Contenu du sommaire : Langue et espace : retours sur l'approche cognitive
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.26, n°1, 2004 |
Titre du numéro | Langue et espace : retours sur l'approche cognitive |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Langue et espace : retours sur l'approche cognitive
Articles
- Présentation - Jean-Michel Fortis p. 3-5
- Verbes de mouvement, espace et dynamiques de constitution - Pierre Cadiot, Franck Lebas, Yves-Marie Visetti p. 7-42 En pratique difficile à définir, la classe des 'verbes de mouvement' donne lieu jusque dans les travaux récents à des approches diverses (ontologies formelles, psychologies cognitives, traits sémantiques, rôles casuels). En revenant sur des oppositions telles que 'verb-framed' vs 'satellite-framed', 'objectivation' vs 'subjectivation', 'inaccusativité' vs 'ergativité', nous montrons que ces tentatives sont fondamentalement liées à des conceptions inadéquates de l'espace et du mouvement. De nombreuses observations linguistiques indiquent en effet que le mouvement (et l'espace) ne devraient pas être impliqués en sémantique à partir d'un modèle fait en premier lieu de topologies et de déplacements, supposés donnés sans relation constitutive à des anticipations de nature praxéologique, qualitative et intentionnelle. Une codification de ces anticipations en termes de rôles casuels ne convient pas non plus. En prenant appui sur une toute autre conception microgénétique de la perception et de l'action, nous montrons comment les 'verbes de mouvement' (aussi basiques que monter, partir, sortir) contribuent à spécifier, au travers d'une variété de constructions, la 'dynamique de constitution' d'un champ qui est à la fois phénoménologique, pratique et discursif. La généricité de la signification verbale, attestée par les transpositions à des emplois dits fonctionnels ou figurés, s'éclaire du même coup.Beyond the fact that defining a class of 'verbs of movement' is difficult in practice, it appears that studying them gives rise to a diversity of approaches (formal ontology, cognitive psychology, semantic features, case roles). By re-examining oppositions such as verb-framed / satellite framed, objectivation / subjectivation, inaccusative / inergative, we will show that these attempts are dependent upon inadequate conceptions of movement and space. Numerous linguistic observations indeed indicate that movement (and space) should not be involved in semantics on the basis of a primary model essentially made of topologies and displacements, which would be constituted without any relation to other praxeological, qualitative, and intentional dimensions. It appears that all these intricate aspects — all the more so as they are co-constituted by language activity — cannot be simply dissociated into, for instance, path and manner, nor properly assessed just by adding a coding of case roles. By referring to a quite different model of perception and action, we show that the 'verbs of movement' (as basic as monter, partir, sortir) work out their semantics by specifying, through a variety of grammatical constructions, the 'dynamics of the constitution' of a phenomenological, practical and discursive field. Such an approach also sheds light on the genericity of verb meaning, allowing its transposition to the so-called functional or figurative meanings.
- L'espace en linguistique cognitive : problèmes en suspens - Jean-Michel Fortis p. 43-88 Dans cet article, nous discutons des problèmes auxquels doivent faire face les théories qui décrivent les conditions d'emploi des morphèmes «spatiaux» (notamment les adpositions) en faisant référence essentiellement aux propriétés des entités situées et aux relations concrètes qui les unissent. Nous soulignons que l'emploi des adpositions repose aussi sur des facteurs «pragmatiques», qui reflètent chez les locuteurs la préoccupation de focaliser sur l'information pertinente dans un contexte donné, et aussi sur la prise en compte de la valeur différentielle des prépositions concurrentes et du type aspectuel du verbe qu'elles complètent. Dans le cas où les adpositions sont définies de manière très spécifique et, dans leurs usages spatiaux, en référence à la spatialité, rendre compte de leur polysémie, par exemple de leur emploi pour signifier des relations temporelles, s'avère problématique. La notion de catégorie radiale (à degrés de typicalité) est souvent appelée à la rescousse. Toutefois, cette notion suscite de nombreuses questions, dont celle de savoir si les catégories ainsi dégagées sont des comptes rendus descriptifs de faits linguistiques ou des hypothèses psychologiques sur la structure des représentations sémantiques. En outre, il est souvent affirmé que l'extension des expressions «spatiales» à des domaines non spatiaux résulte de transferts métaphoriques. Nous montrons que ce processus de métaphorisation pourrait n'être pas aussi systématique