Contenu du sommaire : Réanalyse et changement linguistique

Revue Langages Mir@bel
Numéro no 196, décembre 2014
Titre du numéro Réanalyse et changement linguistique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Réanalyse et changement linguistique : présentation - Marie-José Béguelin, Gilles Corminboeuf, Laure Anne Johnsen p. 3-11 accès libre
  • Deux points de vue sur le changement linguistique - Marie-José Béguelin p. 13-36 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Bien des auteurs abordent aujourd'hui le changement linguistique dans une perspective déterministe, via des échelles de grammaticalisation conduisant du « lexical » au « grammatical », du « moins grammatical » au « plus grammatical », du « sémantiquement plein » au « sémantiquement vide ». Cette vision orientée, unidirectionnelle, du changement trouve une critique précoce dans les réflexions de F. de Saussure, aux yeux de qui le changement grammatical est aléatoire, a-téléologique, dû aux (ré) analyses accidentelles du matériau langagier qui interviennent hic et nunc dans l'esprit des sujets parlants, sous la pression exclusive des formes contemporaines. On examine, à l'aune de ces deux points de vue antagonistes, quelques cas de changement syntaxique, avant de poser la question de savoir où se situent au juste les supposées « tendances » en matière d'évolution linguistique.
    Two points of view on language change Nowadays. Numbers of authors approach language change in a deterministic point of view through grammaticalization scales leading from “lexical” to “grammatical”, from “less grammatical” to “more grammatical”, from “semantically full” to “semantically empty”. This unidirectional view of change finds an early criticism in F. de Saussure's thoughts, for whom grammatical change is unpredictable, non-teleological, due to accidental (re) analyses of the language material that occur hic et nunc in the mind of language users, under the exclusive pressure of contemporary forms. In the light of these two antagonist points of view, we examine a few cases of syntactic change and eventually raise the question where the supposed “tendencies” should be situated as regards language evolution.
  • La réanalyse syntaxique et le conflit formaliste-fonctionnaliste en linguistique - Frederick J. Newmeyer p. 37-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Deux positions sur la réanalyse se sont largement répandues dans la littérature. La première correspond à la position classique du courant syntaxique dominant en principes et paramètres. Selon cette approche, le fait de réinitialiser brutalement un paramètre donne lieu à un ensemble de réanalyses structurales. La seconde approche s'est dans un premier temps développée dans le contexte de la linguistique fonctionnelle. Selon cette vision des choses, le changement diachronique est « flou », dans la mesure où les catégories et les constructions syntaxiques subissent une réanalyse graduelle. Dans cet article, je défends l'idée qu'aucune des deux positions n'est correcte. La réanalyse est en fait discrète et brutale. Cependant, il faut abandonner l'idée selon laquelle les réanalyses pourraient être posées en termes de réinitialisation de paramètres.
    Syntactic Reanalysis and the Formalist-Functionalist Conflict in Linguistics. Two positions with respect to reanalysis are widespread in the literature. The first is a central feature of the predominant principles-and-parameters approach to formal syntax. In this view, the sudden resetting of a parameter leads to a cascade of structural reanalyses. The second has been developed primarily by functional linguists. In this way of looking at things, diachronic change is “fuzzy”, in the sense that categories and syntactic constructions undergo gradual reanalysis. In this article, I argue that neither position is correct. Reanalysis is in fact discrete and sudden. However, one must abandon the idea that reanalysis can be captured in terms of parameter-resetting.
  • Réanalyse et changement linguistique - Bernard Combettes p. 53-67 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le but de cette contribution est d'examiner les points de contact qu'il est possible de déterminer entre l'opération de réanalyse et l'approche diachronique d'une langue, en l'occurrence le français. Après avoir rappelé les principales caractéristiques, communément reconnues, de la réanalyse, on aborde la question de la nature du processus et celle du rôle majeur qu'y joue l'analogie. On observe ensuite comment la réanalyse est soumise aux grandes tendances de l'évolution (passage d'un système synthétique à un système analytique, hiérarchisation des syntagmes, spécialisation des catégories). Est enfin envisagé le fonctionnement de ce type particulier de changement, l'accent étant mis sur la nature et le rôle de l'ambiguïté ainsi que sur la phase d'actualisation, qui permet de considérer que la réanalyse est pleinement aboutie.
    Reanalysis and linguistic change. The purpose of this contribution is to examine the contact point which it is possible to determine between reanalysis and diachronic study of language. We begin with the main characteristics of reanalysis, the question of the nature of the process and the problem of the role that plays analogy. We observe then how reanalysis is submitted to the main tendencies of the evolution: change from synthetic system to analytical system, hierarchical organization of syntagms and specialization of categories. We finally envisage the nature and the role of ambiguity, the phase of actualization, which entitle to consider that the reanalysis is entirely completed.
  • Réanalyse et attractions analogiques : l'exemple des constructions infinitives du français - Alain Berrendonner p. 69-87 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans le passage de l'ordre des mots « ancien » Je le dois faire au « moderne » Je dois le faire, on a pu voir la trace d'une restructuration des constructions infinitives : d'abord traitées comme des lexies verbales [auxiliaire+infinitif] (= construction C1), elles auraient été ensuite réanalysées en syntagmes [verbe recteur+proposition infinitive argument] (= construction C2). Un examen des données montre qu'en fait, chacune de ces deux structurations a exercé sur l'autre une influence analogique, donnant naissance à une variante hybride de sa concurrente. Si c'est la construction C2 et l'hybride qu'elle a suscité qui se sont imposées au fil du temps, cela tient à des raisons d'optimalité. Le principal changement diachronique qui en est résulté est le développement d'une catégorie originale d'auxiliaires de prédicat. La reconversion d'auxiliaires de verbes en auxiliaires de prédicats va, à certains égards, dans le sens d'une dé-grammaticalisation.
