Contenu du sommaire : Fronts écologiques
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 9, janvier 2010 |
Titre du numéro | Fronts écologiques |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les fronts écologiques - Une clef de lecture socio-territoriale des enjeux environnementaux ? - Sylvain Guyot, Frédéric Richard
- Réflexions autour des « Fronts écologiques » dans le nord de l'Alberta (Canada) - Stéphane Héritier La notion de « front écologique » est traitée, dans ces paragraphes, comme une notion exploratoire. L'article tente d'appliquer la notion à un espace éloigné et inscrit dans une temporalité et spatialité totalement différente de celle à partir de laquelle il a été conceptualisé. L'objectif consiste à tenter de sortir la notion du territoire géographique et du contexte dans lequel elle a été pensée afin de montrer son aspect opératoire et applicable à d'autres espaces, dans une perspective démonstrative. Le front écologique albertain est un espace de confrontation horizontal, présentant des logiques écologiques contradictoires (extraction, protection) et vertical, où s'agencent des logiques de domination et de régulation relatives aux questions foncières ou aux questions d'usages impliquant notamment les Autochtones. Le cas albertain fait émerger, à travers la complexité de ce processus écologique, les composantes d'un cycle adaptatif qui n'est pas sans faire écho à la notion de « panarchie ».This article explores the notion of “Ecological frontier.” Created on the basis of historical and geographical research in South Africa focusing, the notion of "ecological frontier" can be "resigned" and used to present a better understanding of recent geographical processes in northern Alberta. The aim is to transfer the notion developed in a different historical context to highlight its usefulness for out understanding of how environments - deeply transformed by commoditization of resources at geographical margins - have evolved. Alberta's ecological frontier is a competitive space marked by both horizontal confrontations (conflicting human and environmental issues surrounding extraction and protection), and by vertical confrontations (land claims or legal uses made both by the private sector and Aboriginal groups). Alberta's emerging ecological frontier presents a complex adaptive ecological-political process echoing the notion of panarchy.
- La collaboration environnementale transfrontalière, constituante d'un front écologique ? - Lionel Laslaz Les parcs nationaux alpins font partie de l'EUROPARC (Fédération des parcs naturels et nationaux d'Europe), réunissant 400 parcs dispersés dans trente-sept pays européens. Ils sont, en outre, associés à Alparc (Réseau Alpin des Espaces Protégés, créée en 1995) chargé de l'application de la Convention Alpine (rédigée par la CIPRA et l'UICN à la demande du Conseil de l'Europe en 1988, signée le 7 décembre 1991 à Strasbourg et ratifiée par les Etats alpins). Cet article propose d'analyser les politiques de coopération transfrontalière entre espaces protégés dans l'arc alpin, questionnant la fonctionnalité transfrontalière de structures fondamentalement nationales. Existe-t-il une réelle fonctionnalité et finalité à ces coopérations transfrontalières ? La mise en réseau des espaces protégés alpins peut-elle s'apparenter à un front écologique et quelles en seraient les modalités de fonctionnement ? En tout état de cause, si le front écologique dans les Alpes prend des formes singulières, la mise en réseau peut contribuer à en délimiter les caractéristiques.Alpine national parks belong to the EUROPARC (Federation of the natural and national parcs of Europe), gathering 400 parks scattered in 37 European countries. They are, besides, associated to Alparc (Alpine Network of Protected Spaces, created in 1995) in charge of application of Alpine Convention (drafted by the CIPRA and the IUCN at the request of the Council of Europe in 1988, signed on December 7th, 1991 in Strasbourg and ratified by the alpine states). This paper suggests analyzing the politics of cross-border cooperation between spaces protected in the alpine crescent, questioning the cross-border feature of fundamentally national structures. In other words, under the blanket of incentives for internationalisation, are we not simply reaffirming a state-controlled grid ? To the extent that most projects are based on subsidies as part of the Interreg programme or others, does European caution go beyond the simple utility of the search for funding ? Does the cross-border dimension and the dissemination of an “ecological front” once again bring into question the role of “nature” areas in the eyes of our societies ? Too often considered as “external” and “fixed”, although socially manufactured, and used on a day-to-day basis or seasonally, are protected natural areas being once again questioned within an international framework, if only as drivers of embryonic Alpine cooperation ? Is there a real feature and a goal in these cross-border cooperations ? Finally, environment is used as a justification and lever for teetering multi-national collaboration which is difficult to apply to areas other than the environment. This paper asks the role of state scale and the dimension of sovereignty in management of territories. Can the networking of the alpine protected areas be considered as an eco-frontier and which would be operating procedures ? In any case, if the ecological front in the Alps takes singular forms, the networking can contribute to bound the characteristics.
