Contenu du sommaire : Catastrophes
Revue | Terrain |
---|---|
Numéro | no 54, mars 2010 |
Titre du numéro | Catastrophes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 54
Catastrophes
- Catastrophes et ordre du monde - Nicolas Journet p. 4-9
- Fléaux de Dieu ou catastrophes naturelles ? - Grégory Quenet p. 10-25 Les historiens des catastrophes naturelles n'ont pas échappé au succès de la « société du risque », malgré des recherches plutôt centrées, en France, sur le processus de laïcisation de la nature et sur la montée en puissance de l'État moderne. Cet article propose un retour critique sur l'usage des termes « catastrophe » et « risque » par les historiens, à partir du cas des tremblements de terre. Le xviiesiècle montre l'existence, d'une part, d'une gestion routinière et locale des catastrophes par les populations, d'autre part, d'un régime déterritorialisé et théorique. À partir des années 1740, ces échelles, locales et nationales, se connectent, sous l'effet de la circulation accrue de l'information, de la prise de parole des communautés pour réclamer des réductions d'impôts, et de la découverte par les savants du nombre élevé de secousses touchant le royaume. Cette cristallisation, accélérée par le tremblement de terre de Lisbonne, donne naissance à un nouvel objet que nous appelons « risque ».Acts of God or natural catastrophes? Earth quakes in France in the modern period Historians of natural catastrophes have not escaped the success of the idea of social risk in spite of their research in France being more focused on the secularization of the concept of nature and the growth of the modern state. The paper reexamines the use made by historians of the terms “catastrophe” and “risk” as it relates to earthquakes. In the 18 th century we find, on the one hand, on the part of local populations, routine local strategies to cope with catastrophes and, on the other hand, a theoretical discussion of the problem without reference to particular places. From 1740 on these two practices connect as a result of better communication networks and because local communities make themselves heard as they call for tax reductions and scientific research by scholars that would explain the high frequency of quakes occurring in the kingdom. This coming together, hastened by the Lisbon earthquake, brings about a new concept which is called here “risk”.
- Une sentinelle sanitaire aux frontières du vivant - Frédéric Keck p. 26-41 Cet article retrace l'histoire d'un groupe d'experts qui ont lancé l'alerte sur les pandémies grippales à partir de la surveillance des oiseaux et des humains à Hong Kong. Il montre pourquoi ce lieu a pu servir de sentinelle pour les pandémies à venir, à partir de la perception d'une mutation catastrophique du virus grippal dans la population aviaire. Il suit les différentes crises à travers lesquelles l'alerte locale a pu donner lieu à une mobilisation globale, en impliquant des niveaux croissants d'autorité sanitaire. Il conclut sur la notion de frontières de la biosécurité, lieu à la fois biologique et social, naturel et politique, où des catastrophes apparaissent et où une temporalité dynamique s'ouvre à l'action collective.A sanitary look out post on the frontier of life Bird flu experts in Hong Kong The paper concerns a group of experts who sent out a warning of a flu pandemic based on their observation of birds and humans in Hong Kong. It shows why this place has served as a look out post for a new pandemic caused by a catastrophic mutation of the flu virus in an avian population. It traces the different crises which alerted the local population and which led to global mobilisation involving ever higher levels of medical authorities. The conclusion deals with the issue of the frontiers of biosecurity, a frontier that is at once biological, social, natural and political which reveals the appearance of catastrophes and where a temporal dynamic leads to collective action.
- Le sens du désastre - Sandrine Revet p. 42-55 En 1999, des coulées de boue ravagent le littoral vénézuélien. Suite à cette catastrophe naturelle d'une violence extraordinaire, on assiste à de nombreuses opérations tentant d'expliquer l'événement, de lui donner un sens. Cette entreprise collective, qui permet non seulement aux victimes mais au pays tout entier de signifier la catastrophe, a également pour résultat de définir des actions susceptibles d'éviter qu'une telle tragédie ne vienne à se reproduire. L'ensemble des outils mis en œuvre pour dénouer la catastrophe renvoie à différents scénarios qui offrent des cadres de pensée et d'action. L'article met en lumière la façon dont la symbolique religieuse, la pensée naturaliste ou la rhétorique du risque coexistent et sont convoquées alternativement par les différents acteurs impliqués – institutions, Églises, habitants, journalistes, hommes politiques.The sense of disaster The multiple interpretations of a “natural” catastrophe in Venezuela In 1999 mud slides devastated the Venezuelan coast line. Subsequently many operations attempt to explain the event and to give it meaning. This collective enterprise of signification enabled not only the victims but the whole country to define what could be done in order that such a tragedy should not reoccur. These tools produced to deal with the catastrophe involve different frameworks of thought and action. The paper reveals how religious symbolism, naturalist reason and risk discourses coexist and are each in turn appealed to by different involved actors such as state institutions, the church, locals, journalists and politicians.
