Contenu du sommaire : Déplacements forcés dans les villes du Sud : les déguerpissements en question
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 22, mars 2014 |
Titre du numéro | Déplacements forcés dans les villes du Sud : les déguerpissements en question |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Déguerpissements et conflits autour des légitimités citadines dans les villes du Sud - Julie Blot, Amandine Spire Ce numéro de l'Espace politique s'intéresse aux déplacements forcés qui prennent place dans le cadre de transformations urbaines, dans un contexte « hors crise » au sens géopolitique. Cette approche met en lumière la généralisation actuelle de mobilités sous contrainte à l'échelle intra-urbaine, au cours de déguerpissements conduits au nom de la rénovation urbaine et dans le cadre de projets de villes compétitives et néolibérales. Malgré les alternatives proposées et les recommandations formulées par les instances internationales, les opérations de mobilités forcées intra-urbaines sont utilisées pour « nettoyer » les villes du Sud de citadins considérées « indésirables », en reléguant ces derniers aux marges de la cité. À ce titre, les déguerpissements révèlent des rapports de forces inégaux tout en participant à la coproduction de nouveaux référents constitutifs du droit à être en ville. Cet article introductif souhaite présenter les enjeux politiques et sociaux de la mobilité sous contrainte en ville en portant une attention particulière aux conflits et contestations qui entourent les opérations pour cerner les registres de justification qui émanent des acteurs en présence.This issue of L'Espace Politique proposes to pay attention to forced displacement in a context of urban changes rather than in conflict situations. It focuses on forced mobility within urban areas, during evictions conducted on behalf of urban renewal projects in competitive and neoliberal cities. Despite the suggested alternatives and recommendations from international actors, forced eviction are used to “clean” southern cities from their most undesirable city dwellers by relegating them to the margins of the city. In this sense, the evictions reveal unequal power relations during a particular moment that highlights the co-production of new referents of the right to the city. This introductory article intends to underline the political and social challenges of constraint mobility in the city and particularly the conflicts and disputes surrounding so as to identify different justifications emanating from the actors involved in these forced displacement.
- Déplacements forcés et renouvellement urbain à Hồ Chí Minh Ville - Marie Gibert Les procédures de déplacements forcés à Hồ Chí Minh Ville sont désignées localement sous les vocables de « récupération » ou de « libération » de la terre et s'inscrivent dans une histoire foncière complexe, où le recours à l'occupation informelle de terrains fut une constante. L'analyse de l'évolution de ces procédures depuis les réformes de la fin des années 1980 permet d'offrir une lecture originale du renouveau législatif et institutionnel du Việt Nam « socialiste à économie de marché ». L'implantation des projets urbains contemporains se heurte en effet immanquablement à l'absence de terrains disponibles et à la complexité des différents statuts administratifs et juridiques de leurs occupants. Déplacer les habitants constitue alors un passage obligé du renouvellement urbain. Mais le coût de ces procédures, et la difficulté croissante de leur mise en œuvre, commence à faire véritablement débat avec l'entrée en jeu de nouveaux acteurs, dans un domaine originellement contrôlé par les seuls acteurs étatiques. En deux décennies, ce ne sont pas seulement les procédures de déplacements forcés qui ont évolué mais également leurs objectifs et le type de population concernée.The procedures of forced displacement in Hồ Chí Minh City are called « land recovery » or « land liberation » and partake of a complex urban land history, where informal uses of land plots have been a constant. Analysing the evolution of these procedures since the reforms of the end of the 1980's offers an original perspective on the legislative and institutional renewal of the “socialist market economy” in Việt Nam. The implementation of contemporary urban projects is inevitably facing the lack of available land as well as the intricacies of the inhabitants' different administrative and legal statuses. Therefore, the forced displacement of inhabitants is an inevitable step for every urban renewal project. But the cost of these procedures and the complexity of their implementation are now a major cause for debate. New urban stakeholders are finally taking part in a game that used to be strictly limited to state actors. During the last two decades, not only have the procedures of forced displacement evolved, but their goals and the type of populations concerned have also changed.
