepts the meeting point focusing two very different lines of thought is also a divergent point. This will lead us at first to define civil world war as a signature, a semi concept or the illustration of a concept and, subsequently, to redefine what underlies these two conceptions, i.e. political temporality in a time of crisis for democracy.
- Stratification, luttes sociales et démocratie chez Charles Wright Mills - Alice Le Goff Dans cet article, nous développons une réflexion sur le conflit en démocratie en nous appuyant sur une étude du parcours et des travaux de Charles Wright Mills. Comme celle de Pierre Bourdieu qui lui fait écho sur de nombreux points et avec laquelle nous l'entrecroisons, la démarche de Mills fournit les bases d'une réflexion sur les conditions sociales d'une authentique conflictualité démocratique, orientée vers une déconstruction de certaines formes de domination. Tout d'abord, le travail de Mills intègre un questionnement sur l'impact des formes de stratification sociale sur le développement des luttes sociales. Mills contribue ainsi à mettre en relief, dans le contexte américain, une interaction permanente des luttes de classe et des luttes statutaires et une certaine neutralisation des premières par les secondes. La mise en relief par Bourdieu de la prégnance, au sein des divers champs sociaux, des luttes de classement va dans le même sens. Ensuite, un retour sur la notion de « société de masse » chez Mills permet de mettre en relief la façon dont ce dernier voit dans le déclin de l'autonomie des ordres institutionnels un facteur d'étouffement de la conflictualité démocratique. Enfin, nous comparons la façon dont Mills et Bourdieu défendent, chacun à sa manière, une « politique de vérité ». L'analyse de la portée et des limites d'une telle politique nous amène à souligner en quoi l'autonomie des ordres institutionnels ou des champs sociaux est une condition et un enjeu à la fois structurant et foncièrement ambivalent de la conflictualité démocratique.This article examines Charles Wright Mills' sociological works and political thought : it shows how they provide the basis of a reflection on the social conditions of democratic conflict. First Mills' work questions the impact of social stratification on democratic conflict. Second Mills' approach of the notion of « mass society » puts emphasis on the way the decline of the autonomy of social orders contributes to a weakening of democratic conflict. Finally, we compare the way Mills and Pierre Bourdieu defend a « politics of truth » : such an analysis emphazises that the autonomy of social orders or social fields is a condition and a stake at once pivotal and ambivalent of democratic struggles.
- Foucault et le conflit démocratique : le gouvernement du commun contre le gouvernement néolibéral - Pierre Sauvêtre Sur fond d'une critique du (néo)libéralisme, qui rend notamment inopérante l'idée de souveraineté populaire, l'article cherche à montrer qu'une conception de la démocratie intégrant le conflit doit être élaborée à partir du cadre théorique de la gouvernementalité. Il donne en ce sens comme critère de la démocratie l'existence d'une situation de gouvernementalités multiples. Il identifie enfin, comme alternative potentielle à la gouvernementalité néolibérale, le « gouvernement du commun » dont l'existence est aujourd'hui ce qui donne sens à la démocratie.On the background of a criticism of (neo)liberalism which the idea of popular sovereignty completely inefficient, the article tries to demonstrate that a theory of democracy should be elaborated through the theoretical framework of governmentality. The existence of a situation of multiple governmentalities becomes the criterion of democracy. The « government of the common » is finally identified as the alternative to neoliberal governmentality which gives sense to democracy today.
Varia
- Les formes de la démocratie dans la philosophie sociale de Célestin Bouglé - Emmanuel Chaput Philosophe et sociologue proche de Durkheim avec lequel il lancera L'Année sociologique, Célestin Bouglé (1870-1940) est surtout connu pour ses Essais sur le régime des castes (1908) et sa critique de l'anthroposociologie de Lapouge. Ses intérêts sociologiques demeurent toutefois indissociables de son attachement au républicanisme démocratique. En s'attardant sur la philosophie sociale de Bouglé, cet article vise à explorer la forme que prend la démocratie dans sa pensée politique et républicaine en s'attardant sur l'influence que Proudhon a pu exercer sur cette pensée. Cette influence semble conférer à la philosophie de la solidarité de Bouglé une dimension particulière par rapport à la pensée du père du solidarisme, Léon Bourgeois. Sans s'opposer à ce dernier, le solidarisme de Bouglé semble plutôt être une tentative de compléter le projet politique de Bourgeois par l'ajout d'une réflexion sur la question morale de l'expression de la solidarité dans la quotidienneté.A philosoph and a sociologist inspired by Durkheim with whom he started L'Année sociologique, Célestin Bouglé (1870-1940) has been for a long time known for his Essais sur le régime des castes (1908) and his critique of Lapouge's anthroposociology. His sociological interests however are intimately linked with his republican and solidarity ideals. This article explores the importance and the form of democracy in Bouglé's political thought. On this topic, the influence of Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) on Bouglé's thought is important in order to understand the particularity of Bouglé's solidarism by contrast with Léon Bourgeois'. This particularity is however for Bouglé an attempt to complete Bourgeois' philosophy of solidarity rather than to confront it.
- Malebranche à Genève : le De Inquirenda Veritate et sa Préface - Elena Muceni Traduite en anglais et en néerlandais, la Recherche de la Vérité a aussi fait l'objet, du vivant de son auteur, d'une traduction latine, le De Inquirenda Veritate. Réalisée entre 1682 et 1683, cette traduction, effectuée à partir de la troisième édition de l'ouvrage de Malebranche, est due au travail de Jacques Lenfant (1661-1728), à l'époque étudiant en théologie à l'Académie de Genève. Cette entreprise atteste de manière significative la réception du malebranchisme à Genève dans les années 1680 et fournit un témoignage de l'accueil favorable que le monde intellectuel lié à cette Académie réformée a réservé à la doctrine cartésienne, frappée à la même époque par de nombreuses censures, tant dans le monde catholique que dans le monde protestant. La Préface que Jacques Lenfant a préparée pour le De Inquirenda Veritate, dont nous proposons ici la traduction française, illustre bien ces deux aspects. Elle présente en effet une sorte d'apologie du cartésianisme et propose une interprétation de la pensée de Malebranche comme une philosophie qui suit et porte à son accomplissement, à travers ses développements éthiques et théologiques, la doctrine de Descartes.Besides its English and Dutch versions, the Recherche de la Vérité was also translated – during the author's lifetime – into Latin, under the title of De Inquirenda Veritate. This translation was undertaken between 1682 and 1683, using the third edition of Malebranche's work. The translator was Jacques Lenfant (1661-1728), then a student of theology at the Geneva Academy. In itself, the translation attests to the strong impact of Malebranche's thinking in Geneva in the 1680's, and bears witness to the favourable reception given to Cartesian doctrine among intellectuals linked to this reformed Academy, despite the heavy censorship applied at the time by Catholics and Protestants alike. Jacques Lenfant's Preface to the De Inquirenda Veritate, translated here in French, clearly illustrates these two aspects. It conveys a sort of apologia for Cartesianism, and portrays Malebranche's thinking as a philosophy that achieves, through its ethical and theological developments, Descartes' doctrine.
- Les formes de la démocratie dans la philosophie sociale de Célestin Bouglé - Emmanuel Chaput
Lectures et discussions
- Du Laurens (André). Discours des maladies mélancoliques (1594) - Tony Gheeraert