Contenu du sommaire : Luther et la politique
Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
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Numéro | no 45, 1er semestre 2017 |
Titre du numéro | Luther et la politique |
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Études
- Introduction - Céline Borello, Pierre-Yves Quiviger p. 9-10
- Réforme protestante et judiciarisation : l'exemple des travaux des publicistes relatifs à la « constitution » de l'Empire - Michael Stolleis, Mathieu Olivier p. 11-31 Quel est l'éventuel lien de cause à effet entre, d'une part, la Réforme (dans ses différentes dérivations : luthéranisme, zwinglianisme, calvinisme) et, d'autre part, les mutations du « droit » aux XVIe et XVIIe siècles ? C'est une question complexe et qui fait naître de nombreuses difficultés. Loin de vouloir éluder ou minimiser ces difficultés, est mise en avant une démarche pragmatique, en trois étapes. Tout d'abord, en donnant corps au terme de « judiciarisation » en prenant des exemples de ce phénomène pour le XIIIe siècle et le XVIe siècle. Dans un deuxième temps, l'accent est mis sur les processus de « judiciarisation » et l'emprise croissante du droit sur les sociétés dans le sillage de la Réforme. Enfin, dans un troisième temps, est examinée la « constitution » de l'Empire (Reichsverfassung) et la façon dont elle est présentée dans l'enseignement du droit public au sein des universités protestantes et catholiques.Reformation and Judicialization: the Work of the Public Lawyers on the “Constitution” of the Empire – a Case StudyWhat does causal relationship, if any, stand between the various trends of the Reformation and the changes affecting “Law” during the Early Modern period? Instead of minimizing or finding a way round the many difficulties raised by such complex a matter, the present paper is taking a pragmatic three-steps approach. Firstly, it substantiates the term “judicialization” by considering examples of this phenomenon in the 13th and 16th centuries. Secondly, it highlights the process of “judicialization” and the increasing significance of the Law within post-Reformation societies. Lastly, it examines the “Constitution” of the Empire (Reichsverfassung) and its treatment by Public Law curricula in protestant and catholic universities.
- L' Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, traité religieux ou politique ? - Yves Krumenacker p. 33-48 L'Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, traité de Luther paru en août 1520, est un texte aussi bien politique que religieux. Il cherche à réformer l'état du christianisme mais, pour cela, fait appel aux autorités temporelles, constatant la défaillance du clergé. C'est en réalité l'ensemble des activités humaines qu'il s'agit de réformer pour les rendre conformes à la morale chrétienne. Luther justifie ainsi d'un point de vue religieux le pouvoir temporel, le plaçant au-dessus du pouvoir spirituel, mais toujours subordonné à l'Écriture.The “Address to the Christian Nobility of the German Nation”: political or religious treatise?
Luther's 1520 Address to the Christian Nobility of the German Nation is both a political and religious text. Though aiming at reforming the current state of Christianity, it called upon the temporal authorities to do so, given the failure of the clergy. In fact, the whole sphere of human activities needed to be reformed if it was to conform to Christian morality. Luther therefore justified the temporal power from a religious viewpoint and raised it above the spiritual power, though keeping it subordinate to the Scriptures. - Luther et la tolérance - Marc Lienhard p. 49-61 Entre 1520 et 1525, Luther précise qu'il ne faut pas user de la force pour triompher des hérétiques, mais seulement de la parole pour les convaincre. Les autorités temporelles ne peuvent forcer personne à croire, elles peuvent intervenir si les dissidents troublent l'ordre public. Par la suite, il admet aussi qu'elles doivent sévir s'ils s'opposent à un article de foi publiquement reçu et s'ils prêchent sans avoir reçu vocation de le faire. Il est maintenant convaincu qu'au sein d'une même unité territoriale ne peut s'exercer qu'un seul type de prédication. Les autorités temporelles doivent expulser les dissidents, mais les tolérer s'ils pratiquent leur culte seulement dans l'espace privé.Luther on Tolerance
