Contenu du sommaire : Spécial Polynésie Française
Revue | Journal de la Société des Océanistes |
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Numéro | no 119, 2004 |
Titre du numéro | Spécial Polynésie Française |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation : Spécial Polynésie française - p. 113-118
Dossier Polynésie française, atouts et handicaps
- Dire l'autochtonie à Tahiti - Bruno Saura p. 119-137 Le présent article part du constat de la généralisation à Tahiti, depuis les années 1980, de l'emploi du terme mā'ohi par les Polynésiens pour s'autodésigner. Loin des discours identitaires contemporains qui voient dans le terme mā'ohi l'expression d'une autochtonie intrinsèquement porteuse de dignité, certaines personnes âgées jugent impropre l'emploi de ce qualificatif au sujet de l'homme ; elles ne l'estiment approprié qu'aux plantes et aux animaux. Cette opposition témoigne d'un conflit de représentations relatives à la terre, louée chez les nationalistes d'aujourd'hui mais parfois perçue, à l'inverse, sous l'angle de la souillure par certains anciens polynésiens. Une analyse linguistique comparative du terme mā'ohi montre par ailleurs que ce terme ne véhicule pas fondamentalement l'idée de pureté ou de dignité, même s'il apparaît, dans d'autres îles polynésiennes, souvent appliqué à l'homme.This article is based on the observed generalization in Tahiti, since the 1980's, of the use of the term mā'ohi by Polynesians to refer to themselves. Some older people believe the term inappropriate to designate mankind, and reserve it for plants and animals. This is in opposition to contemporary identity speeches which see in the term mā'ohi the expression of an indigenous behaviour intrinsically conveying a notion of dignity. This opposition attests to a conflict of representations relating to earth: on the one hand, that praised by contemporary nationalists, but on the other hand, that sometimes perceived by elder Polynesians as tainted. Moreover a comparative linguistic analysis of the term mā'ohi shows that it doesn't systematically convey the idea of purity or dignity even if it is often used in other Polynesian islands to designate mankind.
- Les langues polynésiennes : obstacles et atouts - Edgar Tetahiotupa p. 139-153 Alors que la Polynésie française pouvait espérer être à la pointe de l'enseignement des langues autochtones dans le Pacifique, on se rend compte qu'à l'école primaire, trente ans après les premières expériences, cet enseignement est resté quasiment au même stade. Et pourtant, des actions en faveur des langues polynésiennes se multiplient (concours de littératures écrite et orale ; enseignement en primaire, en secondaire et à l'université ; organisation d'une journée sur les langues polynésiennes...). Cet article tente de relever les obstacles au développement des langues polynésiennes et de comprendre la persistance de ces obstacles. Il essaie de montrer l'intérêt tout particulier de préserver et d'enseigner ces langues.While French Polynesia is thought to be particularly advanced when it comes to teaching native languages in the Pacific, we realize that thirty years after the first experiments took place, teaching has not evolved in primary schools. And yet, more and more actions promote Polynesian languages: written and oral literary contests; teaching those native languages in primary schools, in secondary schools and at the university; the organization of a day dedicated to Polynesian languages and so on. This article tries to note down all the obstacles in the development of Polynesian languages and to determine why the obstacles persist. It shows our particular interest to preserve and teach these languages.
- Enjeu d'une pensée métisse : déstructuration ou dialectique ? - Bernard Rigo p. 155-162 Les cultures polynésiennes ont d'abord eu à lutter pour être reconnues dans leur existence. Cette reconnaissance acquise, se pose désormais la question de la connaissance, dégagée de toute idéologie culturaliste ou universaliste. La question du syncrétisme devient alors une question majeure qui se heurte à des obstacles épistémologiques forts, notamment l'occultation de la nécessaire continuité entre les convictions d'hier et celles d'aujourd'hui.Polynesian cultures first had to struggle to be accepted by Westerners. This recognition having been acquired, the question of knowledge, free from any universalist ideology and any philosophy considering cultural interpenetration as essential in the formation of a society remains. The question of syncretism then becomes a major issue which comes up against strong epistemological obstacles, in particular the eclipse of the necessary continuation between past and present beliefs.
