Contenu du sommaire : Pour une histoire environnementale de l'Éthiopie
Revue | Etudes rurales |
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Numéro | no 197, 2016/1 |
Titre du numéro | Pour une histoire environnementale de l'Éthiopie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les études éthiopiennes et l'environnement - Guillaume Blanc, Grégory Quenet p. 9-24
- L'environnement, une construction dans le temps long : le Gamo et le Wolaita - Joséphine Lesur, Sabine Planel p. 25-48 Situé dans le sud du plateau éthiopien, le Wolaita et le Gamo offrent actuellement des paysages très agricoles et densément peuplés grâce à une topographie collinaire, un climat relativement humide, et des pratiques agricoles intensives. Ces terres et leur environnement semblent avoir été depuis longtemps modelés par l'Homme. Mais les travaux archéologiques menés dans cette région montrent que cette « anthropisation » est récente (moins de 2 000 ans) et que jusqu'à cette période, cette zone montagneuse a pu représenter un isolat culturel et environnemental. La construction du paysage tel qu'on le connaît aujourd'hui débute vers le XVe siècle. Le passage du « tout sauvage » au « tout domestique » se manifeste par une signature paysagère commune aux populations nord-omotiques sur des rythmes similaires, malgré l'apparition de spécificités locales pour les périodes les plus récentes.The environment, a long-term construction: Gamo and Wolaita
Located in the south of the Ethiopian Highlands, Wolaita and Gamo are currently comprised of largely agricultural and densely populated landscapes that rely on the hilly topography, relatively humid climate, and intensive farming practices. One might think that this area and its environment have long been shaped by humans, but archaeological research conducted in the region shows that such anthropic influence is relatively recent (less than 2000 years). Before this, the mountainous region was actually culturally and environmentally isolated. Construction of the modern landscape began around the 15th century. The transition from a completely wild to a completed domesticated landscape is visible in the signature characteristics common to North Omotic populations with similar rhythms, despite the appearance of some local specificities in more recent periods. - Cinq cents ans de contrôle royal sur les produits agricoles tributaires d'Aksum - Anaïs Wion p. 49-72 Les chartes foncières produites par les fonctionnaires éthiopiens pour administrer les territoires agricoles aux périodes médiévale et moderne sont peu disertes quant aux questions pratiques de la gestion des ressources. Ces textes codifiés ont avant tout valeur légale et régulent l'accès aux droits fonciers. L'analyse d'un document hors-norme car beaucoup plus pragmatique permet de pallier le silence des sources relatif à l'environnement naturel et agraire. Une liste décrit l'impôt (en grains, miel, pièces de coton et huile) dû par les exploitants des plaines agricoles situées autour d'Aksum, la ville sainte du nord de l'Éthiopie. Cette analyse de la prescription d'un impôt par le pouvoir royal permet de comprendre comment des structurations politiques complexes modèlent les territoires et les pratiques agricoles sur le très long terme (XVe-XXe siècle).500 Years of Royal Control over Aksum Agricultural Commodities
During the medieval and early modern period in Ethiopia, land charters – documents produced by officials to administer agricultural land – have little to say about the practical issues of resource management. These highly codified legal texts focus above all on regulating access to land rights. This paper analyses an unconventional document that is much more pragmatic and therefore partly counterbalances the silence of sources on the natural and agrarian environment. A long list describes the taxes (paid in cereals and beans, honey, cotton cloth and edible oil) due from farmers in the agricultural plains surrounding Aksum, the holy city in northern Ethiopia. This analysis of the royal prescription on taxes also helps clarify how complex political structures shape territories and agricultural practices over the very long term (15th-20th centuries). - La passe d'Aheyyā Fağğ (XVe-XVIe siècle) : Itinéraires, places fortes et contrôle du territoire éthiopien - Marie-Laure Derat p. 73-92 Circuler sur les hauts plateaux éthiopiens nécessite d'emprunter des voies particulières, passes, gués, qui ne s'improvisent pas. La maîtrise de ces voies d'accès assurait une grande partie de la défense de certaines régions du royaume chrétien d'Éthiopie, mais aussi le contrôle économique sur ce qui entrait et sortait de ces régions. L'une de ces passes, voie d'accès difficilement contournable pour se rendre du Choa à l'Amḥārā, appelée de manière très imagée « la mort des ânes » (Aheyyā Fağğ) illustre parfaitement ce rôle de verrou défensif et économique. Empruntée au début du XVIe siècle par un voyageur portugais qui en décrit très bien les accès, elle reste aujourd'hui une voie difficile mais directe pour rejoindre le grand marché que représente la capitale Addis-Abeba. C'est l'histoire de cette passe au XVe et au début du XVIe siècle, quand elle devient un accès incontournable pour rejoindre la cour royale éthiopienne qui fait l'objet de cette contribution.The Aheyyā Fağğ pass (15th-16th centuries): routes, strongholds and control of Ethiopian territory
To travel in the Ethiopian Highlands it is necessary to follow special tracks, passes and fords which cannot be improvised. Mastery of these passageways was closely tied to the defence of some parts of the Christian kingdom of Ethiopia and allowed for economic control over what went in and came out of these areas. One of these passes – tellingly named “Donkeys' Death” (Aheyyā Fağğ) – was practically unavoidable when travelling to Amḥārā from Shoa and perfectly illustrates how it served as a defensive and economic lock. Used in the early sixteenth century by a Portuguese traveller who described its access in good detail, it is still today a difficult but direct way to reach the large market potential of the capital, Addis Ababa. This article examines the history of the pass in the 15th and early 16th centuries, when it became an unavoidable route to access the Ethiopian royal court. - La lèpre, actrice de la construction de l'empire éthiopien au XXe siècle - Vanessa Pedrotti p. 93-112 En 1901, la première léproserie éthiopienne voit le jour à Harar sous le nom de « Saint-Antoine ». Cette initiative missionnaire, consolidée par la présence du docteur Jean Féron, marque le point de départ d'une nouvelle conception de la maladie. Au lieu d'une punition divine, la lèpre est perçue comme une maladie et, progressivement, elle devient une priorité publique nationale. Missionnaire, médecin de la léproserie ou représentant de l'État éthiopien, chacun construit sa distinction entre un environnement sain ou malsain. Pourtant, si les différents protagonistes s'attribuent la légitimité de gérer la lèpre, c'est à la maladie que revient la place d'actrice principale tant elle sert et révèle à la fois les enjeux environnementaux, nationaux et impériaux. Ainsi, interroger la manière dont la lèpre a été pensée, gérée et institutionnalisée au cours du xxe siècle éthiopien permet d'apporter un nouveau regard sur le processus de modernisation étatique dans lequel Hailé Sélassié Ier avait décidé d'ancrer l'Éthiopie.In 1901, “Saint-Antoine”, Ethiopia's first leprosarium, was built in Harar. This missionary initiative marked the beginning of a new conception of leprosy, further consolidated by the presence of Doctor Jean Féron. Instead of divine punishment, leprosy came to be seen as a disease among others, one that gradually became a national public priority. Missionaries, leprosarium doctors and Ethiopian State representatives, each had their own definition of what constituted a healthy and unhealthy environment. And yet while the different protagonists claimed their right to manage leprosy, the disease itself was the main character since it both served and highlighted environmental, imperial and national issues. Examining how leprosy was perceived, managed and institutionalized in 20th century Ethiopia as such provides new insight into the process of Ethiopian state modernization implemented under the reign of Haile Selassie I.
