Contenu du sommaire : Poésie et politique
Revue | Terrain |
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Numéro | no 41, septembre 2003 |
Titre du numéro | Poésie et politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 41
Poésie et politique
- « Solitaire et solidaire » Entretien avec Edouard Glissant - Philippe Artières p. 9-14 Dans cet entretien, le poète et écrivain martiniquais Edouard Glissant revient sur sa pratique poétique qu'il lie de manière fondamentale avec ses engagements politiques et principalement l'anticolonialisme. Dire le paysage, conter l'histoire, et écrire en présence de toutes les langues du monde sont quelques-unes des fonctions qu'assigne Glissant à la poésie. Le poète du « chaos-monde », dit-il, fait œuvre de libération et doit contribuer à changer les imaginaires.“Solitary and solidarity” Interview with Philippe ArtièresIn this interview, Édouard Glissant, a poet and writer from Martinique, talks about his practice of poetry, which he sees as being fundamentally linked to his political commitments and, in particular, his anticolonialism. Telling about the landscape and history and writing in the presence of all the languages of the world are a few of the tasks that Glissant assigns poetry. The poet of the “chaos-world”, in his words, is undertaking a work of liberation, and he must help change imaginations.
- Poésie officielle, poésie partisane pendant les guerres de Religion - Tatiana Debbagi Baranova p. 15-34 Un examen des représentations du rôle de la poésie dans la sphère politique et de ses usages pendant les guerres de Religion (1562-1598) montre l'existence d'un code officiel d'écriture poétique, une écriture qui doit contribuer à la consolidation des liens sociaux et à la réunion des sujets autour du roi. Ce code est souvent transgressé par l'engagement partisan des auteurs et notamment par le recours à la critique nominale. Le conflit entre ces deux pratiques est aggravé par la reconnaissance du pouvoir mystique de la parole poétique, capable d'entrer en contact avec une surréalité, de faire redescendre l'harmonie dans la cité ou, au contraire, d'attirer la colère divine sur l'ennemi. L'auteur s'intéresse aux formes officielles de l'intervention de la poésie dans la vie politique, puis à ses moyens discursifs afin d'essayer de comprendre les raisons de l'efficacité de sa mise en service partisane et de définir la spécificité de ses usages.Official poetry, partisan poetry during the wars of religionExamining ideas about poetry's role in politics and its uses during the wars of religion (1562-1598) in France brings to light an official code for writing poetry, a way of writing intended to help consolidate social bonds and rally subjects around the king. This code was often transgressed owing to the author's partisan involvement, in particular when person's names were cited for criticism. The clash between this code and such practices was all the greater due to the recognition of the mystical power of poetry, which could enter in contact with a “surreality”, restore harmony in civic life or, on the contrary, bring divine wrath down on enemies. The official forms of poetry's intervention in politics are examined, along with the discursive means used, in an attempt to define specific partisan uses of poetry and understand the reasons why they were effective.
- Les prêtres de la langue - Ivan Čolović p. 35-46 Les nationalistes serbes vivent mal les frontières qui séparent aujourd'hui les Etats issus de l'ex-Yougoslavie car ils rêveraient que celles-ci coïncident avec les frontières ethniques. Leur action se focalise ces dernières années sur la défense de l'unité de ce qu'ils appellent l'« espace spirituel de la nation ». Ils ont remis à l'ordre du jour la vieille conception d'une âme de la nation préservée par la langue dont la poésie est la mieux à même d'exprimer l'essence. La langue serbe est ainsi célébrée comme une « église invisible », et les poètes nationaux se considèrent comme des « prêtres de la langue ». Quant aux monuments érigés autrefois à la gloire de poètes serbes dans les Etats voisins, ils sont mis au service de la circonscription de l'« espace spirituel » serbe.Priests of the language. Poetry, nation and politics in SerbiaSerbian nationalists do not like the borders now dividing the lands that used to form Yugoslavia. For these nationalists, making these borders coincide with ethnic ones is a “dream” to be realized. At present, their actions are limited to defending the unity of what they call the “nation's spiritual space”. Serbian nationalists have dusted off the old idea of the “nation's spirit” being preserved in the language and national poetry. The Serbian language is extolled as “our invisible church”, poets considering themselves to be “priests of the language”. Ceremonies around the monuments of national poets erected in areas peopled by Serbs but under the control of neighbouring states delimit this “spiritual space”.
- « Une politique qui vole sur les ailes de la poésie » - Martina Avanza p. 47-62 La Ligue du Nord, parti italien bien connu pour ses positions xénophobes et ses velléités sécessionnistes, utilise pourtant la poésie pour dire et faire sa politique. En effet, l'indépendance de la Padanie, nation virtuelle à laquelle les non-léguistes dénient toute existence, est un « rêve » que la poésie peut parfaitement incarner. Mais la poésie incarne également l'idée que la Ligue se fait de la participation politique. Basée sur une appartenance forte des militants, la politique léguiste utilise la poésie pour susciter l'émotion (déclamation de poèmes lors des meetings), mais aussi pour encourager la participation (concours de poésie durant lesquels les militants clament leur adhésion léguiste en vers).“Politics on the wings of poetry”.Political, poetic practices in the Northern LeagueThe Northern League, the Italian political party well-known for its xenophobic positions and secessionist tendencies, uses poetry in pursuit of its politics. The independence of Padania, a virtual nation to which those who do not support the Party deny any claim of existence, is a “dream” that poetry can fully incarnate. Poetry also incarnates the League's idea of political participation. Grounded in a strong sense of belonging among militants, the League uses poetry to arouse emotions (recital of poems during meetings) and stimulate people to take part in Party activities (poetry contests during which militants proclaim support for the League).