- Le pentecôtisme en Polynésie française : innovations religieuses et dynamiques du changement socioculturel - Yannick Fer p. 163-170 Alors que l'expansion du christianisme en Océanie — en particulier la « seconde vague » d'Églises de professants militants qui viennent contester des Églises anciennes devenues « traditionnelles » — est encore fréquemment analysée en termes de « contact fatal » ou d'acculturation, l'histoire du pentecôtisme en Polynésie française met à jour des dynamiques bien plus complexes et ambivalentes. D'abord perçu comme une religion étrangère (ou « secte », fa'aro'e'e¯) du fait de son implantation au sein de la communauté chinoise, il a en effet donné naissance à une Église transculturelle — les assemblées de Dieu de Polynésie française — qui apparaît moins comme un facteur d'occidentalisation que comme un révélateur de dynamiques socioculturelles ni tout à fait « exogènes », ni exclusivement « endogènes » : pluralisation des identités, autonomisation tendancielle des individus vis-à-vis des obligations familiales et communautaires. Certains courants du pentecôtisme, porteurs d'un credo plus libéral que les assemblées de Dieu, se sont même engagés dans des formes de militantisme culturel ma¯'ohi, s'inscrivant ainsi dans un processus plus vaste qui fait glisser l'identité culturelle du registre de l'héritage obligé à celui de la réappropriation volontaire.Whereas the expansion of Christianity in Oceania — especially the «second wave» of professing militants' Churches who contest the old Churches which became «traditional» — is still often analysed in terms of «deadly contact» or acculturation, the story of Pentecostalism in French Polynesia brings to light far more complex and ambivalent dynamics. First seen as a foreign religion (or «sect», fa'aro'e'e¯) owing to its presence in the Chinese community, it has in fact given birth to a cross-cultural Church — the God assemblies of French Polynesia — which appears less as a factor of westernisation than as an enlightener of socio-cultural dynamics, neither totally «exogenous», nor exclusively «endogenous»: the development of a plurating of identities a tendency for individuals to become autonomous from family and community obligations. Some movements of Pentecostalism, carrying a more liberal Creed than the one of God assemblies, even joined some forms of ma¯'ohi cultural militancy, thus getting enrolled in a wider process which makes the cultural identity slip from the compulsory heritage area to the one of voluntary re-appropriation.
- L'artisanat traditionnel en Polynésie française : de l'économie touristique à l'élaboration des identités insulaires - Olivier Ginolin p. 172-184 Depuis deux décennies, les pouvoirs publics de la Polynésie française ne cessent d'exercer leurs efforts pour développer le tourisme à Tahiti comme dans les archipels. Avec la construction de structures d'accueil de luxe, les visiteurs sans cesse plus nombreux ont à leur tour généré une forte demande d'activités folkloriques de toutes sortes. Parmi celles-ci, l'une est particulièrement révélatrice des dynamiques qui traversent la société polynésienne contemporaine ; l'artisanat traditionnel. Longtemps resté un secteur économique marginal jusqu'au début des années 1980, celui-ci s'est considérablement développé depuis, sortant de la sphère domestique, pour devenir en peu de temps, un enjeu économique majeur pour près de dix milles artisans recensés à ce jour sur l'ensemble du territoire. Parallèlement au renforcement du marché artisanal en direction des touristes, la Polynésie connaît, depuis l'autonomie du territoire, une politique culturelle volontariste qui tend à patrimonialiser certaines activités redéfinies comme traditionnelles. L'artisanat traditionnel renaissant sera dès lors lui aussi considéré comme activité culturelle à part entière. À ce titre, l'activité artisanale acquiert un nouveau statut social, à la croisé d'une double dynamique sociétale : l'une, exogène et économique, générée en partie par la demande touristique et, l'autre, endogène et culturelle, qui attribue aux objets artisanaux de nouvelles prérogatives, véhiculant de nouvelles valeurs, comme autant de lieux d'expression des identités insulaires en cours d'élaboration.For two decades, French Polynesia's authorities continually concentrated their efforts on the development of tourism in Tahiti as well as in the archipelagos. With the construction of luxury reception facilities, the constantly rising number of visitors have created a great demand of folk activities of all kinds. Among them, one is revealing particularly well the dynamics that go through the contemporaneous Polynesian society: the traditional craft industry. For a long time it remained a marginal economic sector and this until the beginning of the 1980's, it has since then significantly developed, getting out of the domestic sphere to become, in a short time, a major economic concern for the nearly 10 000 artisans registered on the whole territory. Parallel to the rise of this new market of curios, since the autonomy of the Territory, Polynesia experiences a voluntarist cultural policy that tends to include in the territory's patrimony some activities that have been redefined as traditional. The recovering traditional craft industry will from then on be considered as full cultural activity. The traditional craft industry has become in a few years the epicentre of the connection between two dynamics: one, exogenous and economic, partly generated by the tourists' demand and a second one, endogenous and cultural, that grants to craft items new prerogatives, conveying new values, as well as an expression of the emerging insular identities.
