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Revue | Travaux de linguistique |
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Numéro | no 61, 2010 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
I. Travaux
- Le rôle « instrument » en question - Danièle Van de Velde p. 7-30 Le propos de ce travail est d'abord de rappeler certains travaux précédents selon lesquels un nom d'instrument en position de sujet peut souvent simplement être interprété comme agent, à condition que l'instrument se trouve, pour une raison ou pour une autre, doté d'une force. La partie originale du travail comporte deux volets : l'un concerne les cas où l'interprétation agentive n'est pas possible. Il est montré qu'alors le nom d'instrument sujet se présente comme « possesseur » d'une propriété – cas d'ailleurs non isolé puisqu'on le retrouve avec les verbes de mouvement. Ainsi, parallèlement à ces ciseaux coupent le papier = sont tels qu'ils permettent de couper le papier, on a cette route va au village = est telle qu'elle permet d'aller au village. L'autre volet consiste à montrer que les compléments en avec, où la préposition donne le rôle d'instrument au nom, ne sont pas, en tant que groupes, des arguments du verbe, mais des réalisations du constituant « manière » : non pas de la manière de l'action elle-même, comme les adverbes de manière, qui modifient le verbe, mais de la manière de faire pour que l'action soit accomplie – ils seraient donc plutôt des modifieurs de “v” (comment as-tu fait pour ouvrir cette porte ? Je l'ai ouverte avec ma clé). On arrive donc à la conclusion que le verbe agentif d'une phrase ne donne jamais lui-même le rôle d'instrument à un groupe nominal de son contexte.This article starts by restating that an instrument used in subject position may often receive a truly agentive interpretation if the instrument itself is able to exert some kind of force. The author then develops two new views. The first one is about the cases where the subject instrument cannot be interpreted as an agent but as a possessor of a property: the property being such that, if used, it allows one to accomplish the action (as is the case for certain motion verbs: parallel to ces ciseaux coupent le papier = sont tels qu'ils permettent de couper le papier, we have cette route va au village = est telle qu'elle permet d'aller au village). The second issue is about complements introduced by avec: it is shown that they are not arguments of the verb itself, but one of the possible realizations of « manner » – not the manner of the action itself, as expressed by manner adverbs, but the way of doing that – allows the action to be accomplished, as appears in comment as-tu fait pour ouvrir cette porte ? Je l'ai ouverte avec ma clé. Thus, these complements can be viewed as modifiers of « v » instead of « V ». Finally, it seems that agentive verbs are not themselves giving any instrumental role.
- L'expression de la causation en français et en arabe : une comparaison à la lumière de la linguistique cognitive - Abdeljabbar Ben Gharbia p. 31-61 Après une brève présentation de quelques notions cognitives telles que la disposition sémantique en couches et l'intégration de l'événement, nous nous sommes livré à l'examen des modes d'expression de la causation en français et en arabe, et avons vérifié l'hypothèse selon laquelle il y aurait une corrélation systématique entre le niveau d'élaboration sémantique du processus subordonné et le degré de son intégration syntaxique dans le processus principal.Cette étude nous a permis de constater que l'ordre VVO avec ‘faire' en français est réservé à l'expression de la causation factitive forte, et l'ordre VOV avec ‘laisser' et ‘obliger à…' à l'expression de la causation faible.L'arabe, quant à lui, permet, en plus de la causation faible, d'exprimer deux types de causation factitive : une forte avec les formes verbales II et IV, et une faible avec le verbe schématique ?a'ala ‘FAIRE', qui exige que son site (i.e. complément) soit agentif.Le caractère polysémique de ces deux procédés a, par la suite, retenu notre attention. Nous avons mis en lumière les correspondances systématiques entre les significations de ces procédés et la structure syntaxique du site qu'ils requièrent.After a brief presentation of some cognitive grammar concepts such as Semantic layering of finite clause and event integration, I will review causation's modes of expression in both French and Arabic. I will verify the hypothesis affirming that a systematic correlation exists between the level of semantic elaboration of the subordinate process and the degree of conceptual and syntactic integration with respect to the main process.This study allows us to say that the VVO construction with ‘faire' in French marks strong factitive causation, whereas the VOV order, such as with ‘laisser' and ‘obliger à…', conveys weak causation.By contrast, Arabic can express weak causation as well as two types of factitive causation: the strong one by using verbal forms II and IV, and the weak one by using the schematic verb ?a'ala ‘FAIRE' which requires an agentive landmark (i.e. complement).The polysemous nature of these processes is a particular focus of this paper, as systematic correspondences between the signification (the meaning?) of these processes and the required syntactic structure are pointed out.