- Poésie idéologique et espace de liberté en Roumanie - Lucia Dragomir p. 63-74 Le cénacle itinérant Flacara, manifestation de musique et de poésie organisée à la suite d'une proposition du comité central de la Jeunesse communiste, a eu un impact énorme sur les jeunes générations durant les années 1970-1980 dans la Roumanie communiste. Nous avons tenté ici de comprendre comment fut perçue à l'époque cette manifestation, et quel fut le rôle de la poésie dans la vie des jeunes gens sous un régime autoritaire. Cette poésie promue dans le cadre du cénacle Flacara était, conformément au désir exprimé par ses organisateurs, au service de la propagande communiste. On s'aperçoit cependant qu'elle a aussi été vécue comme une « soupape de liberté » dans un contexte idéologique étouffant.Ideological poetry and room for freedom in Romania Flacara, an itinerant show of music and poetry organized in line with a proposal by the Communist Youth's central committee, had an enormous impact on Romania's young generations in 1970-1980. How was this cultural event perceived at the time? What role did poetry play in the lives of young people under the authoritarian Communist system? In compliance with the organizers' wishes, the poetry promoted via Flacara was in the service of Communist propaganda. However it was also experienced as a “safety valve” for freedom in a stifling ideological context.
- « Poésie et civisme » en Trégor - Emmanuelle Callac p. 75-90 Il s'agit ici de restituer et de comprendre les modalités selon lesquelles, en Trégor (Bretagne Nord), la poésie existe comme pratique et mode d'expression au sein d'une société donnée. Qu'ils soient confirmés ou amateurs, les poètes étudiés ont en commun de s'investir dans la vie politique et culturelle locale. Ressources poétiques et politiques sont ainsi conjointement utilisées à des fins tant individuelles que collectives.“Poetry and the civic spirit” in TrégorThe case of Trégor in northern Brittany (France) is examined to understand how poetry exists as a practice and form of expression in a society. Whether amateurs or recognized writers, the poets studied herein are all involved in local political and cultural affairs. Poetic and political resources are jointly used for individual and collective purposes.
- Révolutionnaire ou nationaliste ? - Philippe Martel p. 91-102 Que ce soit au xixe siècle, du temps de Mistral, ou par la suite au service d'autres causes, le politique n'est pas étranger à la poésie occitane. Les années qui suivent immédiatement Mai 68 constituent un temps particulièrement fort dans cette production politique en langue d'oc. Pendant quelques années s'y développe une poésie contestataire, qui peut prendre la forme d'une chanson de combat, capable de toucher un public qui dépasse largement celui de la littérature d'oc. Sont ici analysées les modalités et les thématiques de cette poésie politique qui oscille entre ferveur révolutionnaire et aspirations nationalistes.Revolutionary or nationalistic? Occitan poetry after 1968 Whether in the 19th century, at the time of Frédéric Mistral, or later in the service of other causes, politics is not foreign to Occitan poetry in southwestern France. The years right after May 1968 were a high time in the politics of the region's language, langue d'Oc. For several years, a poetry developed there in the form of protest songs that could move a much larger public than the one devoted to Occitan literature. The forms and themes of this political poetry, which oscillates between revolutionary fervor and nationalistic aspirations, are analyzed.
- Qui sait danser sur cette chanson, nous lui donnerons la cadence. - Nadia Belalimat p. 103-120 Cet article analyse un genre musical nouveau et désormais prépondérant au sein de la société touarègue, que ce soit au Mali, au Niger, en Algérie ou en Libye. A travers des textes de poésies chantées par les Tinariwen, groupe fondateur de ce genre, l'auteur étudie les différentes étapes de formation du mouvement politique et armé touareg qui sera officiellement reconnu à partir de 1990. Ce mouvement est communément désigné par l'expression « Rébellion touarègue de 1990 ». Est proposée ensuite une description des dynamiques sociales et politiques qui se sont créées autour de la performance et de la réception de ces chants. Enfin, l'auteur montre l'évolution du statut de ce genre musical entre 1978 et 1994.Who knows how to dance to this tune? We'll give the beat. Music, poetry and politics among the TuaregA new musical genre is now popular among the Tuareg, whether in Mali, Niger, Algeria or Libya. Texts of poetry sung by the Tinariwen, the group who founded this genre, are cited to illustrate phases in the formation of the Tuareg armed, political movement. Officially recognized as of 1990, this movement is usually called the “1990 Tuareg Rebellion”. The social and political momentum created around the performance and reception of these songs is described, as well as changes in the status of this musical genre from 1978 to 1994.
