Contenu du sommaire : L'État et les diplomaties culturelles
Revue | Relations internationales |
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Numéro | no 169, avril-juin 2017 |
Titre du numéro | L'État et les diplomaties culturelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction : Modèles et contre-modèles transnationaux de diplomaties culturelles - Matthieu Gillabert, Pauline Milani p. 3-10
- Diplomatie culturelle et diplomatie publique : des histoires parallèles ? - Matthieu Gillabert p. 11-26 Dans l'historiographie récente sur la diplomatie culturelle, on assiste à une profusion de concepts pour rendre compte des dispositifs de projection nationale et de contacts culturels. Plus particulièrement, ceux de diplomatie culturelle et la diplomatie publique sont employés sans qu'il soit toujours aisé de voir ce qui les rapproche et ce qui les éloigne. Cette contribution historicise ces notions qui connaissent une histoire parallèle débutant avec les impérialismes de la fin du XIXe siècle. Elles ne sont toutefois pas le monopole des grandes puissances. En comparant les traditions historiographiques anglo-saxonnes et francophones, on s'aperçoit que les écoles historiques ont été peu enclines à s'emprunter réciproquement les concepts de diplomatie culturelle et diplomatie publique. Enfin, l'article s'interroge sur l'utilisation de ces concepts en fonction du contexte historique afin qu'ils conservent leur opérabilité.Cultural Diplomacy and Public Diplomacy: A Parallel History?
In the recent historiography of cultural diplomacy, there has been a profusion of concepts to decipher how national projections abroad and cultural contacts work. In particular, it is often difficult to ascertain what takes the concepts of cultural diplomacy and public diplomacy closer or brings them apart. This article historicizes the aforementioned concepts which have a parallel history and which took off during the age of imperialisms in the late nineteenth century. However, they were not exercised solely by great powers. By comparing Anglophone and Francophone historiographic traditions, it can be emphasized that both historical schools have been reluctant to borrow from one another the concepts of cultural diplomacy and public diplomacy. Finally, the article ponders on the use of these concepts according to historical contexts in order to perceive when they operated. - Entre propagande et diplomatie : Vira Whitehouse et le Committee on Public Information en Suisse, 1917-1919 - Christophe Schuwey p. 27-38 En décembre 1917, en pleine Première Guerre mondiale, le Committee on Public Information, l'organe de propagande des États-Unis, charge la suffragette Vira Whitehouse d'une mission : propager les idées américaines en Suisse et, par ricochet, au cœur des Empires centraux. Mais la légation américaine à Berne ne voit pas d'un bon œil cette nomination, ayant jusqu'alors été chargée de cette tâche. Le conflit qui s'ensuit dans le cadre helvétique entre la propagande traditionnelle des diplomates et les méthodes innovantes du CPI va marquer durablement la politique culturelle américaine. En analysant cette affaire et les actions menées par V. Whitehouse, nous comprendrons la nouvelle direction prise par les États-Unis dans leur manière de propager leur image à l'étranger, et ce pour des décennies.Vira Whitehouse and the Committee on Public Information in Switzerland, 1917-1919
In December 1917, during World War One, the Committee on Public Information, which was the United States' propaganda agency, entrusted the suffragette Vira Whitehouse with a mission. She was to propagate American ideas in Switzerland and, in indirect fashion, at the heart of the central Empires. But the American delegation in Bern did not welcome this nomination, having previously been in charge of this task. The conflict that followed in Switzerland between traditional propaganda diplomats and the CPI's innovative methods considerably marked American cultural policy. By analyzing this case and the actions of Whitehouse, we will explore the new direction taken by the USA in the way they spread their image abroad for decades to come. - La politique culturelle polonaise en Suisse : acteurs et liaisons informelles autour de la figure d'Henryk Opieński - Paweł Duber p. 39-52 La diplomatie culturelle polonaise use principalement de relations informelles. Ainsi, Henryk Opieński, pianiste et compositeur, résidant permanent en Suisse, entretient-il des contacts étroits avec des diplomates polonais résidant à Berne et à Genève après l'accession à l'indépendance de son pays natal. Nombreux sont les projets culturels rendus possibles grâce à sa contribution en tant qu'initiateur et exécutant. Son activité dévoilée par son abondante correspondance exemplifie les mécanismes de la diplomatie culturelle et permet d'ébaucher un « modèle » élaboré durant l'entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale. Constamment sous-financée, celle-ci s'est appuyée tout d'abord sur des organisations patriotiques liées à l'émigration et quelques individus comme Opieński. On note également un manque de réflexions approfondies au ministère des Affaires étrangères sur des projets d'envergure visant des objectifs à long terme. Souligner l'importance des contacts informels entre le monde diplomatique et artistique, c'est également éclairer, à l'arrière-plan, le rôle d'acteurs importants.Polish Cultural Policy in Switzerland: Actors and Informal Liaisons – the case of Henryk Opieński