- Bahir Dar and the lake Tana basin : History of an urbanshed - James McCann, Guillaume Blanc p. 113-124 James McCann propose ici une réflexion sur les étapes de la modernisation rurale de l'Éthiopie. Quatre périodes distinctes de changements démographiques et spatiaux ont transformé le paysage physique du lac Tana sur le cours supérieur du Nil bleu, et formé, au début du XXe siècle, au croisement des échelles locales, nationales et internationales, le « paysage urbain » de la ville de Bahir Dar. Le lac Tana est la source des eaux du Nil bleu. Perché à 1800 m au-dessus du niveau de la mer, il façonne la majorité des écologies politiques et culturelles du bassin hydrologique. Le bassin du Nil bleu, sa géologie et ses géographies ont façonné simultanément les cultures de plusieurs groupes sociaux. Son paysage ethnographique comprend des agriculteurs et des aristocrates chrétiens des hauts plateaux, des agriculteurs agaw de langue couchitique, des commerçants musulmans (qui parlent amharique), et des Sinasha de langue omotique. Source de l'hybridation de leurs territoires et savoirs écologiques, la rencontre de ces cultures a progressivement donné naissance à une économie agraire céréalière fondée sur le pastoralisme et la micro-exploitation agricole. Puis, au début des années 1980, les changements politiques qui se déroulent à l'échelle nationale transforment l'économie agraire éthiopienne et modifient l'équilibre agro-écologique. Les composantes majeures de ce changement sont l'introduction de semences modernes de maïs, l'établissement d'un marché agricole national après les années 1980, et la construction du barrage de la Renaissance, ouvrant une nouvelle phase de la modernisation rurale éthiopienne.James Mc
Cann provides here a template regarding Ethiopia's rural modernization in four distinct periods of demographic and spatial change that transformed the physical landscape of Lake Tana at Blue Nile river's headwaters and its effect on the region's hinterland on a local, national and international level that would form the “urbanscape” of the city of Bahir Dar in early twenty first century. Lake Tana and its surrounding ecologies is the font of the Blue Nile's waters, sitting at 1800 meters above sea level from where it frames much of the watershed's political and cultural ecology. The Blue Nile basin, its geology and its geographies simultaneously shaped the cultures of several distinctive peoples. The ethnographic landscape included Christian highland farmers and aristocrats, Cushitic-speaking Agaw farmers, Muslim traders (who spoke Amharic), and Omotic-speaking Shinasha. These cultures traded places and bodies of knowledge on the local ecologies over time, resulting in a cereal-based agro-economy that supported livestock and small farms that managed them. In the early 1980s political changes at the national level brought a transformation in Ethiopia's agrarian economy and agro-ecological balance. A major component was the arrival of modern maize seed and national agricultural markets after 1980, and the construction of the Grand Renaissance Dam, beginning a new phase of Ethiopia's rural modernization. - Nature, culture, même combat ? : Sciences et conservation sur le campus d'Addis-Abeba (1950-1974) - Thomas Guindeuil p. 125-146 Le développement des institutions universitaires éthiopiennes de 1950 à la Révolution de 1974 s'est appuyé sur le recrutement d'enseignants-chercheurs étrangers. Tout en développant des connaissances inédites dans des domaines variés, ces derniers ont construit des collections d'étude qui ont rapidement donné lieu à la création d'un musée universitaire, bientôt scindé en deux institutions, l'une dédiée à la culture matérielle, l'autre à la zoologie. L'objet de cette contribution est de mettre en lumière l'évolution de ces projets qui ont oscillé entre diffusion de la recherche et promotion d'une politique de conservation dédiée autant à l'environnement qu'à la culture. Il s'agit en particulier d'attirer l'attention sur les racines communes et les liens qui s'ensuivent entre d'une part les praticiens des sciences de l'homme et des sciences naturelles et d'autre part l'institutionnalisation de la notion de patrimoine en Éthiopie.The development of Ethiopian academic institutions between 1950 and the 1974 revolution was based on the recruitment of foreign scholars. While developing new knowledge in various fields, these scholars built collections for study that quickly became the first step in the creation of a university museum, which then divided into two distinct institutions – the first devoted to material culture, the second to zoology. The aim of this paper is to shed light on the evolution of these projects that worked as both tools for disseminating knowledge and research, and to promote a conservation policy dedicated to the environment and culture. The aim is notably to draw attention to the common roots and subsequent ties that formed between practitioners from the humanities and natural sciences on the one hand, and the institutionalization of the concept of heritage in Ethiopia on the other hand.
