Contenu du sommaire : Les lieux de la loi en Chine impériale

Revue Extrême-Orient, Extrême-Occident Mir@bel
Numéro no 40, 2016
Titre du numéro Les lieux de la loi en Chine impériale
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • ‪Une dogmatique de l'espace. Les lieux de la loi en Chine impériale‪ - Jérôme Bourgon p. 5-12 accès libre
  • I. Pénaliser l'espace – Penalizing Space

    • ‪Punir par l'espace : la peine d'exil dans la Chine impériale‪ - Frédéric Constant p. 13-38 accès libre avec résumé
      L'exil était fondé en Chine sur des représentations de l'espace politique héritées de l'Antiquité au terme desquelles le territoire était constitué de zones concentriques s'éloignant progressivement du centre de la civilisation figuré par le domaine royal. Les dynasties suivantes furent confrontées à la nécessité de retranscrire cet espace virtuel dans la réalité d'un territoire politique qui avait évolué depuis l'unification impériale. Les Qing tentèrent les premiers de prendre des mesures en vue d'établir une géographie précise des lieux d'exil. À travers la cartographie de ces lieux d'exil, nous souhaitons mettre en évidence les principes aux termes desquels le territoire impérial devint un espace pénal de relégation des criminels.
    • ‪The Law and the “Law”: Two Kinds of Legal Space in Late-Qing China‪ - Eric Schluessel p. 39-58 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article expose la conceptualisation et la mise en œuvre d'un nouvel imaginaire juridique et géographique dans la Chine du XIXe siècle. Dans la première moitié du XIXe siècle, des membres de l'école de pensée dite des « sciences de l'État » (jingshi) adoptèrent une conception de la « loi » qui mettait en opposition le droit codifié et ce qu'ils concevaient comme des normes socio-morales naturelles. Cette dichotomie expliquait selon eux la contraction géographique de la société chinoise, l'émergence des dynasties d'Asie centrale, et la possibilité d'une nouvelle expansion chinoise. La guerre des Taiping offrit l'occasion à des membres de ce groupe de mettre ces idées en pratique en suspendant stratégiquement le droit impérial en faveur d'un activisme administratif, de manière à faire avancer leur idéal de relations sociales. À partir des années 1870, ce groupe travailla à transformer le territoire du Xinjiang d'Asie centrale en province de l'empire. Ce processus fait apparaître les contradictions dans la conception que l'école des « sciences de l'État » se faisait du droit.

      This article concerns the conceptualization and implementation of a new imaginary of law and geography in nineteenth-century China. In the first half of the nineteenth century, members of the statecraft (jingshi) school of thought adopted an idea of “law” that contrasted codified law with what they conceived of as natural socio-moral norms. That dichotomy explained for them the geographical contraction of Chinese society, the rise of Inner Asian dynasties, and the potential for China to expand once again. The Taiping war provided an opportunity for members of this group to put these ideas into practice by strategically suspending imperial law in favor of official activism in order to bring about more ideal social conditions. From the 1870s onward, this group worked to transform the Inner Asian territory of Xinjiang into a province. That process illustrates the contradictions in this statecraft conception of law.
    • ‪Military Operations, Law and Late Imperial Space: The Spread of Militarized Adjudication‪ - E. John Gregory p. 59-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet essai décrit la procédure militarisée (yi junfa congshi) sous les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912) et sa relation avec les exécutions sommaires (ou quasi-sommaires) sous l'étendard impérial (gongqing wangming) au xviii e siècle. Il montre que sous ces dynasties, des jugements militarisés de nature sommaire, essentiellement, se sont produits le long d'un gradient spatio-temporel en fonction de la proximité et de l'intensité des opérations militaires actives. Il démontre aussi que, jusqu'au xviii e siècle, la justice militarisée répondait à un paradigme différent de la procédure de routine (zhuanshen, heshen, qingzhi) associée au code des Qing (DaQing Lüli). Lorsque un acte violant la norme se produisait au plus près du champ de bataille, et au cours de celle-ci, il était d'autant plus probable que le délinquant serait sommairement jugé selon la procédure militarisée. Les exécutions sommaires sous l'étendard impérial développées à partir de la pratique de cette procédure sont un phénomène essentiellement du XVIIIe siècle. L'article s'appuie sur des intellectuels de la période Ming-Qing, comme Wang Yangming, ainsi que sur des cas pénaux afin de distinguer les deux paradigmes différents, la procédure militarisée d'une part, et la procédure de routine de l'autre. Il démontre le changement au fil du temps dans la relation entre la procédure militarisée, la procédure pénale de routine, et le gradient des opérations militaires.

