Contenu du sommaire : Les structures contemporaines de la « parentalité »
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 214, septembre 2016 |
Titre du numéro | Les structures contemporaines de la « parentalité » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Devenir parents : Les appropriations différenciées de l'impératif de procréation - Bertrand Geay, Pierig Humeau p. 4-29 Il est peu de comportements sociaux qui semblent aujourd'hui aller de soi autant que celui consistant à vouloir « avoir un enfant ». À partir de l'exploitation secondaire de deux enquêtes nationales (l'Enquête histoire familiale et l'Étude des relations familiales et intergénérationnelles) et d'une étude qualitative longitudinale sur 50 familles, cet article analyse les différentes manières d'entrer dans la vie de famille. Sont tout d'abord examinés les principaux déterminants des variations des modes d'accès au statut de parent. On propose ensuite une approche synthétique de ces variations, à la fois statistique et ethnographique, en reconstituant l'espace des différenciations sociales à l'œuvre dans la production des représentations de la famille et des manières d'entrer dans la vie. Des fractions les plus précaires des classes populaires aux différentes fractions des classes dominantes, on analyse ainsi le poids relatif des ressources économiques et culturelles, des origines sociales, de la trajectoire scolaire et des parcours d'entrée dans la vie dans la constitution des stratégies de reproduction telles qu'on peut les saisir au moment où l'on devient parent.Today, few social behaviors seem to be as expected as the one that consists in wanting to “have a child.” Based on the secondary data derived from two national surveys (Enquête histoire familiale and Étude des relations familiales et intergénérationnelles) and on a longitudinal qualitative study of 50 families, this article analyzes the different patterns of entry into family life. It first examines the main factors behind the variations in the modes of access to parental status. It then offers a synthetic analysis of these variations, both statistical and ethnographic, by reconstituting the space of social differentiations that play a role in the production of representations of the family and of the different ways to start one's life. From the most precarious segments of the working class to the different fractions of the upper classes, the article analyzes the relative weight of economic and cultural resources, of social origins, of schooling trajectories and of life patterns in the constitution of the strategies of reproduction as they express themselves when one becomes a parent.
- « Alors c'est quoi, une fille ou un garçon ? » : Travail de préparation autour du genre pendant la grossesse - Agnès Pelage, Sara Brachet, Carole Brugeilles, Anne Paillet, Catherine Rollet, Olivia Samuel p. 30-45 S'appuyant sur des entretiens répétés menés auprès de familles bien dotées en capital culturel et économique, cet article explore la façon dont, dans ces milieux présentés comme les moins inégalitaires, les futurs parents cherchent à adapter leur intense travail de préparation au sexe du fœtus annoncé pendant la grossesse. Ce travail comporte plusieurs dimensions. C'est un travail de préparation du genre, à travers des préparatifs (chambre, vêtements, prénom) qui s'appuient sur des représentations traditionnelles du masculin et du féminin et qui participent déjà à la socialisation genrée de l'enfant à naître. C'est aussi un « travail de préparation de soi », qui consiste pour chaque futur parent à modeler progressivement ses propres dispositions en vue de « se sentir », au plus tard le jour de la naissance, un parent prêt. Or ce travail de préparation de soi suppose une préparation par le genre puisque, pour se sentir parent, un point d'appui central s'avère être l'anticipation du rôle de père ou de mère d'un fils ou d'une fille. Il s'agit aussi d'une préparation au genre, les parents s'employant, une fois le sexe du fœtus connu, à renforcer ou convertir les préférences pour tel ou tel sexe, formées en amont en fonction de représentations différentialistes du féminin et du masculin.Based on repeated interviews with middle class families relatively well endowed with economic and cultural capital, this article explores the ways in which, among the social environments supposed to be the most egalitarian, future parents seek to adapt their intensive preparatory work to the sex of the fetus as it has been announced during the pregnancy. This work proceeds along several lines. It lays the groundwork for a specific gender, through preliminary operations (bedroom, clothing, first name) that are based upon traditional representations of the masculine and the feminine and that already partake in a gendered socialization of the unborn child. It is also a “preparatory work on oneself” through which each future parent shapes her own dispositions in such as way as to “feel” ready at the very latest on the day of the birth. Yet, this work on oneself implies a gendered preparation, since in order to feel like a parent, one must crucially anticipate one's role as the father or the mother of a boy or a girl. It is also a work preparing for a specific gender, since once they know the sex of the fetus, the parents actively try to reinforce or transform the preferences for this or that gender, usually shaped ex ante on the basis of differentialist representations of the feminine and the masculine.