- Fronts écologiques : dynamiques spatio-temporelles et dominations multi-scalaires - Stéphane Héritier, Xavier Arnauld de Sartre, Lionel Laslaz, Sylvain Guyot En se fondant sur les articles publiés dans ce numéro spécial, cet article conclusif cherche à proposer une grille de lecture des processus de colonisation écologique qui permette de dépasser les tentations post-coloniales de la notion de front écologique. Pour cela, il commence par apporter des précisions conceptuelles à la notion de front écologique, en lui adjoignant deux dimensions essentielles à sa compréhension. La première dimension est celle de la temporalité des fronts écologiques : ceux-ci apparaissent particulièrement instables, c'est-à-dire en transformations permanente, et ne peuvent de ce fait être appréhendés que dans une perspective de temps long ; la seconde dimension est celle des échelles spatiales auxquelles se décident, se déclinent et prennent sens les phénomènes de colonisations écologiques. Grâce en particulier à ces deux dimensions, il est proposé une grille de lecture des processus de colonisation écologique. Cette grille est construite parallèlement à l'étude de trois terrains situés dans des parties différentes du globe (le nord canadien, l'Amazonie brésilienne et les Alpes) et emblématiques de la diversité des fronts écologiques.Based on the articles published in this special issue, the purpose of this conclusion is to provide a framework permitting the understanding of ecological colonization processes. The point is to go beyond post-colonial interpretations of the notion of ecological frontier. To do this it starts by bringing conceptual clarifications to the idea of ecological front. Giving this notion two dimensions appears essential to its understanding, even though this duality has not been sufficiently underlined in the proposed definitions. The first dimension is the temporality of ecological frontier: these prove to be particularly unstable, in perpetual flux and therefore can only be understood over the long term. The second dimension is the “where”, in what space do the decisions and effects of this ecological colonization take place? Based on these two dimensions (time and space) a framework is proposed to interpret the process of ecological colonization. This is based on the actual study of three areas in different parts of the globe (the Canadian north, Brazilian Amazon and the Alps) which are emblematic of the diversity of ecological frontiers.
- Deux fronts écologiques dans la ville : enjeux fonciers et arrangements territoriaux autour de la conservation des terres rurales comme valeurs écologiques à Mexico - Lidia Blásquez Martínez Les fronts écologiques et les conflits qui leur sont inhérents ne sont pas un phénomène uniquement réservé aux espaces riches en biodiversité « sauvage » (wilderness). Dans cet article, nous nous proposons d'aborder le thème de l'émergence des frontières écologiques sur les terres rurales situées à l'intérieur des agglomérations urbaines importantes. Nous allons prendre, comme exemple, la ville de Mexico avec les deux cas d'étude que sont le lac Xochimilco et les terres rurales de la Vallée de Chalco. Nous défendons la thèse de l'apparition des frontières écologiques dans des zones de pression urbaine importante comme expression visible des mutations complexes que vivent actuellement les zones rurales au Mexique. Ces mutations affectent les modalités de tenure foncière, la dynamique de circulation de la propriété rurale, l'organisation des modes de production ainsi que les politiques de décentralisation des aides au développement. Nous pouvons dire que, lors des deux dernières décennies, une partie de la campagne mexicaine a cessé d'être conçue comme un moyen de production pour être convertie en espace naturel et paysage rural, c'est-à-dire, en unbien de consommation par le biais d'usagesrécréatifs.Eco-fronts and their related conflicts are not a unique phenomenon of rich wilderness areas. In this article we intend to address the issue of the emergence of ecological frontiers in farmlands located within the major conurbations. Two cases will be exploredin Mexico City : Xochimilco Lake and the Chalco Valley farmlands. The thesis we defend is that the emergence of ecological frontiers in areas of significant urban pressure are the visible expression of the complex processes that rural areas live today. In Mexico, these processes are characterized by the transformation of the modes of land tenure, the new dynamic of farmland circulation, the re-organization of the production and decentralization policies. In the past two decades a part of the Mexican countryside is no longer being conceived as a means of production but has become a natural area and rural landscape, an asset that can be consumed through recreation.
- La gentrification des « espaces naturels » en Angleterre : après le front écologique, l'occupation ? - Frédéric Richard Le Royaume-Uni en général, mais plus encore l'Angleterre, s'illustrent par une forte densité de peuplement et un niveau de concentration urbaine extraordinairement élevé. Dans ce contexte singulier, les espaces les moins artificialisés, qu'ils soient ruraux ou « naturels », représentent une valeur toute particulière, du point de vue paysager, foncier, fonctionnel, symbolique et plus généralement social. Confortés en ce sens par des mesures de protection et de préservation sévères, dont les parcs nationaux restent les plus emblématiques, les espaces naturels et ruraux britanniques constituent donc l'objet de multiples convoitises, en particulier de la part d'acteurs aspirant à profiter des avantages et plaisirs qu'ils procurent. En l'espèce, si certains y pratiquent des sports de plein air, des activités de loisir et/ou touristiques socialement sélectives d'autres décident d'y résider, contribuant la plupart du temps la gentrification de ces espaces. Reposant sur le cas du Lake District et de ses environs, cette contribution vise un double objectif. Il s'agirait ainsi de réfléchir à la relation entre les notions de gentrification rurale et de front écologique. Laquelle relation contribuerait utilement à l'analyse des manifestations et modalités de la gentrification et de l'appropriation, parfois quasi exclusive des campagnes par les middle classes.One feature of the UK, and even more of England, is the high population density and degree of its urbanisation. In this peculiar context, and from different points of view (landscape, functional, land use, symbolic or social), the least artificialized spaces, either rural or natural spaces, represents a very specific value. Reinforced in this way by numbers of protection policies and devices, like the National Parks for instance, rural and natural spaces became some desired and lusted for places, particularly by people looking for their amenities. Some people practise outdoor activities or tourism, which are often socially selective, but others decide to settle and inhabit there, contributing most of the time to the gentrification of the countryside. Relying on the Lake District area, this article aims to focus on the link existing between the concepts of eco frontier on one hand and rural gentrification on the other hand. But it is also assumed that this link would allow a better analysis of the gentrification process and of its local modalities.