      This paper describes the late imperial militarized mode of adjudication (yi junfa congshi) and its relationship to eighteenth-century cases of summarized execution under the imperial standard (gongqing wangming). It shows that during the Ming and Qing, militarized adjudications, which were essentially summary in nature, occurred along a spatial-temporal gradient of military operations which was a function of proximity to and intensity of active military operations. The paper also demonstrates that prior to the eighteenth century, militarized adjudication was a different mode of adjudication from the routine adjudicative system (zhuanshen, heshen, qingzhi) associated with the Qing Code (DaQing lüli). When norm-violating behavior occurred closest to the battlefield at the time of battle, it was more likely that the offender would be summarily adjudicated under modal junfa. This relationship changed over time. Imperial standard executions (gongqing wangming jixing zhengfa), primarily an eighteenth-century phenomenon, developed out of the practice of militarized adjudications. The paper relies on writings of Wang Yangming, and criminal cases to delineate the two different paradigms of modal junfa and the routine adjudicative process. It demonstrates the change in time in the relationship between militarized adjudication, routine adjudication, and the military operations gradient.39-58
    • ‪Entre « loi des Miao » et loi sur les Miao : le cas du trafic d'êtres humains dans le Guizhou au xviii e siècle‪ - Ning Laure Zhang p. 79-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette étude considère essentiellement le cas des Miao de la province du Guizhou en examinant deux aspects de la conquête des territoires des Miao par les Mandchous au XVIIIe siècle. Le premier concerne le statut des « Miaoli » ou des « lois sur les Miao » au sein de l'architecture d'ensemble des lois éditées par l'État mandchou pour assurer le contrôle de ces populations allogènes, soit une tension entre la nécessaire reconnaissance des pratiques indigènes et la volonté de les réduire progressivement au régime commun de la loi impériale. Le second concerne la lutte contre les trafiquants Han pénétrant dans le Guizhou pour se livrer au trafic d'êtres humains : on y perçoit une tension d'une autre nature, celle qui oppose la volonté de réprimer une criminalité à grande échelle et la nécessité de tolérer, voire de légaliser, certains de ces agissements. La complexité des lois sur l'esclavage et la vente d'êtres humains autant que la prise en compte d'un cycle de rébellions et de répressions militaires imposaient au pouvoir mandchou une approche pragmatique.

      The article focuses on the case of the Miao of Guizhou province by examining two aspects of the conquest of the Miao territories by the Manchu in the 18th century. The first question concerns 18th-century laws related to the Miao, comparing and contrasting the regulations set forth in codified laws of the Qing dynasty (the laws about the Miao) and the regulations established by the Miao themselves (the “law of the Miao”). Through this comparison, the author tries to illustrate the tension between recognizing the importance of indigenous practices and synchronizing indigenous practices with the legal and political goals of the Manchus concerning the borderlands. The second question concerns human trafficking by the Miao of Guizhou and the battle between those who wanted to criminalize the behavior and those who wanted to tolerate, or even legalize the behavior. The debate between the two sides takes into account two factors : (1) the complexity of Qing regulations concerning slavery and the sale of humans and (2) the need to adopt a pragmatic approach to controlling local practices by the Manchu authorities.
  • II. Réglementer l'espace – Regulating Space

    • ‪Les lois spéciales à caractère régional dans le code des Qing‪ - Zhiqiang Wang p. 103-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les lois spéciales à caractère régional étaient des lois édictées par le gouvernement central vis-à-vis d'une situation particulière à une région donnée, et dont l'emploi se limitait à cette région. Sous les Qing, ces lois visaient les crimes les plus graves, elles étaient réparties par le gouvernement central, principalement sur l'aire métropolitaine de Pékin et sur les régions frontières. Expressions du mécanisme de centralisation du pouvoir, leur production s'accompagnait de l'insertion systématique d'articles additionnels au sein du code des Qing. En ce qu'ils représentaient une adaptation ou un compromis avec les réalités locales et maintenaient la sécurité publique, ces articles additionnels avaient un rôle positif, mais du fait des défauts du système législatif et du manque de technicité de leur codification, des défauts apparurent d'emblée et s'accrurent avec le temps.

