Contenu du sommaire : La Révolution française comme modèle et miroir (URSS, Chine, Japon)
Revue | Annales historiques de la Révolution française |
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Numéro | no 387, janvier-mars 2017 |
Titre du numéro | La Révolution française comme modèle et miroir (URSS, Chine, Japon) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Introduction
- La Révolution comme modèle et miroir (URSS, Chine, Japon) - Jean-Numa Ducange, Alexandre Tchoudinov p. 3-8
Articles
- La Révolution française dans le discours politique des bolcheviks : le cas de Nicolaï Loukine - Alexandre Tchoudinov p. 9-30 Les images de la Révolution française sont activement utilisées par la propagande bolchevique dès la formation de cette fraction du Parti social-démocrate de Russie. Mais c'est surtout après la révolution de 1917 que les propagandistes communistes remettent à l'ordre du jour les références à l'expérience révolutionnaire de la France. Parmi ces propagandistes, Nicolaï Loukine (1885-1940) est l'un des plus habiles. Diplômé de la faculté d'histoire de l'Université de Moscou et l'un des chefs du parti bolchevik dans cette ville, il utilise activement les images de la Révolution française dans les articles qu'il publie dans les journaux bolcheviks. C'est lui qui est mandaté en 1918 pour mettre en place le nouveau système d'enseignement de l'histoire en Russie soviétique ; c'est lui aussi qui fonde l'historiographie soviétique de la Révolution française. Au début des années trente, Loukine devient le cadre de l'État le plus haut placé chargé de la surveillance des recherches historiques en URSS mais à l'époque de la Grande Terreur stalinienne il est arrêté et meurt en détention. Cependant ses élèves jouent les principaux rôles dans le domaine des recherches soviétiques sur la Révolution française jusqu'aux années quatre-vingt.Images of the French Revolution were actively used in Bolchevik propaganda from the creation of this faction of the social democratic party in Russia. But it was above all after the Revolution of 1917 that the communist propagandists made references to the revolutionary experience of France the order of the day. Among the propagandists, Nicolaï Loukine (1885-1940) was one of the most clever. A graduate in history from the University of Moscow, and one of the leaders of the Bolshevik party in this city, he actively employed images of the French Revolution in the articles he published in Bolchevik journals. It was he who mandated in 1918 to put in place a new system for the teaching of history in Soviet Russia ; it was he also who founded Soviet historiography of the French Revolution. At the beginning of the 1930s, Loukine became the highest government official charged with overseeing historical research in the USSR. But at the time of the Great Stalinist Terror, he was arrested and died in detention. Yet his students played the principal roles in the realm of Soviet research on the French Revolution until the 1980s.
- Sur la polémique entre Albert Mathiez et les historiens soviétiques - Varoujean Poghosyan p. 31-54 Après la révolution de 1917, Albert Mathiez a établi des relations amicales et constantes avec ses collègues soviétiques dont il était désireux de présenter les travaux scientifiques dans la revue Annales historiques de la Révolution française. Ses collègues soviétiques marxistes estimaient beaucoup ce grand historien qui s'intéressait aussi à l'histoire sociale de la Révolution française ; beaucoup de ses travaux furent publiés en URSS en traduction russe. Or au début des années trente leurs relations amicales furent rompues : la cause essentielle fut la participation de Mathiez à la campagne des historiens français qui défendaient Eugène Tarlé, arrêté en 1930 comme contre révolutionnaire. Une partie des participants soviétiques de cette polémique fut un peu plus tard soit fusillée, soit exilée au Goulag. Encore plus tard, dans les années cinquante – quatre-vingt, les historiens soviétiques gardèrent le silence sur cette polémique. Après l'éclatement de l'URSS, les historiens russes ont critiqué leurs prédécesseurs, dont l'un d'eux avait raison d'avoir caractérisé leur action contre Mathiez de « croisade ».After the Revolution of 1917, Albert Mathiez established friendly and regular relations with his Soviet colleagues, whose academic work he was eager to publish in the revue, Annales historiques de la Révolution française. His Soviet Marxist colleagues held Mathiez in high regard, who, like them, was interested in the social history of the French Revolution. Many of his works were published in the USSR in Russian translation. But at the beginning of the 1930s, their friendly relations broke off : the essential cause was Mathiez's participation in the campaign of French historians in defense of Eugène Tarlé, arrested in 1930 as a counterrevolutionary. A number of the Soviet participants in this polemic were shortly afterwards either shot or sent to a Goulag. And later, in the years from 1950 to 1980, Soviet historians kept silent about this polemic. After the collapse of the USSR, Russian historians have criticized their predecessors, one of whom had rightly characterized their action against Mathiez as a "crusade."
