Contenu du sommaire
Revue | NECTART |
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Numéro | no 3, 2ème semestre 2016 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Édito
- Chers Hugo, Clemenceau, Jaurès, - Éric Fourreau p. 3-5
L'invité
- « Nous devons mener une bataille pour gagner les esprits et les coeurs des immigrés. » - Amin Maalouf, Éric Fourreau, Serge Saada p. 11-24
Place des artistes
- « C'est peu et c'est déjà beaucoup » - Isabelle Boni-Claverie p. 25-26
- « Libre de mes choix et de mes engagements » - Philippe Guionie p. 27-28
Enjeux culturels
- Les écrans : apprendre à s'en passer, apprendre à s'en servir - Serge Tisseron p. 29-38 Éduquer aux écrans, et plus largement aux outils numériques, c'est à la fois apprendre à s'en servir et apprendre à s'en passer. C'est dans ce double but que Serge Tisseron a proposé en 2008 les balises 3-6-9-12, calées sur quatre âges essentiels dans le développement de l'enfant : 3, 6, 9 et 12 ans. Mais introduire les écrans au bon moment et de la bonne manière ne suffit pas. Pour que les outils numériques deviennent des supports de création et de socialisation et qu'ils participent à l'appropriation d'un discours personnel sur soi-même et sur le monde, il est essentiel d'encourager les productions numériques des jeunes, et de les amener à réfléchir sur leurs productions respectives afin qu'ils prennent en compte leurs différences et développent les diverses dimensions de l'empathie.
- De la démocratisation à la démocratie culturelle - Joëlle Zask p. 40-47 La « culture » implique de cultiver, culturer, faire pousser, grandir. Or, l'individu ne « pousse » pas s'il n'est pas « cultivé » par son environnement et s'il ne participe pas activement à sa « croissance ». La culture est donc une question de relation, et même d'interaction, entre l'individuel et le social. Elle est vivante (Malinowski), vraie (Sapir) ou démocratique, commune et partagée (Dewey) si elle assure la réciprocité entre le développement de l'individualité et celui de la vie commune. Cette conception de la culture fausse la route à d'autres notions que nous écarterons, non seulement parce qu'elles sont inexactes et unilatérales, mais aussi parce qu'elles débouchent sur des politiques culturelles boiteuses, fondamentalement anti- ou non démocratiques.
- L'entrepreneuriat culturel en débat : Vers un nouveau modèle d'organisation - Philippe Henry Rejeter la notion d'entrepreneuriat au prétexte qu'elle introduit une dimension par trop gestionnaire dans le domaine culturel ne tient plus, alors même que celui-ci a connu depuis un demi-siècle une professionnalisation accélérée. Faire comme si cet entrepreneuriat ne se démarquait qu'à la marge des formes qu'il prend dans d'autres secteurs ne résiste pas plus à l'analyse de ses spécificités socio-économiques. Une troisième perspective s'ouvre si l'on considère l'entrepreneuriat comme l'ensemble des conditions et des modalités sous lesquelles une intuition va se concrétiser dans une activité productive et créatrice de valeur, tout en permettant le développement d'une organisation qu'on voudrait pérenne. L'entrepreneuriat culturel apparaît alors comme spécifiquement constitué à la croisée d'une tension extrême entre une singularisation affirmée de la moindre de ses propositions et une interdépendance poussée des différents acteurs qui vont les valoriser. D'où un type particulier d'entrepreneuriat, où chaque organisation oscille sans cesse entre la recherche d'une notoriété propre et la nécessité de fortement coopérer avec les autres.
- L'entrepreneuriat culturel en débat : Pour un nouvel imaginaire - Steven Hearn, Émily Lecourtois Plus d'un an après le rapport sur l'entrepreneuriat culturel, force est de constater que la notion suscite encore beaucoup de débats en France. On y confond à dessein la structuration juridique et l'éthique. D'un côté, l'intérêt général attribué aux associations et coopératives ; de l'autre, l'inconséquence et la seule recherche de profit à l'entreprise commerciale. À l'aube de cette ère numérique, les choses sont plus nuancées et cette vision binaire masque les véritables enjeux. En premier lieu, de quelle économie parle-t-on ? Peut-on seulement l'aborder sous l'angle financier alors que tout l'enjeu est d'en mesurer la valeur (humaine, sociale, environnementale) ? Ensuite, où se place la responsabilité de l'entrepreneur et de l'acteur culturel ? N'y a-t-il pas nécessité de repenser les modèles, de s'adapter à une nouvelle économie et dans un monde en mutation ? Peut-on continuer de fonctionner en opposition, à l'heure où tout le monde ne parle que d'écosystème ? Quelles alternatives et quelles perspectives offre-ton aux jeunes générations avec la captation et le tarissement des financements publics ? Que leur transmet-on ?
