Contenu du sommaire : Système de santé et accès aux soins en Chine
Revue | Perspectives chinoises |
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Numéro | no 2016/4 |
Titre du numéro | Système de santé et accès aux soins en Chine |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Éditorial - Carine Milcent p. 3-5 L'accès aux soins est à la confluence de nombreux défis rencontrés par la Chine aujourd'hui. Conscient des enjeux, le gouvernement s'est engagé depuis les années 2000 dans des séries de réformes au sein desquelles deux philosophies coexistent : un marché fortement régulé et une mise en concurrence des soins grâce au développement du marché privé. L'année 2009 a ainsi marqué un tournant. Devant la nécessité d'établir un accès de base pour tous, le Conseil des affaires d'État a annoncé la mise en place d'une couverture santé universelle et globale à l'horizon 2020. Cet objectif a été poursuivi au cours du 12e plan quinquennal (2012-2016) avant que le 13e plan quinquennal (2016-2020) ne donne de nouvelles orientations. …
- Génération perdue - Jiong Tu p. 7-18 Dans les années 1960 et 1970, le système chinois des « médecins aux pieds nus » a été mondialement reconnu pour sa capacité à garantir aux populations rurales un accès aux soins médicaux égalitaire et à moindre coût. Dans les années 1980, avec les réformes économiques, ce système a été abandonné. Certains médecins aux pieds nus ont depuis développé une activité privée, d'autres ont abandonné la pratique de la médecine. Plus de trois décennies se sont écoulées, et l'histoire des médecins aux pieds nus semble avoir sombré dans l'oubli. Toutefois, les séquelles de cette période pèsent encore sur les épaules des anciens médecins aux pieds nus, lesquels, désormais âgés, se retrouvent sans pension de retraite. En s'appuyant sur une recherche ethnographique conduite dans un district de la province du Sichuan entre 2011 et 2012, cet article explore les conditions de vie d'un groupe d'anciens médecins aux pieds nus dans la Chine postmaoïste, et relate le combat qu'ils ont mené ces dernières années pour la reconnaissance officielle de leur travail et le versement de pensions de retraite. Le texte rend compte des conséquences des changements éprouvés par ces médecins qui sont passés du statut de médecins aux pieds nus exerçant dans des conditions très difficiles pendant la période collectiviste au statut de médecins privés dans l'ère postmaoïste. Ce statut leur confère un rôle capital dans la bonne marche du réseau primaire de soins mais les médecins de village sont tenus en marge du système public de santé et cette situation leur impose de faire face à de nouvelles exigences en termes de qualifications, de compétition marchande et d'autonomie.
- Le dilemme d'Hippocrate - Longwen Fu, Cheris Shun-ching Chan p. 19-28 Le recours aux guanxi (relations interpersonnelles) pour obtenir un accès aux soins hospitaliers est devenu un phénomène très répandu dans la Chine d'après Mao. Pourtant, peu d'études se sont penchées sur la manière dont les professionnels de la santé appréhendent les patients bénéficiant de guanxi. Basé sur une recherche ethnographique qui s'inspire du cadre d'analyse des guanxi développé par Fei Xiaotong (1992 [1948]) et Cheris Shun-ching Chan (2009), cet article explore les dilemmes auxquels sont confrontés les médecins chinois quand ils doivent faire la part entre le respect de la déontologie médicale et le ménagement des guanxi. Nous diviserons les patients en trois grandes catégories : ceux qui ne disposent d'aucun guanxi, ceux qui n'ont que des relations éloignées avec les médecins et ceux qui sont liés aux médecins par des liens très forts. Nous observons que les médecins sont confrontés à peu de dilemmes dans leurs interactions avec des patients sans guanxi. Ils adhèrent largement au code de déontologie médicale et adoptent une attitude dominante envers ces patients. En revanche, dans leurs interactions avec les patients qui jouissent de guanxi modérés, les médecins sont partagés entre la nécessité de satisfaire à leurs obligations interpersonnelles (renqing) et celle de se conformer au code de déontologie médicale. Ils parviennent à gérer cette situation en recourant à des stratégies dramaturgiques comme le partage de l'information, le travail sur les émotions et le ménagement de la face. Dans leurs interactions avec des patients avec lesquels ils sont très étroitement liés, en revanche, l'affection et le sens d'obligation asymétrique peuvent prendre le dessus sur la déontologie. Les médecins réagissent en adoptant différentes stratégies comme le contrôle de l'information, le détachement émotionnel et le recours à des tiers. Notre étude illustre l'impact des guanxi sur les professionnels de la santé et les dilemmes moraux auxquels ces derniers font face dans un contexte sociétal dominé par les guanxi. Elle offre aussi des pistes de réflexion sur les réformes qui peuvent être envisagées pour atténuer ce problème.
