Contenu du sommaire : Langues d'Islam (XIe-XVe siècle)
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 70, no 3, septembre 2015 |
Titre du numéro | Langues d'Islam (XIe-XVe siècle) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Langues d'Islam (XIe-XVe siècle)
- Langues d'Islam et sociétés médiévales - Benoît Grévin p. 563-576
- Le berbère au Moyen Âge. : Une culture linguistique en cours de reconstitution - Mehdi Ghouirgate p. 577-606 Si dans la vulgate de l'histoire de l'Occident musulman médiéval les Berbères apparaissent comme une composante majeure tant sur le plan politique que militaire, il n'en va pas de même de leurs langues. Cet article se propose de revenir sur cette lacune en appréhendant la question de l'islamisation et de l'étatisation des sociétés du Maghreb sous les empires almoravide et almohade à travers le prisme de la langue berbère. En effet, contrairement à l'Orient qui vit quasiment disparaître les langues autochtones copte et syriaque, peu de Maghrébins étaient capables de lire et de parler l'arabe avant les XIIe et XIIIe siècles. Or le berbère servit de support à l'islamisation non seulement au Maghreb mais également en Afrique subsaharienne et fut à ce titre couché par écrit. Toujours dans la même logique, les Almohades se dotèrent d'une langue sacrée propre qui était la langue berbère des Maṣmūda à laquelle ils agrégèrent bon nombre de termes arabes, essentiellement puisés dans le champ lexical religieux. Cette langue en vertu d'une tradition prophétique (ḥadith) ne fut pas appelée « langue berbère » mais « langue occidentale » ; les Almohades-Berbères cherchaient ainsi à se doter d'un idiome qui soit l'expression du message sacré.Received accounts of the history of the western Muslim world portray the Berbers as an important military and political force, but pay little attention to their languages. This article attempts to redress this omission by using the Berber language to revisit the question of the islamization and the establishment of state control in western North Africa under the Almoravid and Almohad empires. In contrast to the Middle East, where the indigenous Coptic and Syriac languages virtually disappeared, few inhabitants of the Maghreb were able to read or speak Arabic before the twelfth or thirteenth century. Berber was thus the medium of islamization not only in the Maghreb but also in sub-Saharan Africa, a process in which the written language played an important part. Following a similar logic, the Almohads developed their own sacred language, essentially the Berber of the Maṣmūda with the addition of a significant number of Arabic words drawn predominantly from religious vocabulary. In accordance with a prophetic tradition (ḥadith), this language was not called “Berber” but “the language of the west.” The Almohad-Berbers thus sought to develop a dialect that was the expression of the sacred message.
- De Damas à Urbino : Les savoirs linguistiques arabes dans l'Italie renaissante (1370-1520) - Benoît Grévin p. 607-636 L'Italie renaissante (1370-1520) offre un champ d'exploration privilégié pour poser à nouveaux frais la question de la circulation des connaissances arabes et portant sur l'arabe dans l'espace méditerranéen, à l'intersection du Dār al-Islām et de l'Europe latine. Une approche inspirée de la sociolinguistique et combinant histoire des réseaux marchands, curiaux et communautaires et étude des témoignages textuels permet de dépasser les clivages traditionnels pour reconstituer les contours de cultures multiples, en perpétuelle évolution. Les « arabes italiens » de la Renaissance sont en effet alimentés aussi bien par les réseaux marchands italiens dans le monde arabe que par les pratiques linguistiques des communautés juives péninsulaires et, surtout, siciliennes. Les connaissances de tous ordres ainsi accumulées trouvent des débouchés originaux dans les cours du Quattrocento, intéressées à des stratégies de déploiement de savoirs linguistiques exotiques, sans pour autant être pérennisées au travers d'un enseignement orientaliste encore à venir.Renaissance Italy offers an ideal vantage point from which to reexamine the circulation of Arabic (whether as first-hand knowledge or second-hand familiarity) throughout the space of the Mediterranean, at the juncture between the Dār al-Islām and Latin Europe. An approach inspired by sociolinguistics, combined with an investigation of mercantile, community, and court networks and a study of textual sources allows us to move beyond traditional historiographical divisions and to map the outlines of multiple linguistic cultures that were constantly evolving. The development of these “Italian Arabics” was not only a consequence of the contacts between the Arab world and various Italian mercantile networks during the Renaissance period. It also depended on the linguistic culture of the Jewish communities that were based in the Peninsula and above all in Sicily. The multifaceted knowledge that emerged came to be prized in certain Italian courts of the Quattrocento, which developed a keen interest in the propagandistic exhibition of exotic languages. This nascent cultural dynamic did not, however, acquire a stable foundation during this period: an academic European Orientalism was yet to come.