- Devoirs maternels : Reproduction sociale et politique des inégalités sexuées - Thierry Blöss p. 46-65 De grandes différences de statuts et de fonctions demeurent entre les hommes et les femmes dans la sphère privée. Cet article souligne l'importance de la présence de l'enfant dans le maintien et la justification de ce déséquilibre persistant. L'enfance – et a fortiori la petite enfance – reste en effet un domaine où la coparentalité est peu active dans les faits. Fortement intériorisée par les parents des deux sexes, y compris chez les jeunes générations, la division sexuelle des rôles parentaux transparaît également dans l'action des politiques publiques menées en France au cours de la dernière période, tiraillées entre le souci affiché de favoriser une plus grande égalité entre hommes et femmes dans les sphères de la famille et du travail et leur « attachement traditionnel » aux spécialisations des rôles sociaux de sexe. L'institutionnalisation des modes de garde a fortiori individualisés, mais aussi paradoxalement les nouvelles lois supposées favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales après divorce ont implicitement consacré une place principale aux femmes dans l'exercice de leur rôle maternel. En s'appuyant sur des résultats d'enquêtes sociologiques et sur une exploitation de données statistiques, cet article entend prendre la mesure de la réalité des normes sociales de parentalité à l'aune des représentations sociales et des actions de la sphère publique si étroitement présentes au cours de ces dernières décennies dans la définition sociale (normative) de la sphère privée et des ses relations internes.Huge differences of both status and functions between men and women persist in the private sphere. This article underscores the importance of children in the maintenance and the legitimization of this persistent asymmetry. Childhood – and especially infancy – remains a field in which co-parenting is not a practical reality. The sexual division of parenting labor is internalized by parents fr om both sexes, including among the younger ones, but it is also reflected in the latest public policies implemented in France, torn between the explicit intention to foster a greater equality between men and women in the spheres of family and professional life, and their “traditional concern” for the specialization of gendered social roles. The institutionalization of individualized childcare, but also, paradoxically, the new legal bills designed to facilitate a better sharing of parental responsibilities after a divorce have implicitly assigned a decisive role to women in the exercise of their maternal role. Based upon the results of sociological surveys and on the exploitation of statistical data, the article assesses the reality of parental social norms using from the point of view of their social representations and of the public policies that, during the last decades, were involved in the (normative) social definition of the private sphere and of its internal relationships.
- Des parents « défaillants » : Un dispositif de soutien à la parentalité dans les Bouches-du-Rhône - Jessica Pothet p. 66-79 Cet article porte sur un dispositif de soutien à la parentalité destiné à lutter contre l'absentéisme scolaire dans trois arrondissements du nord de la ville de Marseille : les stages parentaux. La territorialisation de cette réponse publique vise de fait les milieux populaires les plus précarisés et les plus en retrait vis-à-vis de la culture scolaire. Initié par le tribunal de grande instance marseillais, en collaboration avec des professionnels de l'éducation et du travail social, ce dispositif hybride mêle des référentiels divers (décrochage scolaire, prévention de la délinquance, etc.). Cet article s'intéresse tant aux tensions qui marquent l'élaboration d'une déclinaison locale du soutien à la parentalité, tendant à pénaliser les « défaillances parentales », qu'à la réception de cette réponse judiciaire par les parents convoqués dans cette arène judiciaire.This article focuses on specific parental support mechanisms meant to fight school skipping in three northern districts of Marseille : parental training sessions. The territorialization of this public policy response actually targets the most precarious segments of the working class, which are also those most marginalized vis-à-vis school culture. Initiated by the first circuit court of Marseille, in collaboration with education professionals and social workers, this hybrid program draws on various references (educational lag, crime prevention, etc.) This article focuses both on the tensions that characterize a local version of parental support programs that tends to penalize “parental failure,” and on how the parents thus drawn into the judiciary arena experience this response.