- Personnalité et destin d'un savant : Iakov Mikhaïlovitch Zakher - Alexandre Gordon p. 55-78 Iakov Mikhaïlovitch Zakher fut l'un de ces savants qu'enthousiasmait l'idée d'une transformation de la société fondée sur des principes socialistes et démocratiques et qui s'intéressèrent à la science historique au moment où éclata la Révolution de 1917. Pour eux, la révolution fut source d'inspiration et ce n'est pas un hasard si Zakher consacra quasiment toute son activité professionnelle à l'étude de la Révolution française dans laquelle on voyait à l'époque les prémisses de ce qui s'était passé en Russie. Le destin de nombreux historiens de cette génération fut pourtant tragique.Traduction assurée par l'auteur The article analyzes life and career of a Soviet scholar from October Revolution Generation, a prisoner of Gulag and historian of the French Revolution. It investigates how political campaigns and persecutions affected Zakher's life and career, and analyzes the difficulties that ideological control created for research process in the Soviet Union. The paper focuses on the collision between scholar's academic achievements, his reputation in local and international research communities, and the treatment he received from Soviet academic bureaucratic "establishment" (university and publishing officials, etc.). The paper utilizes many documents from Zakher's personal archive, and the author's personal archive.
- Albert Manfred et l'apogée des études soviétiques sur la Révolution française - Dmitri Bovykine, Dmitri Chudinov, Hélène Rol-Tanguy p. 79-102 Albert Zakharovitch Manfred (1906-1976) était à l'époque le président d'honneur de la Commission internationale pour l'étude de l'histoire de la Révolution française, l'un des dirigeants de l'Association URSS-France. Le nombre de ses ouvrages traduits en français fut considérable. Toute sa vie, Manfred étudia l'histoire de France ; Albert Soboul, Marcel Reinhard, Camille-Ernest Labrousse et Robert Mandrou comptèrent parmi ses amis. Dès 1962, Manfred occupa le poste de rédacteur en chef de l'Annuaire d'Études françaises, périodique créé à son initiative et qui paraît encore aujourd'hui. Avec l'académicien Viatcheslav Volguine, Manfred a publié les Œuvres choisies de Marat en trois volumes. Sous sa direction, et accompagnés d'une introduction conséquente de sa part, paraissent pour la première fois en russe trois volumes d'Œuvres choisies de Maximilien Robespierre. À l'heure actuelle, Manfred, très connu en Russie, est oublié en France et les auteurs voudraient rappeler aux lecteurs français le destin de ce chercheur remarquable.In Russia, the name, Albert Zakharovitch Manfred (1906-1976), is well known among historians, as well as history buffs. There was also a time when he was widely known in France. Manfred was doctor honoris causa from the University of Clermont Ferrand (1967), a member of the Centre Scientifique Italien for the study of the Napoleonic period (1969), honorary vice president, then president of the Commission Internationale for the study of the French Revolution (1975), and finally, one of the leaders of the Association URSS-France, since its foundation in 1945. A large number of his works are translated into French, many more than for any other Soviet specialist on France. But today, alas, in this France he so loved and where he often sojourned, there are only specialists of Soviet historiography who remember him. The authors of this article would like to remind French readers about this remarkable researcher, and about a man who did so much to make French culture known in the USSR.
