Contenu du sommaire : Travail animal, l'autre champ du social
Revue | Ecologie & politique |
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Numéro | no 54, 2017 |
Titre du numéro | Travail animal, l'autre champ du social |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- La noirceur du monde n'est pas une fatalité - Jean-Paul Deléage p. 5-13
Dossier : Travail animal, l'autre champ du social
- Elmo et Paro®, pourquoi l'un travaille et l'autre pas, et ce que ça change - Jocelyne Porcher p. 17-34 Une nouvelle révolution industrielle est amorcée à laquelle nous ne pourrions nous soustraire alors qu'apparaissent de nouvelles organisations du travail et de nouveaux acteurs dont les robots, concurrents des travailleurs humains mais aussi, ce qui est moins visible, redoutables concurrents des travailleurs animaux. Dans l'industrie 4.0 et le monde numérisé qui advient, les animaux domestiques sont obsolètes. Remplacés dans notre alimentation par des substituts végétaux ou par de la viande in vitro. Évincés par des robots dans les foyers, les maisons de retraite ou les hôpitaux. Décrits comme des partenaires affectueux, attentionnés et efficaces, les robots sont supposés travailler à la place des animaux. Mais les robots ne travaillent pas, ils fonctionnent. Le travail engage la subjectivité et l'intersubjectivité des relations entre humains et animaux. Il mobilise l'intelligence des animaux et leur implication dans une œuvre commune, construite avec des humains. C'est ce dont témoignent les recherches réalisées dans le cadre du programme ANR COW qui sont présentées dans ce dossier.A new industrial revolution has begun that we could not avoid. New work organizations appear, as well as new actors of work like robots who not only compete with the workers but also, with less visibility, with animal workers. In the industry 4.0 and our digitized world, domestic animals are obsolete. They are replaced by plant substitutes in agriculture and by robots in homes, houses of retreat and hospitals. Described as kind partners, attentive and efficient, they are supposed to work in place of animals. But robots do not work. They function. Work mobilizes subjectivity and intersubjectivity between humans and animals. Work mobilizes the animal intelligence and their involvment in a common project, built with humans. That's what is showed in the articles of this section, which are the fruits of researches realized within the framework of the ANR COW program.
- De la désolation à la production d'un monde commun : Réflexions critiques sur le travail dans l'agriculture - Estelle Deléage p. 35-44 Cet article interroge le rapport au travail des agriculteurs et des paysans contemporains. Alors que de nombreux agriculteurs productivistes travaillent en s'épuisant dans la reproduction d'une activité éphémère, certains paysans développent des pratiques originales qui leur permettent de participer à la création d'un monde commun.This article questions today's farmers relation to work. While many productivist farmers work by wearing themselves out in the reproduction of an ephemeral activity, some peasants develop original practices that allow them to take part in the creation of a common world.
- Travail interespèces et conservation : Le cas des éléphants d'Asie - Nicolas Lainé p. 45-64 Cet article souhaite rendre compte des liens entre populations locales et pachydermes à partir de deux enquêtes ethnographiques menées en Inde et au Laos. En explicitant les conditions du vivre-ensemble entre les Khamtis et les éléphants dans le Nord-Est indien, la première partie souligne la centralité du travail pour pérenniser les liens entre humains et éléphants. Si le travail est au fondement des relations hommes-éléphants, toute activité réalisée par et avec les pachydermes ne relève pas systématiquement pour autant d'une relation de travail. Comparant deux systèmes de gestion des pachydermes dans les parcs touristiques et dans les villages laotiens, la deuxième partie insiste quant à elle sur le rôle et la place des savoirs locaux dans le cadre de la conservation de l'espèce. À l'appui des résultats de ces enquêtes, la conclusion invite à refonder le paradigme de la conservation. Une approche basée sur le travail interespèces, qui met l'accent sur la diversité des attachements au vivant, n'est pas seulement pertinente en termes de subjectivité, ni en termes de relations interespèces, elle permet de l'envisager comme une coproduction avec, dans et sur un écosystème dans son ensemble.Drawing from two ethnographic fieldworks in India and Laos, this article seeks to account for the links shared between local populations and pachyderms. By clarifying the conditions of Khamtis-elephants living together in the North-East of India, the first part emphasizes the centrality of work for perpetuating their relationships, guarantor of the survival of the species. By posing labour at the basis of the relationship, we do not assert however that any activity performed by and with the elephants can be considered as such. Comparing two pachyderm management systems in Laotian tourist parks and villages, the second part focuses on the role and place of local knowledge as part of species conservation. In support of these results, the conclusion calls for a refoundation of the conservation paradigm. It shows that an approach based on interspecies labour, which focuses on the diversity of attachments to life and to forms of living, is not only relevant in terms of subjectivity, nor in terms of interspecies relations, but allows to consider it as a co-production on, with and within an ecosystem as a whole.
