Contenu du sommaire : Pourquoi coopérer
Revue | Terrain |
---|---|
Numéro | no 58, mars 2012 |
Titre du numéro | Pourquoi coopérer |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 58
Pourquoi coopérer
- Pourquoi coopérer - Joël Candau p. 4-25 Notre espèce est la seule où on observe des coopérations fortes, régulières, diverses, risquées, étendues et supposant des sanctions parfois coûteuses entre individus sans relations de parenté. À ce titre, la coopération humaine constitue un défi tout autant à la théorie la plus orthodoxe de l'évolution, arc-boutée sur la notion de compétition entre individus uniquement préoccupés par leur propre reproduction, qu'à la théorie économique classique fondée sur l'existence d'acteurs « égoïstes » entièrement voués à la maximisation de leurs intérêts. Il y a donc là un fait anthropologique qui demande à être expliqué. L'approche proposée ici consiste à opposer deux formes de la coopération, l'une dite fermée – bornée à la parenté ou au groupe d'appartenance – et l'autre dite ouverte, débordant ces limites. Cette approche a) offre une grille de lecture de la masse considérable de données rassemblées sur la coopération ; b) met en évidence une spécificité d'Homo sapiens : son aptitude à des formes de coopération toujours plus ouvertes ; c) est à longue portée anthropologique, en ce sens qu'elle induit la question des choix politiques qui peuvent favoriser une coopération ouverte ou fermée.Why cooperate Our species is the only one where one finds forms of cooperation which are strong, regular, diverse, risky, extensive and implying sometimes costly sanctions directed towards non kin which. For this reason human cooperation is as much a challenge to the most orthodox of evolutionary theory, centrally attached as it is to the idea of competition amongst individuals for the purpose of reproduction as to classical economic theory based as it is on the concept of “selfish” individuals only motivated by the maximisation of their own interests. We are therefore faced with an anthropological fact in need of explanation. Our approach consists in contrasting two types of cooperation: one of which can be qualified as closed, i.e. restricted to kin or other group members, and another which can be called open, since it involves it is not restricted to these types of categories of individuals. The distinction enables us a) to sort out the mass of data on cooperation, b) to clarify the specificity of Homo sapiens and his ability for forms of more open cooperation, and c) to formulate central anthropological questions concerning the political choices that encourage open or closed forms of cooperation.
- Le parti pris de parenté - Monique Jeudy-Ballini p. 26-43 Chez les Sulka de Nouvelle-Bretagne, les pratiques de coopération sont si prégnantes qu'il ne semble guère exister, du moins hors transgression, un seul comportement social qui ne soit coopératif à un degré ou à un autre. Ces pratiques s'actualisent de manière paradigmatique dans la préparation des échanges cérémoniels qui mobilisent une collaboration de grande ampleur pour rassembler les biens à faire circuler. Or, l'assistance mutuelle présente deux formes contrastées en valeur dont l'une prend la forme d'une entraide ponctuelle alors que l'autre, créditée d'un caractère héréditaire, est créatrice de liens de parenté et, comme telle, sanctionnée par des interdits alimentaires et matrimoniaux. On montre ici en quoi le sens de la coopération renvoie à une conception particulière de la personne et de la parenté.The primacy of kinship A Melanesian example of cooperation Among the Sulka of New Britain cooperation is so all pervasive that, excluding transgressions, there does not seem to be any type of behaviour which is not, in some way or another a matter of cooperation. This manifests itself in a prototypical way in the preparation of ceremonial exchanges which involve large scale cooperation necessary in order to gather together the goods that are to be exchanged. Mutual assistance takes two contrasted forms. One involves punctual mutual help while the other, believed to be based on inherited ties, is constitutive of kinship links and consequently involves food and marriage taboos. The paper shows how the meaning of cooperation implies specific concepts of persons and of kinship.