- La grammaire du monde : Langues et pouvoir en Arabie occidentale à l'âge mongol - Éric Vallet p. 637-666 Cette étude traite de l'un des textes les plus emblématiques du plurilinguisme qui s'épanouit dans l'Orient islamique à l'âge mongol, un glossaire en six langues connu sous le nom d'Hexaglotte rassoulide. La découverte du préambule inédit de ce document invite à le replacer dans le cadre plus vaste des activités savantes du « roi grammairien » et sultan du Yémen al-Afḍal (1363-1377) et à explorer les différentes dimensions idéologiques de cette tentative d'ordonner le monde par le recours aux sciences du langage. L'article invite plus largement à reconsidérer la place de l'Arabie occidentale dans les mutations culturelles de l'Islam entre le XIIIe et le XVe siècle.This study is a reexamination of the Rasulid Hexaglot, one of the most emblematic texts of the multilingualism that flourished in the Islamic East during the Mongol Age. The discovery of a previously unknown preface to this six-language glossary invites historians to resituate it in the wider context of the scholarly activities of al-Afḍal, “grammarian-king” and Sultan of Yemen (1363-1377). It also brings to light several ideological dimensions of this attempt to order the world through the use of linguistics. More widely, the article calls for a reconsideration of the place of western Arabia in the cultural transformation of the Islamic world from the thirteenth to the fifteenth century.
Généalogies scolastiques
- L'histoire médiévale de la raison philosophique moderne (XVIIIe-XIXe siècles) - Catherine König-Pralong p. 667-712 L'histoire de la philosophie qui s'établit comme discipline académique aux XVIIIe et XIXe siècles narre l'histoire de la raison philosophique de l'Antiquité à son achèvement moderne. À l'âge qui s'est dit « moderne », cette historicisation de la raison procède d'une rationalisation de l'histoire de la philosophie, qui vise à légitimer la supériorité de la modernité européenne sur les autres cultures, notamment arabe, chinoise et africaine. À partir de 1780, les historiens de la philosophie et de la culture démarquent en effet la rationalité (indo-)européenne des cultures sémitiques. La raison européenne est caractérisée par une composante philosophique de nature « grecque » et par une culture chrétienne dont les racines sont découvertes durant le Moyen Âge. Dans cette construction, le Moyen Âge et les Arabes occupent des places centrales. Le Moyen Âge est en effet le lieu historiographique de l'acculturation chrétienne de la philosophie grecque. « Peuple sémitique », les Arabes se voient quant à eux dénier toute forme de rationalité scientifique ou philosophique, bien que la destinée de la philosophie grecque fût arabe avant d'être latine, au Moyen Âge précisément.The history of philosophy, established as an academic discipline in the eighteenth and nineteenth centuries, traces philosophical reason from its origins in antiquity to its consummation in modernity. Allying itself with the self-proclaimed “modern era,” this historicization of reason was based on a rationalization of the history of philosophy, aiming to legitimize the superiority of European modernity over other cultures, notably those of the Arab world, China, and Africa. From 1780 onwards, historians of philosophy and historians of culture distinguished (Indo-)European rationality from the “Semitic” cultures. European reason was defined by its “Greek” philosophical component and by a Christian culture with its roots in the Middle Ages. The Middle Ages and the Arab world occupied a central place in this construction. The medieval period represented the historiographical locus of the Christianization of Greek philosophy. On the other hand, as a “Semitic folk,” Arabic peoples were denied any kind of scientific or philosophical rationality, despite the fact that the heritage of Greek philosophy passed through the Arab world before it arrived in the Latin west—and this precisely during the Middle Ages.