- L'écotourisme terrestre en Polynésie française : Vers un renouveau touristique culturel ? - Jean-Marc Salducci p. 185-187 Le birdwatching au secours du tourisme local ? De tels propos pourraient prêter à sourire, si la Polynésie française n'attirait pas déjà des birdwatchers du monde entier, alors qu'elle ne dispose encore d'aucune structure pour les accueillir. Portrait d'une activité potentielle, certes marginale, mais qui pourrait concourir au développement et à la diversification d'un écotourisme exagérément orienté vers le milieu maritime.Can birdwatching help local tourism? Such remarks could rise a smile if French Polynesia didn't already attract birdwatchers from the whole world even if it doesn't have any reception facilities yet. This article presents a picture of a potential but certainly marginal activity, which could work towards the expansion and diversification of an ecotourism excessively turned towards the maritime environment.
- L'aéroport à Raivavae (Australes) : développement économique, migrations et identités - Gwendoline Malogne-Fer p. 189-199 La construction d'aéroports comme celui de Raivavae (îles Australes) s'inscrit dans une politique de désenclavement des îles éloignées, en vue d'un développement « durable et équilibré ». Il vise aussi à combler un « écart », notion qui repose à la fois sur des critères objectifs — niveau de revenus monétaires, exportations agricoles, infrastructures — et sur une représentation idéalisée des îles dites « traditionnelles », que la modernité n'aurait pas encore atteintes. Dès lors, la décision prise en 1997 d'ouvrir un aéroport à Raivavae cristallise deux aspirations contradictoires : d'un côté, la préservation d'un environnement et d'une identité culturelle patrimonialisées ; de l'autre, la diffusion du progrès jusqu'aux îles lointaines. Les Raivavae qui ont émigré à Tahiti sont particulièrement sensibles à cette contradiction. S'ils se réjouissent de la possibilité qui leur est désormais offerte de retourner plus facilement dans leur île (alors que beaucoup ne l'ont plus revue depuis des décennies), ils s'inquiètent aussi de la dénaturation probable d'un mode de vie et d'une terre qui, dans leur mémoire, reste comme un espace hors du temps, miraculeusement préservé des évolutions auxquelles eux-mêmes se sont habitués, depuis qu'ils vivent à Tahiti.The erection of airports such as that at Raivavae (South Sea islands) is part of a policy geared towards opening up the outlying islands and planning a ‘‘lasting and well-balanced'' development. It also aims to fill a ‘‘gap'', a notion that is based on unbiased criteria — monetary incomes, agricultural export, infrastructures — as well as on an idealized representation of the so-called ‘‘traditional'' islands that modernity has not reached. The decision taken in 1997 to open an airport in Raivavae crystallizes contradictory aspirations : on the one hand, the preservation of the environment and of a cultural identity belonging to the island's heritage and on the other the spreading of progress to the outlying islands. The natives of Raivavae who have moved to Tahiti are particularly sensitive to this contradiction. If they are delighted about the possibility of going back to their island easily (whereas many of them haven't seen it again in decades), they are also worried about the probable distortion of a way of living and of a land (fenua), which in their memories, remains a place out of time, miraculously saved from the evolutions they themselves have gotten used to since moving to Tahiti.
- La précarité économique, politique et institutionnelle de la Polynésie française : menaces et engouements au paradis terrestre - Jean-Marc Regnault p. 201-210 Lorsqu'on vit dans un lieu qui est une nouvelle Cythère, il est difficile de ne pas craindre une brutale sortie du rêve. Vivre si heureux alors que le monde va si mal, est sans doute incongru. Se créer des peurs devient alors, soit une façon de se dédouaner vis-à-vis de ce monde de connaître la félicité, soit une façon de se convaincre que, finalement, l'on mérite ce Paradis. Régulièrement des rumeurs annoncent la fin du paradis terrestre et paradoxalement, il continue à attirer et envoûter. Les mannes qui s'y déversent régulièrement et sans véritable hiatus finissent par rassurer et rendre optimiste. Le paradis terrestre existerait-il donc vraiment ?When you are living in a place which is a new Cythera, it is difficult not to fear a violent awakening. It is probably unseemly to live so happily when the world is in such bad condition. Imagining fears becomes a way to disclaim all responsibility in this world, to discover bliss or a way to convince yourself that in the end, you deserve this Paradise. Rumours regularly foretell the end of the Garden of Eden and paradoxically it keeps on attracting and bewitching. The godsends that pour out steadily and with no real hiatus end up reassuring people and making them optimistic. Could the garden of Eden really exist then ?