- Reformulation et acquisition de la complexité linguistique - Claire Martinot p. 63-96 La complexification de la langue chez 60 enfants de 4 à 10 ans de langue maternelle française est étudiée, pour la première fois, en fonction des procédures de reformulation qui simplifient ou complexifient les énoncés sources d'une histoire qu'ils doivent restituer. L'opposition syntaxique entre énoncés simples ou complexes est réenvisagée sous l'angle d'un continuum dans lequel la complexification, comme la simplification, sont nécessairement relatives et dépendent d'un grand nombre de facteurs. L'étude montre cependant que les différentes procédures de complexification d'un énoncé source lors de sa reformulation correspondent à des reformulations paraphrastiques qui sont attestées dans l'ordre suivant : paraphrases descriptives définitoires lacunaires, puis complètes ; paraphrases sémantiques ; paraphrases formelles : transformations puis restructurations ; et enfin paraphrases fonctionnelles.The increasing linguistic complexity of 60 children aged 4 to 10 years whose mother tongue is French is studied for the first time in relation to the procedures involving reformulation that simplify or render more complex source sentences from a story that they have to retell. The syntactic opposition between simple and complex statements is reviewed from the perspective of a continuum in which both “complexification” and simplification are necessarily relative and dependent on a great many factors. The study shows, however, that the various procedures involved in the increasing complexity of a “source” utterance at the moment of its reformulation correspond to paraphrastic reformulations that are encountered in the following order: incomplete defining descriptive paraphrases, then complete ones; semantic paraphrases; formal paraphrases; transformations followed by restructurings and, finally, functional paraphrases.
- Régularité des opérations linguistiques dans la construction du sens. L'exemple d'un polysème : canard - Pierre Péroz p. 97-114 Dans son article, P. Péroz défend l'approche constructiviste en sémantique lexicale. Pour cela, il choisit l'exemple du mot canard qui, comme il le montre dans la première partie, relèverait plutôt d'une approche référentialiste. Relevant ce qui lui paraît être un défi, l'auteur établit dans la seconde partie de son étude que les différents emplois du mot peuvent se ramener à un microsystème régulier qui mobilise deux paramètres. Le premier qu'il nomme « instanciation » est de nature contextuelle. Il renvoie au problème de la distance du support X aux propriétés de la notion N (de canard) dont il se trouve être une occurrence. Le second qu'il nomme « configuration » est de nature sémantique. Il impose à cette occurrence un « fonctionnement » régulier spécifique au mot canard comme introduisant systématiquement pour une propriété p attendue, la propriété complémentaire autre-que-p. L'articulation de ces deux paramètres constitue la « forme schématique » du mot, c'est-à-dire dans la terminologie culiolienne dont l'auteur se réclame, la formulation abstraite des interactions que le mot construit de manière régulière avec son contexte et qui le définit donc comme unique dans le lexique.In his article, P. Péroz defends a constructivist approach in lexical semantics. To this end, he chooses the example of the word canard for which, as he argues in the first part of his paper, a priori, a purely referential approach seems to be particularly well-suited. The author takes up the challenge: in the second part of his study, he demonstrates that the different ways the word is used can be considered in terms of a regular microsystem based on two factors. The first factor is closely related to the context and is called “instantiation”. It refers to the difference between the theme X and the properties of the notion N (of canard) of which it happens to be an instance. The second factor is semantic and is called “configuration”. For this instance the latter factor determines a regular type of “functioning” which applies specifically to the word canard since it systematically implies a complementary property different-from-p for an expected property p. The interaction between these two factors makes up the schematic form (“forme schématique”) of the word. In other words, according to Culioli's terminology adopted by the author, this “forme schématique” can be defined as the abstract expression of the various kinds of interaction the word is able to construct in connection with its context and which provides a unique definition of the word in the lexicon.