From 1520 to 1525, Luther insisted that one should not use force against heretics but win them over by preaching. Temporal authorities could not coerce anyone into believing though they were allowed to intervene whenever dissenters disrupted public order. Later on, Luther came to admit that they might also punish those who oppose a publicly acknowledged article of faith or preach without having had any specific calling to do so. He convinced himself that only one type of preaching could be carried on within a given territorial unit. Temporal authorities must expel dissenters and only tolerate their cults when privately practiced. - Martin Luther et l'Amérique du Nord : l'histoire d'un échec - Mokhtar Ben Barka p. 63-88 Depuis les origines, les États-Unis ont été marqués par le protestantisme. Pourtant, la pensée politique de Martin Luther n'a jamais réussi à occuper une position dominante dans la société américaine. Trois facteurs peuvent expliquer l'échec de l'héritage luthérien. Il y a d'abord le fait que le puritanisme avait devancé le luthérianisme sur le sol nord-américain. Ensuite, lorsqu'aux XVIIIe et XIXe siècles, les luthériens européens étaient arrivés en masse, ils avaient éprouvé des difficultés à s'adapter au contexte américain. Enfin, les Founding Fathers – partisans d'aucune doctrine religieuse – étaient fortement influencés par la philosophie des Lumières, et notamment, par la réflexion du penseur anglais John Locke sur la Raison et les droits naturels.Martin Luther in North America: How It Went Wrong
Protestantism left its imprint on the United States since their origin. Luther's political thought, however, never succeeded in playing a dominant role in American society. Three factors may explain why the Lutheran legacy failed. Firstly, Puritanism preempted Lutheranism on the North-American soil. Secondly, the European Lutherans who flooded America in the 18th and 19th centuries found it difficult to adapt to the local context. Lastly, the Founding Fathers – who did not favor any specific religious persuasion – were deeply influenced by the philosophy of the Enlightenment, most notably by John Locke's views on Reason and Natural Rights. - Le legs politique de Luther chez les penseurs républicains français du XIXe siècle. Un héritage discuté - Marion Deschamp, Marc Aberlé p. 89-120 L'impact historique de Luther semble si intriqué avec le destin politique et territorial de l'Allemagne moderne, qu'on peut se demander quelle fut sa perception en dehors de cette dernière, notamment dans la France agitée du XIXe siècle. Cet article montre que, à la faveur de certains passeurs (Germaine de Staël, Henri Heine), l'aura de Luther passe allègrement le Rhin. Les penseurs républicains, notamment, n'ont de cesse de mettre en valeur le rôle du Réformateur dans le combat pour la liberté : spirituelle, d'abord, avec la Réforme ; politique, ensuite, avec la Révolution. C'est dans ce cadre que Luther, pourfendeur de traditions millénaires, est encensé comme émancipateur du genre humain par Edgar Quinet, Jules Michelet, Louis Blanc ou encore Jean Jaurès.Luther's political legacy to nineteenth-century French republican thinkers: a controversial inheritanceLuther's historical impact seems so closely intertwined with the political and territorial destiny of modern Germany that one wonders how it was perceived elsewhere, particularly in tumultuous nineteenth-century France. This paper shows that, thanks to such relays as Germaine de Staël and Henri Heine, Luther's aura easily reached the opposite bank of the Rhine. Republican thinkers, in particular, kept emphasizing the part played by the Reformer in the struggle for liberty: spiritual with the Reformation, then political with the Revolution. In this context, Edgar Quinet, Jules Michelet, Louis Blanc or Jean Jaurès acclaimed Luther, the destroyer of millenary traditions, as an emancipator of humankind.
- La doctrine luthérienne des deux règnes dans le cadre du Kirchenkampf. Lectures théologico-politiques du Sermon sur la montagne - Michel Senellart p. 121-141 La doctrine luthérienne des « deux règnes », spirituel et temporel, a fait l'objet d'un intense débat théologique et politique dans l'Allemagne de l'entre-deux-guerres. Cet article en retrace un moment essentiel : celui qui mit aux prises, à l'aube du régime national-socialiste, les membres de l'« Église confessante », sous l'impulsion de K. Barth, avec le mouvement völkisch des Chrétiens allemands et donna lieu, avec la thèse du théologien H. Diem (1938), à la première exégèse rigoureuse des écrits de Luther sur le sujet. Il rappelle ainsi les enjeux politiques liés, dans cette controverse, à l'interprétation luthérienne du Sermon sur la montagne.The Lutheran doctrine of the Two Kingdoms within the Kirchenkampf. Theological-political readings of the Sermon on the MountLuther's doctrine of the “two kingdoms”, temporal and spiritual, was the object of an intense political and theological debate in interwar Germany. This paper deals with one of its most crucial moments, when, under the impetus of Karl Barth, members of the Confessing (or Confessional) Church came to grips with the völkish movement of the German Christians at the dawn of the Nazi regime. This struggle gave rise to the first rigorous exegesis of Luther's writings on the subject in Harold Diem's 1938 thesis. The political issues related to the Lutheran interpretation of the Sermon on the Mount are here recalled.