- Intentions de fécondité et arrivée du premier enfant : Éléments de cadrage statistique dans la France contemporaine - Arnaud Regnier-Loilier, Zoé Perron p. 81-93 À la fin des années 1960, la diffusion de la contraception et la légalisation de l'avortement ont permis un meilleur contrôle des naissances. Cet article se propose d'étudier du point de vue quantitatif, certaines des conditions préalables que se fixent les couples avant d'avoir leur premier enfant, en particulier à travers les intentions de fécondité exprimées. À partir de l'enquête longitudinale Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Érfi, Ined-Insee) réalisée entre 2005 et 2011 auprès de 10 000 personnes, nous étudions dans un premier temps la variation des intentions de fécondité selon différents critères, notamment la situation économique, conjugale et l'âge des individus. Dans un second temps, à partir des données longitudinales de l'enquête, nous confrontons les intentions déclarées en 2005 aux réalisations trois et six ans plus tard, en identifiant les situations les plus favorables à la réalisation du projet d'enfant.Since the end of the 1960s, the diffusion of contraceptives and the legalization of abortion have improved birth control. This article analyzes from a quantitative point of view the preliminary conditions set by parents before having their first child, in particular those regarding the fertility intentions as they are expressed. On the basis of the longitudinal survey Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Érfi, Ined-Insee), conducted between 2005 and 2011 and bearing upon 10,000 individuals, we first analyze the variations of the fertility intentions using different criteria, in particular the economic, matrimonial and demographic status of individuals. Then, using the longitudinal data of the study, we compare the intentions expressed in 2005 with their realization three and six years later. We thus identify the situations most propitious to the implementation of the parental project.
- « Au nom de la famille ». Entretien avec Judith Stacey - Arnaud Lerch, Judith Stacey, Arnaud Lerch p. 94-103 À partir de terrains et de méthodes variés (ethnographie, sociologie historique, cultural studies), Judith Stacey a mené des recherches portant notamment sur les thèmes de la famille, du genre, de la sexualité et du féminisme. Son travail et son engagement pour ce qu'elle appelle « l'activisme intellectuel » l'ont amenée à participer très directement aux débats étasuniens sur la famille, au cœur d'enjeux indissociablement politiques, économiques et raciaux. On assiste à partir des années 1990 à l'émergence dans l'espace public et au déploie-ment à travers l'espace politique d'un nouveau discours familialiste, se revendiquant de la science plutôt que de la religion ou de la morale pour promouvoir les valeurs familiales, le modèle de la famille nucléaire traditionnelle et dénoncer les impacts sociaux des nouvelles réalités familiales. Des effets de la banalisation du divorce et des familles monoparentales à la reconnaissance de l'homoparentalité, les sciences sociales ont été convoquées de manière croissante dans ces débats, tantôt comme outil de légitimation des politiques publiques et des évolutions législatives, tantôt comme argument d'autorité au service des mobilisations de tous bords. Judith Stacey revient dans cet entretien sur 25 ans de « guerres de la famille », les controverses scientifiques qui les ont ponctué et auxquelles son travail a été directement mêlé, ainsi que sur les profondes évolutions culturelles qui en ont été la trame.On the basis of various case studies and using a variety of methodologies (ethnography, historical sociology, cultural studies), Judith Stacey has conducted research on the family, gender, sexuality and feminism. Her work and her commitment in favor of what she calls “intellectual activism” have led her to participate directly in the cultural debates about family values which, in the United States, weave together political, economic and racial issues. Since the beginning of the 1990s, a new family discourse is emerging in the public sphere and in the field of politics. This discourse claims to be based on science rather than religion or morality and it intends to promote family values enshrining the traditional model of the nuclear family and to denounce the social impact of the new forms of family life. Whether it is about the routinization of divorce and of single-parent families or about the recognition of homoparentality, the social sciences have been increasingly solicited in these debates, either as a source of legitimization for public policies and legislative evolutions, or as an authoritative argument supporting all kinds of mobilizations. In this interview, Judith Stacey discusses 25 years of “family wars”, the scientific controversies that have emerged in the course of these wars and to which she has directly contributed, as well as the profound cultural evolutions underscoring them