- Nanosciences et nanotechnologies : une coopération modèle ? - Morgan Jouvenet p. 44-63 Les nanosciences et nanotechnologies (ns/t) constituent aujourd'hui un domaine d'activité scientifique dans lequel les dynamiques coopératives sont très fortes, et mêlent aussi bien les disciplines que les logiques académiques et industrielles. À partir d'une enquête réalisée dans des laboratoires de physique au cœur du développement des ns/t à Grenoble, cet article témoigne de la variété des formes et des enjeux associés aux coopérations dans le réseau des acteurs de la recherche. En suivant les physiciens, on voit qu'ils appréhendent ces coopérations non seulement d'un point de vue individuel et scientifique, mais aussi relativement à des enjeux collectifs et politiques. Le contexte de l'enquête, présenté au début de l'article, explique leur insistance sur ces derniers, et incite à interroger les orientations conceptuelles dominantes en matière de sociologie des réseaux « sociotechniques », et en particulier celles qui ont été associées à la théorie de l'acteur-réseau.Nanoscience and nanotechnologies: an exemplary cooperation? Experiences and politics among scientists Nanoscience and nanotechnology (ns/t) constitute a scientific domain where the cooperative dynamics occurring between academic and industrial disciplines and ways of doing things are very strong. On the basis of research in physics' labs centrally involved in developing (ns/t) in Grenoble, this paper illustrates the variety of forms and stakes involved in the network of actors involved in research. In following the researchers in physics we can see that they envisage the type of cooperation involved, not only in individual and scientific terms, but also in terms of the collective and political implications of their work. On the basis of the research discussed at the beginning of the paper and bearing in mind the emphasis on these factors, the paper questions certain dominant theoretical approaches in the sociology of networks and more particularly in actor / network theory.
- Éliminer la classe, la caste et l'indigénéité dans l'Inde maoïste - Alpa Shah p. 64-81 Cet article explore les tensions qui apparaissent lorsqu'un projet politique propose clairement de restructurer les formes qui permettent la coopération entre individus, et de s'écarter pour ce faire des formes établies d'organisation de la société. Il se concentre sur les activités clandestines du Parti communiste de l'inde (marxiste), ou pci (m), plus connu sous le nom « mouvement naxalite », qui mène depuis plus de quarante ans une lutte armée pour prendre le pouvoir détenu par l'État indien. L'article s'appuie sur une longue recherche ethnographique de terrain dans les zones de guérilla de l'Inde de l'Est et du Centre. Il n'explore pas seulement les projets de coopération futuriste que les maoïstes tentent de réaliser dans leur tentative de mettre sur pied une société communiste, il s'intéresse également aux écueils que rencontre l'établissement de relations de coopération nouvelles par la transformation voire l'éradication des hiérarchies existantes que garantit en Inde le triple système de classes, de castes et d'indigénéité. Il défend ainsi une analyse qui saisit les formes de coopération dans les liens les unissant aux projets économiques et politiques qui les structurent.Getting rid off class, cast and indigeneity in Maoist India This paper explores the tensions created when a political project explicitly tries to restructure the ways in which people cooperate with each other, in ways that are different to established ways of organizing society. The focus is on the underground activities of the Communist Party of India (Maoist), commonly called the Naxalites, leading a more than forty year old armed struggle to seize power of the Indian state. The paper draws on long term ethnographic field research in guerilla zones in central and eastern India to explore not just the futuristic notions of cooperation that the Maoists seek to establish in their aims of achieving communism, but also the difficulties they have in establishing new relations of cooperation by rupturing and restructuring existing hierarchies of class, caste and indigeneity. The paper thus promotes an analysis that situates an understanding of forms of cooperation in relation to the political and economic projects which structure them.