- Les débats médiévaux sur la foi volontaire et la généalogie de l'individualisme moderne - Aurélien Robert p. 713-724 Est-il possible de vouloir croire en quelque chose ? Si le débat qui opposa William James et William Clifford est bien connu et continue d'alimenter la réflexion contemporaine, la question de la foi volontaire n'est toutefois pas nouvelle. Deux livres récents, l'un dirigé par Laurent Jaffro, Croit-on comme on veut ? Histoire d'une controverse, et l'autre de Christophe Grellard, De la certitude volontaire. Débats nominalistes sur la foi à la fin du Moyen Âge, proposent une généalogie de ces débats sur la foi volontaire depuis Augustin jusqu'à certains nominalistes du XVIe siècle, en insistant sur le tournant imposé par Guillaume d'Ockham au début du XIVe siècle. Quel rôle ont pu jouer ces débats médiévaux sur la foi dans l'émergence de la modernité et, plus précisément, dans l'avènement de l'individualisme ? Pour y répondre, nous confrontons dans cet article les dernières recherches en histoire de la philosophie médiévale avec les lectures de la modernité esquissées jadis par Michel de Certeau et Louis Dumont.Is it possible to will oneself to believe in something? While the debate that opposed William James to William Clifford is well known and continues to fuel modern discussions, the subject of voluntary faith is not a new one. Two recent publications—Laurent Jaffro, Croit-on comme on veut? Histoire d'une controverse, and Christophe Grellard, De la certitude volontaire. Débats nominalistes sur la foi à la fin du Moyen Âge—offer a genealogy of these debates from Saint Augustine to certain fifteenth-century nominalist thinkers, both insisting on the importance of the fourteenth-century philosopher William of Ockham. What role did these medieval debates about belief play in the emergence of modernity, and more particularly individualism? To explore this question, this article brings together recent research in the history of medieval philosophy and the interpretations of modernity proposed by Michel de Certeau and Louis Dumont.
- L'équilibre dynamique au Moyen Âge central : Sur la notion de modèle en histoire - Alain Boureau p. 725-738 Le livre de Joel Kaye, A History of Balance, 1250-1375, offre une avancée sur les notions de mentalités et de représentations. L'auteur repère et analyse, chez les acteurs de l'histoire entre 1250 et 1375, ce qu'il construit comme un modèle, en désignant ainsi la notion assumée d'équilibre dynamique et autonome : les éléments du réel se règlent constamment pour atteindre une position médiane de stabilité. Les cas du livre portent sur l'histoire de l'économie, de la médecine et de la philosophie naturelle. Leur sont adjointes des illustrations propres à la théologie (sur les indulgences) et à l'éthique (sur les restitutions).Joel Kaye's book, A History of Balance, 1250-1375, marks a step forward in our understanding of mentalities and representations. The author identifies and analyses an assumption or “model” common to historical agents between 1250 and 1375. He defines this model as a dynamic and autonomous equilibrium: the diverse elements of reality constantly regulate themselves in order to maintain a median position of stability. The examples presented in Kaye's book touch on the history of economics, of medicine, and of natural philosophy, together with illustrations specifically pertaining to theology (about indulgences) and ethics (about restitutions).
- L'histoire médiévale de la raison philosophique moderne (XVIIIe-XIXe siècles) - Catherine König-Pralong p. 667-712
Histoire intellectuelle
- Comptes rendus - p. 739-808