- Les origines chinoises des Lumières et de la Révolution française - Yi Gao p. 103-122 Conçue à l'époque des Lumières, née durant la Révolution, la devise de la République française « Liberté, Égalité, Fraternité » contient les trois valeurs universelles les plus essentielles de la civilisation moderne, qui sont toutes en quelque sorte partiellement issues de la culture chinoise. Dit concrètement, l'établissement des deux droits naturels, la Liberté et l'Égalité, bénéficie beaucoup de la préconisation de la culture chinoise effectuée par Voltaire et François Quesnay, les deux grands sinophiles ; tandis que la prévalence pendant la Révolution de la notion de la Fraternité, l'obligation morale unique qui pourrait surmonter le conflit potentiel entre la Liberté et l'Égalité, n'est possible que sur la base de la sécularisation de l'éthique traditionnelle du christianisme, bien facilitée par la sinophilie très à la mode en France du XVIIIe siècle. Un « malentendu » de la culture chinoise pourrait s'être produit ici chez les philosophes français, cependant ce « malentendu » représenterait plutôt une « distillation » ou une « révélation » de certaines valeurs universelles latentes dans la culture chinoise.Conceived during the Age of the Enlightenment, born during the Revolution, the motto of the French Republic, "Liberty, Equality, Fraternity", contains three of the most essential, universal values of Modern Civilization that in a way partially originated in Chinese culture. Concretely stated, the establishment of two natural rights, liberty and equality, owes much to the advocacy of Chinese culture by Voltaire and Francois Quesnay, both of them Sinophiles. During the Revolution, the prevalence of the notion of "fraternity" --the only moral obligation that might reconcile the potential conflict between liberty and equality-- is in fact only possible from the secularization of traditional Christian ethics, which was facilitated by the "Sinophilia," highly fashionable in France during the eighteenth century. A "misunderstanding" of Chinese culture might have occured with the philosophes ; however, this "misunderstanding" represents rather a "distillation" or a "revelation" than certain universal values latent in Chinese culture.
- Un aperçu de la controverse Furet-Soboul dans le monde universitaire chinois - Lihong Zhou p. 123-142 Le débat marquant de l'historiographie opposant essentiellement Furet et Soboul, exerce dès son introduction en Chine à la fin des années soixant-dix une grande influence sur l'étude de la Révolution française dans le monde universitaire. Pendant quarante ans, on assiste à un changement de positions chez les chercheurs chinois dont la plupart sont d'abord très favorables à Soboul, représentant de l'historiographie classique et qui polémique contre tous ceux qui dénaturent la Révolution française, notamment Furet. Néanmoins, à partir des années quatre-vingt-dix, s'impose une situation tout à fait contraire : conscients des effets négatifs de la Révolution française, certains auteurs commencent à se pencher sur la pensée furetienne dans laquelle domine l'idée de rompre avec les déterminations économiques et sociales et donc de considérer la Révolution française avant tout comme une rupture culturelle ; en découle une image complète et positive de l'historiographie « révisionniste » et de sa figure de proue. Si les travaux de deux générations témoignent du rejet puis de la vogue de Furet, on peut observer désormais une tendance à rééquilibrer les thèses soboulienne et furetienne. Un tel renouvellement générationnel, étape par étape, lié à l'évolution du contexte politique et social ainsi que du système de formation en 2e et 3e cycles, nous permet d'affirmer que la version chinoise de la controverse entre Furet et Soboul constitue un moment non négligeable de l'historiographie de la Révolution française.From the time of its introduction in China at the end of the 1970s, the historiographic debate between Furet and Soboul has exercised a strong influence on the study of the French Revolution in the country's university world. During the last forty years, a change of attitude has occurred among Chinese researchers, most of whom were once highly favorable to Soboul, who incarnated the classic historiography and who had engaged in polemics against those he felt misrepresented the event, notably Furet. In the 1980s, the contrary situation emerged : aware of the negative effects of the French Revolution, certain authors began to incline towards Furetist thought that constitutes a rupture with social and economic determinations, and therefore to consider the French Revolution, above all, as a cultural rupture. With this development, a complete and positive image of the "revisionist" historiography and its leading figure has appeared. If the work of two generations show the rejection, then the vogue of Furet, a tendency to balance the Soboulian and Furetist approaches is now apparent. Such a generational renewal, step by step, tied to the political and social context, as well as to the education in the second and third cycles, confirms that the Chinese version of the controversy between Furet and Soboul constitutes a not insignificant moment in the historiography of the French Revolution.
- Crise en période de prospérité. L'Ancien Régime et la Révolution dans la Chine d'aujourd'hui - Xiaoyan Tang, Chi Zhang p. 143-162 Depuis le début du XXe siècle, la Révolution française a toujours été une référence importante pour les révolutions chinoises. Récemment, L'Ancien Régime et la Révolution de Tocqueville a été vivement discuté en Chine. Cela montre que la Révolution suscite toujours un intérêt auprès d'un large public. Après vingt ans de développement, le public chinois, qui n'est plus obsédé par le mythe de la panacée économique, constate le reflet de la réalité chinoise dans L'Ancien Régime décrit par Tocqueville (l'injustice sociale et les défauts du système politique de plus en plus nets coexistant avec le développement économique). En même temps, on craint que la réforme ne soit susceptible d'accélérer l'effondrement du système politique. L'Ancien Régime et la Révolution montre l'anxiété profonde derrière la réalité de la prospérité.From the beginning of the twentieth century, the French Revolution has always been an important reference for the Chinese Revolutions. Recently, Tocqueville's L'Ancien Régime et la Révolution was vigorously discussed in China. This shows that the Revolution always arouses large public interest. After twenty years of development, the Chinese public, no longer obsessed by the myth of economic panacea, sees the reflection of the Chinese reality in Tocqueville's L'Ancien Régime : social injustice and the faults of a political system made more and more clear by economic development. At the same time, one fears that the reform is likely to accelerate the collapse of the political system. L'Ancien Régime et la Révolution française reveals deep anxiety behind the prosperous reality.