      Special law with a regional character were laws promulgated by central rulers on consideration of situations particular to a certain region, and that were to be enforced on this area only. In the Qing period, these laws targeted the harshest crimes, and they were distributed by the central government mainly on the metropolitan area of Beijing and border regions. As a product of the centralization of power process, these laws came with a mechanical insertion of new sub-statutes within the Qing code. Intended as means to adapt and strike a balance with local realities, and as a mean to maintain public order, these sub-statutes had positive effects, but due to the inherent flaws of law issuance and the poor technical quality, shortcomings appeared at the outset and increased with time.
    • ‪Lieux de la loi, lieux du savoir : maîtriser le temps et l'espace des autopsies sous les Qing‪ - Xin-zhe Xie p. 127-150 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Sous l'article 412 du code des Qing régissant les autopsies, il existe un groupe spécifique des articles additionnels qui résultent des soucis en relation à la fois avec le temps et l'espace. En raison de l'insurmontable vulnérabilité d'un cadavre, l'anxiété devant l'écoulement du temps est d'autant plus flagrante que l'autopsie est en jeu. De plus, l'impératif de réaliser toute autopsie in situ rend cette course contre la montre encore plus laborieuse. En outre, le code stipule que seuls les magistrats locaux sont habilités à superviser une autopsie. Par conséquent, le défi posé par le temps et l'espace, conjugué avec l'habilitation exclusive du magistrat, donne lieu à un casse-tête caractérisé par le temps rallongé pour un magistrat habilité d'arriver sur la scène de l'autopsie. Sur la base des mémoires du palais jusqu'ici inédits, l'article retrace comment les législateurs des Qing tentèrent de résoudre un tel casse-tête en mettant progressivement en place des mesures accommodantes ainsi que des limites à leur utilisation. Ce faisant, l'article éclaire une conception particulière de l'expertise, qui met l'accent plus sur la fiabilité morale que sur la connaissance technique.

      Under Article 412 of the Qing Code, dealing with forensic practice, a group of specific sub-statutes reflects a combination of concerns related to both time and space. Due to the insurmountable decay of a body, anxiety in the face of time is all the more perceptible when forensic examination is at stake. At the same time, the requirement that any autopsy should be performed in situ, where the crime occurred, makes the race against time even tougher. Moreover, in accordance with the Qing Code, only local magistrates are entitled to supervise an autopsy. The sum of these elements leads to a serious conundrum whereby it can take considerable time for the commissioned magistrate to arrive at the autopsy site. Based on a survey of several hitherto unpublished palace memorials, this article examines how Qing lawmakers attempted to resolve this problem by gradually implementing flexible measures, as well as conditions with regard to their use. By doing so, this article sheds light on a particular way of conceiving expertise, which puts much more emphasis on moral reliability than technical knowledge.
    • ‪A “Dog-eat-dog” World: Qing Jurispractices and the Legal Inscription of Piety in Amdo‪ - Max Oidtmann p. 151-182 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les historiens du Tibet ont largement ignoré les conséquences du contexte colonial sur le développement de la société tibétaine sous les Qing. Exploitant des archives jusqu'ici inaccessibles en Tibétain et en Mandchou du Qinghai et du Gansu, cet article examine les influences du gouvernement des Qing sur le développement de la culture juridique de l'Amdo. L'arrivée de magistrats des Qing en Amdo à la fin du XVIIIe siècle offrit de nouvelles occasions aux justiciables tibétains de régler leurs litiges. Tout d'abord réticents à être impliqués dans ces poursuites judiciaires, les fonctionnaires des Qing se trouvèrent bientôt attirés dans une grande variété d'affaires allant des disputes sur les ressources naturelles entre laïcs tibétains à des affrontements de large échelle entre monastères sur des problèmes tels que la désignation des abbés, les pèlerinage, et les droits sur des biens tant animés qu'inanimés, appartenant aux domaines de lamas réincarnés. Cet ensemble de litiges ne donna pas seulement naissance à un code « tibétain » dérivé des lois mongoles et d'autres pratiques indigènes, mais produisit un vaste corpus de décisions et d'accords, rédigé tant en tibétain qu'en chinois, qui structura en profondeur la société indigène de l'Amdo. Ces nouvelles traditions de « pratiques judiciaires » (jurispractices) modifièrent profondément les structures politiques et religieuses de la société locale et aboutirent à des restrictions légales et à une réglementation des activités religieuses.

      Historians of Tibet have largely ignored the influence of the Qing colonial context on the development of Tibetan society. Using previously inaccessible Chinese, Tibetan, and Manchu-language archives from Qinghai and Gansu, this essay examines the ramifications of Qing rule on the development of legal culture in the Amdo region. In the late 18th century, the arrival of Qing magistrates in Amdo presented new opportunities for Tibetan litigants to resolve conflicts. Although reluctant to get involved in lawsuits, Qing officials soon found themselves dragged into a variety of matters ranging from natural resource disputes among Tibetan laypeople to large scale feuding between monasteries over issues such as the appointment of abbots, pilgrimage, and rights over property—both animate and inanimate, belonging to the estates of reincarnate lamas. This litigation not only resulted in the creation of a new “Tibetan” code derived from Mongol law and other indigenous practices, but also generated a large body of decisions and compacts, composed in both Tibetan and Chinese, that profoundly shaped the organization of indigenous society in Amdo. These new traditions of “jurispractice” fundamentally re-shaped the political and religious structures of local society and resulted in legal restrictions and regulations of religious activities.
  • Regard extérieur