- Éducation populaire : quelles formes prend-elle au xxie siècle ? - Mathieu Braunstein p. 64-70 Véritable serpent de mer, l'éducation populaire revient périodiquement dans le débat public. On est cependant frappé par la virulence de certains acteurs rencontrés sur le terrain et par leur refus de se revendiquer de mouvements dont ils sont pourtant souvent issus. L'histoire de l'éducation populaire est-elle méconnue des jeunes générations ? L'expression serait-elle devenue contre-productive, du moins dans le secteur de la culture ? Se revendiquer d'une utopie est-il devenu le moyen, aujourd'hui, de mettre en oeuvre les valeurs de « faire ensemble » et d'émancipation portées par l'éducation populaire, sans pour autant s'enfermer dans une catégorie ? Plutôt qu'à l'affirmation de hiérarchies, l'heure semble au partage et à la construction collective des savoirs. Médiation, enseignement artistique et culturel, éducation à la nature, éducation permanente… Notre approche sera forcément empirique, avec quelques « coups de sonde » volontairement limités dans les champs d'action réaffirmés de l'éducation populaire.
- São Paulo : la ville qui expérimente l'art citoyen - Maria Lúcia de Souza Barros Pupo, Alice Maria de Araújo Ferreira p. 72-79 Métropole de 11 millions d'habitants d'une grande diversité urbaine et sociale, São Paulo expérimente depuis une décennie une nouvelle politique culturelle afin de renforcer sa démocratie et de réduire les inégalités entre le centre-ville et sa périphérie. L'article montre comment ses deux principaux programmes d'aide aux compagnies de théâtre et de danse sont axés sur l'implication des citoyens dans la culture, dans la lignée du nouveau référentiel des droits culturels et de l'approche anthropologique de la politique culturelle par le Système national de culture du Brésil.
- Le Grand Paris : colosse culturel ou hydre politique ? - Emmanuel Wallon p. 80-89 Née le 1er janvier 2016, la métropole du Grand Paris (MGP) fait partie de la quinzaine d'entités urbaines instituées par les récentes lois de décentralisation. C'était la plus attendue, car les ambitions et les problèmes de la capitale débordent depuis longtemps les bornes de son boulevard périphérique. Contrairement à Lyon, elle ne jouit pourtant pas des prérogatives d'une collectivité territoriale et doit négocier ses compétences avec la Ville, les départements et la région, sans oublier diverses instances chargées des études d'urbanisme et de l'aménagement d'un réseau express de transport public. Son rôle culturel reste à définir. Les acteurs de terrain et les experts qui plaident pour un modèle collaboratif favorisant le partage des savoirs et la valorisation des ressources auront fort à faire pour défendre leurs options dans un concert dominé par les hérauts des Jeux olympiques et de l'Exposition universelle.
- Marchés de la culture : où l'abondance de l'offre peut nuire à la demande - Michel Berthod p. 90-98 Se référant à la controverse entre Olivier Babeau et Jean-François Marguerin (NECTART #1), et sur fond d'analyse économique marxiste, Michel Berthod interroge les concepts d'offre et de demande appliqués aux biens et services culturels, et plus spécialement aux services de spectacle vivant. Il montre que la politique de l'État reste tournée vers le soutien de l'offre primaire (la production) et recommande de la réorienter vers le soutien à la diffusion, notamment par un meilleur financement des scènes nationales et scènes conventionnées, opérateurs intermédiaires entre l'offre primaire et la demande finale. Il recommande aussi de prendre exemple sur le CNC pour élargir les missions du CNV à tous les opérateurs de la filière musicale et à toutes les musiques, voire à la danse et au théâtre.
- Les écrans : apprendre à s'en passer, apprendre à s'en servir - Serge Tisseron p. 29-38
Transformations artistiques
- Séries scandinaves : les héritières venues du froid - Pierre Sérisier p. 99-107 Les séries scandinaves sont devenues une solution de rechange pour ceux qui, lassés par les fictions made in USA, attendent de la télévision une exigence qualitative. Si les productions suédoises, danoises, norvégiennes et islandaises demeurent majoritairement policières, elles s'essaient désormais au drame familial, au thriller politico-stratégique ou à la reconstitution historique. Conçues pour être exportées et adaptées, comme cela fut le cas pour The Killing ou The Bridge, ces oeuvres sont à la fois exotiques et familières. Elles se revendiquent comme les héritières des grandes sagas nordiques tout en proposant une contestation d'un modèle social qu'elles montrent à bout de souffle. Leur originalité est de contribuer à asseoir le style Nordic Noir, dans lequel les personnages féminins présentent des caractéristiques associées à la masculinité, et d'ausculter l'échec de leur modèle social original, vaincu par la mondialisation et le capitalisme financier.
- Bande dessinée et récit politique : pour un nouveau journalisme ? - Benoît Berthou p. 108-115 De l'oeuvre de Daumier à celle de Cabu, en passant par nombre d'autres travaux, dessin et politique font depuis longtemps bon ménage. Mais parmi toutes ces pratiques graphiques, la bande dessinée occupe une place à part. Caractéristique d'une modernité, l'intérêt pour le récit politique semble être le fait d'auteurs qui souhaitent s'ouvrir ou s'inspirer de pratiques graphiques (croquis, cartographies…) propres aux dessins proposés par la presse. En tant que telles, ces propositions semblent chercher à renouveler une image politique dont le statut (à l'instar de celui du photojournalisme) paraît aujourd'hui être des plus ambigus.
