Contenu du sommaire : Les mondes des inventaires naturalistes *
Revue | Etudes rurales |
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Numéro | no 195, 2015 |
Titre du numéro | Les mondes des inventaires naturalistes * |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Hommage à Éva Kempinski - p. 4-10
Les mondes des inventaires naturalistes
- Les inventaires naturalistes : des pratiques aux modes de gouvernement : Introduction - Isabelle Arpin, Florian Charvolin, Agnès Fortier p. 11-26
- Décrire, nommer, ordonner : Enjeux et pratiques de l'inventaire botanique au XVIIIe siècle - Émilie-Anne Pépy p. 27-42 Au XVIIIe siècle, la multiplication des expéditions naturalistes à l'échelle de la planète permet d'enrichir considérablement les collections de plantes existantes. L'inventaire des espèces végétales européennes entre également dans une phase d'accélération grâce aux entreprises conjointes des savants et des amateurs locaux. La botanique se trouve à un tournant épistémologique ; les nouvelles découvertes stimulent les efforts d'élaboration théorique de systèmes classificatoires en même temps qu'elles favorisent l'enregistrement des données au moyen de différents supports et techniques qui participent de la culture matérielle naturaliste.As the eighteenth-century world was disputed between rival empires, European naturalists were competing to bring back useful knowledge of the natural world from their increasingly frequent expeditions. At the same time, many natural environments in Europe were being investigated by scientists and nature enthusiasts. Naturalistic collections were being enhanced by substantial amounts of material or virtual data. Books on botany boomed, with a hundred titles published worldwide, which included botanical art. Therefore, botanists had to deal with a massive amount of newly-discovered plant species and turn their attention to a proper method of classification.
- La loutre d'europe (Lutra lutra) : Observations profanes et données normalisées. De l'inventaire naturaliste - Corinne Beck, Elisabeth Rémy p. 43-58 En prenant appui sur la loutre d'Europe, cet article propose une analyse socio-historique de la construction des savoirs naturalistes face aux savoirs anciens et aux observations profanes contemporaines, pareillement disqualifiés par le champ de connaissance reconnu sur la loutre. Il s'agit de comprendre ce qui se joue entre la fabrique de l'inventaire et son « extérieur ». La démarche méthodologique adoptée permet de connaître le comportement de la loutre et son mode de vie sans passer par le calibrage et la normalisation des données que suppose la pratique d'inventaire. Les qualificatifs habituellement attribués à l'animal (« rare », « discret », etc.) ne sont-ils pas le résultat d'une autre histoire : celle de son adaptation incessante aux conditions écologiques et humaines ?Using the case of the European otter, this methodological article proposes a socio-historical analysis of the construction of naturalist knowledge as opposed to traditional knowledge and to contemporary lay observations, likewise disqualified by the recognized field of knowledge on otters. It sheds light on the relations between producing an inventory and its external environment. The calibration and standardization of the inventory data make it possible to gain a full grasp of all the otter's possible behaviours. Are not the characteristics usually attributed to the animal (rare, discreet, etc.) also the result of another history, that of its constant adaptation to ecological and human conditions?
- La naturalisation de la côte Aquitaine : Terre de mission pour l'administration et les naturalistes (1964-1969) - Florian Charvolin p. 59-78 En 1966, le haut fonctionnaire Philippe Saint-Marc est choisi par Olivier Guichard, le délégué à l'Aménagement du territoire et à l'Action régionale, pour mettre en œuvre une « mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine » (MIACA). Philippe Saint-Marc fait appel au Service de conservation de la nature du Muséum national d'histoire naturelle pour collecter des données sur une portion de territoire délimitée : l'arrière-pays aquitain caractérisé par la présence de nombreux étangs et marais. Sur ce site se côtoient ainsi une logique d'aménagement public et une logique d'exploration naturaliste. L'article décrit la première phase de cette « mission » (de 1964 à 1969), qui est aussi celle du début des inventaires publics au Muséum. « L'esprit de mission », dans ce cas précis, renvoie autant à un modèle administratif qu'à l'improvisation de protocoles de recueil de données naturalistes.In 1966, the senior official Philippe Saint-Marc was selected by Olivier Guichard, the government delegate for territory planning and regional action, to implement an “inter-ministerial assignment for developing the Aquitaine coast.” Saint-Marc called upon the conservation services of the National Museum of Natural History to collect data on a specific part of the territory – the Aquitaine hinterland, characterized by its abundance of ponds and marshlands. In this area one finds side by side the logic of public development and the logic of naturalistic exploration. This article describes the first phase of the mission from 1964 to 1969, which also marks the beginning of public inventories compiled by the museum. “The spirit of the mission” in this specific case, refers as much to the administrative model as to improvising protocols in order to gather naturalist data.