- Les « Sans fiche sans photo » : Déplacements forcés et (non) mobilisation citoyenne à Nouakchott (Mauritanie) - Armelle Choplin S'appuyant sur des recherches menées à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, ce papier interroge les politiques urbaines de résorption de l'habitat précaire. Il montre comment les pouvoirs publics, suivant les Objectifs du Millenium pour le Développement et accompagnés par les institutions internationales (en particulier la Banque mondiale), se sont engagées à éradiquer les bidonvilles. A travers l'analyse d'une opération de recasement, nous démontrerons que ces programmes entrainent bien souvent l'éviction et le déplacement de nombreux individus dans des zones lointaines, moyennant des distributions de titres fonciers. Ainsi, nous verrons combien les préceptes de la bonne gouvernance, prônés par les institutions internationales et repris par les gouvernements des pays du Sud, se révèlent de redoutables instruments pour éloigner les populations indésirables des espaces centraux stratégiques. Cet exemple mauritanien montre finalement une absence de mobilisation réelle contre ce qui a été perçu comme un déplacement injuste. La résistance est limitée, révélant l'impossibilité à contourner et dépasser l'échelon local. Cela illustre la « ville post-politique » (Swyngedouw, 2009), qui résulte d'une gouvernance urbaine complexe.Drawing on empirical fieldwork carried out in Nouakchott, capital city of Mauritania, this paper focuses on the effects of slum upgrading programs. It shows how public authorities, in the framework of the Millennium Development Goals, and supported by the International institutions (such as the World Bank), implement slum clearance programs. Analyzing a resettlement project, we will demonstrate that these programs very often lead to evictions and forced resettlements of slum dwellers in faraway urban fringes, with property land titling in return. Shedding light on the good governance principles, we will show how they become formidable instrument in order to lift away undesirable people from central and strategic spaces. This Mauritanian example highlights the absence of real mobilisation against the unfair displacement. Resistance is scarce and limited to the small scale, showing the impossibility to by-pass the local level and the rise of new political frontiers. This case illustrates the “post-political city” (Swyngedouw, 2009), characterized by complex urban governance.
- Déplacer au nom de la sauvegarde patrimoniale et du développement économique ? Analyse multiscalaire du programme de resettlement à Lalibela (Éthiopie) - Marie Bridonneau Cet article analyse un programme mis en œuvre pour déplacer quelques 700 ménages résidant autour des églises de Lalibela en Éthiopie, site inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1978. Les acteurs investis dans ce projet s'inscrivent à différentes échelles et ancrent leur action dans des pratiques à la fois nationales et globales de resettlement. Tous légitiment ce déplacement en mobilisant deux catégories principales d'arguments : la conservation patrimoniale et le développement économique. En rumeur depuis les années 1960, le resettlement de Lalibela débute réellement en 2009, à la faveur d'un accord entre la Banque mondiale et le gouvernement éthiopien pour le développement du tourisme durable en Éthiopie. Commence alors une mise en œuvre brutale et heurtée, donnant à voir des relations de pouvoir instables entre les habitants, les pouvoirs publics et ecclésiastiques éthiopiens, et les acteurs internationaux. En analysant les discours et les pratiques de ces acteurs tout au long de la construction du resettlement et des premiers temps de sa mise en œuvre, nous proposons une réflexion actuelle sur la restructuration urbaine par « destruction créatrice » dans une petite ville d'Éthiopie.This article analyzes a program implemented to displace 700 households living around Lalibela rock-hewn churches in Ethiopia, registered in the UNESCO World Heritage List since 1978. Actors involved in this project fall within different scales and set up their action in national and global practices of resettlement. All legitimize this displacement by mobilizing two main arguments: heritage conservation and economic development. Existing as a rumor since the 1960s, the resettlement has finally started in 2009 after an agreement between World Bank and Ethiopian government for the development of sustainable tourism in Ethiopia. Then, a brutal and nonlinear implementation has begun, showing up unstable power relationships between dwellers, public and ecclesiastic Ethiopian actors, and international actors. By analyzing discourses and practices of these actors throughout the resettlement planning and the first steps of its implementation, we propose a contemporary assessment of urban restructuring by « creative destruction » in a small Ethiopian town.
- Le rêve carioca : entre planification urbaine et déplacements forcés de population - Justine Ninnin Cet article analyse différents exemples de déplacements forcés touchant majoritairement les catégories les plus pauvres à Rio de Janeiro, à l'approche de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016. Si d'une part le processus d'éviction est organisé par la municipalité à travers différents ressorts des politiques publiques (protection de l'environnement, mobilité urbaine, revitalisation urbaine et équipements sportifs), on observe un processus d'éviction « invisible » lié à la sécurisation et l'embourgeoisement de certaines favelas. Les défenseurs des droits humains ont les yeux tournés sur la ville et les mouvements de résistance se développent. A une échelle plus globale, les nouvelles logiques et stratégies urbaines amèneraient à une redéfinition de l'organisation socio-spatiale repoussant sans cesse la pauvreté vers la périphérie.This paper analyzes several examples of forced moving, mostly affecting the poorest people in Rio de Janeiro, while the upcoming 2014 World Cup and 2016 Olympics are approaching. If one part of the eviction process is planned by the city through various types of public policies (environmental protection, urban mobility, urban revitalization and sports equipments), there is also an "invisible" eviction process more related to the security and the gentrification in some favelas. The Human Rights defenders are focused on the city and resistance movements are growing. At a more global scale, new urban strategies and logics would lead to a redefinition of the socio-spatial organization, constantly pushing back poverty to the periphery.