    Reanalysis and analogical attractions: the example of French infinitive constructions. In the transition from the “old” word order Je le dois faire into the “modern” one Je dois le faire, we may have seen the sign of a reorganisation of infinitives constructions: first considered as verbal compound lexia [auxiliary+infinitive] (= C1 construction), they would supposedly then have been reanalyzed as verb phrases [governing verb+infinitive argument clause] (= C2 construction). A careful examination of the data shows that in fact, each of the two constructions exerted an analogical influence over the other, giving rise to a hybrid variant of its rival. If C2 and its hybrid result have imposed over time, it is for optimality reasons. The principal diachronic change that resulted from it is the birth in French of an original predicate auxiliaries' category. The reconversion of verbal auxiliaries into predicate auxiliaries heads in some respects towards a degrammaticalization.
  • Réanalyses du relateur et - Gilles Corminboeuf p. 89-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette étude porte sur deux classes de constructions articulées par et, l'une en ancien français, l'autre en français contemporain : (i) des constructions « à cumul » de l'ancien français comme (1) Quant vit abatu son escu, / Et lors n'i a plus atendu (Sone de Nansai, cité par Antoine 1958) ; (ii) des constructions à inversion de pronom clitique sujet, articulées par et comme (2) La tension monte-t-elle à une table, et sa voix de velours suffit à l'apaiser (presse écrite). Dans les deux cas, la réanalyse de la structure entraîne une modification de la valeur de et. À partir de ces deux micro-phénomènes, je ferai plusieurs observations sur l'appréhension théorique des changements linguistiques.
    Reanalysis of the et (and) conjunction. This study focuses on two classes of constructions articulated by et (and), one in Old French, the other in contemporary French: (i) constructions “in combination” in Old French as (1) Quant vit abatu son escu, / Et lors n'i a plus atendu (Sone de Nansai, quoted by Antoine 1958); (ii) constructions with a subject inversion, and articulated by et (and) as (2) La tension monte-t-elle à une table, et sa voix de velours suffit à l'apaiser (printed news). In both cases, the reanalysis of the structure causes a change in the value of et (and). On the basis of these two micro-phenomena, I will make several observations on the theoretical understanding of the linguistic change.
  • Réflexions sur l'origine de l'insubordination. Le cas de trois insubordonnées hypothétiques du français - Adeline Patard p. 109-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Notre contribution s'interroge sur le statut et l'origine de subordonnées hypothétiques non régies par une proposition principale explicite (ex. Oh si j'étais riche !). Dans la littérature, ces constructions sont généralement considérées comme des cas d'« insubordonnées » (Evans 2007), i.e. des subordonnées qui se sont affranchies de leur principale à travers un processus de grammaticalisation. L'article propose une description de trois insubordonnées hypothétiques du français qui confirme un certain degré d'autonomie acquis par la [si p] sur le plan sémantico-pragmatique, prosodique et discursif. Néanmoins, nous montrons que les insubordonnées ne manifestent pas de signes clairs de grammaticalisation et qu'une explication en termes de réanalyse seule est plus à même de rendre compte du changement linguistique à l'œuvre.
    Reflections on the origin of insubordination. The case of three hypothetical insubordinates in French The paper examines the status and the origin of French hypothetical subordinates that are not governed by an explicit matrix clause (e.g., Oh si j'étais riche!). In the literature, such constructions are generally considered as instances of “insubordination” (Evans 2007), i.e. as subordinates freed from their matrix clause through a process of grammaticalization. The article suggest a description of the three hypothetical insubordinates of French, which confirms some degree of autonomy acquired by [si p] from a semantico-pragmatic, prosodic and textual point of view. Nevertheless, I show that these insubordinates do not exhibit clear signs of grammaticalization and that an explanation in terms of reanalysis only is better able to account for the linguistic change.
  • Réanalyses dans la graphie : ‘l'écrit spontané' dans les SMS et le statut des pronoms clitiques du français contemporain - Elisabeth Stark p. 131-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'analyse manuelle des premiers 400 SMS français dans le corpus suisse de sms (cf. www.sms4science.ch) selon la réalisation graphique des pronoms clitiques sujet et objet (agglutination / ‘fusion' totale avec le verbe conjugué, comme dans chu à la bourre, je suis en train de travailler, ou omission totale, comme dans suis désolée pour ta sale nuit) mène aux résultats suivants : les pronoms clitiques sujet subissent souvent de fortes modifications graphiques (agglutinations, fusions), mais sont aussi régulièrement omis, leur caractère topical le permettant. C'est un résultat contradictoire : le premier comportement parle en faveur, le deuxième contre leur statut réanalysé comme affixes/marqueurs d'accord. Cela vaut aussi pour les clitiques objet : ils ne sont que rarement agglutinés/fusionnés graphiquement au verbe suivant (= pas d'affixes ?), mais ne sont pratiquement jamais omis (= marqueurs d'accord ?).
    Graphical reanalyses: ‘spontaneous writing' in text messages and the status of pronominal clitics in contemporary French. A manual analysis of the first 400 French text messages of the Swiss SMS corpus according to their graphical realization of clitic subjects and object clitics (agglutination / complete ‘fusion' with the finite verb, like in chu à la bourre, je suis en train de travailler, or complete drop, like in suis désolée pour ta sale nuit) leads to the following results: Clitic subjects are often heavily modified at the graphical level (agglutination, fusion), but also regularly dropped, when e.g. topical, i.e. for discourse-pragmatic reasons. That is a contradictory result, as the first supports, whereas the second contradicts their status as reanalyzed agreement affixes/markers. This holds also for object clitics: they are only rarely modified graphically (= no affixes?), but almost never dropped (= agreement markers?).