Polish cultural diplomacy was often exercised within informal networks. Henryk Opieński, a Polish pianist and composer, permanently residing in Switzerland, operated within those networks. He maintained close contacts with many Polish diplomats in Berne and Geneva after his native country had become independent. The success of many cultural projects would not have been possible without his contribution together as an initiator and executor. This activity was noticeable in his abundant correspondence which revealed certain mechanisms of Polish cultural diplomacy. It also allows to sketch the “model” followed during the interwar period and the Second World War. Constantly underfunded, this diplomacy relied initially on patriotic organizations of emigres and some individuals like Opieński. Furthermore, it disclosed a lack of in-depth reflection within the Ministry of Foreign Affairs concerning the preparation of major projects in order to achieve certain long-term objectives. The activities of a Polish pianist, which uncovers the importance of informal contacts between the diplomatic and artistic world, reveal other important backstage actors during the same time period. - « Nous devons élargir chaque fissure du rideau de fer. » La diplomatie culturelle américaine en direction du bloc soviétique au prisme des échanges universitaires (1955-1961) - Justine Faure p. 53-68 Cet article se propose de revenir sur les années fondatrices de la diplomatie culturelle des États-Unis en direction du bloc soviétique à travers l'étude d'une organisation méconnue, l'Inter-University Committee for Travels Grants (IUCTG). Fondée par des universitaires en 1955 afin de gérer les échanges en sciences humaines et sociales avec l'URSS, cette organisation offre un exemple intéressant du fonctionnement des réseaux privé-public en temps de Guerre froide. À travers cette étude de cas, l'article apporte un autre regard sur la chronologie, révélant en particulier l'opposition initiale du Département d'État aux échanges de personnes entre les États-Unis et l'URSS et, en conséquence, le rôle pionnier du secteur privé dans ce domaine. Il éclaire aussi les convergences et divergences entre l'État et les universitaires, notamment sur la finalité des échanges.“We must widen every possible chink in the Iron Curtain”. The American Cultural Diplomacy towards the Soviet Bloc: the Case Study of Scholarly Exchanges (1955-1961)
This article proposes to reconsider the founding years of the US cultural diplomacy towards the Soviet bloc through the study of an unknown organization, the Inter-University Committee for Travels Grants (IUCTG). Founded in 1955 by US scholars to administer academic exchanges with the Soviet Union in social sciences and humanities, this organization represents an intriguing example of a fully functional State-private network in the midst of the Cold War. Through the case study of the IUCTG, this article sheds new light on the chronology of events, revealing the initial State Department's opposition to US-Soviet exchanges of persons and how, on the contrary, the private sector was a forerunner in this field. It also reveals convergences and divergences between the State and academics, in particular concerning the goals of those scholarly exchanges. - Diplomaties culturelles occidentales en conjoncture de détente. Le lancement d'un programme d'échanges académiques Est-Ouest à la 6e Section de l'EPHE - Ioana Popa p. 69-86 L'article examine l'action conjointe d'acteurs publics et privés ayant œuvré dans différents espaces nationaux occidentaux en faveur d'échanges académiques Est-Ouest au moment du dégel. Il vise à encastrer la politique d'internationalisation scientifique d'une institution académique précise dans des diplomaties culturelles occidentales définies à des échelles plus amples qui à la fois lui offrent des moyens d'action et la soumettent à des contraintes. Concrètement, l'article analyse les conditions de lancement à la 6e Section de l'École Pratique des Hautes Études d'un programme d'échanges académiques en direction d'Europe de l'Est au milieu des années 1950. Il situe cette initiative à la jonction des politiques culturelles extérieures déployées par l'État français et par une fondation philanthropique américaine, la Fondation Ford, et interroge ses connexions avec la diplomatie publique des États-Unis. Cette étude de cas permet d'observer la (re)définition des stratégies occidentales de Guerre froide intellectuelle et les conditions de la mise en place de différents circuits d'internationalisation scientifique Est-Ouest lors de la détente.Western Cultural Diplomacies in the Détente Context. The Sixth Section of the EPHE and the Launching of the Academic East-West Exchange Program