- Pourquoi la coopération ne fonctionne pas toujours - Benoît Dubreuil p. 82-93 Les inégalités, l'exploitation et la corruption semblent être le lot des sociétés humaines. Certaines en souffrent davantage, mais aucune n'en est véritablement épargnée. Si la présence d'une certaine part d'injustice peut nous sembler inévitable, elle est au moins surprenante à un point de vue. Au cours des dernières années, les sciences cognitives ont en effet montré que les humains étaient spontanément portés à la coopération et que celle-ci découlait de mécanismes cognitifs et affectifs universels. Comment alors expliquer qu'elle puisse échouer si souvent ? La raison que je propose est que la coopération a évolué dans un contexte social fort différent de celui dans lequel nous vivons aujourd'hui, celui de petits groupes de chasseurs-cueilleurs nomades, et que, pour l'étendre à un contexte plus large, nous devons nous appuyer sur des institutions qui ne peuvent qu'imparfaitement assurer le succès de nos interactions.Why cooperation does not always work out Trust, motivation and cognitive science Inequality, exploitation and corruption seem to be characteristic of human society. Some suffer more from these ills but none are completely spared. Even though injustice may seem inevitable it is nonetheless surprising from a certain point of view. This is because in recent years cognitive science has shown that humans are predisposed for cooperation and this is caused by universal cognitive and emotional mechanisms. How then can we explain that it fails so often? The explanation is that cooperation has evolved in a social milieu which is very different to that in which we live nowadays. Originally cooperation was adapted to life within small groups of nomadic hunter gatherers but, in order for it to be extended to larger groups, we have had to rely on institutions which can only ensure successful interactions imperfectly.
- Le scarabée conducteur - Stéphane Rennesson, Emmanuel Grimaud, Nicolas Césard p. 94-107 Comment des humains et des coléoptères, qui se caractérisent par des capacités perceptives, cognitives et motrices si différentes, parviennent-ils à coordonner leurs actions ? C'est à cette question que l'article répond en se penchant sur le cas des combats de scarabées (kwaang) en Thaïlande, dont le succès populaire repose sur une tentative de coopération improbable. Pour ce faire, il s'attache à décrire les différentes manières dont les joueurs établissent et entretiennent le contact avec leurs insectes. En s'appuyant sur une théorie de la communication élargie aux animaux, il montre comment, malgré l'impossibilité pour les deux espèces de partager des images mentales, des représentations ou encore de se retrouver autour de cadres d'attention conjointe, ils parviennent à coopérer sur la base d'un champ vibratoire, véhicule de signaux dont nul ne peut être certain des effets, ni même qu'ils peuvent être interprétés.The stag beetle conductor The game of kwaang, between vibration and cooperation How can humans and beetles coordinate their actions when their perceptual, cognitive and motor capacities are so different? The paper attempts to answer this question by looking at the case of stag beetle fights (kwaang) in Thailand whose popular success seems to depend on such an improbable form of cooperation. In order to do this the paper attempts to describe the different ways by which the players establish and maintain contact with their insects. Based on a theory of communication enlarged so as to take in animals, the paper shows how the two species are able to cooperate by means of a vibratory field which carries signals while no one can be certain of its effects or even whether it can be interpreted. This cooperation occurs in spite of the impossibility of the two species sharing mental images, representations or even establishing frameworks of shared attention.
- Et pourtant ils coopèrent… - Véronique Servais p. 108-129 Les biologistes du comportement ont des difficultés à expliquer l'évolution de la coopération entre non-apparentés dans un cadre strictement sélectionniste. Plutôt que de remettre en question ce paradigme, qui n'est pourtant qu'une vision partielle de la théorie de l'évolution, on ajoute des variables aux modèles, en supposant par exemple que les tricheurs sont détectés et punis. Pour notre part, à partir de l'analyse d'études sur la coopération chez les primates, nous insistons ici sur la difficulté à étudier la coopération en tant que comportement décontextualisé alors que, comme le montrent les réponses des singes aux tests qu'on leur propose, celle-ci s'inscrit dans des relations sociales et affectives qu'elle contribue en retour à définir. En définitive, nous plaidons pour une ouverture sérieuse de la primatologie aux sciences sociales afin de pouvoir envisager les primates, et notamment les grands singes, comme des acteurs pris dans des situations interactives, plutôt que comme des organismes exécutant des stratégies implémentées en eux par l'évolution.Nonetheless they do cooperate… A social sciences look at animal cooperation Behavioural biologist find it difficult to explain the evolution of cooperation among non kin from a strict natural selection point of view. Rather than questioning the paradigm itself, even though it only involves a part of the theory of evolution, they add variables to the theory as, for example, the fact that cheaters will be found out and punished. By contrast, on the basis of the studies of cooperation among primates, and in terms of the response of monkeys to the tests to which they are subjected, I stress how difficult it is to study cooperation among primates outside the social and emotional context which, in turn, it serves to define. Finally, I propose that primatology should be open to social science approaches when studying primates and more particularly the great apes, so that it considers them as actors in interactions rather than as organisms simply carrying out strategies which have been inscribed in them by evolution.