- Le lancement de l'inventaire des ZNIEFF - Henri Jaffeux p. 79-88
- Inventaires naturalistes et rééducation de l'attention : Le cas des jardiniers de Grenoble - Isabelle Arpin, Coralie Mounet, David Geoffroy p. 89-108 À partir d'une enquête de terrain portant sur les espaces verts de la ville de Grenoble, les auteurs montrent que l'introduction des inventaires naturalistes en milieu urbain constitue une technologie d'éducation de l'attention qui participe à un changement de « régime de perception ». Traités jusqu'alors pour ressembler à des « natures mortes », ces espaces verts ont été progressivement appréhendés comme des écosystèmes où se niche une biodiversité à découvrir et à préserver. Ce passage repose sur un processus d'éducation de l'attention des jardiniers qui les amène à voir un éventail croissant d'êtres et à voir autrement ce qu'ils avaient appris à regarder d'une certaine manière. Cette évolution repose aussi sur la constitution de nouveaux collectifs : l'établissement de liens avec des spécialistes extérieurs ; la désignation, au sein du service des espaces verts, de « référents » ; la fourniture d'un équipement textuel (guides, planches et fiches d'identification) et technique (filets à papillons, boîtes, etc.) ; sans oublier l'arrivée de nouvelles espèces animales et végétales.Using a field study on green space in the city of Grenoble, the authors show that the introduction of naturalist inventories in the urban environment constitute a technology of education that participates in a change in “the system of perception.” Previously treated as resembling “nature morte” (“dead nature,” the French term for “still life” in art), these green spaces were progressively seen as ecosystems where biodiversity was burrowed, waiting to be discovered and preserved. This shift is based on a process of educating the attention of gardeners, which revealed a growing range of beings and a way of seeing in a new manner what they had been used to seeing differently. This evolution was also based on the constitution of new collectives – the establishment of links with external specialists, the designation of “referents” within the services maintaining the green spaces, the supply of equipment both textual (guides, charts, and identification cards) and technical (butterfly nets, boxes, etc.), along with the arrival of new species of animals and plants.
- L'observatoire agricole de la biodiversité : Vers un ré-ancrage des pratiques dans leur milieu - Suzie Deschamps, Elise Demeulenaere p. 109-126 Créé en 2010 sous l'égide du Ministère de l'agriculture, l'Observatoire Agricole de la Biodiversité (OAB) propose un suivi de la biodiversité en milieu agricole dont les données sont renseignées par des agriculteurs volontaires. Après avoir décrit la généalogie de ce dispositif, cet article en analyse les appropriations locales. La participation à l'OAB suscite chez les agriculteurs des expériences d'observation du vivant, qui contribuent à recréer des « prises » sur leur environnement de travail ; elle accompagne la reconfiguration des relations professionnelles, notamment entre agriculteurs et conseillers. En définitive, l'OAB participe au ré-ancrage des pratiques agricoles dans leur milieu, accompagnant ainsi l'évolution actuelle des paradigmes agricoles – de l'artificialisation au pilotage de la nature.Created in 2010 under the aegis of the Ministry of Agriculture, the “Agricultural Biodiversity Observatory” (ABO) carries out biodiversity monitoring in agricultural areas whose data are provided by a network of volunteer farmers. It stems from the convergence between a farming world seeking to take over leadership on environmental issues, a concept of biodiversity now redesigned in its functional dimension, and the booming of participatory ecology. This article analyzes the local appropriation of this “citizen science” program. Participating in the ABO enables the agricultural sector to position itself vis-à-vis environmental issues. It helps farmers re-establish experiences of nature and its processes as well as expertize the state of their farmland. It also supports the reconfiguration of professional relations, especially between farmers and extension services. The ABO helps farmers re-anchor farming practices in the environment. This is particularly opportune at this moment when agricultural paradigms are moving from artificialization to the stewardship of nature.