- « Déguerpir » pour reconquérir l'espace public à Abidjan. - Christian Bouquet, Irène Kassi-Djodjo Depuis plusieurs décennies, le déguerpissement est pratiqué en Côte d'Ivoire comme un mode de régulation de l'espace urbain. Dans la perspective d'une meilleure maîtrise du développement des villes, l'Etat et les collectivités territoriales ont eu recours à ce procédé pour juguler les occupations illégales du domaine public. Les résultats de ces opérations n'ont guère été concluants. Face à la détérioration de la situation au cours de ces dernières années, on assiste actuellement à un regain des déguerpissements, notamment à Abidjan. En effet, les nouvelles autorités ivoiriennes ont durci la politique urbaine, d'abord en s'attaquant à des symboles forts de l'occupation illégale, voire contestataire, de l'espace, puis en suggérant une réoccupation des lieux déguerpis plus conforme à l'image d'une métropole moderne. Pour autant, si cette politique commence à être comprise, on est encore loin d'une remise en ordre de l'espace public urbain.For several decades, evictions have been used in the Ivory Coast as a way to regulate the urban domain. In order to better control urban development, governmental and municipal authorities have used this method to curb the illegal occupation of public property. The results of these operations have hardly been conclusive. Faced with the deterioration of the situation during these recent years, evictions have now become more frequent, particularly in Abidjan. The new Ivorian authorities have toughened their urban policy, first tackling powerful symbols of illegal or even rebellious occupation of urban space, and then suggesting a reoccupation of cleared places more in accordance with the image of a modern metropolis. If this policy is beginning to be understood, the reordering of the public urban space is however far from achieved.
- Expulsion et relocalisation du commerce de rue dans la métropole de Mexico - Caroline Stamm Cet article propose d'aborder les politiques de déguerpissement des vendeurs de rue à l'échelle intra-urbaine en analysant et en comparant les actions mises en œuvre, dans le contexte de la démocratisation mexicaine, dans trois espaces de la métropole de Mexico : le centre historique, le municipe de Tlalnepantla et le municipe de Tultepec. Il décrit et compare ces trois actions publiques à l'encontre du commerce de rue en analysant les processus de prise de décision, de négociation et de relocalisation. Il révèle un même modèle d'action publique à l'égard du commerce de rue, mais des styles d'action publique distincts entre les trois terrains d'études, du fait des configurations spécifiques des acteurs locaux.The purpose of this article is to study the displacements of street vending at the intra-urban scale by analyzing and comparing the public policies implemented, in the situation of the Mexican democratization, in three areas of the metropolis of Mexico City: the historic center, the municipality of Tlalnepantla and the municipality of Tultepec. It describes and compares the three policies towards street vending analyzing the processes of decision, negotiation and relocation. It illustrates a model of public action regarding street vending, but different styles of local public action in the three study cases because of the specific configuration of the local actors.