qu'on veut souvent le croire, notamment en ce qui concerne les usages temporels des expressions «spatiales». Enfin, nous proposons une typologie sémantique des modes d'expression des relations spatiales. Cette typologie nous sert à illustrer le fait que les relations spatiales peuvent être exprimées par des morphèmes ou des constructions qui n'ont pas de signification «spatiale». Cette dernière observation discrédite à notre avis l'idée de délimiter nettement l'ensemble des expressions spatiales par le fait d'avoir une signification spatiale, et compromet toute tentative d'associer l'expression des relations spatiales au fonctionnement d'un module de traitement cognitif des relations spatiales.The theories in which the conditions of use of «spatial» expressions (especially adpositions) are based on the properties of entities and the concrete relationships between entities are confronted by a number of problems. In this paper, it is claimed that the choice of «spatial» adpositions cannot be determined solely by such properties and relationships, but also hinges on pragmatic factors. These factors reflect the speaker's intention to focus on certain pieces of information and, conversely, to deemphasize other ones. It is also shown that the choice of «spatial» adpositions is dependent on the differential semantic value of the competing adpositions and on the aspectual type of the head verb. Defining adpositions in very specific terms or giving definitions in terms that refer to spatial properties leads to further problems. In order to account for polysemy, theorists of the cognitive school often resort to radial categories (where membership within the category ranges over a scale of typicality). This paper highlights issues that confront such accounts. In particular, do such theories provide descriptive accounts of linguistic facts or are they instead psychological hypotheses on the structure of semantic representations? Also, it is often claimed that extensions of «spatial» expressions to non spatial domains rest on metaphorical transfers. We show that metaphorization may not be as systematic as it is commonly assumed, notably when «spatial» expressions are used to refer to temporal relationships. A semantic typology for the expression of spatial relationships is then proposed. It is shown that languages may express spatial relationships through the use of morphemes or constructions that have no «spatial» meaning. This last observation runs counter the hypothesis that «spatial» expressions form a clear-cut set whose members all specify spatial meanings. Moreover, it compromises the claim that the members of this set have properties which reflect those of a cognitive module dedicated to the processing of spatial relationships.
- Quatre relations fondamentales pour la description de l'espace - Claude Vandeloise p. 89-109 La première partie de l'article précise les positions de la linguistique cognitive par rapport à l'objectivisme que lui attribue J.-M. Fortis. Si l'espace joue un rôle important dans ma description des prépositions, je n'y cherche pas tant des concepts géométriques ou topologiques que des concepts fonctionnels liés à son utilisation et à notre expérience du monde. La deuxième partie de l'article montre que l'utilisation de l'inclusion topologique dans la description de la préposition dans conduit à une ontologie fantomatique. Après une brève présentation de la théorie de la place dans la physique grecque (les Atomistes, Aristote et Jean Philopon), je propose quatre relations fondamentales entre l'espace et la matière. La coïncidence entre les objets matériels et la place qu'ils occupent est la relation fondamentale qui permet de définir globalement une inclusion indépendante de la théorie des ensembles, et l'enveloppement. Quant à la limite, elle est définie comme un lieu d'action où une entité matérielle délimite une entité plus fluide qu'elle, rien n'étant plus fluide que l'espace.In the first part of this article, I qualify the objectivism attributed to cognitive linguistics by J.-M. Fortis. If space has an important role in my description of prepositions, this is not through its geometry or topology but through functional concepts related to our experience of the world. The second part of the article shows that the description of the preposition dans by topological inclusion leads to a «ghostly» ontology. After a brief presentation of the theory of place in Greek physics (the Atomists, Aristotle and Philoponus), I propose four fundamental relationships between space and matter. Coincidence between material objects and the position they occupy is the basic relationship through which inclusion is globally defined, independently from set theory, as well as envelopment. Limits are defined as the places of action where a given material entity delimits another more fluid material entity, nothing being more fluid than space.