- Violence et incohérence en milieu naturel : Une histoire du parc éthiopien du Semēn - Guillaume Blanc p. 147-170 À travers l'analyse des sources produites des années 1960 au temps présent par les gestionnaires du parc national éthiopien des montagnes du Semēn, cet article retrace les prémices, les tenants puis les aboutissants d'une hybridation institutionnelle née de l'ordonnancement transnational d'un paysage « naturel ». D'un côté, les représentants des institutions internationales de la conservation cherchent à sauvegarder le reliquat d'un Éden africain menacé par ses occupants. De l'autre, l'État éthiopien s'approprie cette éthique écologique afin de se faire reconnaître sur la scène internationale, et à travers elle, de mieux s'imposer sur le territoire national. À l'échelle locale, cette gouvernance de la nature se traduit alors par l'exercice d'une violence concrète puis symbolique sur les populations résidentes, coupables de dégrader un « parc national » classé « patrimoine mondial ».This article analyses sources produced by managers in Ethiopia's Simien Mountains National Park from the 1960s to the present to retrace the origins, ins and outs of the institutional hybridization spurred by the transnational organization of a “natural” landscape. On the one hand, representatives from international conservation institutions sought to protect the vestiges of an African Eden threatened by its inhabitants. On the other hand, the Ethiopian government seized on this ecological cause to gain international recognition and, in doing so, better enforce its power on the national stage. At the local level, this governance of nature resulted first in tangible, followed by symbolic violence against the resident populations, accused of degrading a “National Park” classified as a “World Heritage” site.
- Une histoire de la violence - Bertrand Hirsch p. 171-174
Varia
- Croyants de nature ? : Sociologie religieuse de l'agriculture paysanne - Mathieu Gervais p. 175-194 Après avoir été un grand thème de l'analyse de la modernisation des campagnes et donc de la sociologie rurale entre les années 1950 et 1970, la sociologie religieuse du monde rural semble aujourd'hui quelque peu délaissée. Cela s'explique en partie par la baisse de la pratique religieuse des ruraux, emblématique du rapprochement entre les villes et les campagnes. Toutefois, nous discutons, ici, l'intérêt actuel d'études croisant sociologie des religions et sociologie rurale. À partir de l'exemple de l'Agriculture paysanne, nous montrons comment la critique de l'agriculture conventionnelle actualise des contenus religieux. Le catholicisme issu de l'action catholique continue ainsi d'influencer plus ou moins directement cette agriculture alternative. De plus, il existe une dimension « spirituelle » invoquée par certains agriculteurs paysans pour légitimer une relation non instrumentale à la nature et au « vivant ». S'intéresser à la religion permet donc de préciser les représentations de la nature et les pratiques des agriculteurs dans un contexte d'écologisation.The sociology of religion in the rural world was a classic framework used to understand the modernization of French rural areas and was therefore common in rural sociology between the 1950s and 1970s. Since then, the topic has lost momentum. This can be partly explained by the decline of religious activity in rural areas over the past decades, which exemplifies the blurring in the distinction between rural and urban lifestyles. This article discusses why it is now interesting to take an approach that combines the sociology of religion and rural sociology. Through the study of small-scale French farming (“agriculture paysanne”), we show how critiques of conventional agriculture draw on religious content. Catholicism influenced by the Catholic Action movement continues to have a more or less direct impact on alternative farming. Moreover, some farmers invoke a “spiritual” dimension to justify their non-instrumental relationship with nature and “living matter”. Examining religion can thus provide insight to better understand representations of nature and farming practices in the context of the push for greater ecological sustainability.
- Croyants de nature ? : Sociologie religieuse de l'agriculture paysanne - Mathieu Gervais p. 175-194
Chronique
- Chronique - p. 195-204
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 205-228