- Réinvestir le saltus dans la pensée agronomique moderne : vers un nouveau front eco-politique ? - Xavier Poux, Jean-Baptiste Narcy, Blandine Ramain Les débats actuels en matière de politiques agri-environnementales — et plus particulièrement de biodiversité — remettent au centre des attentions des objets malmenés au cours des décennies précédentes : prairies naturelles humides, pelouses, haies, landes, parcours, etc., longtemps considérés à la marge du développement. Les dispositifs politiques dédiés au maintien ou à la réhabilitation de surfaces en végétation semi-naturelle et corridors écologiques montent en puissance, pour répondre à un nouvel impératif : préserver une « trame verte ».D'un point de vue de l'histoire et de la géographie agraire, on peut analyser ce mouvement comme un retour du saltus dans la pensée et les politiques agricoles : les objets agri-environnementaux évoqués ci-dessus en sont, en effet, les composantes canoniques. Mais cette revanche n'est qu'apparente. Alors que le saltus s'appréhende en interaction avec l'ager et la silva dans une vision large du fonctionnement des sociétés rurales, les objets agri-environnementaux modernes sont comme extraits de la matrice territoriale de laquelle ils procèdent. Derniers éléments supports d'une biodiversité agro-écologique, ils deviennent des objets de politiques publiques qui tendent à les préserver, à les classer et les zoner, en dehors de toute problématique économique et territoriale. Des objets « sans homme » à plusieurs égards.Corrélativement — et ce n'est pas une coïncidence — les agronomes de l'ager proposent une agriculture écologiquement intensive qui marginalise le saltus, quand ce n'est pas de sa négation dont il est question. Mais cette agronomie, paradoxalement, ne considère pas les espèces sauvages qui pourtant constituent la biodiversité.De fait, le front du débat oppose : d'un côté, un saltus effectivement support de biodiversité, mais muséifié car pensé en dehors de ses fonctions sociales et agro-écologiques, et de l'autre, un ager très actif qui prétend prendre en charge une biodiversité qu'il ne considère pas dans sa globalité.Pour réduire cette tension, qui procède d'un mouvement historique long, et répondre aux enjeux actuels de préservation de la biodiversité associée aux espaces agricoles, on propose ici un réinvestissement du saltus, dans une pensée agricole et environnementale actualisée, pour déplacer le front du débat.Biodiversity is increasingly recognised by politicians and citizens as a major issue. In the European context, its future depends on a large share on agriculture, leading whether to destruction or conservation. In this context, European and national policies are now reconsidering objects that have been largely hampered during the last decades: meadows, wetlands, hedges etc. While they have been put away from agricultural extension and agronomic research, such elements are now core-issues in new environmental approaches such as ecological landuse (or compensatory environmental areas) and ecological corridors or networks. In the French context, the Grenelle de l'environnement is being promoting a so-called “green and blue corridor” (“trame verte et bleue”) as a key-reference for spatial planning at different levels. Such corridor should incorporate the above-mentioned agricultural features, forming altogether the semi-natural vegetation (SNV).One could interpret this shift as a come-back of the saltus (from the ancient trilogy ager [= cultivated land], silva [= forested land] and saltus [=between the two formers, open and uncultivated land formed of herbaceous vegetation or low height scrubs]), as the ecological objects aimed at in environmental policies are indeed components of saltus. Nevertheless, while SNV and saltus virtually apprehend the same objects, they conceptually are quite different. Saltus should be understood in its overall relationship with ager and silva and through its historical and agricultural perspective. SNV is, conceptually, easily seen apart from the agricultural matrix it is put into, as an alien feature inherited from the past but with no present and future agronomic function. Thus, its management rationale is unclear, which is a paradox while its place in the policy debate is gaining importance. This understanding of SNV leads to a policy front opposing the agricultural and the environmental worlds, the stake being the land sharing resulting from the confrontation.Meanwhile, agronomists are proposing models based on the ager, in which the saltus is marginalised if not denied, and the only species taken into account are selected crops or animals and useful auxiliaries. Thus, on the one hand we have a saltus hosting biodiversity, but fundamentally belonging to the past; on the other hand, an ager that pretends to manage biodiversity, but without considering the whole set of wild species and habitats.Revisiting the concept of saltus, seen as an useful grid to understand the developments of agriculture and biodiversity at the European level, is proposed in this paper. The point is to apprehend the future of the biodiversity linked to agriculture in light of its past, in order to better understand the long term factors at play.