- La louve et la chienne patou : la liberté et le travail - Jocelyne Porcher, Élisabeth Lécrivain p. 65-78 Lorsque dans la fable « Le Loup et le Chien », La Fontaine tient la liberté pour l'apanage du loup et réduit la condition du chien aux stigmates de son collier, il oppose la liberté de l'individu dans la nature à l'esclavage nourricier de la domestication. À partir de l'exemple de la vie d'une louve et d'une chienne patou, nous interrogeons le rapport à la liberté de ces deux espèces. Car la chienne patou a accès à une liberté particulière, celle que lui offre le travail. Ou plutôt que pourrait lui offrir le travail si les conditions de la reconnaissance existaient. En effet, contrairement au chien de conduite qui est formé et reconnu au travail, les rapports de la chienne patou aux brebis sont essentialisés et occultent la question du travail. La chienne est supposée n'agir qu'en réponse à son instinct de protection potentialisé par sa proximité avec les brebis dès son jeune âge. Cette occultation du travail et le manque de reconnaissance du travail qu'elle accomplit dissolvent l'agentivité dont fait preuve la chienne au travail, mais peuvent aussi conduire à la démotiver.In the fable “The Wolf and the Dog,” La Fontaine considers freedom to be the wolf's privilege and reduces the condition of the dog to the stigmata of its collar. He then opposes the freedom of the individual in nature to the food slavery of domestication. From the example of the life of a wolf and of a female dog patou, we question the relationship to freedom of these two species. For the patou has access to a particular freedom, that offered to her by work. Or rather that the work could offer if the conditions of the recognition existed. For, unlike the shepherd dog that is trained and recognized at work, the relationships of the patou to the sheep are essentialized and hide the question of work. The patou is supposed to act only in response to her instinct of protection potentiated by her proximity to the sheep from her young age. This occultation of work and the lack of recognition of the work that she performs dissolve the agency that shows the patou at work but can also lead to demotivating her.
- Les chevaux au laboratoire, entre conditionnement et travail - Jocelyne Porcher, Sophie Nicod p. 79-86 En 2014, Masaki Tomonaga, primatologue au Primate Research Institute (PRI) de l'université de Kyoto, a entrepris, sous la direction de Tetsuro Matsuzawa, de comparer les capacités visuelles des chevaux à celles des chimpanzés. Carlos Pereira et Sophie Nicod ont collaboré à cette étude dans le cadre de l'axe du programme COW qui concernait la communication. L'objectif de l'étude était de vérifier cette reconnaissance visuelle sur un écran d'ordinateur. Les théories sous-jacentes à ce type d'expérimentation sont celles du conditionnement opérant. En marge de l'expérimentation et à titre d'hypothèse préliminaire, nous avons proposé de penser que l'activité des chevaux dans ce cadre expérimental relevait autant du travail que du conditionnement. Pour tester cette hypothèse, Sophie Nicod a observé les chevaux dans leurs rapports quotidiens à l'ordinateur et a noté les écarts entre les prescriptions et ce que faisaient effectivement les chevaux lors de dysfonctionnements de l'ordinateur. Ces résultats préliminaires laissent penser que les théories du travail permettent de comprendre ce que font les animaux au laboratoire d'une manière bien plus convaincante que les théories du conditionnement.In 2014, under the direction of Tetsuro Matsuzawa, Masaki Tomonaga, primatologist at the Primate Research Institute (PRI) of the University of Kyoto, conducted an experiment about the visual discrimination abilities of horses. Carlos Pereira and Sophie Nicod collaborated in this experiment within the framework of the ANR COW program. The aim of the experiment was to assess the visual abilities of horses on a computer screen. The main theory that supports this type of experiments is the operant conditioning. As preliminary hypothesis, on the margins of this experiment, we proposed that the horse's activities in this experiment were as much about work as about conditioning. To test this hypothesis, Sophie Nicod observed the daily behavior of horses with computer. She noted the differences between what was prescribed by the procedures and what horses actually did. The preliminary results suggest that theories of work are more relevant to understanding what animals do in laboratories than conditioning theories.