- L'égocentrage spatial, les cultures et les situations - Marie-Noëlle Chamoux p. 111-135 L'hypothèse d'un égocentrage primitif universel et direct fournissant le langage spatial à partir de l'orientation dite «naturelle» du corps humain est toujours à la base de nombreuses recherches, alors qu'il est largement discuté en psycholinguistique. L'enracinement de cette thèse réside dans la tradition moderne qui oppose l'individu humain monadique au reste du monde et «naturalise» nombre de concepts. Le relativisme lui a substitué une autre monade, la culture, qui introduirait des variations si fortes que l'égocentrage spatial pourrait être absent dans certaines langues. Diverses typologies des cadres de référence sont actuellement proposées. En les appliquant aux cas d'enfants mexicains de langue nahuatl on a identifié en fait une multiplicité de codes et aucun primat de l'égocentrage direct dans le langage. Cependant, le mode d'accès aux conceptions spatiales passe par la situation de discours, qui introduit ses propres règles. Ainsi la notion générale d'espace fait difficulté en nahuatl, alors que celle de temps est courante, ce qui doit être rapporté à la situation sociolinguistique plutôt qu'à la catégorisation cognitive. De même les consignes d'enquête ne traduisent pas de façon neutre la question de recherche mais introduisent déjà une interprétation qui s'impose à l'interlocuteur. Pour évaluer l'égocentrage, il est nécessaire de reconnaître les variations des transpositions d'Ego suivant les cultures.It is often claimed that an egocentric viewpoint provides, in a direct and universal fashion, an origin for directions in space centered on the human body. This view still holds sway over many studies, although it has been under much discussion in psycholinguistics. This claim is inherited from the Modern Tradition, which opposes a monadic Human Being and the World, and undertakes to «naturalize» our concepts. Relativism introduces another monad, namely Culture, and shows that diversity may be so wide as to include cultures in which egocentricity has no privileged linguistic status. After a presentation of the different typologies of linguistic frameworks that have been proposed so far, we turn to their application for the analysis of spatial descriptions by Nahuatl speaking children. It is shown that they resort to different frames and that the egocentric viewpoint is not predominant. It is pointed out that space is accessed in a discourse situation which enforces its own rules. In Nahuatl, the notion of space appears quite elusive, unlike the notion of time, which is more familiar. We contend that this asymmetry should not be viewed as reflecting different levels of cognitive categorizations but that it stems from sociolinguistic conditions. Further, the instructions given to the subject are not neutral but induce some bias in the speaker's response. In order for us to assess the prevalence of egocentricity, we must first investigate the various ways in which the Ego is transposed in other cultures.
Archives et documents
- Bref aperçu sur l'histoire de l'étude des parties du discours en Vietnamien (1ère période) - Lê Thị Xuyến, Phạm Thị Quyên, Ðỗ Quang Việt, Văn Bích Nguyễn p. 137-158 Les études sur la grammaire de la langue vietnamienne peuvent être groupés en quatre tendances. Les oeuvres les plus représentatives de ces quatre tendances que nous allons étudier dans cet article sont les suivantes: 1. Alexandre de Rhodes: Dictionarum annamiticum, lusitanium et latinum, Rome 1651; Trương Vĩnh Ký: Grammaire de la langue annamite, Saigon 1883. 2. MM. Grammont et Lê Quang Trình: Études sur la langue annamite, MSL, t. 17, Paris 1911-1912. 3. Lê Văn Lý: Le parler vietnamien, Huong Anh, Paris 1948. 