- L'historiographie marxiste de la Révolution française dans le Japon de l'après-guerre - Yoshihiro Matsuura p. 163-180 Le but de cet article est de comprendre les caractéristiques des études de trois historiens japonais (Kohachiro Takahashi, Michio Shibata et Tadami Chizuka), en les situant dans un contexte historique spécifique au Japon. En reprenant le point de vue du marxisme de l'école de Kôza qui avait critiqué les survivances des rapports féodaux au Japon, Takahashi proposa une interprétation unique de la Révolution, en considérant l'abolition totale de la féodalité réalisée par la politique montagnarde comme son essence. Shibata et Chizuka, malgré leurs critiques contre Takahashi, continuèrent à avoir deux points communs avec lui. D'une part, ils regardèrent jusqu'à la fin de leur vie la Révolution comme une révolution bourgeoise. D'autre part, ils continuèrent à accorder de l'importance à l'histoire comparative, notamment entre Meiji-Ishin et la Révolution française, en ayant en tête la question de ce que devait être la société japonaise.This article explains the characteristic features of the works of three Japanese historians, (Kohachiro Takahashi, Michio Shibata et Tadami Chizuka), situating them in a specific historical context in Japan. Taking the Marxist point of view of the school of Kôza, who had criticized the survival of feudal relations in Japon, Takahashi offered a unique interpretation by considering the total abolition of feudalism achieved by the political Montagnards as its essence. Shibata and Chizuka, despite their criticisms of Takahashi, continued to have two points in common with him. First, they considered until the end of their lives the Revolution as a bourgeois revolution. And second, they continued to accord an importance to comparative history, notably between Meiji-Ishin and the French Revolution, always having in mind the question of what Japanese society should be.
- L'école japonaise du droit constitutionnel sur la Révolution française : Yasuo Sugihara et Yoichi Higuchi - Koichi Yamazaki p. 181-200 Yasuo Sugihara s'est consacré à l'étude de la formation de la souveraineté nationale à l'époque de la Révolution en prenant en compte le problème de l'appréciation des grandes réformes réalisées au Japon juste après 1945. Il considère que les théories admises sur la nouvelle constitution promulguée en 1947 et sur la réforme agraire de la même année ont trop idéalisé la modernité. Il insiste sur le fait que la souveraineté nationale proprement dite, adoptée dans la Constitution de 1791, avait exclu systématiquement la participation du peuple à la politique et que ce principe s'appliquait toujours dans les constitutions modernes et contemporaines. Yoichi Higuchi affirme de son côté que la souveraineté populaire, après avoir été adoptée dans la Constitution de 1793, a ensuite disparu, pour réapparaître dès la fin du XIXe siècle. Les deux chercheurs ont montré à travers leur polémique l'importance et la signification actuelle des deux principes de la souveraineté constitués pendant la Révolution.Yasuo Sugihara devoted himself to studying the development of national sovereignty during the French Revolution, taking into account the problem of the evaluation of the major reforms implemented in Japan immediately after 1945. He believed that the theories adopted in the new constitution promulgated in 1947 and in agricultural reforms of the same year had excessively idealized modernity. He insisted that national sovereignty, strictly speaking, adopted in the French Constitution of 1791 had systematically excluded the participation of the people from politics, and that this same principle still applied in modern and contemporary constitutions. Yoichi Higuchi, for his part, affirmed that popular sovereignty, having been adopted in the Constitution of 1793, had then disappeared only to reappear at the end of the nineteenth century. These two researchers demonstrated in their important polemics, the current significance of these two principles of sovereignty developed during the Revolution.
- La Révolution française dans le discours politique des bolcheviks : le cas de Nicolaï Loukine - Alexandre Tchoudinov p. 9-30
Hommage
- Alberto Gil Novales (1930-2016) - Lluis Roura i Aulinas p. 201-203
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 204-232