- Réformes de l'assurance maladie et de la politique pharmaceutique en Chine rurale - Martine Audibert, Xiaoxian Huang, Xiezhe Huangfu, Jacky Mathonnat, Aurore Pélissier, Laurène Petitfour p. 29-39 Depuis le début des années 2000, le gouvernement chinois a entrepris une série de réformes dans le secteur de la santé. Trois d'entre elles, particulièrement importantes, ont concerné l'assurance maladie, le secteur hospitalier et la politique pharmaceutique. Les objectifs de ces réformes étaient d'étendre la couverture maladie, d'accroitre l'activité et l'efficience des établissements de santé et d'améliorer la qualité des soins. Cet article porte sur deux composantes de ces réformes, le développement de l'assurance maladie en zone rurale et la politique de médicaments essentiels, en liaison avec la réforme des hôpitaux. Une longue coopération avec une équipe de chercheurs de l'université de Weifang a permis de suivre ces réformes et de recueillir des données auprès d'un échantillon d'hôpitaux de canton (premier niveau de référence) de la préfecture de Weifang pour en étudier les effets sur leur activité et leur efficience. Cet article présente une synthèse des travaux que nous avons menés sur ces questions sur la période 2000-2012. Les analyses ont été faites à partir de modèles non paramétriques (DEA, indice de Malmquist et frontière partielle) et d'analyses d'impact, couplés avec des entretiens au sein des hôpitaux et auprès des autorités sanitaires. Les résultats montrent que le développement de l'assurance maladie en zone rurale a eu un effet positif sur l'activité des hôpitaux étudiés, laquelle a fortement augmenté. En revanche, il n'y a pas eu d'effets positifs sur l'efficience qui a de fait diminué pendant la période considérée. Ce résultat s'explique par le fait que, même si elle a augmenté, la productivité du personnel est restée faible, l'augmentation observée de l'activité n'ayant pas été suffisante pour compenser l'accroissement des effectifs. De même, la réforme du secteur hospitalier et celle du secteur pharmaceutique n'ont pas eu d'effet sur l'efficience des hôpitaux de canton de notre échantillon. De fait, pour compenser la diminution des ressources propres des hôpitaux, observée après la mise en place de ces réformes, d'une part le gouvernement a augmenté ses subventions, d'autre part, les hôpitaux ont fortement innové pour des soins sophistiqués et chers, concernant un nombre relativement réduit de patients. Des avancées très positives et des questions en suspens conduisent ainsi à porter une appréhension nuancée sur les effets de ces réformes.
- Évolution de l'organisation du système de santé - Carine Milcent p. 41-52 L'organisation du système de santé chinois a connu plusieurs phases de développement. L'objectif de cet article est de montrer comment d'un système hiérarchisé, le système de santé s'est déstructuré puis a donné naissance à un système centralisé où le point d'entrée du parcours des soins est devenu l'hôpital, en particulier les centres hospitaliers offrant un niveau de qualité des plus performants. Le système de santé, se caractérisant alors par son inefficacité, a conduit à une forte violence entre le corps médical et la population. Les raisons en sont l'engorgement de l'offre hospitalière, l'ambiguïté du statut des établissements publics, les compensations financières et autres à-côtés dont bénéficie le corps médical, et le statut de fonctionnaire des praticiens, et ses implications. La mise en place de centres de santé primaires se fait avec peine tandis que la santé numérique est un marché en expansion.