- Pourquoi coopérer - Joël Candau p. 4-25
Repères
- Un patrimoine culturel très discret : le cas des Manouches - Jean-Luc Poueyto p. 130-143 Les tentatives d'institutions européennes telles que le Conseil de l'Europe pour valoriser la culture des Tsiganes, afin de mieux protéger ceux-ci des nombreuses discriminations dont ils sont souvent victimes, se heurtent au fait qu'un tel patrimoine culturel est très difficile à identifier. À travers des observations faites auprès de familles manouches vivant dans les Pyrénées et portant sur l'habitat, la cuisine, la musique et la peinture, je montre que ce qui se transmet est plutôt un mode d'appropriation de l'environnement social, culturel, économique qui permet de transformer certains éléments relevant du domaine commun en singularités chargées d'un sens nouveau pour les personnes concernées. Cette priorité des processus de transmission sur des contenus ou des produits hérités correspond bien au concept de « patrimoine culturel immatériel », mais poussé à un tel point que tout projet de réification de la culture tsigane par des institutions devient impossible à réaliser.A very discreet cultural heritage : the case of the Manouches The attempts by European institutions to valorise Gipsy culture in order to protect them from the various forms of discrimination which they so often suffer comes up against the fact that their cultural inheritance is very difficult to identify. On the basis of observations of Manouche families living in the Pyrénées on housing, cooking, music and painting, I show that what is transmitted is rather a mode of appropriation of the social, cultural and economic environment which enables them to transform certain elements shared with the wider community by charging with new singular meanings by and for the people concerned. This privileging of modes of transmission over content or inherited products corresponds well with the notion of “immaterial cultural heritage” but it is developed in such a fundamental way that it escapes all the attempts at reification of Gipsy culture which the institutions are seeking.
- Le non-public et la culture - Cosmina Ghebaur p. 144-155 Des expositions photographiques sont organisées depuis 2004 sur les bords de Marne à Fleury-la-Rivière, dans le cadre d'un événement annuel : le Festival de l'Oh !, initié par le conseil général du Val-de-Marne. Ce nouveau mode d'exposition ne suffit pas pour attirer du « non-public ». Les représentations que les acteurs ont de la culture peuvent bloquer la rencontre avec les œuvres données à voir dans l'espace public. Cette enquête prend sa source dans une enquête en cours, sur le non-public et son rapport à la culture, enquête qualitative menée sur plusieurs « escales » du Festival de l'Oh ! L'article se limite au cas des migrants rencontrés dans les cités situées sur les hauts de Fleury.The non-public and culture A suburbian case study Photographic exhibitions are organized since 2004 on the banks of the river Marne at Fleury-la-Rivière within the context of an annual event —the Festival de l'Oh!, initiated by the conseil général of the Val-de-Marne. This type of exhibition does not succeed in attracting the “non-public”. The representations held by the people concerned can block their interaction with the works presented on such a public space. This study is part of an on-going general study of the non-public and its relation to culture. This is a qualitative study carried out in various “stops” of the Festival de l'Oh! The paper is only concerned with immigrants met in housing estates in the upper districts of Fleury.
- Un patrimoine culturel très discret : le cas des Manouches - Jean-Luc Poueyto p. 130-143