- Apprendre à prendre soin : La centralité du travail dans l'éducation des chiens guides d'aveugles - Sébastien Mouret p. 87-102 Depuis leur domestication, les chiens prennent part à de nombreuses activités humaines relevant, pour la plupart, du champ du travail. Si les chiens ont pris place durablement dans nos sociétés humaines, c'est grâce notamment à leur efficacité dans la réalisation de tâches que nous leur avons confiées, dont celle de répondre aux besoins d'humains fragilisés par le handicap, la maladie et le vieillissement. Comment les chiens participent-ils au travail du care ? Peut-on les considérer comme des travailleurs ? Le chenil peut-il être vu comme une école ? Cet article met en lumière la centralité du travail dans le dispositif d'éducation des chiens guides d'aveugles. Prendre soin implique, de la part des animaux, de travailler. Éduquer, c'est aussi rencontrer leur intérêt et leur plaisir pour le travail à côté d'humains.Since their domestication, dogs have been involved in many human activities, most of which are part of the work's field. If dogs have taken place on a long-term basis in our human societies, it is because of their effectiveness in carrying out tasks that we entrusted them, among which to answer the needs of humans made vulnerable by disability, disease and ageing. How do dogs participate in care work? Can they be considered as workers? Can the kennel be seen as a school? This article highlights the centrality of work in the educational system of guide dogs for blind people. To take care implies on the part of the animals to work. To educate also means meeting their interest and enjoyment for working with humans.
- Travailler à faire semblant : les animaux au cinéma - Jean Estebanez, Jocelyne Porcher, Julie Douine p. 103-121 Cet article questionne ce que font les animaux de cinéma : travaillent-ils ? En partant d'un cas limite (documenté par quatre mois de terrain en France) où le travail ne se traduit pas par une production matérielle mais par une performance, nous explorons en quoi la participation des animaux ne relève pas uniquement de caractéristiques comportementales mais de compétences acquises lors d'une véritable formation. Dans un cadre très contraint techniquement et financièrement, la professionnalisation distingue des animaux de travail, spécialistes de l'audiovisuel, d'autres animaux de la même espèce, mais non professionnalisés, qui seraient incapables d'effectuer les mêmes tâches. Nous analysons ensuite les motivations subjectives qui rendent possible cette activité commune entre un animal et son dresseur. L'accomplissement, la confiance, la reconnaissance deviennent centrales pour accomplir des tâches complexes comme le jeu d'émotions, qui ne sont pas nécessairement réellement ressenties par les animaux. Source potentielle de souffrance, de domination ou de joie et d'émancipation, le travail des animaux au cinéma porte les mêmes enjeux que le travail des animaux, d'une manière plus générale, voire que le travail humain, pour lequel l'engagement subjectif et le besoin de reconnaissance sont des enjeux vitaux.Are animals movie actors? Are they working as they perform? Based on a four month fieldwork in France with trainers and their animals, this paper shows that animals are not endlessly repeating the same biologically determined actions but they are trained to become professionals. Some animals become cinema specialist acting in a way non-trained members of the same species would never display. Cinema animals also have to invest their intelligence, sensibility and affectivity into their work, as we argue that working involves a subject of work. Achievement, trust and consideration are central to achieve complex tasks such as playing/faking emotions. As work can be a constraint, a source of suffering or a fulfilling experience, cinema animals are connected to the same broader issues as animal work or even human work—the engagement of subjectivity and the urgent need of consideration.
- Elmo et Paro®, pourquoi l'un travaille et l'autre pas, et ce que ça change - Jocelyne Porcher p. 17-34
Variations
- Écosocialisme ou barbarie : La technocritique, source de l'écologie politique d'André Gorz - Timothée Duverger p. 125-134 L'œuvre d'André Gorz est souvent appréhendée à l'aune de la philosophie existentialiste ou de la théorie anticapitaliste. Peu s'intéressent à sa technocritique, qui est pourtant la pierre angulaire de sa pensée sociale. D'un côté, de son livre Écologie et politique (1978) à L'immatériel (2003), il promeut une société utopique abritant des ateliers autogérés pour étendre la sphère autonome. De l'autre, il condamne une société dystopique où la technique contrôle l'humanité. L'alternative est donc entre l'écosocialisme et la barbarie. Toute l'écologie politique d'André Gorz se retrouve dans cette défense du monde vécu contre l'obsolescence de l'homme organisée par le capitalisme.The work of André Gorz is often understood in the light of existentialism or the anticapitalist theory. Few are those who take an interest in his technocriticism, while it is the keystone of his social thought. On the one hand, from his book Ecology and Politics (1978) to The Immaterial (2003), he promotes a utopian society sheltering self-governed workshops in order to extend the autonomous sphere. On the other hand, he disapproves of a dystopian society where technology controls humanity. The alternative is thus between ecosocialism and barbarity. All Gorz's political ecology is found in this defense of the lived world against the obsolescence of man organized by capitalism.
- Barbara Demeneix, chercheuse et citoyenne - Jean-Paul Deléage p. 135-146
- Écosocialisme ou barbarie : La technocritique, source de l'écologie politique d'André Gorz - Timothée Duverger p. 125-134
Sources et fondements
- Itinéraire d'un scientifique engagé - Mohamed Larbi Bouguerra, Frédéric Brun, Sylvia Marcon, Benoit Monange p. 149-166
Notes de lectures
- Notes de lectures - p. 167-187