- Les données naturalistes à l'épreuve de la transparence - Pierre Alphandery, Agnès Fortier p. 127-144 La conservation de la biodiversité relève d'un savoir globalisé élaboré à partir de la mise en connexion de connaissances dispersées dans des banques de données. Prenant appui sur la mise en œuvre, en France, du Système d'information sur la nature et les paysages (SINP) créé à l'initiative du ministère de l'Écologie, les auteurs mobilisent la notion de transparence pour analyser le passage d'une production artisanale et localisée de données au monde globalisé des big data. Après avoir montré que les données naturalistes, essentiellement produites au sein d'associations privées reconnues d'utilité publique, sont « encastrées » dans un territoire et des rapports sociaux, ils voient dans la dynamique du SINP un processus de normalisation et de délocalisation qui vise à « désencastrer » les données de leur contexte. Craignant d'être dépossédées de leurs données, les associations naturalistes développent diverses stratégies de contrôle d'accès aux données, revendiquant par là même leur aptitude particulière à exercer une vigilance durable sur leur territoire.The preservation of biodiversity necessitates global knowledge attained by connecting pieces of information that have been dispersed in the multiple data banks around the world. Starting with the implementation of the Système d'information sur la nature et les paysages (Information System about Nature and Landscapes, the SINP) created at the initiative of the Ministry of Ecology, the authors have put the notion of transparency into action in order to analyze the passage from the artisanal and specifically local production of naturalist data to the globalized world of big data. They point out firstly that naturalists' data – collected from associations whose public interest has been recognized – are “embedded” in the territory along with its social bonds. They go on to speak about how, in the dynamic of the SINP, there is a process of standardizing and uprooting the data as it is removed from its context. Thus the local associations, in fear of being dispossessed of their data, have developed diverse strategies to control access to them, likewise insisting on their particular skill at maintaining a sustainable vigilance on their own territory.
- « La planète revisitée » : Fabriquer un nouveau mode d'inventaires globaux ? - David Dumoulin Kervran, Elsa Faugère p. 145-164 « La Planète Revisitée » est le nom d'un programme d'inventaires naturalistes, organisé depuis 2006 par le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris et l'ONG Pro-Natura International. S'agit-il de réitérer une aventure ou d'accomplir ce qui n'a jamais été fait ? En nous appuyant sur des enquêtes ethnographiques et sociologiques, nous analysons le type de transaction que les entrepreneurs-organisateurs des expéditions expérimentent avec trois types d'acteurs : les institutions scientifiques, les mécènes et les médias et enfin les États. Nous montrons ainsi comment cette question de la nouveauté renvoie à une discussion générale sur la transformation des rapports Nord-Sud et des régimes de production scientifique.
“Our Planet Revisited” is the name of a series of naturalist inventories, organized by the National Museum of Natural History of Paris and the NGO Pro-Natura International since 2006. Is it about reiterating a previous naturalist adventure or is it about inventing something new? Drawing on our ethnographic fieldwork, we have characterized the kind of transactions that the expeditions' entrepreneurs-organizers experimented with actors of scientific institutions, private funders and media, and governments. In our examination, we show how this question of innovation refers to a more general discussion about the transformation of North-South relationships and of the modes of scientific production.
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 165-187