- Photographier la catastrophe - Abigail Solomon-Godeau p. 56-65 Sont examinés ici quelques-uns des problèmes posés par la représentation photographique de la catastrophe. Ils sont causés, principalement, par les limites du médium lui-même, qui ne peut enregistrer qu'un moment temporel distinct. Mais ils sont dus aussi au fait d'offrir au regard d'un spectateur heureusement éloigné – que ce soit dans le temps ou dans l'espace – la souffrance d'autrui. D'autres questions éthiques sont également soulevées par les simulacres de catastrophes, un phénomène récent dans les pratiques artistiques utilisant la photographie.Photograph the catastrophe This essay considers some of the problems posed by the photographic representation of catastrophe. These are to a considerable extent based on the limitations of the medium itself, which can only register a discrete moment in time. Other problems are raised by the “spectacle” of others' suffering for the viewer, who is safely detached in time and space. Finally, there are ethical questions raised by the “simulation” of catastrophe, a recent phenomenon in art practices using photography.
- Le scrutin de Nargis - Bénédicte Brac de la Perrière p. 66-79 Le 2 mai 2008, le cyclone Nargis dévaste le delta birman. Dans une conjoncture que tendue, la catastrophe naturelle a pris la dimension d'une scène éminemment politique sur laquelle les différents intervenants, les instances internationales, les ong, le régime en place et le public, ont pu se situer autour de la question de l'aide humanitaire. En particulier, les classes moyennes de Rangoun, mobilisées le secours aux victimes du delta, y ont trouvé l'occasion d'exprimer leur condamnation des militaires au pouvoir et de la gestion gouvernementale de la crise. Selon l'interprétation populaire, Nargis est la sanction naturelle à un ordre politique contesté.The Nargis election The 2008 cyclone in Burma On the second of May 2008, the Nargis cyclone devastates the Burmese delta. In a tense political context the natural catastrophe takes on a highly political turn as different actors – ngos, the regime and public opinion – situate themselves in relation to the question of the place of humanitarian aid. In particular the Rangoon middle classes, much involved in aiding the victims, use the opportunity to voice their condemnation of the military men in power and of government action in dealing with the crisis. Popular opinion interprets Nargis as nature denouncing an unacceptable political system.
- La catastrophe comme prétexte à l'action - Nicolas Larchet p. 80-99 Cet article est issu d'une enquête ethnographique réalisée à La Nouvelle-Orléans au début de l'année 2009 auprès d'un réseau d'acteurs et d'institutions rassemblés autour d'une cause commune : améliorer l'accès aux produits frais des habitants défavorisés, dans le cadre d'une politique de prévention de l'obésité soutenue par les pouvoirs publics. On y montre comment la catastrophe de Katrina est mobilisée par les acteurs réformateurs pour appuyer leur action. La reconstruction de la ville après le drame est considérée comme une opportunité pour changer les habitudes alimentaires et transformer les corps. En confrontant le récit de cette réforme de l'alimentation avec les expériences d'habitants aux prises avec des difficultés de subsistance, il s'agit d'interroger les transformations contemporaines de l'action publique : cette réforme, exprimant les problèmes d'alimentation dans un langage sanitaire et spatial, opérerait une double dénégation du social.Disaster as pretext for action Diet reform following Katrina The paper is based on an ethnographic study carried out in New Orleans. It concerns a grouping of actors and institutions dedicated to the common cause of improving the access to fresh products by poor people. This campaign was supported by the local authorities. It shows how reformers used the Katrina disaster to further their aims. The rebuilding of the city was used by these people as an opportunity to change eating habits and transform bodies. By contrasting the story of this reform of the diet with the experience of locals having to face subsistence problems we aim to reveal the contemporary transformations of public action. This reform thus expresses dietary problems in medical and spatial language thus operating a double denegation of the social.
- Une catastrophe invisible - Michael Stewart p. 100-121 Si on examine la liste des crimes de masse perpétrés au xxe siècle, du massacre des Arméniens par les Turcs en 1915 à celui de Bali en 1965, de la campagne menée contre les Mayas du Guatemala pendant trente-six ans aux horreurs commises aujourd'hui au Darfour, on distingue une tendance nette : tous les génocides, au moment où ils se déroulent, paraissent toujours aux observateurs extérieurs ambigus et peu plausibles. L'article analyse la persécution et le génocide particulièrement « désorganisés » et « désordonnés » des Tziganes durant la Seconde Guerre mondiale, et rattache le caractère localisé de leur persécution à l'échec, après le conflit, de la reconnaissance de cette catastrophe.An invisible catastrophe Shoah of the Gypsies Surveying the catalogue of 20 th century mass crimes, from the Turkish killings of the Armenians in 1915, through the massacres in Bali in 1965, the thirty six year long campaign against the Mayans in Guatemala, to the horrors of Darfur today, we can discern a clear enough pattern: every genocide at the moment it takes place appears to outsiders to be ambiguous and inherently implausible. This article examines the disctinctively “disorderly” and “uncoordinated” persecution and genocide of the Romany peoples and links the ad hoc, locally driven nature of their persecution to the post-war failure to acknowledge this catastrophe.