- Germanisme et national-socialisme dans les synodes luthériens au Brésil sous le gouvernement de Getúlio Vargas (1937-1945) - Sergio Luiz Marlow, Michael A. Soubbotnik p. 143-163 Dans les dernières décennies du XIXe siècle et au début du XXe, les synodes luthériens s'implantèrent au Brésil. Au cours des années 1930 et 1940, qui virent la campagne de nationalisation du gouvernement Vargas puis la Seconde Guerre mondiale, des questions aussi cruciales que celles du Germanisme et du national-socialisme surgirent dans les synodes. On tente de montrer ici, face à la diversité des positions des luthériens sur ces questions, ce que furent la perception et les réactions des autorités brésiliennes.Germanism and national-socialism in the lutheran synods under the Government of Getúlio Vargas (1937-1945)During the late 19th and early 20th centuries, Lutheran synods settled in Brazil. During the 30' and 40', that is during the “Nationalization Campaign” of the Vargas government followed by the Second World War, the synods had to face such crucial issues as Germanism and National-socialism. The present paper attempts to show how the Brazilian authorities perceived the various positions of the Lutherans on these questions and how they reacted to them.
Variétés
- Henri Fayol et « l'industrialisation » de l'État - Luc Rojas p. 165-186 Le début du xxe siècle en France est riche de pensées ayant pour objet la réforme de l'État et de son fonctionnement. Tous les milieux intellectuels participent à ce mouvement. Les ingénieurs sont de ceux-là et ambitionnent de transférer leur rationalité scientifique à la gestion des affaires publiques. Henri Fayol, ingénieur civil, considéré, aujourd'hui encore, comme l'un des pères du management, se consacre, entre 1916 et 1925, à la question de « l'industrialisation » de l'État. Il souhaite ainsi convaincre les instances politiques d'appliquer à la gestion des affaires publiques la logique née de l'industrie.Henri Fayol and the “industrialization of the State”Early twentieth-century France was rich with views on how to reform the State and its functioning. All intellectual circles joined the movement, including engineers whose ambition was to transfer their scientific rationality to the management of public affairs. Henri Fayol was a civil engineer who is still considered today as one of the founding fathers of management. From 1916 to 1925, he devoted himself to the issue of the “industrialization” of the State, wishing to convince political bodies to apply an industry-originated logic to the management of public affairs.
- Purger le peuple. Du pouvoir cognitif de la métaphore médicale chez Machiavel - Sandro Landi p. 187-216 La métaphore des humeurs chez Machiavel a fait l'objet de nombreuses études. Essentiellement fondées sur ses œuvres majeures, les recherches actuelles ont mis l'accent sur l'utilisation que fait Machiavel de cette catégorie de métaphores d'origine médicale dans un contexte marqué par une réflexion sur les formes institutionnelles et le rôle des conflits. Cet article se propose d'étudier l'utilisation de cette métaphore à partir d'une source moins exploitée : la correspondance politique de Machiavel durant la crise de l'État florentin au début du XVIe siècle. L'objectif de notre étude est double : présenter un niveau d'analyse de l'organisme politique par rapport à des phénomènes d'opinion qui ont échappé jusqu'à présent à l'analyse critique ; mettre à l'épreuve la valeur cognitive résiduelle de cette métaphore à la lumière du récent débat historiographique sur la nature et les formes de l'opinion publique dans les sociétés prémodernes.Purging the people: the cognitive power of medical metaphors in Machiavel
The metaphor of the humors in Machiavelli has been the subject of an important number of studies. Essentially concentrated on his major works, scholars have emphasized that Machiavelli uses this category of medical origin in a context marked by a reflection on institutional forms and the role of conflicts. This article proposes to study the use of this metaphor in a less-studied source: the political correspondence of Machiavelli during the crisis of the Florentine territorial state in the beginning of the 16th century. The goal of this study is double: it aims to present a level of analysis of the body politic relative to the phenomena of opinions which, until now, have escaped critical analysis; it intends to question the residual cognitive value of this metaphor in the light of the recent historiographical debate concerning the nature and the forms of public opinion in pre-modern societies.
- Henri Fayol et « l'industrialisation » de l'État - Luc Rojas p. 165-186