This article examines the joint action of public and private actors who worked inside different Western national arenas to promote East-West academic exchanges in the thaw context. It aims to situate the internationalization of the scientific policy implemented by a particular academic institution within broader western cultural diplomacies that facilitated or, on the contrary, restrained it. The article concretely investigates the conditions under which the Sixth Section of the École Pratique des Hautes Études launched an academic cooperation program with Eastern Europe in the mid-1950s. The article also shows that this action took place within the framework of cultural foreign policies developed both by the French government and an American philanthropic foundation (the Ford Foundation) and addresses its links with the United States' public policy. This case study sheds light on the (re)definition of Western intellectual warfare strategies and the conditions under which different channels of East-West scientific internationalization were implemented during the Détente period. - Un modèle finlandais ? Administrer et coordonner les diplomaties publiques et culturelles, 1944-1975 - Louis Clerc p. 87-100 L'image des petits États à l'étranger est une donnée géopolitique, commerciale et identitaire essentielle, qui appelle de leur part un travail de communication mené avec des ressources et dans des buts bien définis. Par souci d'utilisation efficace de leurs ressources ou par suivisme à l'égard de paradigmes transnationaux, ces petits États peuvent être tentés d'adopter certains modèles étrangers. Comment s'opère alors la relation entre modèles extérieurs et réalités internes ? Cet article considère la question à travers l'exemple de la Finlande durant la Guerre froide. Nous verrons que, si les inspirations extérieures sont évidentes, le contexte national finlandais résiste à l'adoption de modèles organisationnels extérieurs.A Finnish Model? Managing and Coordinating Public and Cultural Diplomacies, 1944-1980
In terms of their geopolitical, commercial and national identities, their image abroad is a key element in the definition of small States' international relations. It calls for a certain kind of communication work, using limited resources and defining specific goals. In order to make more efficient use of their own resources or to follow transnational paradigms, small States might be tempted to adopt foreign models of organization for their public and cultural diplomacies. In that case, what kind of relations can we observe between foreign models and local realities? This article will consider the example of Finland during the Cold War in order to approach this issue. We will observe that, despite the influence of foreign inspirations, national and local contexts often resist the wholesale adoption of foreign organizational models. - Le modèle helvétique de diplomatie culturelle, un Sonderfall ? - Pauline Milani p. 101-120 Le développement de la diplomatie culturelle suisse suit une chronologie calquée sur celle de la Défense nationale spirituelle, qui imprègne le monde politique et culturel helvétique entre 1938 et 1969. Grâce à la convergence des acteurs privés et publics issus des milieux culturels, économiques, touristiques et diplomatiques, la Confédération helvétique se dote progressivement de toutes les composantes de ce qu'on peut aujourd'hui qualifier de diplomatie publique. Dans ce processus, l'État fédéral reste en retrait, et joue plus un rôle de coordination que de direction. La référence aux modèles étrangers est fréquente, même s'il s'agit moins de s'en inspirer que de susciter un esprit de concurrence pour renforcer les moyens dévolus à la diplomatie culturelle.The Swiss Model of Cultural Diplomacy, a “Sonderfall”?
The development of Swiss cultural diplomacy followed a timeline inspired by the National Spiritual Defense's timeline. The latter permeated the Swiss political and cultural landscape between 1938 and 1969. Thanks to the convergence of private and public actors from cultural, economic, touristic and diplomatic sectors, the Swiss Confederation progressively acquired all the components of what is called today « public diplomacy ». In this process, the federal State remained in the background, playing a role of coordination rather than a role of leadership. The reference to foreign models was frequent as a way to create a spirit of competition meant to strengthen the resources devoted to cultural diplomacy. - Notes de lectures - p. 121-131