- Le développement en question en Polynésie française - Christian Ghasarian, Tamatoa Bambridge, Philippe Geslin p. 211-222 Le cas de la Polynésie française est tout particulièrement approprié pour appréhender par le biais du regard anthropologique les conceptions divergentes du développement. Un dilemme souvent rencontré par les responsables locaux, notamment dans les îles, est en effet de concilier le développement au sens occidental avec la logique collective très marquée en Polynésie. Or, un véritable développement ne peut pas faire l'économie de penser les concepts utilisés. Cet article pointe la dimension culturelle en jeu dans les questions de développement en Polynésie française, notamment les conceptions mòhi du temps, de l''espace, de la nature et de la collectivité, et propose quelques pistes de réflexion sur leur nécessaire prise en compte dans les politiques culturelles du développement local.The case of French Polynesia is particularly adapted to apprehend through an anthropological approach the divergent conceptions of development. A dilemma often met by the local persons in charge, in particular in the islands, is indeed to reconcile the western ideas of development with the collective logic very important in Polynesia. However, a true development cannot avoid to think the concepts used. This article points cultural dimension underlying the issue of development in French Polynesia, in particular the mòhi ma'ohri views of time, space, nature and the community. It also offers some directions of reflexionreflexion to take into account when deciding the cultural policies of the local development.
- La Polynésie française pourra-t-elle demeurer un pays heureux ? - Mgr Hubert Coppenrath p. 223-228 On ne devrait pouvoir parler de développement humain que lorsque les hommes grandissent en humanité et qu'ils deviennent plus épanouis et plus satisfaits des relations qu'ils ont avec les autres hommes. Un tel développement a donc deux composantes : l'une individuelle et l'autre sociale. Quelles sont les chances d'un tel développement en Polynésie française ?We should not talk about human development until mankind grows in humanity and becomes more fulfilled and more satisfied with the relationship it has with other men. Such a development is made of two componens: one is personal and the other social. What are the chances of such a development in French Polynesia?
- Dire l'autochtonie à Tahiti - Bruno Saura p. 119-137
Miscellanées
- Ethnographie préhistorique d'une « société à maisons » dans la vallée de 'Opunohu (Mo'orea, îles de la Société) - Jennifer G. Kahn, Patrick V. Kirch p. 229-256 Cet article concerne les résultats d'une étude archéologique de structures d'habitat (maisonnées) entrepris dans la vallée de 'Opunohu à Mo'orea (îles de la Société, Polynésie française). Nous y appliquons le concept de « sociétés à maisons » de Claude Lévi- Strauss qui permet d'interpréter sans toutes leurs nuances les complexités de l'organisation sociale dans cette chefferie, avant l'arrivée des Européens. La fouille minutieuse d'un hameau daté de la période préhistorique-protohistorique tardive contribue à la compréhension de la vie quotidienne, si pauvrement documentée dans les documents ethnohistoriques. Les maisons diffèrent substantiellement en fonction de leur architecture, de leur contexte, de leur situation dans le paysage et selon la nature et l'intensité des activités. Nous établissons comment ces facteurs peuvent avoir symbolisé concrètement le rang et le statut social. Nous insistons également sur le rôle important des activités révélées dans ces maisons et à leurs abords pour y établir et y différencier les identités sociales.We report here on the results of household archaeology carried out in the 'Opunohu Valley, Mo'orea (Society Islands). We apply the « house society » concept of Claude Lévi-Strauss to help interpret the nuanced complexities of pre-contact social organization at the household level in this highly stratified chiefdom. Micro-scale excavation of a multi-house complex dating to the late prehistoric-protohistoric period contributes to an understanding of everyday life which is otherwise poorly documented in the ethnohistoric record. The excavated house sites vary substantially with respect to architectural elaboration, site proxemics, placement on the landscape, and the presence and intensity of activities. We establish how these factors may have served to symbolize in material terms house rank and status. We also highlight the important role that activities carried out in and around the houses had for establishing and differentiating social identities.
- Ethnographie préhistorique d'une « société à maisons » dans la vallée de 'Opunohu (Mo'orea, îles de la Société) - Jennifer G. Kahn, Patrick V. Kirch p. 229-256
Comptes rendus d'ouvrages
- Isabelle Leblic (sous la direction de), De l'adoption. Des pratiques de filiation différentes - Patrice Godin p. 257-259
- Shirley Fave Campbell, The Art of Kula - Patrice Godin p. 259-260
Actualités
- In memoriam Gilles Artur (1928-2003) - Riccardo Pineri p. 261-263
- VIe Conférence de la Société des Océanistes européens (ESFO) à Marseille (6-8 juillet 2005) - p. 266
- Liste des ouvrages reçus - p. 267
- Vient de paraître - p. 268-270