- Situation et enjeux des services de santé à Hong Kong - Veronika Schoeb p. 53-61 La Région administrative spéciale de Hong Kong est le fruit de l'histoire coloniale britannique dans un contexte culturel chinois. Elle offre à sa population un système de santé dual composé d'un dispositif de santé publique complet et efficace associé à des hôpitaux et des praticiens privés. Ce système doit cependant faire face à plusieurs problèmes : demande croissante de services de santé due au vieillissement démographique, pénurie de personnel à tous les niveaux et sous-développement du système de santé primaire. La santé, déterminée par de multiples facteurs, peut se définir comme un état de complet bien-être sur le plan physique, mental et social. Ces dernières années, le modèle médical de la santé, centré sur les pathologies et les maladies, a montré ses limites, et le modèle social, basé sur une approche plus holistique et plus globale de la santé, a commencé à attirer l'attention. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la responsabilité individuelle, le modèle social insiste sur la responsabilité collective en matière de santé. Cet article analyse les défis auxquels Hong Kong doit faire face pour instaurer un tel modèle. La discussion présentera quelques réflexions sur le pouvoir médical, les raisons expliquant la limitation des services de santé primaire et les mesures à envisager afin de fournir à Hong Kong des services de soins correspondant à une vision plus globale de la santé.
- Éditorial - Carine Milcent p. 3-5
Articles
- “Do You Hear the People Sing” “Lift Your Umbrella”? - Tim Rühlig p. 63-73 Dans le monde entier, la musique joue un rôle important dans la mobilisation des mouvements sociaux. La chanson n'est pas seulement un outil de protestation pacifique mais elle aide aussi à la construction d'une identité protestataire dans la mesure où elle permet de lier le mouvement protestataire à son environnement politique et social. Surtout, les mouvements sociaux restent, dans une grande mesure, gravés dans les esprits grâce à leur musique, et c'est souvent la musique qui détermine leur futur impact sur la politique locale, y compris la politique du conflit. Dans ce contexte, cet article cherche à comprendre le Mouvement des parapluies de Hong Kong à travers les vidéoclips musicaux mis en ligne sur YouTube. Pour cela, nous en analyserons les paroles, la musique, les images vidéo afin d'en dégager les éléments principaux et les valeurs du Mouvement des parapluies. Etant donné l'importance de l'identité de Hong Kong comme ville « globale » dotée d'une culture et d'une histoire cosmopolites, nous mettrons l'accent non seulement sur le caractère pacifique du mouvement mais aussi sur l'essor du localisme xénophobe, souvent sous forme de sarcasme, dans le territoire.
- Habiter la ville - Zhou Mingchao p. 75-83 Basée sur une enquête ethnographique dans une école primaire destinée à l'accueil des enfants de travailleurs migrants ruraux à Hangzhou, cette étude porte sur les effets du processus de stigmatisation et les formes d'intériorisation voire de retournement afférents au stigmate du statut de « nongmingong » de leurs parents chez ces « enfants de nongmingong » scolarisés en zone urbaine. Elle analyse particulièrement les stratégies identitaires que les élèves âgés de 10 à 14 ans déploient en face du stigmate lié au lieu d'habitation, en faisant la distinction entre les stratégies individuelles (quand ils sont seuls face à l'enquêtrice) et les stratégies collectives (lorsqu'ils se retrouvent en présence de leurs pairs au sein de l'école).
- “Do You Hear the People Sing” “Lift Your Umbrella”? - Tim Rühlig p. 63-73
Actualités
- À qui faire confiance quand on est malade ? - Anthony H. F. Li p. 85-90
Lecture Critique
- De quoi la « Révolution culturelle » est-elle le nom ? - Xiaoquan Chu p. 91-94 Le livre intitulé L'Hypothèse communiste par Alain Badiou présente la « Révolution culturelle » en Chine comme une étape nécessaire et méritoire vers la réalisation de l'idéal communiste. Son analyse de cet événement en Chine a complètement négligé ce qui s'est passé réellement pendant cette époque pour les Chinois et manifeste une curieuse volonté de la part de l'auteur d'accepter à la lettre les discours produits par l'appareil de la propagande d'alors.
- De quoi la « Révolution culturelle » est-elle le nom ? - Xiaoquan Chu p. 91-94
Comptes-rendus de lecture
- Stein Ringen, The Perfect Dictatorship: China in the 21st Century - David Bartel p. 96-97
- François Gipouloux (éd.), China's Urban Century: Governance, Environment and Socio-Economic Imperatives - Nicolas Douay p. 98-99
- He Jiahong, Back From the Dead:Wrongful Convictions and Criminal Justice in China - Stanley Lubman p. 99-100
- David Shambaugh, China's Future - Alexandre de Saint-Denis p. 100-101