- Expulsion des résidents d'habitats délabrés (penghuqu) et reconstruction de la vie des nouveaux migrants à Shanghai. Enquête sur le quartier de Yuan He Nong. - Yeqin Zhao, Florence Padovani Cet article s'interroge sur la question du droit au logement des migrants à Shanghai. En prenant Yuanhenong (ci-après YHN), un quartier d'habitats délabrés à Shanghai, comme cas d'étude, l'auteur analyse les droits au logement des migrants dans le cadre de la rénovation urbaine de Shanghai. Il est démontré que les migrants ruraux font face à une « exclusion collective de la politique du logement». En tant que groupe social le plus vulnérable, dans le contexte des villes chinoises, la possibilité de demander des compensations leur est non seulement niée mais plus largement la possibilité de faire connaître leurs demandes est niée. Alors que leur situation critique est due surtout au fait de « l'exclusion collective de la politique du logement » qu'ils subissent de la part des autorités, le manque de réaction de ces migrants peut être attribué à leur propre inconscience collective. Un important travail de terrain et de nombreux entretiens effectués sur plusieurs mois auprès des différents acteurs tant institutionnels que de la société civile a permis de documenter la situation des résidents de YHN. L'objectif est de démontrer qu'il existe bien un groupe de personnes non agissantes durant le processus d'expulsion et pourtant bien réelles. Pourquoi cet acteur caché ne participe-t-il pas aux négociations et comment justifie-t-il son silence ? Quelle est l'attitude des autres acteurs ? Comment s'articule le jeu triangulaire entre les protagonistes ?This paper investigates the issue of housing rights of the migrants in Shanghai. Using Yuanhenong, a shantytown in Shanghai as a case study, it examines rural migrants' housing rights in the context of urban renewal. Authors demonstrate that rural migrants (nongmingong) have encountered a “collective housing exclusion”. As the most vulnerable social group in urban China, they are not only deprived of the possibility of demanding benefits but also lack the ability to express their demands. While their predicament is largely caused by the “collective housing exclusion,” particularly the neglect of migrants' housing rights, exercised by the authorities, the lack of reaction from the migrants can be attributed to their own collective unconsciousness. Significant fieldwork during several months and interviews with several actors such as institutional ones and civil society was done to inform the situation of YHN's residents. The aim is to demonstrate the existence of a non-proactive group of people during the eviction process, nevertheless very real. Why this hiding actor does not participate in the negotiations and how does it justify its silence? What is the attitude of the other actors? How the triangular game is articulated between the different players?
- La destruction des villages de pêcheurs au sud de Libreville. Une opération entre impératif sécuritaire et spéculation foncière - Serge Loungou La démolition, en 2002, des villages de pêcheurs ouest-africains établis dans la commune d'Owendo, au sud de Libreville, capitale du Gabon, avait été justifiée officiellement par la nécessité de lutter contre l'immigration clandestine par voie maritime et les formes de criminalité qui lui sont associées. A travers le présent article, l'auteur tente d'apporter une autre explication à cette décision, qu'il lie, en partie, à une vaste opération de spéculation foncière orchestrée par l'Office des ports et rades du Gabon (OPRAG), dans le souci de promouvoir économiquement l'immense terrain domanial qu'il possède dans la commune.The demolition, in 2002, of West-African fishermen's villages established in the municipality of Owendo, South of Libreville, capital of Gabon, had officially been justified by the necessity to fight against illegal immigration by sea and criminality forms which are associated with it. The author of this article tries to bring another explanation to this decision, which is partially linked to a vast land speculation operation orchestrated by the Gabonese Port and Harbor Office (OPRAG), to economically promote the immense state-owned ground which it possesses in the municipality.
- Politique de déguerpissement et processus de restructuration des territoires de Libreville [Gabon] - Rano-Michel NGUEMA Les opérations de déguerpissement sont nombreuses en Afrique subsaharienne. Libreville, capitale du Gabon, n'échappe pas à cette réalité. Depuis les années 1970, le déguerpissement apparaît comme une étape fondamentale dans le processus de restructuration de l'espace librevillois dont le bâti se développe de manière rapide et anarchique. L'explosion urbaine, consécutive au « boom » pétrolier, a entrainé la saturation des quartiers centraux et péricentraux, occupés en majorité par des habitations précaires. Face à ce qu'elles considèrent comme des occupations illégales, les autorités publiques tentent d'éradiquer les taudis, en délogeant de force les habitants qui sont expulsés vers des périphéries. Quels sont les mécanismes et les stratégies utilisés pour opérer ces délogements forcés ? Quelles formes de résistance se manifestent contre cette politique ? Quelles sont les répercussions sur la vie des citoyens et la réorganisation de la ville ? Pour répondre à ces questions, ce texte se propose, d'une part, d'examiner la politique de déguerpissement en cours à Libreville depuis 40 ans et, d'autre part, de présenter les actions et réactions des acteurs en présence dans la lutte pour l'appropriation des terrains.Evictions are plentiful in sub-Saharan Africa. Libreville, capital of Gabon, does not make an exception to this rule. Since the 1970s, eviction appears as a fundamental step in the restructuring process of Libreville's space where built up areas are growing fast and in an anarchic way. Urban growth, resulting from the oil boom, has led to saturation of central and semi-central districts, occupied mostly by informal settlements. The government response to what it considers as an illegal occupation is to eradicate slums, to dislodge people by force and then to remove them in the suburbs. What are the mechanisms and strategies used to operate these forced evacuations? What forms of resistance are manifested against this policy? What is the impact of such policies on the lives of citizens and on the town's reorganization? In order to answer these questions, this paper proposes firstly to examine the policy of eviction in Libreville during the last 40 years, and secondly to present the actions and reactions of the actors of this struggle for land appropriation.