- « Solitaire et solidaire » Entretien avec Edouard Glissant - Philippe Artières p. 9-14
Repères
- L'esprit ensorcelé - Fabrice Clément p. 121-136 La sorcellerie peut être définie comme la croyance selon laquelle le malheur inexpliqué est dû à l'intention maléfique d'individus dotés de pouvoirs surnaturels. Si des croyances de ce type existent aux quatre coins du monde, peu de travaux ont tenté de rendre compte de cette très large diffusion, qui semble dépendre de certaines constantes de l'esprit humain. L'objectif de cet essai consiste à puiser dans le corpus de plus en plus riche des sciences cognitives afin de mettre en évidence les mécanismes psychologiques qui assurent à la sorcellerie son « succès » culturel. Les « penchants » de l'esprit qui sont discutés concernent l'appréhension du déroulement normal des événements naturels, la détection des actions intentionnelles et les mécanismes sous-tendant la régulation de la coopération. La combinaison de ces attentes spontanées explique pourquoi la sorcellerie est souvent à même de jouer un rôle d'« attracteur représentationnel ».The bewitched mind. Witchcraft's cognitive rootsWitchcraft can be defined as the belief whereby unexplained misfortune is set down to the evil intentions of persons endowed with supernatural powers. Although such beliefs exist in the four corners of the planet, few studies have tried to explain this very wide diffusion, which apparently depends on certain constants in the human mind. By tapping the ever richer corpus of the cognitive sciences, light is shed on the psychological mechanisms accounting for witchcraft's cultural success. The mind's “inclinations” are discussed, namely how the normal course of natural events is registered, how intentional actions are detected and how the processes regulating cooperation operate. The combination of these spontaneous expectations explains why witchcraft often turns out to be capable of being a “representational attractor”.
- Urbanisme et quartier - Alain Bourdin p. 137-148 Une enquête menée dans le nouveau quartier de Paris Rive gauche auprès de producteurs de la ville et d'habitants permet de mieux cerner les ambiguïtés dans l'usage de la notion de quartier. Pour tous, celle-ci renvoie à l'habitat, à la convivialité, à l'animation et à l'idée d'un espace maîtrisé par ceux qui l'occupent. Mais les producteurs y voient le cadre dans lequel se développe un ordre social correspondant à une collectivité réelle, alors que les usagers le considèrent plutôt comme une offre : ils ne veulent pas former un groupe local, mais trouver à proximité la facilité d'usage, la familiarité et la maîtrise. Leur perception est marquée par le goût du spectacle de la ville et de la diversité des ambiances, quitte à appauvrir le sens de la ville. Alors que des processus de coproduction de celle-ci, impliquant une forte intercompréhension des acteurs, se développent, de telles différences d'interprétations peuvent devenir dangereuses.Urbanism and the “neighbourhood”. What we can learn from Paris Rive GaucheA survey of residents and “producers of the city” (city-planners, real estate operators, politicians) conducted in the new Paris Rive Gauche neighbourhood in the 13th arrondissement helps us better understand ambiguities in uses of the notion quartier. For all respondents, the quarter refers to the habitat, conviviality and liveliness in a space controlled by those who occupy it. The aforementioned producers see the quarter as a framework where a social order develops corresponding to a real “collectivity”. However “users of the city” (inhabitants, merchants, members of associations, etc.) tend to see its supply-side: they do not want to form a local group but rather to find nearby facilities, familiarity and control. They like the city and perceive the diversity of ambiences “as a show” at the risk of diminishing the city's meaning. “Processes for coproducing the city”, which imply a high degree of mutual understanding, are developing; but such differences in interpretations are rife with danger.
- Le territoire urbain - Rosemarie Huhn, Alain Morel p. 149-166 Il s'agit ici de comprendre la manière dont les citadins d'une grande ville (spécifiquement les habitants du XIIIe arrondissement de Paris) divisent l'espace urbain et selon quel régime classificatoire. Quels critères retiennent leur attention, quels éléments font sens ? De quelles ressources disposent-ils pour ce faire ? Parmi les entités qu'ils distinguent, certaines ont une origine administrative ou historique, d'autres sont construites à partir de leur connaissance du terrain. L'arrondissement apparaît comme l'entité d'inclusion principale pour une majorité d'habitants, tandis que le quartier, plus apprécié pour ses potentialités que par ce qui s'y passe réellement, s'apparente à une réalité virtuelle.Urban territory. Divisions and spatializationWhat classificatory system and criteria do city-dwellers, specifically the inhabitants of the 13th arrondissement in Paris, use to divide urban space? What resources do they tap? What “landmarks” bear meaning to them? Some of the units they distinguish have an administrative or historic origin; others arise out of their knowledge of the streets. For most inhabitants, the arrondissement is a major unit of inclusion whereas the quarter is a virtual reality more appreciated for its potential than for what actually happens there.
- L'esprit ensorcelé - Fabrice Clément p. 121-136