Repères
- La cognition animale sert-elle à résoudre des problèmes ? - Michel Jean Dubois, Jean-François Gerard p. 122-129 La manière dont nous concevons l'appréhension du monde par les animaux – ce que l'on résume sous le terme « cognition animale » – est largement déterminée par le regard que nous portons sur eux, mais aussi sur l'environnement physique et biologique dans lequel ils évoluent. En effet, si l'on considère que l'environnement, par définition extérieur, est indépendant des êtres vivants, qu'il est en quelque sorte prédonné, il s'ensuit que chaque organisme se trouve confronté à un milieu avec lequel il doit composer : sa survie dépend de sa capacité à « résoudre les problèmes » que lui pose son environnement. Selon une autre façon de voir, défendue ici par deux chercheurs en éthologie cognitive, l'environnement n'existe pas indépendamment de l'organisme ; les supposés problèmes à résoudre n'existent pas et sont bien plutôt des approximations pratiques posées a posteriori par l'observateur. Plus encore, en fonction de ses caractéristiques propres, chaque espèce est en fait capable non seulement d'interagir avec le milieu, mais de lui donner un sens particulier, de le spécifier.Is cognition a problem solving mechanism? The way we understand how animals understand the world, which is called here animal cognition, is largely determined by the way we look at them and also by the physical and biological environment in which they live. Thus if we consider the environment, which is by definition external, as a fore ordained given, it follows that each organism is faced by a context with which it must cope. Viewed in this way its survival appears to depend on the ability of the organism to “solve the problems” that the environment presents. However, seen in the light of the different point of view proposed here by two researchers in cognitive ethology, the environment is not conceptualised as existing independently of the organism; then the so-called problems as such disappear and are understood as mere practical approximations created a posteriori by the observer. Furthermore, it follows that, in terms of its own characteristics, each species is able, not only to interact with the milieu, but also to give it a particular meaning, in other words, to specify it.
- Une rumeur à la Guadeloupe - Christiane Bougerol p. 130-139 Une rumeur circule à la Guadeloupe : les Haïtiens arrosent avec de l'urine les produits maraîchers qu'ils vendent. Les clients guadeloupéens sont nombreux à se détourner de leurs étals. Cette rumeur accroît la confusion quant au choix des végétaux consommables alors que le pays traverse une crise sanitaire et alimentaire due à la contamination par le chlordécone. La virulence anti-haïtienne est forte et largement partagée. Toutefois, la familiarité des Haïtiens avec le vaudou les fait craindre, ce culte les rendrait forts en sorcellerie ; aussi la plupart des Guadeloupéens évitent-ils les conflits personnels avec un Haïtien. L'auteur, en s'appuyant sur les travaux en anthropologie à propos de la parole ainsi que sur ceux des sociologues qui ont étudié la rumeur, montre que relayer une rumeur est l'acte de parole le plus économique pour stigmatiser les membres d'une communauté qu'on peut, par ailleurs, redouter.Rumour in Guadeloupe Of certain suppose practices of the Haitians There is a rumour in Guadeloupe that Haitians sprinkle the vegetable products they sell with urine. As a result many Guadeloupian buyers avoid their stalls. This rumour increases confusion about which vegetables can be eaten at a time when the country is suffering from a health crisis caused by chlordecone contamination. Anti-Haitian feeling is strong and widespread. However, Haitians familiarity with Woodou means that they are feared as it is believed this makes them experts in sorcery and, as a result, conflict with them is avoided. The author bases herself on linguistic anthropology and the sociology of rumour and she shows how speech is the most economic act that can be used to stigmatise a feared group.
- Écouter, regarder, se taire : dialoguer dans la clôture - Francesca Sbardella p. 140-151 À partir d'une expérience ethnographique menée dans deux couvents français de carmélites, on a cherché à analyser les modalités concrètes de la vie claustrale. Sont examinés ici un cas limite d'utilisation de la parole, déclinée dans la spécificité de parole-silence, et la construction de familiarité qui se forme autour d'elle. On souhaite proposer une lecture phénoménologique du silence claustral, sur le plan de l'agi, de l'entendu et du parlé. Tout doit se réduire à l'essentiel, c'est-à-dire à l'élimination du superflu, qu'il s'agisse du matériel, del'émotionnel ou du linguistique.Listening, looking and staying quiet: dialogue in an enclosed community This is an analysis of the reality of enclosed life on the basis of an ethnographic study in two French Carmelite nunneries. The paper examines an extreme case of language use: the language of silence and the construction of familiarity which it creates. We propose a phenomenological reading of enclosed silence as it relates to actions, hearing and speaking. The ultimate aim is to reduce everything to the essential by eliminating the superfluous whether it be material, emotional orlinguistic.
- La cognition animale sert-elle à résoudre des problèmes ? - Michel Jean Dubois, Jean-François Gerard p. 122-129