- Quand les laissés pour-compte deviennent des diseurs de contes… - Gigi Bigot p. 116-124 Est-il bien raisonnable d'inventer des contes avec des personnes en grande pauvreté ou d'écrire des poèmes avec des chercheurs d'emploi alors qu'ils ont déjà tant de difficultés matérielles dans la vie réelle ? À partir de cette question, cet article essaie de montrer ce que le conte est censé apporter à ces personnes. Il expose comment le fait de sortir du témoignage bouscule la place de chacun, pauvres/non-pauvres, conteurs/ auditeurs, en instituant un autre classement. Il démontre comment, passant par l'imaginaire, les uns acquièrent la dignité de dire, et les autres une plus grande liberté d'écoute. Ce mensonge pour mieux dire la vérité bouleverse les rôles et, paradoxalement, joue un rôle de rassemblement. Cet article s'appuie sur l'expérience de deux ateliers avec des personnes en situation de précarité, expérience menée à Rennes par le mouvement ATD Quart Monde dont l'objectif est de dénoncer la misère.
- Séries scandinaves : les héritières venues du froid - Pierre Sérisier p. 99-107
Révolution technologique
- Dans quel monde voulons-nous être connectés ? Transhumanisme vs companionism - Laurence Allard p. 125-132 Cet article pose les enjeux anthropologiques du big data et du connected everything, qui renvoient in fine à l'idéologie transhumaniste. L'extension de la connexion des réseaux de communication informatisés à des non-humains est, pour certains, la promesse d'une mutation de l'humain pour la transhumanité. Il faut pourtant rappeler que l'idéologie transhumaniste est fondée sur une anthropologie compétitive stérile entre humains et non-humains, idéologie qui vient naturaliser le cyborg, une figure conçue comme émancipatrice lors de la sortie du Manifeste cyborg de Donna Haraway en 1985. En fait, dans quel monde voulons-nous être connectés ? Une forme de réponse nécessite de statuer dès à présent sur la relation qui nous lie aux entités connectées avec lesquelles nous partageons nos existences. Le companionism de Donna Haraway nous inspire la possibilité de penser une « biosocialité connectée ». Pour illustrer cette approche expérimentaliste, sont développés des exemples d'usages des capteurs, des données et de la connexion au profit de l'intérêt général.
- Le Web est-il en train de réinventer la médiation culturelle ? - Laurent Chicoineau p. 134-142 En remplaçant les relations aux experts par des échanges de pair à pair, en privilégiant la co-construction et l'apprentissage « par la foule » (crowdsourcing), en ouvrant les données et les outils de leur traitement informatique, le Web et les pratiques numériques bousculent et mettent en crise de nombreux domaines d'activité, dont ceux de l'éducation et de la culture. Face au risque de désintermédiation que ces pratiques portent en elles, quelles sont les nouvelles voies à explorer pour les médiateurs culturels et leurs institutions ? Parce qu'elle associe à la fois les équipes des musées et des communautés d'amateurs, l'initiative MuséoMix apporte des résultats intéressants en matière d'innovation culturelle. Et si les musées, de lieux de diffusion des savoirs, se transformaient en plates-formes créatives au service de leur territoire ?
- La régulation des géants du Net : horizon ou mirage ? - Philippe Chantepie, Jean-Baptiste Soufron p. 144-153 Elles dominent le monde numérique. Elles rencontrent le succès auprès du public et des entreprises. Elles nous divertissent de musiques et vidéos, de textes parfois encore. Elles satisfont instantanément notre curiosité. Elles nous facilitent quotidiennement la vie. Elles embrassent et calculent nos sociabilités. Elles traduisent et valorisent nos réseaux professionnels. Elles concourent à nos relations amoureuses et nos conquêtes sexuelles. Elles guident nos pas et accompagnent nos déplacements. Elles dessinent nos désirs et anticipent nos besoins. Elles veillent déjà à notre sommeil et se soucient de notre santé… En à peine plus de dix ans, en misant sur l'innovation et sur le développement de nouveaux usages, les plates-formes numériques ont acquis vis-à-vis des hommes ce « pouvoir absolu » dont parlait Tocqueville. Elles ont pour elles l'innovation, l'agilité, la modernité, l'efficacité, l'utilité. Et depuis, avec une admirable constance, États, lois et droits paraissent absents, interdits, sidérés. Ils semblent sortir de leur torpeur ces derniers mois seulement, en raison de l'érosion de la base fiscale imposable, et entendent vouloir une « régulation des plates-formes ». Laquelle ? Lesquelles ? Dans quel but ? Pour en contrôler les usages ? Les acteurs ? Avec quelle vigueur ? Et à quel tempo ? Nul ne le sait, tandis que la domination libre des platesformes travaille sans relâche à l'« ubérisation » de la société.
- Dans quel monde voulons-nous être connectés ? Transhumanisme vs companionism - Laurence Allard p. 125-132