- L'article, apport ou support du nom ? Réponse par l'argument fonctionnel de l'actualisation - Audrey Roig p. 115-133 À ce jour, le critère de l'actualisation est généralement évoqué comme réponse à la question du statut de l'article. L'argument reste cependant problématique : alors que certaines écoles linguistiques l'évoquent pour plaider en faveur d'un article apport au nom, d'autres courants l'utilisent pour étayer la thèse d'un article support nominal. Cette contribution cherche à montrer que l'analogie fonctionnelle n'est qu'apparente, puisque trois interprétations différentes du terme (et du concept) « actualisation » sont recensées au minimum, allant de la possibilité pour le nom de passer de la langue au discours à l'identification du référent, en passant par la quantification et l'organisation interne du référent. Du fait de cette quantité d'actualisations qui, d'après nous, constituent trois étapes d'un même processus linguistique, le statut fonctionnel de l'article reste à ce jour sibyllin. Ou apport ou support du nom, le rôle du petit membre ne cesse d'interroger.Nowadays, the criterion of “actualization” is very often evoked as an answer to the question of the status of the article. This argument, however, remains problematic: some linguistic theories suggest that the article is to be seen as a kind of input (“apport”) with regard to the noun, while other schools of thought use the same argument of actualization to defend the opposite position, viz. the one assuming that the article really supports the noun (“support”). This paper tries to show that the functional analogy is only apparent, since three different interpretations for the term (and the concept) actualization have been identified in literature: the possibility for the noun to cross the barrier from language to discourse, the identification of the referent and, finally, the quantification and internal organization of the referent. Because of the coexistence of three types of actualization, which we believe represents three stages of a singular linguistic process, the functional status of the article remains unclear and vague. Whether “apport” or “support” of the noun, the role of the article remains an intriguing issue.
- Le rôle « instrument » en question - Danièle Van de Velde p. 7-30
II. In Memoriam
- Claire Blanche-Benveniste - Dominique Willems p. 135-136
- Où est le il de il y a ? - Claire Blanche-Benveniste p. 137-153 Comme le montre l'exemple de la notation du verbe il y a, la transcription par écrit des données de langue parlée, qui n'est pas seulement un exercice de discernement auditif, exige de prendre parti à plusieurs niveaux de l'analyse. De nombreux transcripteurs notent ‘y a, y'a, en omettant le sujet il, pour la raison qu'ils ne l'entendent pas. Au-delà du verbe il y a, le phénomène pourrait signaler la disparition des sujets de verbes impersonnels en français contemporain. En consultant des corpus de langue parlée, on peut montrer que l'absence de il impersonnel ne concerne qu'une toute petite série de verbes, s'agit de, faudrait pas, et qu'elle est d'extension syntaxique limitée. Le verbe il y a est particulier dans la mesure où il met en jeu des phénomènes de contacts phonétiques entre i, l et un glide, qui font problème dans bien d'autres cas. Comme il est impossible de décider si le il est présent ou non, le plus prudent semble être d'adopter l'usage de la transcription en orthographe standard.As for many other languages, the transcription of large French spoken data usually follows standard spelling. However, such a choice is sometimes discarded in order to enhance some striking phenomena, for example the notation of the French verb il y a (“there is/are”), written as ‘y a, y'a, without the initial subject il, because it is hardly perceived in common pronunciation. This could be justified in two ways: either the transcription would be more “faithful” to familiar pronunciations or it could be related to a tendency to omit impersonal subjects in modern French, thus following a new drift in French syntax. My view is that omission of impersonal subjects is strictly limited and that it does not trigger any new evolution in the expression of the subject. The case of il y a shows a very specific phonetic situation, which makes it difficult to decide whether il is present or not. Therefore, maintaining standard spelling would be a wise solution.
- In memoriam Stanisław Karolak (1931-2009) - Denis Apothéloz, Małgorzata Nowakowska p. 155-157