4. Comité d'État des Sciences Sociales du Viet Nam: Grammaire de la langue vietnamienne, Hanoi, 2000. Les modèles du latin et du français se font sentir dans les deux ouvrages d'Alexandre de Rhodes et de Trương Vĩnh Ký. Conscients des erreurs de leurs prédécesseurs, M. Grammont et Lê Quang Trình s'engagent sur une autre voie: ils rejettent totalement l'idée qu'il existe des catégories grammaticales en vietnamien. L'ouvrage de Lê Văn Lý marque une étape importante dans l'étude linguistique de la langue vietnamienne. Il est le premier linguiste vietnamien à établir des classes de mots de sa langue maternelle à partir de leurs possibilités combinatoires avec les mots témoins. La grammaire vietnamienne a ensuite fait des progrès avec les linguistes vietnamiens sous la direction de Nguyễ̃n Kim Thản et de Nguyễn Tài Cẩn. En se fondant sur des critères sémantico-syntaxiques, ces linguistes apportent une solution assez satisfaisante à la classification des mots dans une langue comme le vietnamien.Grammatical Studies on Vietnamese can be grouped together under four headings. This paper will examine the most representative works belonging to all four of them: 1. Alexandre de Rhodes: Dictionarum annamiticum, lusitanium et latinum, Rome 1651; Trương Vĩnh Ký: Grammaire de la langue annamite, Saigon 1883. 2. MM. Grammont et Lê Quang Trình: Etudes sur la langue annamite, t. MSL, t. 17, Paris 1911-1912. 3. Lê Văn Lý: Le parler vietnamien, Huong Anh, Paris 1948. 4. Comité d'État des Sciences Sociales du Viet Nam: Grammaire de la langue vietnamienne, Hanoi, 2000. The influence of Latin and French models can be felt respectively in the works of Alexandre De Rhodes and Trương Vĩnh Ký. Conscious of the mistakes made by their predecessors, M. Grammont and Lê Quang Trình start in a different direction and they totally reject the use of grammatical categories for describing the Vietnamese language. The work by Lê Văn Lý is an important milestone in the linguistic study of the Vietnamese language. He is the first Vietnamese linguist to establish the existence of word classes in his mother tongue based on their possible combination with witness-words. Vietnamese grammar has then evolved with the contribution of linguists under the guidance of Nguyễ̃n Kim Thản and of Nguyễn Tài Cẩn. By adopting semantico-syntactic criteria, these linguists provide an acceptable solution to the problem of the classification of words in Vietnamese.
- Bref aperçu sur l'histoire de l'étude des parties du discours en Vietnamien (1ère période) - Lê Thị Xuyến, Phạm Thị Quyên, Ðỗ Quang Việt, Văn Bích Nguyễn p. 137-158
Lectures et critiques
Comptes rendus
- Fumaroli Marc (Dir.). Histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne (1450-1950), 1999 - Chevalier Jean-Claude p. 159-162
- Joseph John E. From Whitney to Chomsky: Essays in the history of American linguistics, 2002 - Léon Jacqueline p. 162-165
- Rosenfeld Sophia. A Revolution in Language; The Problem of Signs in Late Eighteenth-Century France, 2001 - Haßler Gerda p. 165-172
- Danblon Emmanuelle. Rhétorique et rationalité. Essai sur l'émergence de la critique et de la persuasion, 2002 - Godart-Wendling Béatrice p. 172-178
- Ablali Driss. Jacques Fontanille [Préf.]. La Sémiotique du texte : Du discontinu au continu, 2003 - Badir Sémir p. 178-181
- Virgilius Maro Grammaticus. Opera Omnia, 2003 - Grondeux Anne p. 182-184
Ouvrages de collaborateurs
- Alvarez-Péreyre Frank & Jean Baumgarten (Eds.). Linguistique des langues juives et linguistique générale, 2003 - p. 184-184
- Biard Joël & Irène Rosier-Catach (Eds.). La tradition médiévale des catégories (XIIe-XVe siècles: Actes du XIIIe symposium européen de logique et de sémantique médiévales (Avignon, 6-10 juin 2000), 2003 - p. 184-185
- Pillot Jean. Bernard Colombat [Trad.]. Institution de la langue française (Gallicae linguae institutio, 1561), 2003 - p. 185-185
- Guilhaumou Jacques & Raymonde Monnier (Eds.). Maurice Tournier [Trad.]. Des notions-concepts en révolution autour de la liberté politique à la fin du 18e siècle, 2003 - p. 185-185
- Kessler-Mesguich Sophie. La langue des sages : Matériaux pour une étude linguistique de l'hébreu de la Mishna, 2002 - p. 185-186
- Rosier-Catach Irène. La parole efficace : Signe, rituel, sacré, 2004 - p. 186-186